Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information
Nous avons souhaité porter une attention particulière à la situation du département de la Seine-Saint-Denis. Il ne s'agit pas de stigmatiser mais plutôt de comprendre. En effet, une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) parue en juillet 2020 montre que le département a enregistré, entre le 1er mars et le 19 avril, le plus fort taux de surmortalité d'Île-de-France, soit 130 % contre 74 % à Paris et 122 % dans les Hauts-de-Seine. La Seine-Saint-Denis est placée à l'heure actuelle en situation de vulnérabilité élevée avec un taux de positivité des tests qui figure parmi les plus hauts en France, soit 7,4 % la première semaine de septembre.
Nous avons déjà abordé ces questions avec M. Aurélien Rousseau, directeur général de l'Agence régionale de la santé (ARS) d'Île-de-France, mais nous souhaiterions approfondir les points liés à l'organisation de la réponse hospitalière dans le département de la Seine-Saint-Denis, à la prise en charge par la médecine de ville ainsi qu'à la politique de dépistage.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Georges-François Leclerc et Mme Anne-Claire Mialot prêtent serment.
Je suis heureux de retrouver les parlementaires des départements dans lesquels j'ai eu l'honneur de servir et où je sers encore aujourd'hui l'État. Je suis accompagnée par Mme Anne‑Claire Mialot, préfète déléguée pour l'égalité des chances qui m'a assisté dans la direction des services de l'État et dans la concertation avec les collectivités et les élus tout au long de la crise.
Je voudrais d'abord vous livrer quelques éléments factuels concernant le département de la Seine‑Saint-Denis. Ce département compte 1,6 million d'habitants et comprend quarante communes : ce sont donc quarante interlocuteurs que nous avons réunis toutes les semaines en audioconférence. Dans les mêmes circonstances, si j'avais encore été préfet de l'Aube, j'aurais dû gérer la situation avec 600 interlocuteurs détenteurs d'un pouvoir réglementaire important. De même gérer la crise avec 264 communes en Haute-Savoie, ou avec les 194 communes des Alpes-Maritimes aurait été plus compliqué qu'en Seine-Saint-Denis.
Le département de la Seine-Saint-Denis compte 70 % d'habitat collectif, 40 % d'habitat social et trente-cinq foyers de travailleurs migrants, éléments qui permettent d'expliquer la difficulté rencontrée lors de la crise sanitaire. Le seuil de pauvreté y avoisine les 30 %. C'est dire qu'environ 30 % des ménages vivent avec moins de 1 000 euros par mois. Dans certaines communes, telles que Saint-Denis, La Courneuve et Clichy-sous-Bois, les taux de pauvreté frôlent 50 %. Les taux de pauvreté-précarité sont très élevés.
Autant les services publics y sont très importants, autant le marché du travail est marqué par un large recours à l'intérim et à l'activité de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Ce département, notamment en raison de la proximité de Paris, mais aussi de l'aéroport Charles de Gaulle, se caractérise par une certaine souplesse du marché du travail. Plus de 10 000 VTC sont enregistrés à la préfecture de la Seine-Saint-Denis, c'est-à-dire autant de travailleurs qui ont été confrontés à une perte brutale et rapide de revenu.
Ce département biologiquement très jeune a enregistré l'une des surmortalités les plus prononcées. Ce paradoxe est au cœur des interrogations de votre commission. Les difficultés du confinement tiennent au fait que 72 000 personnes vivent dans 28 000 logements insalubres, soit 7,5 % du parc privé, à rapporter aux 70 % d'habitat collectif et aux 40 % d'habitat social. Il s'agit aussi d'un département très minéral ; s'il compte de très beaux parcs départementaux ces derniers sont très concentrés. Comparé à d'autres départements de la région Île-de-France ou à d'autres où j'ai eu l'honneur d'être préfet, cela n'a rien à voir. La Seine-Saint-Denis est surdense et très minérale, ce qui peut constituer une difficulté.
En effet, le département a enregistré une surmortalité. Je disposais du chiffre de 124 % ; vous avez cité celui de 130 %. Je suppose que des ajustements sont intervenus. Au‑delà de la valeur relative, il y a la valeur absolue. Nous avons enregistré et déploré – je le dis avec force – 1 045 décès à l'hôpital et 548 décès en EHPAD. Il faut y ajouter environ 2 000 personnes qui, originaires ou habitant la Seine-Saint-Denis, sont décédées dans des hôpitaux parisiens pendant la phase aiguë de l'épidémie. En effet, l'offre de soins doit être approchée en prenant en compte la dimension régionale caractérisée par une imbrication géographique avec l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui compte des hôpitaux en Seine-Saint-Denis et avec l'ARS Île-de-France dont le travail de régulation des hospitalisations a permis une gestion très efficace de l'offre de soins, des hôpitaux publics comme privés.
Il m'est très difficile, cependant, de vous fournir une valeur absolue précise. Ce n'est qu'a posteriori que l'INSEE pourra réaliser ce travail, mais nous savons d'ores et déjà que ce département a particulièrement souffert. Que l'on approche la situation à travers la surmortalité, la crise sociale, voire alimentaire, qui ont eu lieu pendant la crise sanitaire, la crise a été globale en Seine‑Saint‑Denis.
Pour comprendre ce département, il faut savoir que, pour beaucoup, ses habitants sont allés travailler pendant le confinement. En effet, le télétravail y est beaucoup moins répandu qu'ailleurs, car nombre de salariés et de travailleurs pratiquent des métiers manuels. Le confinement, qui a été pénible pour la population, a été, pour l'essentiel, très bien respecté, et s'est conjugué avec une population dont la proportion de personnes au travail était très élevée.
Ceux qui travaillent dans « l'uber-économie » ou dans l'intérim ont eu à souffrir d'une chute rapide et brutale de leurs revenus, ce qui n'a pas été sans impact sur la crise sociale que nous avons connue. Anne-Claire Mialot pourra répondre à vos questions sur la précarité. De nombreuses personnes, en raison de leur statut au regard du droit au séjour ou de la grande précarité que l'on y enregistre, vivent dans des bidonvilles ou dans des habitats très informels. La question de la précarité s'est donc posée.
J'ai évoqué la crise sanitaire et la crise économique ; on peut également parler de crise alimentaire, à laquelle le gouvernement et les pouvoirs publics – collectivités territoriales et services de l'État, dans les départements comme les régions – se sont attachés à répondre très rapidement.
Au-delà des chiffres sur le seuil de pauvreté, plusieurs dizaines de milliers de personnes vivent dans des hôtels ou des bidonvilles. Il fallait apporter en urgence des réponses à un problème auquel nous n'étions pas préparés ; nous les avons trouvées. Avec les mairies et le conseil départemental, nous nous sommes organisés pour apporter des soins à cette population en souffrance.
