France assos santé est un collectif regroupant quatre-vingt-cinq associations de santé et doté d'une délégation par région, soit dix-sept délégations chargées de représenter les usagers de la santé auprès des institutions publiques, comme le prévoit la loi de 2002, et de faire des propositions.
Avant d'en venir au fond et à la gestion de l'épidémie, j'exprimerai notre perplexité face au manque de concertation avec les acteurs de la démocratie sanitaire, en particulier au début de l'épidémie, à l'exception de l'assurance maladie avec laquelle notre concertation a été permanente. Nous sommes perplexes aussi devant les effets négatifs d'une communication qui navigue depuis plusieurs mois entre des messages contradictoires, un manque d'arbitrage et qui donne un grand retentissement à l'expression individuelle de spécialistes médicaux tous azimuts dans les médias. De quoi semer le doute, l'inquiétude et encourager les conduites imprudentes de nos concitoyens vis-à-vis des risques de contamination, pour eux comme pour les autres.
Sur le fond, nous souhaitons exposer cinq points d'attention et de tension.
Le premier concerne les personnes cibles de la maladie que sont les personnes âgées. Le cadre sanitaire fixé lors de la première flambée épidémique, à savoir ne pas hospitaliser en établissement de santé les personnes contaminées vivant en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), nous conduit à un double constat.
D'une part, les lits en EHPAD ont été considérés comme des lits d'hospitalisation pour traiter des patients covid sur place y compris des formes compliquées de la maladie. Très insuffisamment médicalisées, tant en personnels qu'en équipements, ces structures ont dû prendre en charge des soins médicaux lourds. La complication majeure d'une infection à coronavirus SARS-CoV-2 est une pneumonie sévère nécessitant une mise sous oxygène à haut débit, et pas toujours un respirateur – sur ce sujet, dans les hôpitaux, on est revenu en arrière. À défaut de pouvoir guérir des cas sévères du fait de comorbidités chez des personnes très âgées, cet élément est indispensable pour éviter une fin de vie douloureuse. Si vous ne deviez retenir qu'une mesure urgente relevant de votre responsabilité de parlementaires, ce serait l'amélioration des moyens de prise en charge soignante en EHPAD, notamment en n'oubliant pas les besoins d'oxygénothérapie. Dans ce contexte, nous avions lancé un appel à mobilisation générale au sujet de l'oxygène, parce que nous pensions que la demande serait forte, non seulement en EHPAD, mais aussi pour les patients les plus âgés atteints de comorbidités et laissés chez eux, sans accès aux soins hospitaliers, parce que le système était submergé.
D'autre part, les personnes âgées en EHPAD ont été coupées de leurs proches, condamnées pendant des semaines à une solitude affective dévastatrice. Nos résidents en EHPAD ont besoin d'un plan de maintien du lien familial et social, comme on a su le faire pour le plan canicule. Un plan vient d'être publié, le 1er octobre. Nous serons très attentifs à sa bonne application, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Deuxièmement, comment l'épidémie de covid-19 a-t-elle été prise en charge dans les pays qui ont su faire un peu mieux que nous, en matière de morbidité et de mortalité mais aussi en matière économique ? Dans certains pays, les applications, en complément du dispositif de tests et de traçage, ont permis un isolement efficace des cas positifs et des cas contacts. Cette efficacité est remise en cause en France. Le docteur Thierry, ici présent, qui a réalisé pour nous une veille internationale, pourra en parler. On ne saurait se contenter de faire valoir une différence de culture pour écarter certaines mesures. Les Français, qui ont tous envie de s'en sortir, les jeunes comme les plus âgés, sont tout à fait capables de comprendre et d'intégrer les mesures si on les leur explique. Certes, il faut de la pédagogie.
Troisièmement, nous sommes confrontés à un rebond inquiétant. Or sans base scientifique, le décret du 29 août 2020 renvoie au travail des personnes vulnérables du fait de leur pathologie. Jusque-là, elles étaient protégées par le décret du 5 mai 2020, qui a été abrogé. En particulier, il est permis aux employeurs de refuser le télétravail, même si le poste s'y prête. France assos santé avait proposé de retenir la liste des pathologies à très haut risque dressée par le National health service (NHS) britannique, puisque le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) français ne s'était pas prononcé. Ce décret suscite beaucoup de protestations. Nous soulignons aussi l'incohérence de certaines mesures, puisque les recommandations du Haut Conseil de la santé publique sur les transports en commun ne peuvent être suivies, la distanciation ne pouvant y être respectée. Aucune autre solution n'est offerte aux personnes vulnérables qui se rendent au travail.
Le quatrième sujet est la déprogrammation des interventions. Certains patients ont renoncé à des soins dans une certaine opacité, non seulement pendant le confinement, mais aussi à sa sortie. Ils ont reçu pour seul mot d'ordre : restez chez vous ! Certaines déprogrammations ne sont pas récupérables. Des parcours de soins de malades chroniques ont été suspendus. Nous attendons que chaque établissement de santé soit tenu de communiquer clairement sur la déprogrammation après avoir informé les représentants des usagers de son établissement. Quelles disciplines ? Quels actes ? Pourquoi ? Quelles solutions de rechange ? À propos des déprogrammations, la complémentarité des établissements publics et privés, qui a souffert d'un certain flottement en phase 1, trouve ici aussi toute sa place. Puisqu'on s'attend à une pandémie pendant de longs mois, avec des hauts et des bas, il est indispensable d'organiser une communication vers le grand public sur les déprogrammations, voire un suivi à distance des patients et un rappel individualisé.
Cinquièmement, nous avons besoin de données de qualité et fiables pour connaître, comprendre, anticiper et organiser au mieux la lutte dans tous les territoires. Par exemple, le système d'information CépiDC, outil de transmission en temps réel des certificats électroniques des causes de décès, est quasiment au point mort, depuis des années. Seulement 20 % des décès sont renseignés dans cette base, tous les autres l'étant sur support papier. Nous aurons vraisemblablement les données sur les véritables causes de décès en ville avec un recul de deux ans. À l'hôpital, le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) permet d'accéder aux diagnostics et à la cause des décès. De même, nous ne connaissons toujours pas le nombre de personnes isolées à la suite du covid ou contacts covid. Les délégations de territoire ont besoin de données pour mieux piloter leurs actions et essayer de faire mieux.