Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EHPAD
  • domicile
  • hôpital
  • médecin
  • résident
  • âgée

La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information

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Mes chers collègues, nous auditionnons Mme Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles (FNAPAEF), qui regroupe des associations représentant les personnes âgées en perte d'autonomie, qu'elles soient à domicile ou en établissement, et leurs proches.

La problématique sanitaire dans les établissements pour personnes âgées est bien particulière : il s'agit de personnes à risques, vivant dans un espace collectif où interviennent des personnels venant de l'extérieur. J'ajoute que les établissements sont très divers en termes de taille, de mode de gestion ou de localisation géographique. Ils n'ouvrent pas de la même façon l'accès au système de santé, en particulier aux médecins coordonnateurs. Certains établissements ont traversé des situations dramatiques, dans d'autres les choses se sont mieux passées mais, partout, la crise sanitaire a été une épreuve particulièrement difficile pour les résidents et les personnels.

Votre fédération est intervenue sur ces questions ainsi que sur les conditions de travail des intervenants à domicile auprès des personnes âgées. Je vais vous laisser la parole pour les évoquer. Auparavant, je dois vous faire prêter serment : l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Claudette Brialix prête serment.)

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

La pandémie est venue percuter un secteur en très grave difficulté depuis plus de dix ans, sans que rien ne soit fait pour y remédier, alors que sa situation est parfaitement connue de tous. Les présidents de la République qui se sont succédé depuis plus de dix ans ont multiplié les consultations, qui ont abouti à des rapports, hélas, empilés dans les placards. Jusqu'à présent, la concertation grand âge et autonomie n'a pas conduit à un meilleur résultat – Dominique Libault l'a d'ailleurs écrit dans un article publié dans Le Monde. Nous voulons croire que la mise en place du cinquième risque et l'adoption d'une loi relative au grand âge et à l'autonomie aboutiront, mais le peu d'informations communiquées sur leur financement suscite des doutes. Nous avons pris connaissance du rapport de Laurent Vachey sur le cinquième risque ; il n'apporte pas de compléments ou d'orientations plus précises.

Pendant la crise, la démocratie médicosociale et la démocratie sanitaire ont été bafouées. Nous en avons, hélas, la triste habitude. L'urgence ne justifie pas tout. Une situation aussi grave doit s'accompagner de mesures concertées et acceptables par toutes les parties, gages du meilleur résultat. Ne faisons pas croire que le risque zéro existe. Toute décision doit être pesée en fonction d'une balance bénéfices-risques.

La latitude d'appréciation laissée aux établissements a conduit à des pratiques inacceptables.

Des signalements de familles nous sont remontés, portant sur des établissements privés répartis en différents lieux du territoire. Comment admettre que les résidents des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) commerciaux et leurs familles n'aient pas été mieux considérés et accompagnés eu égard aux prix de journée qu'ils supportent ? Les bons résultats financiers des groupes privés gestionnaires de ces établissements profitent non pas aux résidents mais à des actionnaires peu préoccupés du quotidien de ces établissements.

Les établissements gérés par les associations ont eux aussi des pratiques discutables. Je citerai, parmi d'autres exemples, l'EHPAD de la Rosemontoise, dans le Territoire de Belfort, et le Manoir du verger à Véretz, en Indre-et-Loire.

Le secteur public n'est guère plus exemplaire. Les EHPAD gérés par la Ville de Paris ne sont pas des modèles de concertation. Opposant une fin de non-recevoir en période « calme », ils ne sont pas plus ouverts et communicants dans la situation présente. Les personnes âgées et leurs familles vivent mal d'être ainsi niées et infantilisées.

Dans la foulée de la pandémie, les établissements ont dû faire face à la canicule. Nous les remercions d'avoir géré la situation au mieux, malgré l'épuisement des personnels et la fragilité accrue des résidents. Cependant, les équipes sont à bout. Aucune amélioration de leurs conditions de travail n'étant intervenue, elles pourraient ne pas tenir si la situation s'aggravait.

Nous avons le sentiment que les agences régionales de la santé (ARS), trop centralisées, ont manqué de réactivité. Les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) avaient un pouvoir de décision dont les délégations départementales des ARS ne disposent pas. Les effectifs de ces services sont tendus et, dans certains territoires, les postes d'inspecteur ne sont pas tous pourvus.

La situation des personnes âgées à domicile est gravement dégradée sans que, là non plus, aucune mesure ne soit prise. Dans cette crise, les services d'aide à domicile ont été abandonnés à eux-mêmes. Sans protection, la peur au ventre, et alors que les soins avaient été suspendus en raison de la fermeture des cabinets médicaux et de kinésithérapie, ils ont fait face à l'inquiétude, parfois même à l'agressivité des personnes qu'ils accompagnent. Sans le total dévouement des aides à domicile et le soutien des conseils départementaux, qui, avec difficulté, se sont procuré des équipements de protection en urgence, ils n'auraient pas pu tenir. Les municipalités et les centres communaux d'action sociale les ont accompagnés le mieux possible.

L'hôpital a été contraint de libérer des lits en urgence. Ainsi, des personnes âgées qui auraient normalement dû être accueillies en soins de suite ont été envoyées en EHPAD sans recherche de consentement, sans savoir ce que leur coûterait l'établissement, sans non plus s'assurer que l'EHPAD avait les moyens de les accueillir dignement. D'autres ont été renvoyées à leur domicile sans informations préalables des services à domicile sur le motif de leur hospitalisation et sans que n'ait été pris le temps nécessaire à la mise en place concertée de l'accompagnement par tous les intervenants.