Des réponses ont également été apportées par l'agence régionale de santé pour la réorganisation de l'offre de soins qui a été forte et rapide. La puissance de l'offre de soins dans la région parisienne est un facteur qui a grandement aidé et sans doute évité bien des décès. La réponse alimentaire et sociale est venue le conforter, ainsi que la réponse relevant du domaine régalien qui présente quelques particularités en Seine‑Saint‑Denis.
Vous avez pu travailler en bonne intelligence avec les collectivités territoriales . Sur le plan organisationnel, comment les interactions se sont-elles déroulées avec l'ARS ?
Je voudrais également vous interroger sur les actions engagées sur le terrain par l'État pour tenter de remédier à la situation sanitaire et alimentaire.
Enfin, sur la problématique en valeur absolue du nombre de lits d'hospitalisation pour mille habitants, soit 2 ‰ en Seine-Saint-Denis versus 7,7 ‰ à Paris, j'ai bien compris que nous avions affaire à une offre de soins globale sur un territoire étendu, mais je voudrais connaître votre analyse quant à la disponibilité des lits pour les habitants de la Seine-Saint-Denis hors leur département. Avez-vous eu connaissance de refus d'hospitalisation ou disposez-vous de chiffres qui prouvent, au contraire, que les hospitalisations se sont opérées à l'identique, que le malade soit de la Seine-Saint-Denis ou d'un autre département éventuellement mieux doté en nombre de lits par habitant ?
. Avant toute chose, je souligne un petit conflit d'intérêts puisque je suis l'un des rédacteurs du projet de loi ayant créé les agences régionales de santé : c'est l'un des honneurs de ma vie. C'est de manière très contingente que l'ARS Île-de-France a fourni un effort tout particulier et, de mon point de vue, très réussi, en maintenant un lien constant, je dirai quotidien, avec les préfets de département. C'est, du reste, ce qui figure dans la loi du 31 juillet 2009 qui met les directeurs généraux des ARS à la disposition des préfets de départements en cas de crise sanitaire.
Cette disposition législative a été incarnée de manière exemplaire par le directeur général de l'ARS Île-de-France, mais aussi par les délégués départementaux que nous avons rencontrés. L'ARS a pris sur sa propre substance pour détacher des personnes particulièrement efficaces aux fonctions de délégué territorial.
Je disposais de tout ce dont les préfets confrontés à une crise très importante font valoir, à commencer par une information très précise, malgré les difficultés statistiques indiquées précédemment qui font que je n'ai pu rendre compte devant la représentation nationale que du nombre de morts en Seine‑Saint‑Denis. Sur les 1 045 personnes décédées à l'hôpital de Seine-Saint-Denis, peut-être compte‑t‑on des habitants du Val‑d'Oise ou de Seine‑et‑Marne, et réciproquement. Je sais que plusieurs centaines de mes administrés sont décédés dans des hôpitaux parisiens – 2 000 est une approximation. Une consolidation devra intervenir. J'ai toutefois reçu une information épidémiologique et sur la surmortalité scrupuleuse et quotidienne.
L'ARS Île-de-France a réalisé un travail remarquable sur trois plans.
Elle a réorienté la médecine ambulatoire non libérale puisque la majeure partie de la médecine ambulatoire en Seine‑Saint‑Denis repose sur des centres municipaux de soins qui ont été particulièrement efficaces à la Courneuve, à Clichy‑sous‑Bois et à Saint‑Denis. On en revient à l'importance du lien entre le préfet et le maire et à la facilité de n'avoir que quarante mairies importantes en interaction permanente. L'ARS a permis à ces centres municipaux de soins, par un contact quasi quotidien, de réorienter en première ligne l'offre de soins ambulatoires afin d'éviter l'encombrement des services d'urgence et d'hospitalisation publique. Nous avons assisté à un travail considérable de création de lits de réanimation, de réorientation des centres municipaux de soins qui ont été extrêmement efficaces dans les municipalités de la Seine-Saint-Denis.
Enfin, lors du déploiement des tests, l'ARS, à la demande de Mme Mialot et à ma demande, a envoyé des équipes mobiles dans les foyers de travailleurs migrants. Je me souviens avoir reçu une lettre de M. Stéphane Peu m'enjoignant, ce en quoi il avait raison, de me polariser sur les foyers de travailleurs migrants qui étaient un point de risque non négligeable. L'interaction permanente avec les élus qui connaissent parfois mieux la Seine‑Saint‑Denis qu'un préfet présent depuis à peine un an a permis de réagir très rapidement. L'ARS a dépêché des équipes mobiles, parfois détachées de l'AP-HP, parfois venant d'associations, pour tester des points de risque importants.
Je considère que les relations avec l'ARS, qui a réalisé un travail exceptionnel, ont été fructueuses. Pas une journée ne s'est passée sans que je sois en contact téléphonique avec le directeur général de l'ARS, pourtant très sollicité, pour un conseil ou pour répondre à mes questions, voire à nos angoisses tant certains chiffres étaient vertigineux !
J'ai déjà répondu en partie sur les lits de réanimation. Je redis, même si je sais que je ne ferai pas plaisir à tous les parlementaires ici présents, que, dans une région aussi imbriquée que l'Île-de-France, l'on ne peut pas prendre isolément le chiffre de l'offre de soins en Seine‑Saint‑Denis. La Seine-Saint-Denis n'est pas un territoire insulaire. Le premier lien est géographique. Un habitant de Pantin bénéficie de l'hôpital Robert Debré, un habitant de Saint‑Ouen de l'hôpital Bichat, deux grands hôpitaux de Paris. Un habitant de Villetaneuse peut avoir recours aux hôpitaux du Val‑d'Oise. Lorsque l'on habite dans une région très concentrée, aux moyens de transport ambulanciers développés, l'analyse des seuls lits de réanimation en Seine‑Saint‑Denis n'offre qu'un indicateur. Plus le nombre de lits de réanimation proches est élevé, mieux c'est, mais cela a moins de sens en région Île‑de‑France que dans une autre. Dans l'Aube, où Troyes est éloigné de Reims, ou encore en Haute-Savoie, analyser ce nombre en valeur absolue a du sens. C'est moins vrai en région parisienne en raison de la proximité de centres de soins puissants.
Il convient également de prendre en compte la présence de l'AP-HP, qui constitue une organisation en soi. Les cas très graves étaient immédiatement transportés dans les centres de référence. Nombre de mes administrés et parfois certains élus atteints ont été soignés à la Pitié-Salpêtrière ou à Bichat, alors que la première hospitalisation avait lieu au Vert-Galant, à Avicenne ou à l'hôpital de La Fontaine-Casanova.
Bien sûr, l'indicateur du nombre de lits de réanimation en Seine‑Saint‑Denis est intéressant, mais ne traduit pas la totalité de l'offre de soins susceptible de répondre à la problématique particulière de la Seine‑Saint‑Denis. Disant cela, je suis un peu en porte‑à‑faux avec certains beaux sentiments à l'égard d'un département qui a beaucoup souffert ; il n'en demeure pas moins que la Seine‑Saint-Denis est comprise dans un ensemble qui a permis, grâce au travail de l'ARS et à la régulation interne à l'AP-HP, de répondre aux besoins. Je n'ai pas eu connaissance de nombreux transferts vers d'autres régions, comme depuis le Haut-Rhin.
