Il faut distinguer deux situations assez différentes. Les CLCC se consacrent exclusivement à la prise en charge des patients atteints de cancer, et leur position est différente de celle des CHU ou des hôpitaux privés. Les patients savent pourquoi ils sont hospitalisés et connaissent l'importance du calendrier : seule une petite minorité d'entre eux a repoussé la date du rendez-vous alors que le diagnostic était posé. Nous avons su les faire revenir par des stratégies de communication directe et, comme vous le souligniez, en organisant des téléconsultations. Un chiffre parle de lui-même : dans les huit semaines précédant le confinement, l'établissement dans lequel j'exerce avait effectué 24 téléconsultations ; dans les huit semaines qui ont suivi, nous en enregistrions plus de 5 000.
En revanche, nous n'avons pas su prendre en charge les patients que nous ne connaissions pas encore, ceux qui étaient chez eux, sentaient une boule mais attendaient la fin du confinement ou un rendez-vous, dans les conditions de sécurité qu'ils estimaient optimales, chez leur médecin traitant.
Nous avons tenté de mesurer ce phénomène, ce qui n'est pas si aisé, en opérant des comparaisons avec les années précédentes, sur la même période. Après l'avoir fait sur quasiment la moitié des CLCC, nous observons une situation assez disparate selon les centres. La diminution du nombre de nouveaux diagnostics varie de 9 % à 50 %, sans qu'il y ait de lien avec l'incidence du covid-19 sur le territoire. Nous avons aussi relevé une grande disparité selon les pathologies au sein même d'un établissement, sans pouvoir nous prononcer sur le caractère systémique de ce phénomène. Nous avons calculé que le nombre de nouveaux diagnostics posés durant cette période était en moyenne inférieur de 20 % à 25 %.
Il faut donc rattraper ce retard. Les centres s'y sont employés durant tout l'été, alors que l'activité diminue généralement en juillet et en août. Cela contribue d'ailleurs à la fatigue du personnel, alors même que la seconde vague commence à poindre.
Je ne dispose pas d'éléments chiffrés permettant de dire si nous avons rattrapé le retard. Ce travail ne peut se limiter à une seule fédération, même si elle prend en charge plusieurs centaines de milliers de patients chaque année. Il conviendrait de travailler à l'échelle nationale et, surtout, le faire de manière intégrée.
La mesure de l'impact sur la survie sera sans doute très difficile à mettre en évidence avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Pour une jeune patiente, pour laquelle le diagnostic d'une maladie de Hodgkin a été posé avec trois mois de retard, et qui est passée du stade 2 au stade 4, le pronostic vital sera moins bon, mais dans cinq ou dix ans. C'est sur le long terme que nous pourrons mesurer ces effets.