J'ai l'honneur de représenter le SYNERPA, premier syndicat national des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des services à domicile privés pour personnes âgées. Nous fédérons 2 700 membres, associations et entreprises, dont près de 2 000 EHPAD, 600 services à domicile et 200 résidences services seniors. Regroupant plus de 130 000 lits sur tout le territoire pour plus de 100 000 salariés, nous avons une représentativité dans des conventions collectives. Créé en 2001, le SYNERPA représente depuis vingt ans le secteur du grand âge privé.
Concernant la crise du covid-19, je distinguerai quatre grandes phases en incluant celle que nous vivons.
Le SYNERPA ayant des adhérents dans le monde entier, dont certains déjà touchés, en Chine, puis en Italie, nous avons été informés dès le mois de janvier de ce qui se passait à Wuhan, à savoir le confinement et la création de zones covid et de zones non covid dans les établissements.
Le 4 février, nous écrivons à Mme Agnès Buzyn pour demander les protocoles à mettre en place, la conduite à tenir et l'organisation d'un débat sur le sujet afin de nous préparer. Début février, la France est encore loin de la prise de conscience qui aura lieu un mois plus tard. Nous n'obtenons pas de réponse. Mi-février, j'appelle un conseiller avec qui j'ai coutume de travailler, mais il n'a pas plus d'informations à me communiquer. Puis Mme Buzyn quitte son poste, le 22 février. Dès le lundi 24 février, quand nous apprenons que la Lombardie est confinée, nous proposons à nos adhérents d'introduire immédiatement des mesures barrières, des filtrages aux entrées et les protocoles habituels lors des épidémies de grippe. Nous nous tournons de façon plus virulente vers l'État. Je commence à m'exprimer dans les médias pour demander la définition de protocoles et une visibilité dans la conduite à tenir. À la fin de la semaine du 24 se produit un incident qui nous terrasse : la réquisition des masques. Nos adhérents appellent leurs fournisseurs, qui ne peuvent plus les livrer. Un vent de panique s'empare des établissements, d'autant que la crise commence à poindre dans le Grand Est, en Bourgogne-Franche-Comté, puis autour de Strasbourg, d'où nous avons très vite des remontées étonnantes sur la situation dans quelques établissements.
De fin février à début mars, nous attendons des protocoles, car nous ne savons pas quoi faire. La réquisition interdit d'acheter des masques, ce qui nous met en grande difficulté, même si nous comprenons qu'il s'agit d'en éviter la vente en pharmacie. À l'époque, l'idée est de les concentrer dans le champ sanitaire d'abord sur les soignants, puis dans les EHPAD.
Le 3 mars, M. Olivier Véran nous réunit. La deuxième période commence, après une prise de conscience un peu lente, entre début février et début mars. Avec les services de l'État, nous commençons difficilement à appliquer un dispositif. Entre mars et avril, nous entamons un parcours du combattant sur plusieurs grands sujets. Le premier concerne les mesures barrières et le confinement en chambre. Au nom du SYNERPA, je me permets de demander un confinement en chambre, parce que les adhérents me disent que cela a été efficace en Chine et en Italie. Nous demandons à nos adhérents d'appliquer les mesures barrières de suspension de visites et de confinement, un peu avant les protocoles d'État. Ceux-ci interviendront le 10 mars, pour les suspensions de visite, et le 15 mars, pour le confinement en chambre.
Le confinement en chambre sera, non pas imposé – il ne le sera jamais –, mais vivement recommandé, ces deux mots étant écrits en gras et soulignés dans le protocole, le 30 mars. Pendant un mois, on se demande si le confinement n'est pas une solution trop difficile et l'on demande l'avis du Comité consultatif national d'éthique. Rendu fin mars, il permettra à l'État de soutenir le confinement en chambre.