Pour répondre à votre question sur la crise alimentaire et la crise sociale, je vous livrerai quelques chiffres sur l'action des services de l'État.
La particularité de la Seine-Saint-Denis tient en ce que la crise sanitaire s'est doublée d'une crise sociale particulièrement forte compte tenu de la précarité de la population. L'action conduite par les services de l'État s'est déroulée à trois niveaux.
Tout d'abord, sur le plan de l'accès aux soins, nous avons constaté très rapidement que des personnes atteintes de formes très graves du covid-19 se rendaient directement dans les hôpitaux parce qu'elles avaient une moindre habitude et une moindre facilité d'accès aux soins.
Face à cette situation, trois actions ont été décidées : d'abord l'ouverture de centres de consultation covid, au nombre de 55 à ce jour. Avec l'ARS, nous avons transformé des centres municipaux de santé ou créé des centres spécifiques pour en faire des points avancés de consultation covid, afin de désaturer les urgences où une grande partie des populations précaires, n'ayant pas de médecin référent, se rend très naturellement.
Ensuite, avec l'ARS 92, nous avons organisé des équipes mobiles constituées avec l'AP-HP et Médecins sans frontières qui se sont rendues dans les foyers de travailleurs migrants et ont réalisé 2 714 consultations, soit un effort significatif.
Enfin, lorsque nous avons pu déployer des tests post-confinement, l'ARS a installé des barnums de dépistage grand public dans les quartiers politiques de la ville, dont un premier à Clichy-sous-Bois, au pied des tours de Chêne Pointu, l'un des quartiers les plus difficiles de Seine-Saint-Denis. La volonté a été manifeste d'aller vers les populations pour assurer la prévention.
Le deuxième niveau est celui de la question alimentaire. Un grand nombre de personnes se sont trouvées très vite sans revenu et confrontées à des difficultés d'accès à l'alimentation, d'autant que les cantines où les enfants déjeunaient ont fermé. D'abord, nous avons essayé de faire rouvrir les points de distribution alimentaire qui, pour beaucoup, avaient dû fermer en raison de l'âge avancé des bénévoles qui s'étaient mis en retrait. Il a fallu trouver de nouveaux bénévoles et faire rouvrir les points de distribution. Ensuite, nous avons distribué, sur l'ensemble de la période, 8,4 millions de chèques d'urgence alimentaire décidés par le Gouvernement aux ménages hébergés à l'hôtel, dans les centres d'hébergement d'urgence ou en résidence sociale. Par ailleurs, en coopération avec les maires, 3,2 millions d'euros ont été distribués via les centres communaux d'action sociale. Nous avons pu nous appuyer sur les maires pour les allouer aux familles les plus précaires et les plus fragiles.
Dernier élément sur la précarité au vu de la situation spécifique du département, le Gouvernement nous avait demandé de mettre à l'abri les personnes qui étaient à la rue. La Seine‑Saint‑Denis a ainsi abrité pendant le confinement 2 139 personnes qui, soit étaient à la rue, soit vivaient dans des squats surpeuplés, et souffraient de fragilités. Au-delà des réquisitions du pôle hébergement et réservation hôtelière (PHRH), nous avons procédé à la réquisition de trois hôtels pour abriter les personnes en campement.
Merci de votre présence devant notre commission et de votre engagement au service des populations de Seine-Saint-Denis au titre de vos missions. Il est important que la représentation de l'État soit exercée avec efficacité, ce à quoi je suis particulièrement attaché. Je sais que vous avez exercé cette mission avec beaucoup de vigilance et avec l'attachement au service public de l'État qui vous caractérise.
Des questions ont fait débat dans la presse, parfois de façon polémique, sur le respect du confinement. Le 26 avril dernier, Libération faisait état d'un taux de verbalisation extrêmement élevé rapporté au nombre de contrôles, de 17 %, soit 41 000 contraventions pour un peu plus de 242 000 contrôles contre le taux au plan national qui est trois fois moindre, à 5,9 %. Confirmez-vous ces chiffres et, plus globalement, de quels chiffres disposez-vous ?
Ces chiffres traduisent-ils un plus large exercice de l'autorité pour faire respecter les lois de la République et les règlements, ce qui ne m'étonnerait pas de votre part, monsieur le préfet, ou, au contraire, ces mêmes lois et règlements sont-ils défiés plus fréquemment ? J'aimerais avoir un éclairage sur les questions de respect du confinement et les difficultés que vous avez rencontrées pour que tout le monde se conforme à ces mesures.
Vous avez évoqué les personnes en situation de précarité et la population en situation illégale. Le rapport de notre collègue François Cornut-Gentille avait ouvert ce débat et un chapitre sur la population de Seine-Saint-Denis y était consacré. À combien estimez-vous la population de Seine-Saint-Denis ? Disposez-vous d'indicateurs et combien d'habitants se trouvent en situation de séjour irrégulier dans le département ? Au cœur de la crise, combien de ménages ont-ils été hébergés à l'hôtel, dans les centres de migrants et dans les hébergements d'urgence ?
Enfin, vous avez rappelé le rôle que vous avez joué dans la création des ARS. Une partie des prérogatives des préfets et des préfets de département dans la gestion de crise, notamment du covid, a été confiée aux ARS. Cela n'a-t-il pas été un handicap ? Lors de crises que vous avez eues à connaître dans le cadre d'autres responsabilités, le pilotage de la crise était unique, confié au ministre de l'intérieur, par la voie de ses représentants locaux que sont les préfets. La dyarchie avec les ARS n'a‑t‑elle pas affaibli le dispositif ? J'ai une idée de la réponse, tirée de mon expérience personnelle et des difficultés que nous avons rencontrées dans nombre de départements quant aux relations plus ou moins fluides entre le préfet de région et l'ARS suite à la déconcentration au plan régional des services de l'État. J'estime que fut une erreur grave dans l'organisation de l'État ! Je ferme cette parenthèse, mais j'avoue ne pas être totalement objectif dans ma question. Comment avez-vous ressenti et géré cette relation ARS-préfet-département
Le confinement a été globalement bien respecté dans le département de la Seine-Saint-Denis qui compte 1,6 million d'habitants. Vous évoquez des éléments chiffrés qui font apparaître que les habitants circulaient très souvent hors du département, puisqu'ils utilisent les transports publics pour se rendre au travail. Le nombre élevé de contrôles n'est donc pas anormal.
