Vous posez implicitement la question de la coordination et de la continuité des soins. Quelques pays disposent d'un dossier médical partagé entre les professionnels qui offrent une visibilité du circuit de prise en charge du patient. Ils sont mieux placés en cas de crise sanitaire pour communiquer efficacement avec un patient. En France, grâce à son tableau de bord, un chirurgien peut rapidement déclencher des programmations, mais il n'a pas la vision complète du circuit du patient pour les maladies chroniques qu'il peut présenter. C'est prévu dans l'espace numérique de santé et dans la stratégie numérique du Gouvernement, mais cela n'a pas encore été mis en place en France. Notre système d'information ne permet pas de mieux organiser ce que vous appelez le retour aux soins.
Un tel dossier commun a montré son efficacité dans l'État de New York. En Angleterre, on a pu communiquer directement par courriel avec 1,5 million de personnes très vulnérables pour leur demander de rester strictement chez elles, de ne pas aller faire de courses et on leur a fourni des aidants. Ces systèmes nécessitent la mobilisation d'un système d'information consolidé qui existera un jour en France, mais que nous n'avions pas durant la crise.
Après avoir lancé la première alerte le 26 février, nous appelons, le 10 mars, à la prise de mesures courageuses. Au regard de la situation internationale, nous demandons au cabinet du ministre de la santé d'appliquer sans attendre des mesures de confinement. Nous distinguons très vite la situation entre les pays. Les comparaisons sont utiles mais il faut rester modeste et humble. Tous les pays ne se ressemblent pas, n'ont pas le même système sanitaire ni les mêmes frontières – pour les îles, il est beaucoup plus facile de contrôler l'épidémie – et des aspects culturels peuvent influer sur la rapidité de décision.
Nous avons vite vu que des pays qui appliquaient des stratégies réussies de suppression de l'épidémie ne se posaient pas la question du retour au travail des personnes vulnérables, puisqu'ils ne connaissaient pas ce problème. Ce sont principalement des pays asiatiques comme Hong Kong, Singapour, le Vietnam, la Corée du Sud, en partie la Chine, même si nous ne sommes pas certains des chiffres à Wuhan, mais aussi la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Ces pays ont dès le départ mis en œuvre des stratégies de suppression totale de l'épidémie et en ont subi peu de conséquences. La Corée du Sud n'a pas connu de débordement de ses capacités hospitalières, et n'a pas fermé les écoles. En revanche, dans les pays qui, comme la France, n'ont pas réagi, les stratégies d'atténuation conduisent à s'interroger sur la protection des personnes vulnérables.
Nous souhaitons que l'on revienne sur le décret du 29 août et que, dans la deuxième vague, les personnes vulnérables soient vraiment protégées, ce qui n'est pas le cas, puisque la liste des pathologies prises en compte a été restreinte sans grande concertation. Par exemple, les patients non greffés atteints de mucoviscidose, ceux qui, âgés de moins de 65 ans, présentent des insuffisances cardiaques, des broncho-pneumopathies chroniques obstructives, des asthmes graves, peuvent être obligés de retourner au travail en présentiel. Nous comprenons l'impératif économique, mais des aménagements doivent être apportés sur ces points.
Nous avons l'impression que la baisse du PIB est inversement proportionnelle à la circulation du virus. Contrairement aux pays qui ont eu un grand nombre de cas, la Corée du Sud, l'Allemagne et le Canada ont enregistré des baisses de PIB inférieures à 5 %. Un article très éclairant du Financial Times sous-tendait la démarche d'Esther Duflo et d'autres experts sur les confinements préventifs.