Je resterai sur le terrain qui est celui du préfet pour vous répondre. Si vous souhaitez des réponses plus précises aux questions relatives au recours à la médecine libérale, il conviendra sans doute de les poser au directeur général de l'ARS.
Vous m'avez interrogé sur les relations entre le préfet et les maires, rappelant que M. Castex, Premier ministre, avait donné la consigne de travailler en lien étroit. J'ai souligné que la Seine-Saint-Denis comptait quarante communes, assez puissantes. Les moyens de télécommunication nous ont permis, à Mme Mialot et à moi-même, de tenir avec les maires une dizaine de réunions par audioconférence d'environ deux heures tout au long de la crise. Un premier temps était consacré aux commentaires du préfet, de la préfète déléguée, du recteur ou du directeur général de l'ARS. Au titre de l'information qu'un préfet doit à la représentation nationale, j'invitais les parlementaires à se joindre à nous. M. Peu pourra attester qu'il en était ainsi. Dix réunions ont ainsi été organisées, dont une fin août par la préfète déléguée, pendant mes vacances, pour préparer la rentrée scolaire.
Pendant la première heure nous faisions un commentaire des dernières circulaires que nous transmettions aux maires. La seconde était réservée à un temps de questions-réponses. Les questions nous étaient envoyées via une boîte mail dédiée et que j'avais instituée. Les questions portaient sur les marchés, les cérémonies funéraires, l'offre de soins, la conduite à tenir quant au redéploiement des centres municipaux de soins. Nous entretenions donc une relation étroite avec les maires.
En toute impartialité républicaine, je dois dire la profonde admiration que j'ai conçue, au cours de cette période, pour les maires de Seine-Saint-Denis et leur mobilisation. Le préfet est à la tête de services et d'administrations puissantes, en veille au cours de cette période, mais des maires m'indiquaient que de nombreuses personnes étaient confinées dans les municipalités et qu'eux-mêmes, leurs adjoints et les conseillers municipaux réactivaient, en tout cas au début, les services publics.
Depuis des centaines d'années, le binôme constitué par le préfet et le maire est un couple fort. Ils sont les vieilles bâtisses de la République. Et aujourd'hui encore, ce couple est solide en Seine-Saint-Denis. Les séances de questions-réponses n'en étaient pas moins vigoureuses ! À propos des marchés alimentaires, j'avais pris un parti qui a été partagé par très peu de maires. J'ai tenu bon mais j'ai expliqué les raisons de mon choix. Je devais également leur expliquer ma stratégie de contrôle, y compris lorsqu'il s'agissait d'avoir recours à la police municipale. Il m'est arrivé de modifier des mesures du registre régalien, parce que des maires me démontraient qu'elles étaient inefficaces.
Cette interaction a été permanente et je dois dire que la vieille relation maire-préfet a été profondément revivifiée au cours de la crise. Beaucoup de maires – ou d'anciens maires : le second tour des élections municipales est intervenu depuis – m'ont dit à quel point ils trouvaient dans ces réunions, où je n'étais pas le seul à m'exprimer, des sources d'information précieuses et de solidarité, pour dire les choses comme elles sont.
L'ARS a eu très tôt recours à l'offre de soins privés, y compris en Seine-Saint-Denis. J'ai en mémoire quelques anecdotes assez tristes de personnes hospitalisées dans une clinique à Tremblay-en-France qui ont été transférés à La Pitié lorsque leur état s'est aggravé. Je puis donc affirmer que l'on a eu recours aux cliniques privées. Cela étant, la Seine-Saint-Denis n'est la terre d'élection ni de la médecine libérale ni des cliniques privées, mais oui, elles ont été sollicitées loyalement par l'ARS.