Vous considérez que le rapport entre le nombre de verbalisations et le nombre de contrôles était d'une valeur relative assez élevée. J'appelle votre attention sur un élément qui me conduit à affirmer que le confinement a été très bien respecté : le nombre de verbalisations par jour a diminué au fil de la crise, qui a été très longue, alors qu'il a augmenté dans d'autres départements. Au cours des premières semaines, nous avons connu une période d'adaptation au confinement accompagnée par une action pleine de discernement des forces de l'ordre, auxquelles je rends un hommage tout particulier. Elles ont su procéder à des contrôles, au début à caractère pédagogique, puis plus prétoriens. Au début du confinement, les contrôles et les infractions ont été nombreux pour diminuer au bout de huit à dix jours. Pour avoir vécu en permanence dans le département pendant des mois, je puis vous assurer que le dimanche après-midi, dans le quartier du Chemin vert ou Paul Éluard à Bobigny, tout le monde se déplaçait avec son laisser-passer.
Pour moi, deux mondes très différents se côtoyaient : celui des jours fériés et celui des jours de la semaine, dès lors que la Seine-Saint-Denis ne télétravaillait pas ou très peu, et que nombreux étaient ses habitants à se rendre au travail pour remplir les fonctions supports en région Île-de-France. Même si le nombre absolu de contrôles et de verbalisations a été élevé au début de la crise sanitaire pendant la période d'adaptation, il a commencé à fléchir au bout de quinze jours et par la suite, au fil des deux mois de confinement. Les dernières semaines, le taux de verbalisation a progressé dans d'autres départements parce que le confinement était une épreuve alors qu'il continuait de diminuer en Seine‑Saint‑Denis.
La Seine-Saint-Denis peut donner l'image d'un département un peu vif, mais ses habitants ont respecté le confinement parce qu'ils avaient peur du nombre élevé de décès. Atypiques, les courbes des contrôles et des verbalisations se sont infléchies au fur et à mesure de la crise. Ce n'était pas précisé dans l'article publié par Libération que j'ai lu, tout comme vous, qui se limite à une analyse du nombre de contrôles et de verbalisations, omettant de dire que la règle a été suivie de mieux en mieux.
La stratégie des contrôles a été concentrée sur les points à risques, par exemple, les magasins d'alimentation. Nous avonsfermé 136 commerces. Nous nous concentrions davantage sur les commerces qui ne jouaient pas le jeu que sur la population dont on considérait qu'elle respectait les règles.
Vous m'avez interrogé sur la population réelle de la Seine-Saint-Denis. Les seuls éléments statistiques dont je suis certain, c'est que j'ai l'honneur d'être préfet d'un département de 1,6 million habitants, dont 50 000 bénéficient de l'aide médicale d'État. Le chiffre est vérifié par l'Insee. Sur le nombre de personnes en situation irrégulière, je ne suis pas en mesure de faire une extrapolation. Des chiffres ont été donnés, selon moi imprudemment par certains de mes prédécesseurs. Le seul chiffre certain est celui des 50 000 bénéficiaires de l'aide médicale d'État, c'est-à-dire de l'offre de soins alors qu'elles n'ont pas de droit au séjour. Certains de mes prédécesseurs ont procédé à des extrapolations de ces chiffres ; je me refuse à le faire.
Sur la relation ARS-préfet-département, une disposition de la loi du 31 juillet 2009 rappelle qu'en cas de crise sanitaire, le directeur général de l'ARS est à la disposition du représentant de l'État dans le département. C'est en ce sens que M. Jean-Pierre Door avait amendé le texte. Il existe donc bien un lien direct, juridique, entre le directeur général de l'ARS et le préfet de département. Je dois dire que le lien direct entre le directeur général de l'ARS Île-de-France et moi-même a été magnifiquement incarné. Je pense que d'autres préfets d'Île-de-France pourraient vous dire la même chose. Aucun de mes appels au directeur général de l'ARS n'est resté sans réponse, une réponse plus ou moins rapide certes, dans la mesure où il a beaucoup de préfets de département en région Île-de-France.
J'ai connaissance de régions où cela s'est moins bien passé, mais je refuse de m'exprimer sur ce que je ne connais pas directement. Je puis vous assurer que, pour l'Île-de-France, alors même qu'il s'agissait de l'une des régions les plus difficiles à gérer en raison du nombre d'interlocuteurs en cause, le lien direct voulu par la représentation nationale en 2009 entre le directeur général de l'ARS, le préfet de département et le préfet de région a été parfaitement incarné.
S'agissant de l'hébergement, Mme Anne-Claire Mialot et moi-même avons mis à l'abri 2 139 personnes supplémentaires pendant la crise. Partant du principe qu'il était difficile de faire respecter le confinement à une personne qui est à la rue, la primauté est donc allée à la prise en charge de cette catégorie de personnes, notamment par la réquisition d'hôtels ou de centres d'hébergement. Pour l'exemple, en mars, avec le concours du préfet de la région Île-de-France, nous avons mis à l'abri, en quelques heures, 700 personnes vivant au bord du canal, de Saint-Denis à Aubervilliers, en réquisitionnant des hôtels et des gymnases que nous avons agréés avec des associations, parce que l'on ne peut respecter le confinement dans une tente Qechua ! Au-delà de l'aspect sanitaire, s'ajoutaient des aspects humanitaires qui imposaient une intervention rapide. Le préfet de la Seine-Saint-Denis organise quotidiennement la mise à l'abri de 12 000 personnes en temps normal et l'unité opérationnelle du programme 177 pèse plus de 100 millions d'euros.
Vous avez rappelé le climat sociodémographique de la Seine-Saint-Denis. Une étude de l'INED, publiée au mois de juillet 2020, a confirmé les facteurs que vous avez exposés. La Seine-Saint-Denis a malheureusement connu un regain des facteurs de contamination, notamment des cas de tuberculose. Il est certain qu'un tel contexte a considérablement favorisé la propagation de la maladie dans ce milieu. On comprend que la situation sanitaire de la Seine-Saint-Denis, malheureusement, a entraîné une explosion du covid-19.
Vous avez soulevé la question du secteur public et du secteur privé. Le système a-t-il fonctionné comme souhaité ? Avec l'aide du secteur privé, le nombre de lits est passé de 100 à 200 lits de réanimation, disiez-vous. Le recours au secteur privé est-il intervenu suffisamment tôt ou trop tardivement – c'est une des questions que nous avons posée à la fédération hospitalière privée ?
Nous avons rencontré les médecins libéraux de la Seine-Saint-Denis. Le président du Conseil national de l'ordre des médecins a rappelé les points sur lesquels il a été mis à contribution. Il nous a fait part de retards dans les moyens de protection, tels que les masques et les médicaments. Avez-vous perçu de tels retards ?
Vous étiez directeur de cabinet de la ministre de la santé au moment de la création de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Que pensez-vous de cet établissement ? Faut-il le confirmer, l'améliorer, le renforcer ?
À ce jour, avec 329 hospitalisations, dont une cinquantaine en réanimation, le département de Seine-Saint-Denis est classé en zone rouge. Avez-vous activé le plan blanc hospitalier comme certaines régions ? Quelles mesures avez-vous prises s'agissant des écoles en particulier ?
