Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information
Il était essentiel que nous puissions recueillir le regard des usagers du système de santé sur la prise en charge par le système de soins, la question de la continuité des soins et le fonctionnement de la démocratie sanitaire pendant l'épidémie que nous traversons.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « je le jure ».
(Mme Claude Rambaud et M. Jean-Pierre Thierry prêtent serment.)
France assos santé est un collectif regroupant quatre-vingt-cinq associations de santé et doté d'une délégation par région, soit dix-sept délégations chargées de représenter les usagers de la santé auprès des institutions publiques, comme le prévoit la loi de 2002, et de faire des propositions.
Avant d'en venir au fond et à la gestion de l'épidémie, j'exprimerai notre perplexité face au manque de concertation avec les acteurs de la démocratie sanitaire, en particulier au début de l'épidémie, à l'exception de l'assurance maladie avec laquelle notre concertation a été permanente. Nous sommes perplexes aussi devant les effets négatifs d'une communication qui navigue depuis plusieurs mois entre des messages contradictoires, un manque d'arbitrage et qui donne un grand retentissement à l'expression individuelle de spécialistes médicaux tous azimuts dans les médias. De quoi semer le doute, l'inquiétude et encourager les conduites imprudentes de nos concitoyens vis-à-vis des risques de contamination, pour eux comme pour les autres.
Sur le fond, nous souhaitons exposer cinq points d'attention et de tension.
Le premier concerne les personnes cibles de la maladie que sont les personnes âgées. Le cadre sanitaire fixé lors de la première flambée épidémique, à savoir ne pas hospitaliser en établissement de santé les personnes contaminées vivant en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), nous conduit à un double constat.
D'une part, les lits en EHPAD ont été considérés comme des lits d'hospitalisation pour traiter des patients covid sur place y compris des formes compliquées de la maladie. Très insuffisamment médicalisées, tant en personnels qu'en équipements, ces structures ont dû prendre en charge des soins médicaux lourds. La complication majeure d'une infection à coronavirus SARS-CoV-2 est une pneumonie sévère nécessitant une mise sous oxygène à haut débit, et pas toujours un respirateur – sur ce sujet, dans les hôpitaux, on est revenu en arrière. À défaut de pouvoir guérir des cas sévères du fait de comorbidités chez des personnes très âgées, cet élément est indispensable pour éviter une fin de vie douloureuse. Si vous ne deviez retenir qu'une mesure urgente relevant de votre responsabilité de parlementaires, ce serait l'amélioration des moyens de prise en charge soignante en EHPAD, notamment en n'oubliant pas les besoins d'oxygénothérapie. Dans ce contexte, nous avions lancé un appel à mobilisation générale au sujet de l'oxygène, parce que nous pensions que la demande serait forte, non seulement en EHPAD, mais aussi pour les patients les plus âgés atteints de comorbidités et laissés chez eux, sans accès aux soins hospitaliers, parce que le système était submergé.
D'autre part, les personnes âgées en EHPAD ont été coupées de leurs proches, condamnées pendant des semaines à une solitude affective dévastatrice. Nos résidents en EHPAD ont besoin d'un plan de maintien du lien familial et social, comme on a su le faire pour le plan canicule. Un plan vient d'être publié, le 1er octobre. Nous serons très attentifs à sa bonne application, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Deuxièmement, comment l'épidémie de covid-19 a-t-elle été prise en charge dans les pays qui ont su faire un peu mieux que nous, en matière de morbidité et de mortalité mais aussi en matière économique ? Dans certains pays, les applications, en complément du dispositif de tests et de traçage, ont permis un isolement efficace des cas positifs et des cas contacts. Cette efficacité est remise en cause en France. Le docteur Thierry, ici présent, qui a réalisé pour nous une veille internationale, pourra en parler. On ne saurait se contenter de faire valoir une différence de culture pour écarter certaines mesures. Les Français, qui ont tous envie de s'en sortir, les jeunes comme les plus âgés, sont tout à fait capables de comprendre et d'intégrer les mesures si on les leur explique. Certes, il faut de la pédagogie.
