J'ai exprimé à la fin du mois de juillet le souhait d'être auditionné par votre mission d'information, parce que certains propos tenus sur ce que vous appelez la doctrine de 2013 appelaient de ma part un témoignage direct. Je me suis abstenu de prendre la parole devant la presse dans l'attente de cette audition.
Nommé en juillet 2004 à la tête du secrétariat général de la défense nationale, je suis resté dans ces fonctions jusqu'à la création du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, en 2009. J'ai été nommé secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale et j'ai quitté mes fonctions en 2014. Je les aurai donc exercées, au total, durant dix ans.
Si j'ai eu à traiter de nombreux sujets directement liés aux questions de défense, ce qui est normal pour un service du Premier ministre chargé d'assister celui-ci dans la coordination interministérielle de l'action de l'État en matière de défense, j'ai aussi été confronté à trois thématiques particulières : le terrorisme, la sécurité des systèmes d'information – ce qui a abouti à la création de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) – et le risque pandémique.
Alors que l'on sortait de l'épidémie de SARS, est apparu en 2003, en Asie, un nouveau virus de la grippe aviaire, le H5N1, hautement pathogène et transmissible à l'homme. Les évaluations de l'époque envisageaient jusqu'à 20 millions de malades en France, 500 000 personnes hospitalisées et 210 000 décès. Ce scénario ne s'est heureusement pas réalisé, mais la prise de conscience du risque pandémique et de ses conséquences potentiellement dévastatrices pour le pays s'est alors faite au sommet de l'État. J'ai, pour ma part, compris à ce moment que le risque pandémique pouvait constituer une menace stratégique, capable de déstabiliser notre pays. J'ai par conséquent veillé à ce qu'il soit reconnu comme tel dans le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et intégré dans notre stratégie de protection. Dans ce document, le risque sanitaire est identifié, pour la première fois, page 55, comme un facteur de déstabilisation massive pour la population et les pouvoirs publics. Au surplus, le concept de sécurité nationale énoncé dans ce livre blanc était destiné à mettre en évidence qu'en plus des menaces traditionnelles liées à des agressions militaires, il convenait désormais de prendre en considération d'autres menaces, non militaires, telles que le terrorisme et la pandémie.
Cette évolution doctrinale conduira logiquement, en 2009, à transformer le secrétariat général de la défense nationale (SGDN) en secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Elle conduira aussi à modifier, par la loi de programmation militaire (LPM) de 2009, inspirée par le livre blanc de 2008, l'ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense.
L'article L. 1142-8 du code de la défense, issu de la LPM de 2009, attribue désormais un rôle particulier au ministre de la santé, dont il définit ainsi les missions : « Le ministre chargé de la santé est responsable de l'organisation et de la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la connaissance des menaces sanitaires graves, à leur prévention, à la protection de la population contre ces dernières, ainsi qu'à la prise en charge des victimes. Il contribue à la planification interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale en ce qui concerne son volet sanitaire. »
Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 continuera à identifier le risque sanitaire comme de nature à désorganiser nos sociétés, ce qui figure à la page 46.
Le Premier ministre avait demandé au SGDN, en février 2004, quelques mois avant mon arrivée, d'établir un plan gouvernemental de prévention et de lutte contre une pandémie grippale. Pourquoi avoir impliqué le SGDN dans cette préparation ? Parce que les questions à traiter n'étaient pas seulement d'ordre sanitaire ; elles avaient aussi trait au fonctionnement de diverses activités d'importance vitale, à l'ordre public et à la continuité de la vie économique et sociale – l'actualité illustre malheureusement le caractère protéiforme et l'ampleur exceptionnelle des conséquences d'une pandémie : la crise qui nous frappe est la plus grave que le monde ait connue depuis la seconde guerre mondiale. Dans ces conditions, l'approche devait nécessairement être interministérielle. C'est en raison de ses compétences en matière de planification de la réponse interministérielle à des situations de crise que le SGDN, administration placée sous l'autorité du Premier ministre, a été sollicité par celui-ci.