Vous avez évoqué une quarantaine de communes. Le Gouvernement a donné une consigne sur les relations préfet-maires. Quel est votre sentiment à ce propos ?
Où en est l'hôpital d'Avicenne à Bobigny qui compte un service d'infectiologie ?
J'avais déposé une demande de commission d'enquête sur la situation particulière de la Seine-Saint-Denis s'agissant du covid-19. Elle n'a pas été retenue en raison de la constitution de la présente mission d'information, de portée plus globale. Le département le plus jeune de France a connu le taux de mortalité lié au covid le plus élevé alors que la maladie était censée toucher en premier lieu les personnes d'un certain âge atteintes de comorbidités. Un tel paradoxe apparent méritait, selon moi, d'être creusé.
Je souscris aux réponses de M. le préfet à M. le rapporteur sur le respect des règles. Des polémiques ont éclaté. Pour vivre en Seine-Saint-Denis et côtoyer M. le préfet qui n'est pas réputé laxiste, je puis confirmer que les mesures prises ont globalement été respectées, dans les conditions qui ont été rappelées, notamment sur les lieux de travail et dans les transports. Outre le contrôle des forces de l'ordre, que je salue, le contrôle social a été très fort. La peur a conduit les aînés et les voisins à rappeler à l'ordre ceux qui étaient inconscients du danger. Le non-respect des règles n'est pas ce qui peut expliquer la surmortalité.
L'INED et l'Observatoire régional de la santé (ORS) ont publié une étude expliquant le phénomène de surmortalité par la densité urbaine, les gros bataillons de la première et de la deuxième lignes de la Seine-Saint-Denis, l'utilisation des transports collectifs, etc. J'avoue être quelque peu insatisfait de cette étude. Je vois bien l'intérêt pour l'ORS d'ouvrir rapidement le parapluie en avançant des causes exogènes aux politiques de santé publique, mais on ne peut expliquer la surmortalité en Seine-Saint-Denis sans s'attarder un instant sur les conditions sanitaires de ce département.
Le rapport Cornut-Gentille sur l'état des services régaliens en Seine-Saint-Denis a traité de l'éducation, de la police et de la justice et non des questions de santé, ou du moins ne l'a fait que marginalement ; le sujet n'était pas au cœur du rapport. Dans le cadre de notre mission d'information, la situation sanitaire du département mériterait de faire l'objet d'un focus, car, monsieur le préfet, je ne partage pas vos propos sur les lits de réanimation. Les trois départements de la petite couronne parisienne présentent les mêmes caractéristiques d'intégration urbaine dans la région Île-de-France. Les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne ont des caractéristiques sociologiques assez différentes et comptent un nombre de lits de réanimation trois fois supérieur à celui de la Seine-Saint-Denis, nonobstant les mêmes caractéristiques d'intégration urbaine. Ce n'est pas parce que l'on habite en face de l'hôpital Robert Debré que l'on a moins de lits de réanimation, c'est parce que la Seine-Saint-Denis est un parent pauvre, sur ce sujet aussi.
Ajoutons à cela que les études sur les déserts médicaux de la médecine de ville font d'un département à forte densité urbaine comme celui de la Seine-Saint-Denis un désert médical à l'instar de ce que pourrait être le département le plus reculé de la ruralité française. C'est une deuxième anomalie.
Enfin, la médecine scolaire, au cœur des enjeux en cette rentrée, est exsangue, tout comme la médecine du travail. En Seine-Saint-Denis, on compte quarante-huit postes de médecins scolaires, dont seulement seize en activité.
On retrouve à tous les niveaux de la politique de santé publique les mêmes caractéristiques qu'en matière d'éducation, de justice ou de police. Autrement dit, l'égalité républicaine qui voudrait que l'on offre les mêmes services publics à tous les territoires ne s'applique pas à la Seine-Saint-Denis. Un habitant de Seine-Saint-Denis bénéficie d'enseignants, de médecins, d'hôpitaux, de lits de réanimation, de policiers, de magistrats en moins grand nombre que la moyenne nationale. Ce point mérite d'être relevé.
Je voudrais savoir si M. le préfet corrobore mes propos. Je conclurai mon intervention par une question. Après la crise du covid, on a dit que « l'hôpital avait tenu ». Cela voudrait dire qu'en dépit de l'épidémie, tout le monde a été soigné. Or cela n'a pas été le cas. J'ai reçu des témoignages de médecins de Seine-Saint-Denis, attestant des choix qui avaient été faits. Grosso modo, les personnes de plus de 65 ans atteintes d'une ou deux cormobidités n'étaient plus orientées vers les services de réanimation. L'hôpital public a failli, il n'a pas été en mesure de faire face à l'épidémie. Confirmez-vous ou non cette situation en Seine-Saint-Denis ?
Je resterai sur le terrain qui est celui du préfet pour vous répondre. Si vous souhaitez des réponses plus précises aux questions relatives au recours à la médecine libérale, il conviendra sans doute de les poser au directeur général de l'ARS.
Vous m'avez interrogé sur les relations entre le préfet et les maires, rappelant que M. Castex, Premier ministre, avait donné la consigne de travailler en lien étroit. J'ai souligné que la Seine-Saint-Denis comptait quarante communes, assez puissantes. Les moyens de télécommunication nous ont permis, à Mme Mialot et à moi-même, de tenir avec les maires une dizaine de réunions par audioconférence d'environ deux heures tout au long de la crise. Un premier temps était consacré aux commentaires du préfet, de la préfète déléguée, du recteur ou du directeur général de l'ARS. Au titre de l'information qu'un préfet doit à la représentation nationale, j'invitais les parlementaires à se joindre à nous. M. Peu pourra attester qu'il en était ainsi. Dix réunions ont ainsi été organisées, dont une fin août par la préfète déléguée, pendant mes vacances, pour préparer la rentrée scolaire.
Pendant la première heure nous faisions un commentaire des dernières circulaires que nous transmettions aux maires. La seconde était réservée à un temps de questions-réponses. Les questions nous étaient envoyées via une boîte mail dédiée et que j'avais instituée. Les questions portaient sur les marchés, les cérémonies funéraires, l'offre de soins, la conduite à tenir quant au redéploiement des centres municipaux de soins. Nous entretenions donc une relation étroite avec les maires.
En toute impartialité républicaine, je dois dire la profonde admiration que j'ai conçue, au cours de cette période, pour les maires de Seine-Saint-Denis et leur mobilisation. Le préfet est à la tête de services et d'administrations puissantes, en veille au cours de cette période, mais des maires m'indiquaient que de nombreuses personnes étaient confinées dans les municipalités et qu'eux-mêmes, leurs adjoints et les conseillers municipaux réactivaient, en tout cas au début, les services publics.