Troisièmement, nous sommes confrontés à un rebond inquiétant. Or sans base scientifique, le décret du 29 août 2020 renvoie au travail des personnes vulnérables du fait de leur pathologie. Jusque-là, elles étaient protégées par le décret du 5 mai 2020, qui a été abrogé. En particulier, il est permis aux employeurs de refuser le télétravail, même si le poste s'y prête. France assos santé avait proposé de retenir la liste des pathologies à très haut risque dressée par le National health service (NHS) britannique, puisque le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) français ne s'était pas prononcé. Ce décret suscite beaucoup de protestations. Nous soulignons aussi l'incohérence de certaines mesures, puisque les recommandations du Haut Conseil de la santé publique sur les transports en commun ne peuvent être suivies, la distanciation ne pouvant y être respectée. Aucune autre solution n'est offerte aux personnes vulnérables qui se rendent au travail.
Le quatrième sujet est la déprogrammation des interventions. Certains patients ont renoncé à des soins dans une certaine opacité, non seulement pendant le confinement, mais aussi à sa sortie. Ils ont reçu pour seul mot d'ordre : restez chez vous ! Certaines déprogrammations ne sont pas récupérables. Des parcours de soins de malades chroniques ont été suspendus. Nous attendons que chaque établissement de santé soit tenu de communiquer clairement sur la déprogrammation après avoir informé les représentants des usagers de son établissement. Quelles disciplines ? Quels actes ? Pourquoi ? Quelles solutions de rechange ? À propos des déprogrammations, la complémentarité des établissements publics et privés, qui a souffert d'un certain flottement en phase 1, trouve ici aussi toute sa place. Puisqu'on s'attend à une pandémie pendant de longs mois, avec des hauts et des bas, il est indispensable d'organiser une communication vers le grand public sur les déprogrammations, voire un suivi à distance des patients et un rappel individualisé.
Cinquièmement, nous avons besoin de données de qualité et fiables pour connaître, comprendre, anticiper et organiser au mieux la lutte dans tous les territoires. Par exemple, le système d'information CépiDC, outil de transmission en temps réel des certificats électroniques des causes de décès, est quasiment au point mort, depuis des années. Seulement 20 % des décès sont renseignés dans cette base, tous les autres l'étant sur support papier. Nous aurons vraisemblablement les données sur les véritables causes de décès en ville avec un recul de deux ans. À l'hôpital, le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) permet d'accéder aux diagnostics et à la cause des décès. De même, nous ne connaissons toujours pas le nombre de personnes isolées à la suite du covid ou contacts covid. Les délégations de territoire ont besoin de données pour mieux piloter leurs actions et essayer de faire mieux.
Nous avons constaté que la connaissance fluctuante de la maladie avait imposé d'adapter les décisions. Quelles ont été vos actions d'information, voire de lobbying, en direction des patients pour les ramener vers l'hôpital et les lieux de soins ? Quel regard portez-vous sur l'appel de Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), à ne pas annuler les opérations programmées ? Des patients ne souhaitaient plus se faire soigner par peur de la contamination, alors même que les professionnels que nous avons entendus ont indiqué l'existence de deux lignes de prises en charge, ce que j'ai moi-même constaté comme régulateur au SAMU. Des représentants de l'association Unicancer nous ont indiqué que la majeure partie des prises en charge cancérologiques urgentes avait été assurée et que la principale difficulté résidait dans le retard de diagnostic, donc de prise en charge des patients, non par les pôles de cancérologie mais en amont, par la médecine de ville, parce qu'ils ne s'étaient plus rendus en consultation.
Quelles conditions sont instaurées dans les autres pays pour le retour au travail et dans les transports en commun ?
France assos santé a publié vingt-trois communiqués, disponibles sur notre site, le premier, le 26 février et le dernier fin septembre. Le premier temps est une alerte. Le 26 février, nous faisions déjà état d'une possibilité de confinement et d'isolement, en recommandant aux personnes vulnérables et aux personnes âgées, majoritairement représentées dans nos quatre-vingt-seize associations, soit vingt-deux à vingt-cinq millions de Français, d'appeler le « 15 » plutôt que de se rendre aux urgences.
Vous recommandiez de ne pas aller aux urgences et d'appeler le « 15 » ou de consulter le médecin traitant ?