La liaison entre les EHPAD et les hôpitaux n'a pas bien fonctionné. Les résidents ont peu souvent été considérés comme prioritaires. Est-il normal de ne pas créer des unités de médecine aiguë gériatrique ? Il a souvent été dit qu'il fallait s'appuyer sur la médecine de ville. Mais que faire dans les déserts médicaux où certains établissements n'ont même plus de médecin coordonnateur ? Que faire quand les cabinets médicaux ferment ? Que faire quand la couverture numérique ne permet pas les téléconsultations ?

La fin de vie de nombreux résidents n'a pas été dignement accompagnée : pas un proche pour tenir la main, aucune possibilité de voir une dernière fois l'être aimé.

Les directives anticipées n'ont souvent pas été respectées. Ainsi, les pompes funèbres nous ont indiqué que des mises en bière avaient été effectuées dans des cercueils non adaptés à l'incinération alors que les personnes en question avaient exprimé par écrit leur volonté d'être incinérées. Le traumatisme des familles est considérable.

Selon nous, les vieux ne sont perçus que comme une charge. La discrimination à leur égard est permanente et ne choque plus. Si un tel traitement était infligé à la petite enfance, tout le monde serait vent debout. Il est temps de redonner à la vieillesse sa place dans notre société. Au cours de leur vie active, ces personnes ont apporté à la nation, ont contribué aux efforts économiques et sociaux ayant profité à tous. Cette génération de vieux – et j'insiste sur ce terme car nous refusons celui de « seniors » : un vieux est un vieux, il est normal de le nommer ainsi et je m'inclus dans la catégorie –, née avant et pendant la guerre, a participé à la reconstruction et à l'essor de notre pays. Certains sont les derniers soldats appelés de la guerre d'Algérie. Ils ont attendu longtemps une reconnaissance. Les baby-boomers sont nombreux. Doivent-ils être punis parce qu'ils sont nés au moment où il était normal de redonner vie au pays ?

Espérons que cette crise et sa longue litanie quotidienne de décès aient au moins le mérite de déboucher sur un véritable débat de société, ne se limitant pas au tout-économique, un débat où l'humain retrouverait sa place et où les services publics indispensables seraient enfin considérés.

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Vous avez évoqué la création de la cinquième branche par le projet de loi relatif au grand âge et à l'autonomie qui est en préparation. Nous prenons en considération le manque de moyens humains, de formation et la nécessité d'une prise en charge globale. Il nous faut tirer les conséquences de ce que nous venons de vivre pour aller de l'avant. Au-delà de la crise, il faut aussi tenir compte de ce qui se passe au quotidien dans les établissements car, chaque année, nous déplorons de nombreux décès, en particulier de personnes atteintes de la grippe. Plus de 90 % des personnes décédées du covid-19 étaient âgées de plus de 65 ans, mais chaque épidémie de grippe se traduit par une situation similaire.

Manifestement, nous manquons de personnel, en particulier de personnel formé. Selon vous, quelles priorités devraient être mises en avant dans le cadre des réformes ? S'agissant de la formation, vous relevez un problème de filière : la prise en charge doit être effectuée du domicile jusqu'à l'EHPAD et l'hôpital, mais aussi en cas de retour au domicile à la suite d'une hospitalisation.

Je reviens à la prise en considération de la fin de vie. De nombreux interlocuteurs ont évoqué ces moments difficiles à gérer dans les EHPAD et au domicile, et notamment la confrontation entre la volonté d'assurer le confort du résident, le respect de ses volontés et des directives anticipées et la problématique médicale. À quel moment franchit-on la barrière de l'acharnement thérapeutique ? Certains médecins nous ont dit être souvent confrontés à cette question pendant les épidémies de grippe, mais qu'ils avaient reçu, au cours de ces derniers mois, non pas deux ou trois appels journaliers, mais vingt ou trente. Les médecins ont expliqué que le choix se fondait sur le respect du rapport bénéfices-risques. Était-il préférable d'hospitaliser une personne en réanimation, au risque de la mettre en position inconfortable en fin de vie, ou de la maintenir dans des conditions plus confortables à domicile ou en EHPAD ?

Certains interlocuteurs ont ajouté que certaines fins de vie avaient parfois été précipitées, que des injections avaient été effectuées par des personnels paramédicaux en l'absence de prescription médicale. Avez-vous eu connaissance de tels faits ? Estimez-vous que de tels actes ont été effectués sans avis médical, hors du protocole habituel de prise en charge des patients en fin de vie ?

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

Vous avez raison de souligner le problème de personnel. Il est difficile d'obtenir les postes budgétaires à la hauteur des besoins, sans compter qu'il n'existe pas de ratio. Le taux d'encadrement est très bas et quand les postes existent, ils ne trouvent pas preneurs. Nombre de postes vacants dans les EHPAD ne sont donc pas pourvus, venant ajouter aux difficultés.

Pour avoir participé dans mon département de l'Indre comme dans d'autres à des réflexions sur des projets d'établissement, j'ai entendu des médecins plus anciens, mais également des cadres de santé, déclarer que les jeunes personnels avaient besoin d'une période de tutorat. Auparavant, ils étaient immédiatement opérationnels. Même les infirmières ont désormais besoin d'une période de tutorat d'un an. Or, assurer un tutorat tout en assumant sa charge de travail ne va pas toujours de soi.