Monsieur le député, sur la carence en équipements, je peux rendre compte de beaucoup de choses devant la représentation nationale, mais seulement sur la période au cours de laquelle j'étais responsable. J'ai eu, en effet, connaissance des difficultés de certains praticiens libéraux à se fournir en masques. À chaque fois que cela a été le cas, nous l'avons signalé à l'ARS et nous avons pu pallier les pénuries ponctuelles. Encore une fois, l'un des points forts de la Seine-Saint-Denis tient au fait que beaucoup d'hôpitaux relèvent de l'AP-HP et que des chaînes logistiques les reliaient. Cela fut parfois un peu juste, je n'ai pas eu connaissance de tout et l'offre de soins relève de l'agence régionale de santé. Même si les relations étaient excellentes, je ne suis pas au fait de tout ce qui s'est passé dans tous les hôpitaux, si ce n'est que l'ARS et l'AP-HP ont pris garde à maintenir les chaînes logistiques.
Vous avez fait allusion à une période de mon passé où j'ai fait acheter par un établissement public des masques et des vaccins en quantité, mais je ne peux rendre compte que de ce que je connais précisément. Je ne souhaite pas non plus faire de commentaires sur l'EPRUS. J'étais directeur de cabinet de la ministre de la santé lorsque l'établissement a ouvert ses portes.
Monsieur Jean-Pierre Door, l'hôpital Avicenne est toujours là. Ce centre hospitalo-universitaire et cette faculté de médecine ont été une chance pour la Seine-Saint-Denis car ils ont pu être mobilisés.
Vous m'avez interrogé sur les mesures régaliennes prises. Je surveillais et continue de surveiller quotidiennement le nombre de cas déclarés. Actuellement, un peu moins de 500 nouveaux cas sont détectés par jour par les médecins et les hôpitaux.
Mme Anne-Claire Mialot a pris un arrêté fin août. J'observe que le lien entre le port obligatoire du masque dans les espaces publics en Seine-Saint-Denis et dans les établissements recevant du public et la stabilisation du nombre de nouveaux cas est réel. De la fin août à aujourd'hui, depuis que le port du masque est rendu obligatoire, nous n'avons jamais enregistré plus de 350 cas par jour. De mon point de vue, il y a corrélation. J'observe que, depuis quelques jours, le port du masque est très bien observé.
Par ailleurs, je confirme le propos de M. Peu, le confinement a été globalement bien respecté car la population a eu peur et continue d'avoir peur. M. le député a fait allusion à la notion de contrôle social. Selon moi, la crainte de la maladie en Seine-Saint-Denis est bien supérieure à la peur du policier.
Vous m'avez interrogé sur les nouvelles mesures prises. Pour les rassemblements, nous n'avons accordé aucune dérogation à la jauge de 5 000 personnes ; peut-être est-ce une piste possible. Je vais attendre les conclusions du Conseil de défense pour en discuter avec le préfet de police de Paris et envisager les mesures à appliquer dans la petite couronne.
Stéphane Peu nous a accompagnés, y compris de ses conseils, pendant toute la crise. Tout ce que Mme Mialot et moi-même avons entrepris auprès des foyers de travailleurs migrants est lié aux observations qu'il nous a faites dès le début de la crise. Elles nous ont conduits à déployer des équipes mobiles dans les foyers de travailleurs migrants pour réaliser des tests et donner des conseils sanitaires. M. le maire de Montreuil-sous-Bois nous a également accompagnés. Le lien entre le préfet et les élus est essentiel, parce qu'ils connaissent très bien le département. Nous le connaissons également, mais la période de confinement nous a permis de le découvrir dans ses entrailles, à travers ses angoisses et ses souffrances.
Vous avez relevé le paradoxe de la surmortalité dans ce département jeune. Nous avons longtemps cherché l'inconnue de l'équation. Le Gouvernement ainsi que les administrations centrales ont très tôt porté une grande attention à la Seine-Saint-Denis qui a été un département particulièrement aidé par les ministères, notamment sur le plan alimentaire.