Nous avons recommandé un peu plus tard de consulter le médecin traitant et de ne pas renoncer aux soins. Mais à l'arrivée de la vague en France, nous sommes en état de sidération et nous souhaitons éviter au maximum la contamination. À toutes les étapes, nous tenons compte de ce qui se passe à l'international, notamment dans le nord de l'Italie, où la fréquentation des lieux de soins a été un des principaux vecteurs de l'épidémie. Plus tard, nous encourageons le recours à la téléconsultation au moyen d'une fiche pratique lors de la mise en place du dispositif.
Il nous est remonté que, de façon variable d'un établissement à l'autre et d'une région à l'autre mais globalement, des patients sont coupés des soignants et ne reçoivent plus d'informations. Au risque sanitaire en termes d'espérance de vie ou de qualité de vie, s'ajoute l'angoisse générée par cette forme d'abandon.
Vient ensuite la déprogrammation et sa phase actuelle. Dans une lettre adressée au Premier ministre, nous demandons que les associations de patients et les représentants d'usagers soient mis dans la boucle. Si nous pouvions comprendre que cela n'ait pas été fait lors de la première vague, cela peut devenir obligatoire pour une meilleure compréhension des enjeux, dont l'un est le conseil aux patients de ne pas renoncer indéfiniment aux soins et d'utiliser la téléconsultation ou les moyens classiques.
Les doubles circuits n'ont-ils pas, en maints endroits, été mis en place plutôt tardivement ?
Je ne peux parler de ce que j'ai vu dans mon territoire, où ils ont été mis en place immédiatement.
Pour ce qui est des retards de soins en cancérologie, la ligue contre le cancer a été très active. Membre de l'association France assos santé, elle a mis en place un centre de conseil en direction d'un grand nombre de patients. À court terme, c'est sans doute pour la déprogrammation des gestes chirurgicaux, la mise en place des radiothérapies et des chimiothérapies pour des patients métastatiques que les effets sanitaires sont les plus mesurables. Pour le reste, il faudrait disposer rapidement de données objectives. S'agissant du diagnostic et du dépistage, cela risque d'être méthodologiquement bien plus difficile à démontrer.
Mon interrogation portait plutôt sur les moyens de remédier à la désaffection des patients pour les lieux de soin.
Cela passe d'abord par les territoires, notamment par le biais des Agences régionales de santé (ARS). Chaque établissement de santé devrait être tenu de fournir une information claire, ce qui est difficile, car il faut adapter la déprogrammation aux données relatives à l'avancée de l'épidémie.
Les patients ne savaient plus ce qui était programmé et ce qui était déprogrammé. Au début, on leur a dit : restez tous chez vous ! Les centres « 15 » ont bien géré l'orientation des patients, mais par la suite ceux-ci ne savaient pas s'ils pouvaient retourner à l'hôpital. Grâce à la ligne d'appel Santé info droits, qui recueille tout, nous voyons que certains ont peur d'être contaminés en allant dans des lieux de soins et que d'autres ne savent pas s'ils peuvent y retourner et que des interventions ne seront peut-être pas rattrapables.
Chaque établissement devrait au moins faire le point une fois semaine. Il existe de nombreux moyens de communication territoriale. Ceux qui n'ont pas internet pourraient consulter la presse quotidienne régionale pour savoir ce qui est déprogrammé et ce qui ne l'est pas. Des appels pourraient être faits dans le cadre du suivi des patients. Dans certains établissements, pour chaque unité de soins, les patients suivis pour une maladie chronique étaient rappelés pour leur indiquer les rendez-vous suspendus et leur envoyer des ordonnances.
Pour obtenir des remontées, encore faut-il que les gens nous connaissent et nous appellent. Certaines instances, en particulier la Ligue contre le cancer, ont créé des lignes d'appel. L'information ne doit pas attendre que les gens appellent, elle doit leur être préalablement fournie. Chaque établissement doit faire sa propre information. Nul autre n'est mieux en mesure de dire quelles pathologies, quels gestes chirurgicaux et quels actes thérapeutiques sont suivis.
Peut-être même directement le chirurgien. C'est variable d'une personne à l'autre. Les patients pouvaient rappeler, en dernier recours.
Que faire concrètement pour que les gens retournent à l'hôpital, ce qui reste la priorité ?
Qu'en est-il dans les autres pays des personnes vulnérables retournées au travail ?