Cela a permis d'isoler les résidents pour tenter de comprendre ce qui se passait. À ce moment-là, la maladie frappe très fort. Les symptômes sont violents et présentent une variabilité extraordinaire : en l'espace de quelques jours, des personnes vont bien, puis moins bien, puis de nouveau bien, avant de décéder. Nous enregistrons des symptômes que nous ne connaissons pas, proches de la grippe et de la gastro-entérite. Nous n'apprenons que mi-mars ou fin mars que les chutes sont aussi un symptôme. On découvre la maladie en la prenant de plein fouet, surtout dans le Grand Est et en Bourgogne-Franche-Comté, où la vague arrive d'abord.
Nous rencontrons alors les premières tensions au sujet des masques. Dans les quinze premiers jours, on se les arrache littéralement, parce que tout le monde a peur d'en manquer. C'est le premier d'une suite de combats. Nous nous mobilisons avec l'ensemble des fédérations pour signer un courrier demandant la déréquisition des masques. Le 20 mars, le ministre annonce la libération des masques vers les EHPAD : cette mesure s'applique immédiatement, avec une livraison hebdomadaire pour tous les EHPAD et services à domicile. Il faut reconnaître que l'ingénierie était extraordinaire. Il aura peut-être fallu attendre trois semaines, mais en deux jours à peine, les adhérents ont reçu leurs bons et ont pu directement aller chercher leurs masques. Cette procédure de dons de masques par l'État prendra fin le 30 septembre. Elle aura duré du 20 mars au 30 septembre, aussi bien en EHPAD qu'en service à domicile.
Se pose ensuite, début mars, le problème des transferts hospitaliers, notamment dans le Grand Est et en Franche-Comté, avec un secteur sanitaire embolisé et un « 15 » qui peine à répondre. Dans les premiers jours de mars, on nous rapporte, en Bourgogne-Franche-Comté, des refus d'hospitalisation, des répartiteurs débordés, très peu de lits, trop de demandes. Les EHPAD étant considérés comme un lieu de soins, nous n'apparaissons pas comme prioritaires. Nous savons aussi qu'il peut y avoir des difficultés d'intubation pour des personnes de grand âge. Nous ne portons pas alors de jugement, mais des transferts n'ont pas lieu, ce qui nous oblige à garder des gens très malades, en sorte que le taux viral dans les EHPAD du Grand Est reste très élevé durant de nombreuses semaines.
Quand le covid-19 entre en EHPAD – sachant tout de même que nombre des 7 000 établissements ont été épargnés –, il peut entraîner vingt à quarante décès. À partir du 27 mars se pose le problème des transferts hospitaliers. Olivier Véran demande aux agences régionales de santé (ARS) de mettre en place les filières gériatriques. Force est de reconnaître que, dès le lendemain, les annonces ont été suivies d'effet. Toutes les ARS ont ouvert des filières gériatriques, c'est-à-dire des centres de soin qui n'étaient pas utilisés, notamment dans les régions où la vague n'arrivait pas. Dans toutes les régions de France, nous avons pu transférer des patients, grâce au soutien des établissements de soins de suite et réadaptation (SSR) et de la filière sanitaire : nos malades ont été accueillis dans des filières parallèles dédiées, et non dans les groupements hospitaliers de territoire ou les centres covid, ce qui a fluidifié la situation.
Le dernier problème, c'est qu'on nous a immédiatement imposé de ne faire que trois tests par établissement. On devait demander les tests au centre covid le plus proche – il n'y en avait que 138, début mars – et attendre qu'il nous envoie les écouvillons et la notice. Nous devions faire les prélèvements, les renvoyer et attendre les résultats, sur trois personnes seulement puisque, après avoir déclaré trois personnes positives, nous étions considérés comme un établissement covid, obligé de prendre des mesures particulières de confinement et de soins. Techniquement, le confinement est difficile à mettre en œuvre, car un EHPAD n'a pas l'habitude de fonctionner en permanence par étage et par service en chambre : très vite, nous avons donc renoncé à demander des tests.
Vers le 6 avril, Olivier Véran tient une conférence de presse pour annoncer que les EHPAD seront prioritaires dans l'accès aux tests. Là encore, dès le surlendemain, les adhérents font remonter qu'ils peuvent enfin bénéficier de tests pour tous leurs résidents et tous leurs personnels. Nous sommes encore en confinement, la population ne demande pas de tests et cela va très vite. En un mois et demi, la plupart de nos adhérents sont parvenus à tester tous leurs résidents et tous leurs salariés car les laboratoires ne sont pas embolisés comme aujourd'hui.