La gériatrie n'intéresse plus les étudiants en médecine et il est très difficile de les orienter vers cette branche. Les médecins les plus anciens travaillant dans les établissements regrettent que leurs jeunes collègues n'aient pas cette approche d'humanité, indispensable à un bon accompagnement. Ce n'est pas spécifique aux EHPAD : cela vaut également pour les cabinets de médecine de ville ou à l'hôpital. Est-ce lié au cursus suivi, aux critères de recrutement des étudiants en médecine ?

Les familles ont des difficultés. Lorsque leur parent entre en établissement, elles vivent un parcours similaire à celui de parents d'élèves dans une école. Quelles sont ces familles ? Les personnes âgées en EHPAD ayant 85 ans et plus, leurs enfants ne sont plus de première jeunesse non plus. Il s'est déjà produit que je rencontre un parent et un enfant hébergés dans un même établissement.

Souvent, les familles nous reprochent de parler à la place de la personne âgée. Lorsque celle-ci est dans un grand état de faiblesse, il faut bien que quelqu'un l'aide à exprimer ses difficultés.

Il existe plus de 7 000 établissements et, dirais-je, 7 000 cas particuliers. La difficulté tient largement aux directives données par le gestionnaire et à la personnalité de ceux qu'il dirige. Certains établissements sont plus ouverts que d'autres. Quant au conseil de vie sociale, tous les cas de figure se rencontrent : l'un est ouvert, l'autre n'existe pas, tel autre encore est « bidon » ou coopte les membres plus qu'il ne les élit.

Si une famille aux arguments fondés dérange, elle sera menacée. Nous avons eu à connaître des cas de menaces graves, en général celle de l'exclusion de la personne âgée, pouvant aller jusqu'à une plainte du gestionnaire pour préjudice causé par certains propos de la famille. Un cas de ce type sera jugé demain en Indre‑et‑Loire. En l'espèce, la famille fondait ses propos, entre autres, sur un rapport de l'ARS.

Voilà dans quelle situation sont les familles. Elles ne demandent pas n'importe quoi : elles veulent simplement être associées, que l'on partage avec elle, non pour critiquer, mais pour coconstruire. À cet égard, les obstacles sont nombreux.

J'en viens à l'acharnement thérapeutique. J'ai moi-même accompagné quatre personnes en perte d'autonomie. Il s'agit d'évaluer les bénéfices et les risques ; on ne fait pas tout et n'importe quoi. Faire souffrir pour faire souffrir ne présente aucun intérêt, mais il ne convient pas non plus de faire l'inverse. Qui prend la décision et comment y parvient-on ? Il faut de la concertation. Je l'ai vécu personnellement s'agissant de mon père : le médecin s'est concerté avec moi, ce dont je le remercie car ce n'est pas toujours le cas.

Au cours de la première partie de la crise sanitaire, c'était la panique, un énorme bazar. Force est de constater que de nombreux EHPAD ont été abandonnés à eux-mêmes. Les décisions étaient prises non pas en concertation avec les urgences de l'hôpital, mais souvent par le médecin coordonnateur lui-même, à qui il arrivait de s'entendre dire que l'hôpital était débordé et qu'il devait s'efforcer de tenir bon. Je ne suis pas médecin, je ne peux que constater et regretter de telles situations. Nous sommes réalistes et savons bien que nul n'est tenu à l'impossible. Les différents facteurs doivent être pesés, il faut évaluer les bénéfices et les risques.

En ce qui concerne les protocoles de soins, il faut savoir que, même en temps habituel, dans les EHPAD, on ne parvient pas à régler problème du circuit des médicaments. Si vous saviez la difficulté que constitue la distribution des médicaments, même quand il existe des protocoles écrits ! Quelle famille n'a pas retrouvé un médicament dans un tiroir ou tombé sous la table du réfectoire ? C'est malheureusement la situation ordinaire dans de nombreux établissements.

Il est normal qu'un protocole de soins soit défini par le médecin, en accord avec le personnel paramédical qui l'appliquera. On rappelle souvent que le malade « participe ». S'il est en capacité de comprendre le protocole, c'est une bonne chose, mais, dans le cas contraire, il convient d'associer la famille pour le définir. Dans la mesure où toutes les familles n'engagent pas des procédures de curatelle ou de tutelle, nombre d'entre elles ont du mal à être informées du dossier médical de leur parent en EHPAD. Certes, le secret médical existe, mais faut-il systématiquement, lorsque les membres d'une famille s'entendent bien, engager des procédures de curatelle ou de tutelle pour qu'ils soient informés ?

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Je comprends votre souhait qu'un sentiment d'humanité conforte l'action du corps médical, ce à quoi j'essaie de m'appliquer dans ma profession, mais il est vrai que les protocoles sont parfois le seul droit opposable légal et il est difficile de trouver une solution intermédiaire.

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

Sauf cas de maltraitance avérée, notre fédération n'est pas favorable à ce que des procédures pénales soient engagées, et nous n'incitons pas nos adhérents à le faire. La réponse réside dans une véritable révolution sociétale, qu'il vous reviendrait ensuite de transcrire dans la loi.