Vous posez implicitement la question de la coordination et de la continuité des soins. Quelques pays disposent d'un dossier médical partagé entre les professionnels qui offrent une visibilité du circuit de prise en charge du patient. Ils sont mieux placés en cas de crise sanitaire pour communiquer efficacement avec un patient. En France, grâce à son tableau de bord, un chirurgien peut rapidement déclencher des programmations, mais il n'a pas la vision complète du circuit du patient pour les maladies chroniques qu'il peut présenter. C'est prévu dans l'espace numérique de santé et dans la stratégie numérique du Gouvernement, mais cela n'a pas encore été mis en place en France. Notre système d'information ne permet pas de mieux organiser ce que vous appelez le retour aux soins.
Un tel dossier commun a montré son efficacité dans l'État de New York. En Angleterre, on a pu communiquer directement par courriel avec 1,5 million de personnes très vulnérables pour leur demander de rester strictement chez elles, de ne pas aller faire de courses et on leur a fourni des aidants. Ces systèmes nécessitent la mobilisation d'un système d'information consolidé qui existera un jour en France, mais que nous n'avions pas durant la crise.
Après avoir lancé la première alerte le 26 février, nous appelons, le 10 mars, à la prise de mesures courageuses. Au regard de la situation internationale, nous demandons au cabinet du ministre de la santé d'appliquer sans attendre des mesures de confinement. Nous distinguons très vite la situation entre les pays. Les comparaisons sont utiles mais il faut rester modeste et humble. Tous les pays ne se ressemblent pas, n'ont pas le même système sanitaire ni les mêmes frontières – pour les îles, il est beaucoup plus facile de contrôler l'épidémie – et des aspects culturels peuvent influer sur la rapidité de décision.
Nous avons vite vu que des pays qui appliquaient des stratégies réussies de suppression de l'épidémie ne se posaient pas la question du retour au travail des personnes vulnérables, puisqu'ils ne connaissaient pas ce problème. Ce sont principalement des pays asiatiques comme Hong Kong, Singapour, le Vietnam, la Corée du Sud, en partie la Chine, même si nous ne sommes pas certains des chiffres à Wuhan, mais aussi la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Ces pays ont dès le départ mis en œuvre des stratégies de suppression totale de l'épidémie et en ont subi peu de conséquences. La Corée du Sud n'a pas connu de débordement de ses capacités hospitalières, et n'a pas fermé les écoles. En revanche, dans les pays qui, comme la France, n'ont pas réagi, les stratégies d'atténuation conduisent à s'interroger sur la protection des personnes vulnérables.
Nous souhaitons que l'on revienne sur le décret du 29 août et que, dans la deuxième vague, les personnes vulnérables soient vraiment protégées, ce qui n'est pas le cas, puisque la liste des pathologies prises en compte a été restreinte sans grande concertation. Par exemple, les patients non greffés atteints de mucoviscidose, ceux qui, âgés de moins de 65 ans, présentent des insuffisances cardiaques, des broncho-pneumopathies chroniques obstructives, des asthmes graves, peuvent être obligés de retourner au travail en présentiel. Nous comprenons l'impératif économique, mais des aménagements doivent être apportés sur ces points.
Nous avons l'impression que la baisse du PIB est inversement proportionnelle à la circulation du virus. Contrairement aux pays qui ont eu un grand nombre de cas, la Corée du Sud, l'Allemagne et le Canada ont enregistré des baisses de PIB inférieures à 5 %. Un article très éclairant du Financial Times sous-tendait la démarche d'Esther Duflo et d'autres experts sur les confinements préventifs.
Que pensez-vous des stratégies de traçage et des applications permettant de remonter les contacts d'un cas positif ? Les résultats et les acceptations diffèrent selon les pays. L'application StopCovid a fait l'objet de trois millions de téléchargements, alors qu'en Allemagne, une application comparable a été téléchargée plus de dix-huit millions de fois. Des pays asiatiques, comme la Corée du Sud, utilisent des données personnelles bancaires ou téléphoniques.
Les EHPAD ont été les oubliés du début de crise et ont subi un grand nombre de décès à huis clos. On a observé des glissements. On peut mourir du covid, mais aussi de solitude, d'ennui, de désespoir, de décompensation, de dépression. Quel regard portez-vous sur ce double confinement des établissements et des résidents ?