Depuis des centaines d'années, le binôme constitué par le préfet et le maire est un couple fort. Ils sont les vieilles bâtisses de la République. Et aujourd'hui encore, ce couple est solide en Seine-Saint-Denis. Les séances de questions-réponses n'en étaient pas moins vigoureuses ! À propos des marchés alimentaires, j'avais pris un parti qui a été partagé par très peu de maires. J'ai tenu bon mais j'ai expliqué les raisons de mon choix. Je devais également leur expliquer ma stratégie de contrôle, y compris lorsqu'il s'agissait d'avoir recours à la police municipale. Il m'est arrivé de modifier des mesures du registre régalien, parce que des maires me démontraient qu'elles étaient inefficaces.
Cette interaction a été permanente et je dois dire que la vieille relation maire-préfet a été profondément revivifiée au cours de la crise. Beaucoup de maires – ou d'anciens maires : le second tour des élections municipales est intervenu depuis – m'ont dit à quel point ils trouvaient dans ces réunions, où je n'étais pas le seul à m'exprimer, des sources d'information précieuses et de solidarité, pour dire les choses comme elles sont.
L'ARS a eu très tôt recours à l'offre de soins privés, y compris en Seine-Saint-Denis. J'ai en mémoire quelques anecdotes assez tristes de personnes hospitalisées dans une clinique à Tremblay-en-France qui ont été transférés à La Pitié lorsque leur état s'est aggravé. Je puis donc affirmer que l'on a eu recours aux cliniques privées. Cela étant, la Seine-Saint-Denis n'est la terre d'élection ni de la médecine libérale ni des cliniques privées, mais oui, elles ont été sollicitées loyalement par l'ARS.
Monsieur le député, sur la carence en équipements, je peux rendre compte de beaucoup de choses devant la représentation nationale, mais seulement sur la période au cours de laquelle j'étais responsable. J'ai eu, en effet, connaissance des difficultés de certains praticiens libéraux à se fournir en masques. À chaque fois que cela a été le cas, nous l'avons signalé à l'ARS et nous avons pu pallier les pénuries ponctuelles. Encore une fois, l'un des points forts de la Seine-Saint-Denis tient au fait que beaucoup d'hôpitaux relèvent de l'AP-HP et que des chaînes logistiques les reliaient. Cela fut parfois un peu juste, je n'ai pas eu connaissance de tout et l'offre de soins relève de l'agence régionale de santé. Même si les relations étaient excellentes, je ne suis pas au fait de tout ce qui s'est passé dans tous les hôpitaux, si ce n'est que l'ARS et l'AP-HP ont pris garde à maintenir les chaînes logistiques.
Vous avez fait allusion à une période de mon passé où j'ai fait acheter par un établissement public des masques et des vaccins en quantité, mais je ne peux rendre compte que de ce que je connais précisément. Je ne souhaite pas non plus faire de commentaires sur l'EPRUS. J'étais directeur de cabinet de la ministre de la santé lorsque l'établissement a ouvert ses portes.
Monsieur Jean-Pierre Door, l'hôpital Avicenne est toujours là. Ce centre hospitalo-universitaire et cette faculté de médecine ont été une chance pour la Seine-Saint-Denis car ils ont pu être mobilisés.
Vous m'avez interrogé sur les mesures régaliennes prises. Je surveillais et continue de surveiller quotidiennement le nombre de cas déclarés. Actuellement, un peu moins de 500 nouveaux cas sont détectés par jour par les médecins et les hôpitaux.
Mme Anne-Claire Mialot a pris un arrêté fin août. J'observe que le lien entre le port obligatoire du masque dans les espaces publics en Seine-Saint-Denis et dans les établissements recevant du public et la stabilisation du nombre de nouveaux cas est réel. De la fin août à aujourd'hui, depuis que le port du masque est rendu obligatoire, nous n'avons jamais enregistré plus de 350 cas par jour. De mon point de vue, il y a corrélation. J'observe que, depuis quelques jours, le port du masque est très bien observé.
Par ailleurs, je confirme le propos de M. Peu, le confinement a été globalement bien respecté car la population a eu peur et continue d'avoir peur. M. le député a fait allusion à la notion de contrôle social. Selon moi, la crainte de la maladie en Seine-Saint-Denis est bien supérieure à la peur du policier.
Vous m'avez interrogé sur les nouvelles mesures prises. Pour les rassemblements, nous n'avons accordé aucune dérogation à la jauge de 5 000 personnes ; peut-être est-ce une piste possible. Je vais attendre les conclusions du Conseil de défense pour en discuter avec le préfet de police de Paris et envisager les mesures à appliquer dans la petite couronne.
Stéphane Peu nous a accompagnés, y compris de ses conseils, pendant toute la crise. Tout ce que Mme Mialot et moi-même avons entrepris auprès des foyers de travailleurs migrants est lié aux observations qu'il nous a faites dès le début de la crise. Elles nous ont conduits à déployer des équipes mobiles dans les foyers de travailleurs migrants pour réaliser des tests et donner des conseils sanitaires. M. le maire de Montreuil-sous-Bois nous a également accompagnés. Le lien entre le préfet et les élus est essentiel, parce qu'ils connaissent très bien le département. Nous le connaissons également, mais la période de confinement nous a permis de le découvrir dans ses entrailles, à travers ses angoisses et ses souffrances.
Vous avez relevé le paradoxe de la surmortalité dans ce département jeune. Nous avons longtemps cherché l'inconnue de l'équation. Le Gouvernement ainsi que les administrations centrales ont très tôt porté une grande attention à la Seine-Saint-Denis qui a été un département particulièrement aidé par les ministères, notamment sur le plan alimentaire.
J'ai envoyé une note d'alerte à Paris qui, par je ne sais comment, s'est retrouvée dans Le Canard enchaîné, mais peu importe : avant même la parution du Canard enchaîné, la réponse des ministères était parvenue. Nous avons distribué plusieurs millions de tickets alimentaires pour subvenir aux besoins de personnes en état de grande précarité. Il s'agissait de nouveaux bénéficiaires : les intermittents du spectacle, les chauffeurs de VTC, les intérimaires qui ont enregistré une baisse rapide et brutale de leur revenu. D'où la crise sociale qui s'est conjuguée à la crise sanitaire et qui a reçu très rapidement une réponse du Gouvernement.
Je reviens au paradoxe et à l'inconnue de l'équation. On a longuement débattu des transports publics au cours de nos échanges. La RATP et la SNCF ont considéré que les habitants de la Seine-Saint-Denis étaient largement au travail. Les transports publics étant le recours naturel de ces habitants, la RATP et la SNCF, à ma demande et à celle de Mme Mialot, ont produit un réel effort afin que les cadencements soient plus rapprochés, notamment sur la ligne 13.