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Madame la présidente, vous avez eu des mots très forts ; ils sont à hauteur de la gravité de la situation qui a touché nos aînés. Vous avez utilisé le terme de « vieux ». J'ai moi-même lancé un cri d'alarme, au mois d'avril, dans une tribune intitulée « Ne laissons pas mourir nos aînés », publiée dans Le Figaro. J'avais en effet mesuré, dans mon département, à quel point la situation que vous venez de décrire était conforme à la réalité. Nous étions confrontés à une hiérarchisation des priorités. Dans une situation de crise majeure, nos aînés n'ont pas été considérés comme prioritaires et il a fallu attendre plusieurs semaines avant que les services de soins à domicile soient inclus dans une boucle de réflexion ou que les EHPAD soient pris en considération comme il aurait été nécessaire.

Les chiffres sont d'une réalité cruelle. Si nous avons constaté un peu moins de 34 500 cas de covid-19 parmi les résidents des EHPAD, nous avons eu à déplorer plus de 14 167 décès, soit un peu moins d'une personne décédée sur deux touchées ; plus de 10 500 en établissement, un peu moins de 4 000 à l'hôpital.

J'aurais souhaité connaître votre lecture de la situation et les remontées des familles que votre fédération représente sur la difficulté manifeste s'agissant de l'accès à l'hôpital. Nous avons reçu communication de documents émanant de la direction générale de la santé (DGS) qui démontrent que l'accès des personnes âgées de 75 ans et plus aux services de réanimation, au pic de la crise, a été moindre, soit un accès proportionnellement plus faible qu'en situation normale ou qu'au cours des années précédentes. Comment avez-vous vécu cette situation ? Quelle en est votre analyse ? De nombreuses familles vous ont-elles saisies de cette question ?

Vous avez évoqué les difficultés sur le sujet de la fin de vie et la multitude de contraintes auxquelles les familles ont dû faire face pendant la crise. Vous avez parlé de fins de vie indignes. Quelle est votre perception ou votre analyse de la difficulté que pose le lien entre l'EHPAD et l'hôpital ? Vous avez déclaré que des personnes qui auraient dû être transportées de leur domicile à l'hôpital ont été envoyées en EHPAD, et que des résidents des EHPAD n'ont pas été envoyés à l'hôpital. La problématique se pose dans les deux sens. Au cours des premières semaines, on a constaté un accès limité aux hôpitaux des personnes âgées résidant en EHPAD et touchées par la maladie. Je vous interroge prioritairement sur ce point.

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

Avant de répondre à propos des EHPAD, qui font l'objet de votre question, j'évoquerai les personnes âgées à domicile. Parmi elles, certaines sont suivies en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), d'autres le sont par une infirmière libérale et une aide à domicile. Ces personnes se sont retrouvées d'autant plus contraintes qu'elles n'avaient plus, pour certaines, de médecin traitant dans la mesure où les cabinets médicaux étaient fermés. Je peux comprendre que certains médecins aient pu être eux-mêmes des personnes à risques, mais je relève que le système a tenu parce que très peu des personnels de l'aide à domicile ont exercé leur droit de retrait. Je suis assez déçue de constater le peu d'ouverture de l'ensemble de la filière, y compris des médecins, envers les personnes âgées à domicile, dont l'accès à l'hôpital n'a pas été simple.

J'en viens aux EHPAD. Le docteur Mathias Wargon, chef de service des urgences du centre hospitalier Delafontaine, à Saint-Denis, a déclaré que, comme les EHPAD étaient médicalisés, ils disposaient du nécessaire pour faire face et que tout que tout allait bien. Eh bien, pas du tout ! Il est facile, posant ce postulat, d'affirmer que les EHPAD sont en mesure de répondre à la demande mais ils ne sont pas équipés. Ne serait-ce que pour poser une perfusion en établissement, un infirmier doit être présent sur place, ce qui n'est pas toujours le cas. J'ai vécu cette situation pour un proche et je ne suis pas la seule.

Penser que les EHPAD sont des établissements médicalisés et disposent des moyens pour agir est d'autant plus regrettable de la part des personnes qui connaissent le milieu hospitalier. Je rappelle qu'il existe quatre catégories d'EHPAD : les EHPAD rattachés à l'hôpital, qui sont gérés par des collectivités territoriales et les centres communaux d'action sociale (CCAS), les EHPAD autonomes, les EHPAD associatifs et les EHPAD privés. Lorsqu'un EHPAD est rattaché à l'hôpital, c'est plus facile, pourrait-on penser. Pas du tout ! Nous avons préconisé la mutualisation. Mon département compte quatre grands pôles de mutualisation. Mais l'accès à l'hôpital des résidents des EHPAD rattachés au pôle hôpital n'a pas été différent. Vous avez donc raison, monsieur le rapporteur, il y a là un dysfonctionnement, lié, selon moi, au terme « médicalisé », qui laisse penser que les EHPAD sont dotés des moyens nécessaires.

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On peut mourir du covid-19 ; on peut aussi mourir de tristesse, de solitude, d'ennui, de désespoir. En d'autres lieux, vous avez parlé du syndrome de glissement, de dépression, de décompensation et d'autres pathologies. Votre fédération a-t-elle évalué ce type de phénomènes qui ont abouti à un excès de morbidité et de mortalité ?

Ma deuxième question est d'ordre organisationnel. Je reviens ainsi aux questions soulevées par M. le rapporteur sur la liaison défectueuse entre l'EHPAD et l'hôpital qui s'est traduite par la difficulté d'hospitaliser les résidents. Avez-vous chiffré les refus ? De qui émanaient-ils ? Quelles étaient les raisons avancées ? Elles étaient sans doute d'ordre médical dans un certain nombre de cas, mais aussi d'ordre administratif.