Vous avez évoqué le renoncement aux soins. L'organisation de l'état d'urgence sanitaire, exclusivement orientée vers le covid, a occulté d'autres maladies. Comment jugez-vous la loi d'urgence sanitaire ? Au seuil d'une seconde vague, un débat se fait jour sur la disponibilité de lits de réanimation et le moindre report de soins que lors de la première vague. Quelles leçons tirez-vous des déprogrammations dont le coût sanitaire et peut-être humain sera sans aucun doute élevé ?
Face à l'éventualité de l'arrivée d'une nouvelle phase qui entraînerait une aggravation des déprogrammations, au-delà de la question des lits, il y a celle des personnels. J'ai entendu des médecins réanimateurs s'inquiéter du refus de certaines infirmières de travailler en réanimation et de difficultés de recrutement.
Dès le mois de juin, des établissements ont commencé à faire des économies de curare pour les interventions, en prévision de l'arrivée éventuelle d'une nouvelle vague épidémique. En bloc opératoire, certaines interventions peuvent se faire sous rachianesthésie. On craint de manquer de drogues, à cause de l'évolution de paramètres indépendants de la volonté de nos autorités et de nos établissements de santé.
Nous souhaitons que le secteur privé soit sollicité plus tôt que la dernière fois. On a tiré des leçons du passé mais, en dépit d'un léger tassement, on ignore quelle sera la demande de soins. Nous voudrions que les représentants des usagers soient davantage impliqués dans la réflexion des établissements de santé. Nos associations forment un véritable réseau. Nous recueillons de l'information, et surtout nous en envoyons en permanence beaucoup. Nous avons organisé des webinaires réunissant plusieurs centaines de personnes issues pour la plupart du monde associatif mais ouverts au grand public. Une commission de réseaux irrigue l'ensemble de nos associations, mais nous n'avons pas été suffisamment sollicités pour irriguer les patients de bonnes informations, même si nous avons plus souvent à traiter de pathologies chroniques que de problèmes épisodiques de santé.
Le 22 avril, nous nous sommes associés aux fédérations hospitalières, avec Unicancer, pour lancer une alerte sur le renoncement aux soins par l'intermédiaire de notre réseau.
Concernant le traçage, France assos santé a réalisé une étude approfondie de la e-santé, en tenant compte du règlement général sur la protection des données (RGPD), c'est-à-dire de la confidentialité et de la protection de la vie privée des personnes. L'application StopCovid est arrivée sans concertation préalable et de l'extérieur de l'écosystème de santé. Une communication du 6 mai, figurant sur le site de France assos santé, demandait le développement d'une application citoyenne respectueuse du droit des personnes. On n'a sans doute pas suffisamment fait comprendre que ces applications évitent de recruter, comme d'autres pays, des dizaines de milliers de traceurs. La Corée du Sud, qui a réalisé moins du cinquième du nombre de tests que nous, a immédiatement mobilisé 12 500 traceurs. À moins de vouloir envoyer un grand nombre de traceurs sur le terrain, à l'instar de la Corée, il faut développer une application efficace. Notre position a évolué sur ce point. Les Allemands ont consacré plus de 10 millions d'euros, plus un coût mensuel de maintenance de 3 millions d'euros, au développement d'une telle application, alors que la France a dépensé moins de deux millions d'euros pour StopCovid.
Nous demandons qu'un effort soit consenti pour les EHPAD. Bien que considérés comme des établissements médicalisés pour personnes âgées dépendantes, leur niveau de médicalisation reste très faible, tant en personnels de soins qu'en médecins. La plupart du temps, ce sont des médecins de ville qui interviennent. Il y a un médecin coordonnateur, mais c'est insuffisant pour prendre en charge des patients lourds comme ceux atteints du covid-19. Nous avons été très inquiets. Nous avons lancé deux appels publics en faveur de l'oxygène, car mourir sans oxygène quand on est atteint de pneumonie n'est pas confortable. C'est une des leçons à tirer. On peut résoudre ce problème sans disposer d'une distribution centralisée, en utilisant des bonbonnes. En nous mobilisant, nous sommes tout à fait capables de sauver des gens ou de leur assurer une fin de vie plus confortable.