J'ai envoyé une note d'alerte à Paris qui, par je ne sais comment, s'est retrouvée dans Le Canard enchaîné, mais peu importe : avant même la parution du Canard enchaîné, la réponse des ministères était parvenue. Nous avons distribué plusieurs millions de tickets alimentaires pour subvenir aux besoins de personnes en état de grande précarité. Il s'agissait de nouveaux bénéficiaires : les intermittents du spectacle, les chauffeurs de VTC, les intérimaires qui ont enregistré une baisse rapide et brutale de leur revenu. D'où la crise sociale qui s'est conjuguée à la crise sanitaire et qui a reçu très rapidement une réponse du Gouvernement.
Je reviens au paradoxe et à l'inconnue de l'équation. On a longuement débattu des transports publics au cours de nos échanges. La RATP et la SNCF ont considéré que les habitants de la Seine-Saint-Denis étaient largement au travail. Les transports publics étant le recours naturel de ces habitants, la RATP et la SNCF, à ma demande et à celle de Mme Mialot, ont produit un réel effort afin que les cadencements soient plus rapprochés, notamment sur la ligne 13.
Je ne suis ni médecin ni directeur général de l'ARS. Dans certains départements, le niveau d'éducation thérapeutique et d'éducation à la santé est très élevé. Peut-être un problème d'éducation sanitaire se pose-t-il en Seine-Saint-Denis, lié à la précarité, à la difficulté sociale ou à l'endurance personnelle. Même si je considère que l'ARS a produit un travail exceptionnel, l'hospitalisation tardive est peut-être l'une des causes de la surmortalité. En tout cas, c'est une hypothèse que je me permets d'avancer avec beaucoup d'humilité.
Je prends maintenant une distance réelle par rapport au concept de désert médical, bien que vous ayez incontestablement raison sur le défaut de spécialistes. J'ai été préfet dans plusieurs départements. J'y ai constaté la présence de déserts médicaux, mais aussi des zones de surdensité côtoyant des zones de sous-densité. Le président Ciotti pourra corroborer la présence dans certaines vallées des Alpes maritimes de déserts médicaux qui coexistent avec une surdensité médicale sur le linéaire côtier.
Les centres municipaux de soins de Seine-Saint-Denis, de la Courneuve, de Clichy-sous-Bois, de Montfermeil ont produit un travail exceptionnel grâce à l'accompagnement des municipalités, ajouté à la capacité des hôpitaux publics à aller hors les murs pour développer une offre de soins. Les équipes mobiles que Mme Mialot et le directeur général de l'ARS ont envoyées dans les foyers de travailleurs migrants étaient souvent des binômes issus des associations et des hôpitaux publics.
Le propos selon lequel il y aurait un désert médical d'offres ambulatoires publiques en Seine-Saint-Denis me semble devoir être nuancé puisque les centres municipaux de soins ont très vite réorienté l'activité vers la médecine ambulatoire de premier recours pour éviter le surencombrement de l'hôpital. C'est une mutation typiquement dionysienne. Nos hôpitaux publics sont allés hors les murs, au-devant des populations, et les centres municipaux de soins se sont convertis en centres covid. L'offre n'était pas hospitalo-centrée. S'il existe un désert médical, il touche plutôt des spécialités telles que la cardiologie libérale, l'ophtalmologie ou la gynécologie. Mais sur le plan de la médecine générale, l'effort considérable produit par l'ARS et les municipalités et la circulation de l'information ont permis d'apporter un premier recours qui n'a certes pas compensé entièrement la culture sanitaire qui pousse les personnes en détresse à se rendre immédiatement à l'hôpital. Des prises en charge ont sans doute été un peu tardives, mais elles ne sont pas liées – je risque cette nuance avec votre propos – à un défaut de l'offre médicale de premier recours car celle-ci a été profondément réorientée.
Le rapport Cornut-Gentille ne traite pas de la santé, mais, vous le savez, j'ai remis un rapport à M. Édouard Philippe. À la suite des arbitrages rendus par le Premier ministre, les réponses du Gouvernement aux questions très pertinentes sur la santé, posées par les parlementaires, ont été à la hauteur des enjeux de ce département qualifié hors normes.