Ma dernière question est à caractère budgétaire. Les EHPAD ont connu une baisse du taux d'occupation, liée au double confinement – celui des personnes et celui des établissements –, à laquelle s'est ajoutée une hausse des coûts. Avez-vous chiffré l'impact financier et budgétaire global pour les 7 000 EHPAD ?

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Vous avez dressé un tableau juste et sans concession. Vous avez distingué les EHPAD en fonction de leur nature – lucrative ou non lucrative. Je souhaiterais que vous approfondissiez ce point. Je suis élu dans le département des Landes, où il n'y a pas d'EHPAD à but lucratif. C'est un choix politique ancien, reposant sur l'idée selon laquelle la vieillesse n'est pas une marchandise.

Vous avez formé le vœu que nous nous préoccupions davantage de la vieillesse et souligné que si nos jeunes étaient traités comme nos vieux, nous réagirions vivement. Lorsque je note la pauvreté infantile ou le taux de chômage des jeunes, je ne suis pas sûr que nous les traitions beaucoup mieux. En tout cas, il faut espérer qu'il n'y ait pas de guerre des générations et que la solidarité nationale s'exprime. À cet égard, le Gouvernement a annoncé la création d'un cinquième risque mais cela reste quelque peu indistinct. Pour vous, les choses sont-elles claires, notamment du point de vue du financement ? Paru il y a deux jours, le rapport Vachey propose tout et souvent n'importe quoi. Je voudrais connaître la position de votre fédération.

Cette crise a été aussi un choc anthropologique dans notre rapport au vieillissement. Le modèle de l'EHPAD vous paraît-il devoir être reconsidéré à certains égards ?

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

Monsieur Gaultier, je vous rappelle que notre fédération est relativement petite et qu'elle s'appuie uniquement sur des bénévoles. Vous ne serez donc pas étonné que nous n'ayons pas les moyens de produire des statistiques. En revanche, lorsque nous avons été auditionnés par le bureau de la commission des affaires sociales, nous avons indiqué que nous aimerions être informés par le ministère des affaires sociales des données chiffrées, notamment sur les décès, selon les différents types d'EHPAD. Certes, des problèmes sont survenus partout, mais dans quelle proportion ? Il appartient à ceux qui disposent des synthèses de l'ARS de les fournir. Nous travaillons beaucoup à partir des documents qui nous sont fournis et de nos échanges avec différents organismes, par exemple l'Association pour le développement de la recherche en économie et en statistique (ADRES). Il faut un retour sur ce point. Les ARS disposent certainement des éléments utiles.

S'agissant des phénomènes de glissement, la fédération est intervenue rapidement dès que les premières mesures de confinement ont été prises. En termes d'équilibre entre les bénéfices et les risques, nous avons pensé que de multiples problèmes allaient se poser et que nous allions connaître des décès collatéraux. Je ne sais si nous aurons la possibilité de les chiffrer, mais je suis convaincue qu'il y en a. La question du suicide m'a souvent été posée. Il n'y a pas de suicide à proprement parler. Les personnes sont à ce point démunies qu'elles sont incapables de passer à l'acte, mais elles procèdent de façon indirecte car il est très facile de se laisser mourir : il suffit de se laisser aller, de s'enfermer, de ne plus se stimuler, de ne plus faire le moindre effort ou de ne plus manger.

Beaucoup de couples ont été séparés de force par la maladie, celle d'Alzheimer en particulier. Très peu de temps a suffi pour que le conjoint malade ne reconnaisse plus son mari ou sa femme après le confinement. Comme pour toutes les maladies de ce type, quand l'état de la personne se dégrade, l'atteinte est définitive. Des hommes, en plus grand nombre que les femmes, ont évoqué leur conjointe qu'ils n'ont pu accompagner et qui ne les reconnaissait plus. C'est le drame absolu. On parle de deuil impossible.

Je reviens aux personnes âgées à domicile. Toutes ne sont pas soutenues par un aidant de proximité. Lorsqu'elles n'ont ni aidant ni médecin, ou du moins qu'il n'est pas présent, les personnes âgées se laissent glisser. Les personnels d'aide à domicile viennent à deux reprises dans la journée, une heure, deux heures parfois ; compte tenu des plans d'aide extrêmement tendus, elles ne passent que par fraction d'une demi-heure. Quelle action et quel contact peut-on avoir en une demi-heure ? Il est même arrivé que le temps de passage soit réduit au quart d'heure, le temps suffisant, selon certains, pour fermer des volets !

Il convient de prendre en compte les décès liés au covid-19 mais aussi les décès annexes. Je doute qu'ils soient chiffrés, d'autant que d'autres interviendront dans les mois qui viennent, plus encore si la gravité de la situation perdure.

Monsieur Vallaud, en ce qui concerne le rapport Vachey et les propositions de financement, mon propos sera sans doute un peu ironique. Ce qui figure dans le rapport a déjà été présenté par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, dont je suis membre : un inventaire avait été dressé, sans qu'aucune orientation précise ne soit définie. On le retrouve dans le rapport, à peu de chose près. Quant aux propositions, elles reprennent celles du rapport Libault – qui en comptait 175 –, sans que l'accent soit mis sur telle ou telle. J'avoue que nous attendions autre chose. Cela nous fait fortement douter car nous nous demandons si nous n'allons pas, une fois encore, buter sur le financement. Bien sûr, on nous opposera le contexte, mais nous étions déjà confrontés à la même situation avant la crise.