Saviez-vous que la gestion de l'oxygène était l'une des six missions premières de l'ARS dès le début de la crise sanitaire ? En réserve sanitaire auprès de l'ARS, je me suis occupée pendant deux mois et demi de la gestion de l'oxygène dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). C'était un énorme travail que de recenser l'ensemble des moyens en oxygène et de lutter contre des directions d'établissements qui, par précaution, voulaient garder de l'oxygène, alors que la mission de l'ARS était de répondre dans les délais les plus brefs aux besoins des établissements. Avez-vous constaté des manquements ou des conséquences d'impréparations ? Les stocks des clubs de plongée ont été utilisés et les pompiers ont été surdotés afin d'assurer les transports.
Vous avez dit que des pensionnaires d'EHPAD n'avaient pas pu aller à l'hôpital. Au cours de toutes nos auditions, neuf personnes sur dix nous ont dit que c'était une légende.
Selon vous, l'information des usagers a-t-elle été suffisante depuis le début de la crise sanitaire ? Quelles principales remontées vous ont été faites concernant l'association des usagers aux décisions prises ?
Je sais très bien que les ARS étaient concernées par la gestion de l'oxygène, non seulement en EHPAD mais aussi à domicile.
Vous dites que des patients hospitalisés venaient des EHPAD. Des pensionnaires ont sans doute été hospitalisés, mais vous savez très bien que l'on n'a pas pu en envoyer beaucoup et que la plupart ont été laissés dans les EHPAD. Personne ne sait véritablement comment cela s'est passé. Nous n'avons pas de données à ce sujet. Peut-être des recherches seront-elles entreprises a posteriori. Des techniques permettent de le savoir, telle que la revue de dossiers médicaux. Nous le souhaitons, vous ouvrez la voie. Au-delà du nombre des décès, il faut en connaître les causes. Les ARS sont-elles prêtes à contribuer ou cela relève-t-il de la Haute autorité de santé (HAS) ? Nous sommes encore dans l'urgence, mais nous finirons par sortir de la crise et par en savoir un peu plus.
En ville, nous avons eu un témoignage selon lequel une personne âgée de plus de quatre-vingts ans, atteinte d'une pneumonie diagnostiquée par radio et confirmée par scanner à l'AP-HP, avait été renvoyée chez elle en état de détresse respiratoire. Son fils, bien intégré dans le milieu, l'a fait admettre en réanimation dans un autre établissement. Elle en est sortie deux mois plus tard et est aujourd'hui en bonne condition.
Pour savoir ce qui s'est passé entre les EHPAD et les hôpitaux publics, il faudrait faire des revues de dossiers.
L'information des représentants des usagers était variable d'une ARS à l'autre. Il est remonté de nos dix-sept délégations qu'il y a des régions où cela s'est très bien passé et d'autres ou cela n'a pas été le cas. Cela ressortit presque à des relations personnelles et à la façon dont telle personne conçoit le rôle des associations. Des délégations ont été en permanence en relation avec leurs ARS, d'autres n'ont eu aucune relation.
Je vous remercie pour votre action en direction des plus fragiles, mas l'information donne lieu à une certaine cacophonie qui perturbe les Françaises et les Français. Le 25 février, vous communiquiez déjà pour préconiser un confinement.
Nous disions que cela pouvait arriver !
Le 25 février, il y avait peu de cas en France. Quel est votre système d'information ? Êtes-vous entourés de scientifiques ? Qu'est-ce qui vous permet d'émettre de telles préconisations qui peuvent avoir une incidence importante, puisque vous touchez un très grand nombre de personnes ? Vous condamnez les prises de parole intempestives des spécialistes dans les médias, mais n'alimentez-vous pas ce phénomène par des messages dont on ignore comment ils sont étayés ?
Sur votre site internet, je n'ai pas vu d'appel à consulter, mais un appel à la confiance des usagers sur le vaccin contre le coronavirus. Un tel message ne peut-il alimenter le doute des patients ?
Quel rôle avez-vous dans les différentes instances nationales, comme la HAS ou l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ?