Je ne suis ni médecin ni directeur général de l'ARS. Dans certains départements, le niveau d'éducation thérapeutique et d'éducation à la santé est très élevé. Peut-être un problème d'éducation sanitaire se pose-t-il en Seine-Saint-Denis, lié à la précarité, à la difficulté sociale ou à l'endurance personnelle. Même si je considère que l'ARS a produit un travail exceptionnel, l'hospitalisation tardive est peut-être l'une des causes de la surmortalité. En tout cas, c'est une hypothèse que je me permets d'avancer avec beaucoup d'humilité.
Je prends maintenant une distance réelle par rapport au concept de désert médical, bien que vous ayez incontestablement raison sur le défaut de spécialistes. J'ai été préfet dans plusieurs départements. J'y ai constaté la présence de déserts médicaux, mais aussi des zones de surdensité côtoyant des zones de sous-densité. Le président Ciotti pourra corroborer la présence dans certaines vallées des Alpes maritimes de déserts médicaux qui coexistent avec une surdensité médicale sur le linéaire côtier.
Les centres municipaux de soins de Seine-Saint-Denis, de la Courneuve, de Clichy-sous-Bois, de Montfermeil ont produit un travail exceptionnel grâce à l'accompagnement des municipalités, ajouté à la capacité des hôpitaux publics à aller hors les murs pour développer une offre de soins. Les équipes mobiles que Mme Mialot et le directeur général de l'ARS ont envoyées dans les foyers de travailleurs migrants étaient souvent des binômes issus des associations et des hôpitaux publics.
Le propos selon lequel il y aurait un désert médical d'offres ambulatoires publiques en Seine-Saint-Denis me semble devoir être nuancé puisque les centres municipaux de soins ont très vite réorienté l'activité vers la médecine ambulatoire de premier recours pour éviter le surencombrement de l'hôpital. C'est une mutation typiquement dionysienne. Nos hôpitaux publics sont allés hors les murs, au-devant des populations, et les centres municipaux de soins se sont convertis en centres covid. L'offre n'était pas hospitalo-centrée. S'il existe un désert médical, il touche plutôt des spécialités telles que la cardiologie libérale, l'ophtalmologie ou la gynécologie. Mais sur le plan de la médecine générale, l'effort considérable produit par l'ARS et les municipalités et la circulation de l'information ont permis d'apporter un premier recours qui n'a certes pas compensé entièrement la culture sanitaire qui pousse les personnes en détresse à se rendre immédiatement à l'hôpital. Des prises en charge ont sans doute été un peu tardives, mais elles ne sont pas liées – je risque cette nuance avec votre propos – à un défaut de l'offre médicale de premier recours car celle-ci a été profondément réorientée.
Le rapport Cornut-Gentille ne traite pas de la santé, mais, vous le savez, j'ai remis un rapport à M. Édouard Philippe. À la suite des arbitrages rendus par le Premier ministre, les réponses du Gouvernement aux questions très pertinentes sur la santé, posées par les parlementaires, ont été à la hauteur des enjeux de ce département qualifié hors normes.
Ma question s'adresse plus spécifiquement à Mme la préfète. Le public de la Seine-Saint-Denis est extrêmement fragile. Vous avez souligné que 12 000 personnes sont mises régulièrement à l'abri. Le département concentre quasiment 10 % des crédits dédiés par l'État à l'hébergement d'urgence à l'échelon national. Vous avez souligné la réaction assez rapide de l'État, évoqué les chèques alimentaires. On pourrait également parler du prolongement de la trêve hivernale qui a permis d'aider ces populations. J'aimerais obtenir quelques précisions sur le type de réponses prévues.
Confrontés à l'urgence, nous avons réquisitionné des hôtels et des gymnases. Ma question porte sur le jour suivant car cet épisode a été très compliqué. Utiliser de bonnes pratiques pour affronter les crises susceptibles de survenir à l'avenir serait pertinent. Selon moi, l'ouverture d'un gymnase n'est pas une solution efficace dans le cadre d'une crise sanitaire dans la mesure où un tel lieu n'offre pas les barrières suffisantes à la non-propagation du virus. Ensuite, cela mobilise du personnel en nombre, notamment celui des associations. Des gymnases ont accueilli vingt-cinq personnes requérant dix-huit encadrants : on ne peut pas affirmer que c'est une mesure efficace. Il est important que nous ayons une vision sur le jour suivant pour ces personnes à la rue : comment affronter les futures crises, en réquisitionnant des hébergements, peut-être plus pertinents et moins coûteux ? Je rappelle que les places d'hôtel coûtent très cher à l'État et surtout n'apportent pas des réponses suffisantes sur le plan de l'accompagnement social qui, au cœur de la problématique des sans-abri, permet aux personnes de sortir de l'impasse.
Je reviens sur la gestion et le pilotage de la crise. La Seine-Saint-Denis a connu une double peine, la crise économique venant s'ajouter à la crise sanitaire. Monsieur le préfet, votre parcours personnel et votre implication dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST), que j'ai votée, conjuguée à la personnalité du directeur général de l'ARS Île-de-France, ont permis que la gestion de la crise se passe plutôt bien, voire très bien, selon votre propos.
Cela étant, d'autres témoignages n'ont pas été aussi idylliques. Je pense à ceux du président de la fédération hospitalière de France, du président de l'ordre des médecins ou de plusieurs anciens directeurs généraux de la santé. Selon eux, le préfet devait être aux manettes. D'ailleurs, des directeurs généraux de l'agence régionale de santé ont été démis de leurs fonctions en cours de crise.
Je reviens donc sur le caractère bicéphale ministère de l'intérieur/ministère de la santé et sur le couple ARS-Préfet. Le pouvoir ne se partage pas. Le caractère interministériel, la connaissance des élus, le pouvoir de réquisition relèvent du préfet. Ne faudrait-il pas affirmer plus clairement la primauté de son rôle ? Piloter une crise diffère foncièrement de la gestion de l'offre de soins ou de la distribution de crédits. Ne conviendrait-il pas de rapprocher l'ARS du terrain et d'introduire un échelon décisionnel plus affirmé au niveau des départements ?
Je ne crois pas avoir décrit une situation idyllique. Pour la population de la Seine-Saint-Denis, pour les élus et pour les fonctionnaires, elle a été une épreuve. Nous l'avons surmontée collectivement, car nous avons été puissamment aidés par les services centraux et par le Gouvernement.
Vous dites la nécessité que le préfet soit aux manettes. J'avais l'impression de l'être en raison de ma connaissance de l'offre de soins et la qualité de la relation avec l'ARS, y compris avec le ou les délégués territoriaux. J'ai eu le privilège d'être interrogé par l'ARS sur le lieu où implanter tel ou tel centre covid. Mme Anne-Claire Mialot a joué un rôle déterminant dans l'emplacement des barnums de dépistage. Lorsqu'il a conçu ce dispositif, le directeur général de l'ARS a demandé au préfet de la Seine-Saint-Denis, en l'occurrence à la préfète déléguée, où il fallait les placer.