S'agissant des places en EHPAD, il est arrivé que des familles retirent leur parent de l'établissement faute de pouvoir payer. Tout le monde ne demande pas à bénéficier de l'aide sociale. Des personnes en difficulté qui ne la demandent pas pour ne pas se sentir dévalorisées. Or, lorsque les enfants ramènent la personne âgée à son domicile, cela pose de nombreux problèmes.

Contrairement à ce qui se passait les années précédentes, des places en EHPAD étaient vacantes ; après la crise, elles sont plus nombreuses encore, évidemment. Ces derniers temps, des familles se demandaient si elles n'allaient pas retirer leur parent de l'établissement, dans la mesure où celui-ci était très mal accompagné et qu'elles ne pouvaient plus le voir. Toutefois, elles se sont heurtées au problème de l'accompagnement en raison de l'absence de médecins et du manque de personnels d'aide à domicile. Comme les structures manquent de personnel, il n'est pas possible d'assurer les services, même si, dans le cadre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), les personnes âgées ont droit à des heures. J'en appelle à vous : l'urgence est absolue, le dispositif ne tiendra pas si l'on ne répond pas au besoin de personnel, qui a été établi dans le rapport El Khomri – constat repris par le rapport Libault.

Le rapport Vachey nous renvoie à 2024. Certes, il est question d'environ 1 milliard d'euros au titre de la loi de financement de la sécurité sociale, mais c'est bien peu pour répondre aux besoins actuels, alors qu'il y a urgence absolue et que 2024 est encore bien loin.

S'agissant des modèles d'EHPAD, on n'a pas voulu voir que les personnes qui entraient en établissement n'avaient pas le même profil qu'il y a quinze ans. Tout d'abord, les personnes ont été maintenues le plus longtemps possible à leur domicile, et c'est tant mieux. Cependant, les conseils départementaux souffrent de finances tendues et, par une évaluation plus rigoureuse, réduisent les plans d'aide, ce qui entraîne une diminution du nombre d'heures. C'est ainsi que l'on aboutit à des interventions à l'heure, à la demi-heure ou au quart d'heure. Où est l'humanité dans ce système ?

Les personnes accueillies en EHPAD ont 85 ans et plus et sont en mauvais état physique. Les maladies dégénératives sont nombreuses. On parle souvent de la maladie d'Alzheimer, mais la maladie de Parkinson progresse, et il existe bien d'autres qui entrent dans cette catégorie. Les personnes qui entraient en unité de soins de longue durée (USLD), avant la réforme qui a diminué drastiquement le nombre de lits de ces structures, sont désormais accueillies en EHPAD. Je rappelle que les USLD offrent une continuité de soins, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, contrairement aux EHPAD. Vous me direz qu'il y a des infirmières de nuit dans ces établissements. Certes, mais j'aimerais bien savoir comment les choses se passent vraiment et disposer d'un bilan précis. J'en profite pour vous indiquer que ces infirmières de nuit sont en réalité des infirmières de jour qui se sont dévouées pour assurer des gardes la nuit, sans pour autant être systématiquement remplacées pendant la journée. Les EHPAD d'aujourd'hui ressemblent beaucoup aux USLD d'hier, sans bénéficier des moyens correspondants.

Par ailleurs, des personnes ayant perdu certaines de leurs facultés intellectuelles conservent une motricité normale. Il est possible de préserver les facultés de cette catégorie de résidents, sous réserve d'un accompagnement spécifique et durable. Or, dans la mesure où les places font défaut dans les unités de soins ou les hébergements renforcés, ces personnes sont renvoyées à l'EHPAD ordinaire lorsqu'on estime qu'elles sont stabilisées. Les familles constatent que leur parent, qui s'est stabilisé et qui surtout a gagné en sérénité, est replacé en EHPAD ordinaire où, assis sur son fauteuil, totalement inerte, il attend, sans comprendre ce qui se passe. Le sentiment d'abandon, chez une personne qui perd la tête, est immense.

Des actions s'inscrivant dans la durée doivent être entreprises, et il faut faire en sorte que les EHPAD soient non pas des mouroirs mais des lieux de vie. Un EHPAD n'est pas un établissement sanitaire, c'est une structure médicosociale, un lieu où l'on passe la dernière étape de la vie, ce qui nécessite d'accompagner les personnes dans la vie. Encore faudrait-il que les moyens existent pour une animation adaptée pour éviter tout phénomène de glissement. Dans le cadre des mutualisations d'EHPAD que j'évoquais, les animateurs se partagent entre différents lieux. Il convient de maintenir la vie dans ces établissements. Songeons au numérique, par exemple : les résidents vont changer et certains sont d'ores et déjà demandeurs. Or ils ne peuvent utiliser d'ordinateur car les EHPAD bénéficient rarement d'une connexion wifi adaptée.

Et puis n'oublions pas que manger est le dernier plaisir qui reste aux personnes âgées. Bien manger – dans la limite de l'observation des régimes, évidemment – suppose que les établissements consacrent un budget suffisant aux achats de denrées alimentaires. Cela suppose aussi, peut-être, de ne plus recourir autant aux aliments passés par la chaîne du froid. Certes, l'utilité de cette dernière est avérée sur le plan de l'hygiène, mais les mets sont sans saveur. Lorsqu'un EHPAD consacre 3,50 euros ou 4,50 euros à l'achat de denrées alimentaires par jour et par personne, il me semble que cela soulève des interrogations.