Le SGDN n'a évidemment pas travaillé seul. Le ministère de la santé a joué un rôle central ; beaucoup d'autres ministères, notamment celui de l'intérieur et Bercy, ont été sollicités. Le SGDN s'est attaché à faciliter la synthèse des contributions fournies par les ministères, chacun dans son domaine de compétences, et à assurer la cohérence des mesures proposées par rapport à une stratégie générale.
À partir du mois d'août 2005, nous avons travaillé avec le professeur Didier Houssin, directeur général de la santé, qui venait d'être nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA). Le décret du 30 août 2005 créant le poste de délégué interministériel placé auprès du Premier ministre le chargeait notamment de coordonner l'action de l'État contre un risque de pandémie de grippe d'origine aviaire et de suivre la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre du plan de lutte contre ce risque. Je garde un excellent souvenir de ma collaboration avec Didier Houssin, du fait non seulement des qualités remarquables de cet homme, que je tiens à saluer, mais aussi de la pertinence de la création de la petite structure qu'il animait avec brio. Le rattachement au Premier ministre lui conférait l'autorité nécessaire envers les différentes administrations concernées. Sa double fonction de directeur général de la santé et de DILGA lui assurait une légitimité dans le domaine médical et lui donnait une capacité d'action directe au sein du ministère de la santé. Le SGDN l'épaulait en lui apportant son expérience du travail interministériel.
Le premier plan de lutte contre la pandémie grippale date d'octobre 2004. Il était classifié, comme tous les plans jusqu'alors préparés par le SGDN. Ce ne sera plus le cas des versions qui suivront, car nous avons rapidement compris que, pour être réellement utile, un tel plan devait être accessible au public. Le plan a été révisé à cinq reprises. Il a donc beaucoup évolué, notamment au fil d'exercices qui ont permis de tester ses différentes versions, ainsi qu'à la lumière du retour d'expérience de la crise H1N1 de 2009. Sa dernière version, datant de 2011, est toujours en vigueur.
De 2005 à 2009, le plan a été testé lors de quatre exercices organisés par le SGDN, soit presque un par an : 2005, 2006, 2008, 2009. Le plan de 2011 a fait l'objet d'un cinquième exercice, en 2013. De tels exercices demandent des mois de préparation. Ils sont cependant indispensables pour familiariser avec le plan ceux qui auront à gérer la crise, pour leur permettre d'acquérir les bons réflexes et d'éviter des erreurs qui peuvent aisément être commises sous la pression des événements, alors qu'il faut souvent réagir vite, dans une incertitude sur les faits qui peut être grande. Ils aident aussi à entretenir une culture de la prévention au sein de l'État, au niveau central comme au niveau territorial, et, s'agissant de la prévention d'une pandémie grippale, plus largement dans la société civile. Le SGDSN conduit deux ou trois exercices dits majeurs par an sur des thématiques correspondant à l'état des menaces.
Une forte priorité a donc été donnée dans les années 2000 à la préparation au risque de pandémie grippale. Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot, lorsqu'ils étaient ministre de la santé, ainsi que plusieurs parlementaires et des élus locaux, ont participé personnellement aux exercices dits majeurs que j'organisais en tant que SGDN. Didier Houssin vous a d'ailleurs dit, lors de son audition, que c'est à la suite d'un exercice de ce type auquel il avait participé avec Xavier Bertrand, que le ministre de la santé et lui-même ont été convaincus de la nécessité de se préparer activement et de façon interministérielle. J'ai eu durant cette période des contacts fréquents avec Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot.
En accompagnement du plan de lutte contre la pandémie grippale, le SGDN a défini la méthode d'élaboration des plans de continuité d'activité des administrations et des entreprises, destinés à être mis en œuvre en cas de crise majeure pouvant affecter leur fonctionnement normal. Ces plans de continuité ont été mis en œuvre lors de la crise du covid‑19.
Tel est donc le contexte dans lequel le SGDN puis le SGDSN sont intervenus, dès 2004, de manière déterminée, pour aider l'État et le pays à se préparer à la survenance d'une pandémie grippale.