Le premier centre de dépistage hors les murs a été installé à Clichy-sous-Bois, ensuite à Saint-Denis, à la Courneuve, à Sevran et à Aulnay-sous-Bois. Le projet a été conçu par l'ARS pour la Seine-Saint-Denis. Le préfet et la préfète déléguée ont livré leurs réponses selon leur point de vue, car la relation de proximité c'est le préfet, même si de nombreux maires entretiennent des relations avec le DG de l'ARS et le connaissent bien – c'est là une autre particularité de la Seine-Saint-Denis. Pour être issu d'une famille de chirurgiens hospitaliers et pour avoir un temps œuvré avenue de Ségur, je connais bien le monde de la santé. Au vu des contingences, peut-être ces relations ont-elles été utiles, mais je crois que c'est, bien au-delà, une relation personnelle qui a permis de répondre à la question.
La prolongation de la trêve nous a conduits à laisser ouvertes les places réquisitionnées dans le cadre de la mise à l'abri hivernale – chaque année, l'État réquisitionne ou conventionne avec les communes un certain nombre de places. Nous avons donc laissé ouvertes 800 places hivernales qui s'ajoutent aux 2 539 places spécifiquement ouvertes dans le cadre de la crise du covid.
Les gymnases restent une solution transitoire lorsque nous procédons à des évacuations ou à d'importantes opérations, par exemple, de mise à l'abri de campements. Dans le cadre d'une opération unique portant sur la mise en sécurité de 700 personnes, il est extrêmement difficile de trouver des solutions pérennes et susceptibles d'intervenir rapidement. C'est la raison pour laquelle nous passons toujours par une phase de sécurisation dans des gymnases avant de réorienter les personnes soit sur l'ensemble du territoire national, notamment quand il s'agit de primo-arrivants, soit en hôtels pendant la crise.
Pendant la crise, nous avons mis à l'abri le campement d'Aubervilliers qui comptait 700 personnes. La région Île-de-France a également exprimé sa solidarité. Nous avons ensuite transféré les personnes dans des hôtels, considérant que le confinement et le respect des règles sanitaires étaient plus simples à suivre dans des chambres d'hôtels que dans des gymnases.
Nous avons « gréé » les hôtels que nous avons réquisitionnés avec des associations présentes sur le site. Compte tenu de la précarité de la population et des difficultés qu'elle pouvait rencontrer, nous avons organisé la distribution de repas et la présence des associations dans les hôtels, y compris dans les hôtels réquisitionnés, les hôteliers ne mettant à disposition que l'hôtel en tant que tel et les fonctions de sécurité et de nettoyage. Les associations ont continué à être présentes, les mêmes qui ont été fortement mobilisées pendant la crise sanitaire. Nous avons travaillé avec de très nombreuses associations, que ce soit sur la prévention sanitaire, les maraudes sanitaires, mais aussi pour gréer l'ensemble des centres d'hébergement d'urgence ou organiser la distribution alimentaire.
5 500 000 chèques alimentaires ont été distribués au cours de la crise sanitaire. La distribution s'est poursuivie pendant l'été, pour un total de 8,4 millions d'euros de chèques distribués via les mairies, les CCAS et grâce à la mobilisation des associations.
Le gymnase est donc toujours une solution temporaire et nous faisons en sorte de ne jamais laisser des personnes hébergées de manière pérenne dans les gymnases. Compte tenu de l'évolution rapide de la crise sanitaire, de la nécessité de trouver des dispositifs de mise à l'abri, de la situation des hôtels qui étaient vides et qui sont des lieux équipés pour accueillir des personnes, la solution consistant à les réquisitionner était la plus rapide et la plus efficace pour répondre à l'urgence sociale que nous avons constatée.
Monsieur le préfet, je voudrais vous interroger sur la période pendant laquelle vous étiez directeur de cabinet de la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, et, vous avez eu à gérer la crise sanitaire de la grippe H1-N1. Quel est votre regard sur la gestion de cette crise ? Vous avez-vous même été mis en cause par la Cour des comptes sur l'achat de vaccins. Rétroactivement, cette mise en cause ne manque pas de mettre en lumière l'absence de clairvoyance de la Cour – à l'époque et dans ce cas précis, je ne veux pas généraliser.
Je souhaiterais donc connaître votre analyse de la gestion d'une crise de cette ampleur. De façon plus précise, pouvez-vous nous indiquer comment, en tant que directeur de cabinet du ministre de la santé, vous évaluiez les stocks stratégiques de l'État, au travers de l'EPRUS ? Aviez-vous régulièrement connaissance des stocks ? En informiez-vous la ministre ? Vous paraît-il possible qu'un ministre et qu'aucun membre de son cabinet ne soit informé de l'état et de l'évolution des stocks stratégiques ?
Je vous remercie de cette question qui me ramène quelques décennies en arrière. Je ne m'étendrai pas sur la mise en cause et l'audition par la police judiciaire qui s'est ensuivie, car ce fut une épreuve personnelle. J'observe que l'affaire a été classée sans suite très rapidement après un travail remarquable de la police judiciaire.
La constitution des stocks stratégiques de masques et de vaccins a été décidée après l'épisode sanitaire difficile de la crise du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), qui a donné lieu à un rapport parlementaire. Alors directeur de cabinet de la ministre de la santé, il me semble avoir lu le rapport de M. Jean-Pierre Door et d'un autre parlementaire d'un autre bord politique. Les différents gouvernements ont suivi les recommandations issues de ce rapport.
Le stock stratégique était constitué des deux catégories de masques, chirurgicaux et FFP2. Il m'en était fait scrupuleusement rapport et j'en informais tout aussi scrupuleusement mon ministre. La plupart des stocks stratégiques avaient été constitués par le précédent gouvernement ; nous les avons perpétués et régénérés en permanence.
Les décisions stratégiques qui ont été prises par le gouvernement de l'époque et parfois personnellement par le Président de la République concernaient les vaccins. J'ai procédé à leur acquisition au nom de l'État et en donnant des instructions à l'EPRUS. Pour répondre précisément à votre question, j'étais, en qualité de directeur de cabinet, tenu informé à la fois par le directeur général de la santé et par le directeur général de l'EPRUS de l'état stratégique des stocks qui était concentré entre les mains de l'établissement, sachant qu'une partie des stocks était déconcentrée dans les hôpitaux publics. Je ne portais pas de regard sur ces stocks, j'étais intéressé par les stocks stratégiques intermédiaires.
Quant à l'épisode des vaccins, il est particulièrement douloureux d'être mis en cause alors que l'on pense faire correctement son humble travail. Cela dit, je n'ai jamais fait allusion publiquement à cet épisode. Il a été rendu public pendant le confinement de cette année. L'enquête a été rapidement classée sans suite par le parquet.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 14 h 30
Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Jean-Pierre Door, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Monique Iborra, Mme Sereine Mauborgne, M. Jean-Pierre Pont, M. Boris Vallaud
Assistaient également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin, Mme Virginie Duby-Muller, M. Stéphane Peu