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Le drame des établissements pour personnes âgées est de deux ordres. D'une part, se pose la question du financement qui perdure d'année en année. J'ai été président du conseil général de la Meuse il y a vingt ans ; depuis, rien n'a changé : nous tenions les mêmes débats et on ne peut pas dire que nous avons connu une évolution satisfaisante.

D'autre part, il y a l'aigle à deux têtes qui gère les établissements publics : ils sont pilotés tout à la fois par l'État et par les départements ce qui créée des problèmes de gouvernance. C'est l'une des raisons pour lesquelles rien ne fonctionne de manière optimale, malgré l'engagement du personnel et des directeurs d'établissement.

Pendant la crise, j'ai appelé toutes les semaines les directeurs d'établissement de mon département. J'ai été très frappé par les différences d'application des procédures de l'un à l'autre, alors même que tous ou presque sont publics. Selon l'engagement du directeur, certains ont pris beaucoup de précautions dès le départ, d'autres moins. La différence était tout aussi frappante s'agissant de l'assistance proposée aux établissements selon le département : dans la Haute-Marne, l'anticipation et les moyens engagés n'étaient pas les mêmes que dans la Meuse. Pourriez-vous donc revenir sur la question de la gouvernance ? Non seulement nous n'étions pas armés en matériels ni en moyens, mais je ne crois pas que la gouvernance ait été optimale pour gérer la crise correctement.

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Il est important que nous soyons connectés au territoire et au quotidien des aînés, un terme que je préfère à celui de « vieux ».

J'en reviens aux hôpitaux et aux admissions en réanimation. Des critères d'éligibilité sont fixés par les sociétés savantes de réanimateurs. Nous avons souvent posé la question lors de nos travaux, et les personnes auditionnées ont été unanimes pour dire que les critères n'ont pas évolué au cours de la crise. Vous avez suivi au plus près le parcours de résidents d'EHPAD ayant dû être hospitalisés en réanimation ; avez-vous eu des retours ? Le rapporteur a indiqué que nous avions déploré 4 000 décès, les personnes âgées étant extrêmement fragiles. Je pense également aux personnes qui sont sorties de réanimation et qui souffrent de séquelles physiques et psychologiques. Le retour à l'EHPAD est très compliqué. Pouvez-vous nous donner votre témoignage sur cet aspect ?

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L'alinéa 11 du préambule de notre Constitution précise que l'État doit protéger avant tout les plus vulnérables. Or la région Grand Est, où je suis élue a connu une vague de décès insupportable parmi les personnes âgées résidant en EHPAD. Et encore, l'horrible comptage des personnes décédées du fait du covid-19 n'a pas été effectué pendant les quatre premières semaines au moins, y compris à domicile, ce qui veut dire qu'un grand nombre n'a pas été repéré.

Quel est votre avis sur le décret du 27 mars rendant possible l'utilisation du Rivotril dans les structures ? Je suis médecin et des confrères ont témoigné de tableaux catastrophiques de personnes suffoquant dans leur lit. Que pensez-vous du protocole à base de Rivotril destiné à accompagner les fins de vie et à soulager la souffrance ?

J'ai recueilli hier le témoignage d'un médecin qui intervient dans un EHPAD en Île-de-France. Encore aujourd'hui, les recommandations sont très fermes : l'azithromycine ne doit pas être utilisé sur des personnes testées positives et présentant des signes cliniques, alors qu'il s'agit d'un simple antibiotique. Ce médecin m'a indiqué que s'il va à l'encontre de ces recommandations de l'agence régionale de santé, il risque d'être sanctionné et signalé à l'ordre des médecins. Comment les familles sont-elles associées aux concertations sur ce type de décision par l'ARS ? Comment pensez-vous pouvoir vous faire entendre afin que les personnes soient accompagnées aussi dignement que possible ?

J'en profite pour dire que, dans l'est de la France, les structures médicosociales ne sont pas prêtes à une éventuelle seconde vague. Celle-ci est annoncée ; pour l'instant, on ne la voit heureusement pas venir.

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

Madame Wonner, notre fédération a été alertée sur le Rivotril, mais pas toujours par les familles, lesquelles étaient très peu informées. J'ai évoqué les conseils de vie sociale, mais ils ne fonctionnent pas bien. Jamais les questions d'ordre médical ne peuvent être abordées, car les familles et les résidents sont considérés comme incompétents dans le domaine du soin : comment pourraient-ils comprendre une question de cette nature ?

Nous avons été alertés sur le contenu du décret, mais nous n'avons pas eu de retour sur l'utilisation du Rivotril. Certes, nous comptons parmi nos adhérents des personnels médicaux et paramédicaux ; ils ont eu entre eux un débat assez vif sur l'utilisation du produit. Personnellement, n'ayant pas de compétence médicale, le sujet m'intéresse mais je ne suis pas en mesure de répondre.

L'utilisation du Rivotril pose la question, souvent évoquée, de l'euthanasie et de sa gestion. Je précise que la fédération est favorable à une sédation qui empêche de souffrir. L'euthanasie est envisageable lorsque la personne est en mesure de prendre une décision ; lorsqu'elle ne dispose pas de ses facultés, comment un tiers pourrait-il franchir le pas pour le patient ?