Je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Mme Mauborgne n'a pas émis une réflexion personnelle mais a traduit de ce que nous avons entendu au cours de nos nombreuses auditions. Nous avons été exhaustifs au sujet des EHPAD. Or tous les professionnels nous ont dit qu'ils n'avaient pas refusé d'entrées de patients, hormis la question éthique de savoir, au regard du rapport bénéfice/risque, s'il est mieux de maintenir des patients en EHPAD. Avez-vous des chiffres ou des cas concrets de personnes refusées à nous signaler ? À cette question, les représentants des EHPAD privés ont répondu « peut-être, mais nous n'avons pas de trace ».
Nous avons auditionné tous les intervenants, des représentants des ARS à ceux de la Fédération hospitalière de France en passant par ceux de l'hospitalisation privée. Ils ont témoigné qu'à quelques exceptions près, les établissements privés étaient dans les plans blancs. Je peux en témoigner localement pour la Loire.
Le témoignage que vous citiez peut-il être versé sous serment à nos auditions ?
Nous pouvons le demander.
Il ne s'agit pas de refus. La plupart des gens ont été soignés dans les EHPAD. On l'a reconnu et dit partout. Vous me dites que les pensionnaires des EHPAD qui avaient besoin d'aller à l'hôpital y sont allés. Ce fut peut-être le cas de quelques-uns, après que les conditions ont été assouplies, mais à un moment, ils ont été soignés dans les EHPAD, mais ils ont été soignés. Je n'ai pas dit qu'ils n'avaient pas été soignés mais qu'ils avaient été soignés dans les EHPAD.
C'était sans doute le meilleur choix. Mais sans doute faut-il renforcer les équipes soignantes. Du soin médicalisé de ce niveau nécessite du personnel de soins et les équipements équivalents.
Il y a certainement aussi un problème de perception. La seule façon de répondre à la question serait d'obtenir des données objectives complètes. Or nous en avons très peu. Qu'on les appelle retours d'expérience ou autrement, j'ignore quand nous les aurons. Nous n'avons pas le paysage complet et objectif de ce qui s'est passé.
Je me souviens d'une communication du Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) disant que 12 500 personnes âgées meurent chaque année en France dans les couloirs des urgences. Cette perception résulte de la saturation de la prise en charge dans les services d'urgences, et pas seulement en réanimation. Le problème préexistait à la crise. Les difficultés d'hospitalisation directe, le rôle de la régulation pour savoir quels patients mettre en réanimation préexistaient à la crise.
Nous avons un ou deux cas, mais je comprends que cela ne puisse pas vous convaincre.
Vous parlez du pré-covid. Les urgentistes ont fait état d'un confort de travail relatif parce qu'ils avaient les lits d'aval, donc peu de gens dans les couloirs.
Pour nous y retrouver dans les informations, nous organisons de nombreuses réunions entre nous et faisons appel à des experts pour participer à des visioconférences. Nous recherchons des éléments de preuve. Nous avons regardé ce qui avait été validé et tout ce qui ne l'avait pas été. Pour nous aussi, il était difficile de prendre position. Au fil des sujets abordés, nous faisions appel à des experts, comme des universitaires, qui débattaient parfois entre eux. Nous essayions d'informer tout le monde et de nous informer également. Comme pour tout le monde, il nous était difficile de trouver la bonne information. Nous avons beaucoup travaillé sur les données disponibles en France ou à l'étranger.
Beaucoup d'instances ont de l'expertise. Vous avez cité l'ANSM. Trois représentants des usagers siègent à la commission de la transparence de la HAS et vingt-huit dans les comités de protection des personnes (CPP), sans compter les représentations dans les différentes agences.
Deux communications de France assos santé au sujet des traitements sont presque passées inaperçues, l'une publiée le 25 mars, l'autre, le 25 mai. La première attendait « des éléments probants de la recherche clinique ». La seconde, soulignait que « certains protocoles sont lancés hors des règles éthiques et légales et que les résultats trop préliminaires sont repris par les médias ». Nous avons adopté, dans la mesure du possible, une approche interdisciplinaire, en valorisant beaucoup moins les témoignages spontanés de personnes qui n'engagent qu'eux-mêmes.