Le 6 mai marque le début de la troisième période. Les établissements sont de nouveau sous contrôle. La situation s'apaise grâce aux tests, aux transferts, à la meilleure connaissance de la maladie et au fait que nous disposons d'équipements de protection individuelle (EPI). Nous entrons en phase de semi-déconfinement, puisqu'à partir de fin avril, on commence à réorganiser les visites des familles. Entre mai et juillet, on évolue vers le déconfinement. L'État nous fixe pour mission de rouvrir les EHPAD aux visites vers le 11 juillet, par un processus filant, région par région, en fonction de la circulation virale. Cela s'est d'autant mieux déroulé que l'État était très présent. Un milliard d'euros a été dédié au secteur des EHPAD pour financer les surcoûts, les primes et les pertes de recettes, puisqu'il n'y avait eu aucune entrée durant cette période dans l'ensemble du secteur. La post-crise est assez rassurante.
Malheureusement, début août, et c'est la quatrième période, des clusters réapparaissent. On nous indique qu'il y a peu de décès et beaucoup de porteurs asymptomatiques. Il faut dire qu'en testant tout le monde, on découvre parfois 70 % de personnes asymptomatiques dans un EHPAD. Nous ne le savions pas en mars, puisqu'on ne testait que trois personnes, dix au maximum. Par la généralisation du test, on découvre un grand nombre de porteurs peu symptomatiques et asymptomatiques. Jusqu'à la semaine dernière, on ne nous signalait plus de décès. Aujourd'hui quelques EHPAD en déclarent de nouveau, parfois jusqu'à une vingtaine.
Dans cette quatrième période, nous ne savons pas du tout ce qu'il en sera de la reprise épidémique. Quelle que soit sa force, nous souhaitons être prioritaires pour les tests, parce qu'entre le mois d'avril et le mois de septembre, tout a changé : nos concitoyens se font beaucoup tester. Quand un cas est déclaré en EHPAD, il faut attendre plus de cinq jours pour que l'ensemble des résidents et des salariés soit testé, et cinq jours supplémentaires pour obtenir le résultat du test. Pendant ces dix jours, soit on reconfine ponctuellement, soit on prend le risque majeur d'une nouvelle flambée. Nous demandons à être prioritaires pour l'accès aux tests, comme les personnes symptomatiques. Nous voulons savoir comment, à partir du 30 septembre, les EHPAD et les services à domicile auront accès aux protections, aux gants et aux masques, puisque la distribution cessera à partir de cette date et qu'ils devront en supporter eux-mêmes la charge. Si cela reste possible pour les EHPAD, qui perçoivent une dotation soins, les services à domicile n'en ont aucune et se trouvent dans une situation financière si critique que certains d'entre eux disent qu'ils ne pourront pas financer leurs masques à partir du 1er octobre.
Parce que les symptômes de la grippe, de la gastro-entérique et du covid-19 sont proches, nous abordons cet automne avec une grande angoisse. Nous avons demandé la vaccination obligatoire des personnels des EHPAD, mais nous n'avons encore obtenu aucune réponse. Nous avons également demandé l'organisation d'une campagne active de vaccination contre la grippe, mais nous n'avons pas de retour non plus.
Nos personnels ayant énormément souffert, les ressources humaines sont devenues un problème majeur. Le secteur est traumatisé à tous les échelons. Des salariés déclarés positifs au covid-19 doivent entrer en septaine. Beaucoup déclarent forfait, ne veulent pas revivre cela, ont peur. En matière de ressources humaines, nous rencontrons des difficultés jamais connues. En Occitanie, la situation est très difficile et des directeurs doivent compléter des plannings dont un tiers des effectifs est manquant. Nous avons demandé un renfort spécifique à l'État. Nous relançons les plateformes covid, mais tous les soignants sont en poste, puisqu'aucune opération ni aucun soin n'a plus repoussé. Nous n'avons pas suffisamment de bras pour affronter une deuxième crise.