Personne n'était prêt à affronter la crise, elle s'est abattue comme la foudre. On ne voulait pas regarder en face le problème aigu des hôpitaux et des EHPAD mais il a ressurgi brutalement, dans des circonstances telles qu'il était bien difficile de faire face.

Vous avez indiqué, monsieur Pancher, qu'il existait autant de cas particuliers que d'EHPAD. Je le confirme, et c'est vrai dans le secteur public, dans les établissements associatifs et dans le privé. Non seulement les consignes générales données varient selon les gestionnaires, mais leur mise en œuvre dépend des individus sur place.

Nous sommes informés que les équipes des EHPAD ne se sont pas remises du choc de la première vague ; aussi, beaucoup de directeurs d'établissement craignent que les personnels ne soient pas en mesure de faire front en cas de seconde vague et ignorent s'ils pourront répondre aux besoins. Les retours concernant l'hôpital sont plus rares puisque nous ne sommes présents que dans le secteur médicosocial, mais je crains que la situation y soit assez similaire. Quant aux personnes à domicile, la crainte est grande, même si, pendant la crise, il semble que nous ayons eu de la chance – certes toute relative, d'autant qu'en l'absence d'un comptage précis, on ignore ce qui s'est vraiment passé –, car le nombre de personnes à domicile ayant été atteintes aurait été moins élevé que prévu. Quelles que soient les incertitudes à cet égard, on peut affirmer que le dévouement des services a limité la catastrophe.

En matière de gouvernance, le premier problème tient au fait que la décentralisation a conduit à un traitement très différent d'un territoire à l'autre. Chaque conseil départemental s'administre et opte pour des orientations qui ne sont pas toujours semblables à celles de la collectivité voisine. C'est ainsi que le traitement n'est pas uniforme sur le territoire. Si l'on prend l'exemple des personnes à domicile, les plans d'aide sont extrêmement variables. Nous constatons également ces différences s'agissant de l'APA et des EHPAD.

Vous évoquiez deux têtes ; j'en ajouterai une troisième, que constitue la section de soins qui, certes, relève de l'ARS, mais la façon de traiter le soin, la dépendance et la vie quotidienne, c'est-à-dire l'hébergement, varient selon les lieux. Le rapport Vachey m'inquiète car il n'apporte pas de réponse à cette gouvernance à deux têtes, quand bien même serait évoquée la possibilité pour certains départements de conventionner avec l'ARS.

Les ARS sont très centralisées et les délégations départementales disposent d'une marge de décision étroite. En l'occurrence, les coordinations se sont mal faites. Heureusement, au niveau local, certains intervenants ont pris des initiatives. Par exemple, dans mon département, le médecin qui préside le conseil territorial de santé a opéré des coordinations fort utiles, dont notre fédération a fait partie.

Le rapport Vachey, je le répète, ne répond pas à la question de la double gouvernance. Or nous n'en souhaitons qu'une seule, car des interlocuteurs multiples se renvoient la responsabilité, ce qui ne peut être un mode de fonctionnement durable. Je ne dis pas qu'il ne faille pas laisser des marges d'adaptation localement mais des règles générales sont indispensables, ne serait-ce que sur l'encadrement nécessaire pour accompagner les résidents en EHPAD ou sur les conditions de l'accompagnement à domicile, tel que le montant du plan d'aide qui est fonction des groupes iso-ressources (GIR). À l'heure actuelle, pour un même niveau de GIR, l'accompagnement varie d'un département à l'autre.

Il faut savoir que les services d'aide à domicile ne sont pas financés à la hauteur de l'offre de soins et que le reste à charge ne cesse de croître, comme il croît en EHPAD. Ce reste à charge que le résident doit supporter peut atteindre 4 euros l'heure. Il n'existait pas il y a quelques années.

Les départements devraient donc suivre une orientation directrice et générale et respecter des mesures normatives. Il ne faut pas un excès de normes, mais il en faut quelques-unes pour aboutir à un traitement uniforme sur l'ensemble du territoire.

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Nous sommes en septembre 2020, nous connaissons les prémices d'une éventuelle seconde vague – je préfère quant à moi parler de résurgence. Quelles mesures vous semblent prioritaires pour accompagner au mieux les établissements qui accueillent des personnes âgées, les personnels travaillant dans les services d'aide à domicile ainsi que les proches aidants ?

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Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles

Nous sommes inquiets. Il y a malheureusement beaucoup à faire et je crains que nous ne disposions pas de la réponse à t + 1, car le manque de personnel se fait douloureusement sentir. La réserve sanitaire a été évoquée, mais elle n'est pas inépuisable. Pour diverses raisons, nous avons péché gravement par manque d'anticipation. Une telle erreur se rattrape difficilement.

Nous savons que certaines personnes à domicile ne sont toujours pas accompagnées. Je ne pense pas que vous soyez davantage que moi en possession de la réponse : comment trouver des médecins dans les déserts médicaux ? Dans les territoires ruraux, où trouver les infirmières qui font défaut ? Dans la mesure où les conjoints rencontrent des difficultés à trouver un emploi dans ces territoires, le personnel infirmier ne s'y installe pas aisément.

On ne peut appuyer sur le bouton à l'instant t pour trouver le personnel médical indispensable. Il aurait fallu anticiper ce point. La première vague a mis en évidence des dysfonctionnements, la seconde risque d'en révéler d'autres, plus graves encore. Bien que je sois de nature combative, je crains malheureusement que le combat soit inégal.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11 heures

Présents. - Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin, Mme Martine Wonner