Au niveau international, nous avons observé les données scientifiques du groupe britannique SAGE (conseil scientifique britannique en charge de la gestion de crises sanitaires), l'équivalent de notre conseil scientifique, et la division des maladies infectieuses du National institutes of health (NIH) aux États-Unis, en privilégiant l'interdisciplinaire, ce qu'on retrouve dans plusieurs pays. Les réseaux sociaux se mettent parfois à parler d'une molécule, mais une certaine vérité finit par se dégager de l'interdisciplinarité et du tri. Il existe des sites très bien faits. Un groupe d'Oxford, le Government response stringency index, c'est-à-dire l'indice de rigueur de la réponse gouvernementale, évalue, jour par jour, au moyen d'indicateurs, le niveau de sévérité des mesures de confinement par pays. Il est intéressant d'observer la situation de la France par rapport à d'autres pays au regard de la circulation virale et de son évolution. On trouve des sources d'information synthétiques extrêmement riches en langue anglaise.
J'imagine bien que vous avez des experts. Ma question portait sur l'alimentation de la cacophonie. Nous devons tous agir en responsabilité. Vos préconisations du 24 février me paraissent un peu décalées. Votre rôle, que je salue, est plutôt la protection des personnes fragiles. Nous devons tous être prudents. C'est une des leçons de la crise.
Je ne vois pas bien en quoi nous avons alimenté la cacophonie. Très tôt, nous avons recommandé le port du masque. Nous avons regardé ce qui se faisait à Hong Kong, en Corée du Sud et d'autres pays, comment ils s'en sortaient. Or ils semblaient dire que le masque était très protecteur. À l'époque, on disait encore que porter un masque quand on n'est pas malade était plus dangereux que de ne pas le faire, alors que nous l'avons toujours recommandé, parce que nous avons beaucoup d'associations de patients atteints d'affections de longue durée, c'est-à-dire de pathologies chroniques, que l'on disait plus exposés. Membre d'une association de lutte contre les infections nosocomiales, je suis en permanence les problèmes infectieux. Fin février, comme on ne trouvait pas de masques, nous avons mis en ligne des tutoriels pour en fabriquer soi-même. Très vite, bien avant le 15 mars, nous avons trouvé des tutoriels dont les masques avaient la norme Afnor. Avons-nous alimenté la cacophonie en disant qu'il valait mieux porter un masque ? À l'époque, cela pouvait troubler les gens auxquels on disait qu'il ne fallait pas en porter, mais nous sommes restés fermes, nous avons maintenu la ligne. C'est cette ligne que nous suivons d'ailleurs encore.
Le 27 avril, nous avons publié une communication intitulée : « Tous ensemble sortons masqués », disant : « N'attendons pas le 11 mai et utilisez si possible des masques maison à défaut d'accès aux masques chirurgicaux ou FFP2 ». Entre la première communication sur le masque et celle-ci, il y en a eu une autre, visant à s'aligner sur les recommandations du Center for disease control and prevention (CDC) d'Atlanta, les États-Unis ayant connu une pénurie de masques paradoxale, puisque même leurs filiales chinoises ne les livraient plus. Le CDC disait aux professionnels de santé : si vous n'avez pas de masque, utilisez une écharpe ou un bandana. Comme beaucoup de spécialistes, nous avons adopté une stratégie de réduction des risques consistant à ne pas viser l'absolu mais le meilleur effet possible avec les moyens du bord.
Je n'ai pas eu votre avis, en tant que représentants des usagers, sur l'appel de Martin Hirsch à ne pas annuler les opérations programmées.
Nous l'avons entendu et nous souhaitons qu'il soit suivi dans la mesure du possible. L'épidémie présente encore beaucoup d'inconnues. Les établissements n'ont pas envie de déprogrammer et cela se fera au coup par coup. Ils procéderont régulièrement à des évaluations. Il n'y aura plus de déprogrammation sur plusieurs semaines. Nous demandons surtout d'évaluer le niveau d'urgence.
Vous parliez des patients qui déprogramment eux-mêmes !
M. Hirsch est informé des comportements des patients par les unités de soins. Mais la déprogrammation des interventions ne circule pas du tout dans notre réseau, au contraire. Nous n'entendons pas les inciter à déprogrammer pour se mettre à l'abri.
Je ne sous-entends pas que vous leur dites cela. Je souhaite connaître votre position au sujet de l'appel de Martin Hirsch.
Il ne faut pas déprogrammer, dans la mesure où cela est possible.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mardi 6 octobre 2020 à 17 h 45
Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Sereine Mauborgne, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Boris Vallaud
Assistait également à la réunion. - M. Nicolas Démoulin