Intervention de Virginie Lasserre

Réunion du mardi 13 octobre 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale :

La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) gère les populations les plus vulnérables du point de vue de l'épidémie puisqu'elle gère les politiques en faveur des personnes en situation de handicap, des personnes âgées, de la protection de l'enfance et de l'ensemble des populations les plus précaires. Elle s'occupe également des questions d'égalité entre les femmes et les hommes, donc à ce titre des femmes victimes de violences, qui ont été particulièrement touchées pendant la crise.

Je souhaite saluer en préambule le dévouement de l'ensemble des professionnels du secteur médico-social, et m'associer à la peine des familles dont les proches sont décédés pendant cette crise épidémique.

Il me semble important de rappeler le contexte général de l'épidémie. Cette épidémie est celle d'un virus que nous ne connaissions absolument pas il y a encore neuf mois, que nous avons appris à connaître au fur et à mesure. Il est de ce fait difficile de juger ex post ce qui aurait pu être fait sans prendre en compte cette dimension.

La responsabilité de l'État dans le cadre de cette épidémie s'avère en outre complexe à cadrer, car il doit faire face à trois défis.

Le premier consiste à prendre soin du plus grand nombre, dans une logique d'intérêt général, tout en prenant en compte la dimension individuelle. Typiquement, le confinement général de la population a été accepté dans sa dimension d'intérêt collectif afin d'endiguer la propagation du virus, même si les libertés individuelles ont été restreintes.

Le deuxième défi consiste à édicter des règles nationales, pour rendre lisible une doctrine nationale, tout en laissant des marges de manœuvre au niveau local.

Enfin, le troisième défi consiste à adapter régulièrement les consignes nationales, tout en cherchant à les rendre lisibles et compréhensibles par nos concitoyens.

Je tiens par ailleurs à préciser les caractéristiques du champ médico-social, qui expliquent la difficulté que nous avons eue à gérer la crise. Il s'agit d'un secteur très atomisé, qui ne dispose pas d'un système d'information interopérable. Ce secteur est également en difficulté structurelle de recrutement. Il se trouve, en outre, sous la double tutelle de l'État et des départements.

Ce contexte général étant rappelé, j'évoquerai deux sujets phares : le rôle et la mission de la DGCS dans la crise, et la gestion de la crise dans les EHPAD. Quelles conséquences peut-on tirer de la première vague pour gérer la dégradation épidémique actuelle ?

La DGCS a été en première ligne pendant la crise du fait de son champ de compétences, puisqu'elle gère les populations les plus touchées. Elle a élaboré toutes les consignes relatives à l'ensemble des secteurs placés sous sa responsabilité, qui ont été transmises aux professionnels pour gérer la crise épidémique. Ces consignes étaient toujours validées par le centre de crise sanitaire. La DGCS produisait des documents « métier », toujours soumis à la validation de ce dernier.

Nous avons mis en place dès le 27 février des audioconférences hebdomadaires avec l'ensemble des fédérations et des associations de notre champ. Ce sont là non pas des propos technocratiques visant à expliquer la façon dont l'administration fonctionne, mais un enjeu majeur que d'avoir voulu un point de rendez-vous hebdomadaire avec tous les acteurs de terrain, pour ne pas être déconnecté de ce qui se passait, et pour toujours faire valider et coconstruire les consignes avec l'ensemble des fédérations. Ces audioconférences se poursuivent.

J'en viens à la façon dont la crise a été gérée, de notre point de vue, dans les EHPAD, et aux conséquences que nous en tirons.

Il s'agit d'une crise d'une ampleur inédite. La moitié des 32 700 morts recensés en France est constituée de résidents d'EHPAD, soit 2 % des résidents. Lors d'une semaine de pic, début avril, près de 2 500 décès ont été comptabilisés dans ces établissements. Une grande disparité territoriale s'observe toutefois. Ainsi, 94 % des EHPAD ont été touchés pendant la première vague en Île-de-France, contre 47 % en Bretagne.

Nous pouvons tirer trois enseignements majeurs de la gestion de la crise dans les EHPAD.

Pendant la première vague, à la demande de l'ensemble des sociétés savantes et des fédérations, nous avons pris des mesures extrêmement strictes de confinement des résidents. Nous avons limité les visites dès le 11 mars, pour les réélargir ensuite et détendre les confinements en chambre, le 20 avril. Pendant ce laps de temps, les personnes dans les EHPAD ont été confinées. La plupart des pays européens l'avaient fait à la même période, puisque tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception de la Grèce, avaient interdit aux visiteurs d'entrer dans les maisons de retraite pendant la première phase de la pandémie. En Suède, cela s'est prolongé jusqu'au 31 août.

Néanmoins, à la suite de l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) du 30 mars et de ce que nous avons appris de la première vague, nos consignes visent désormais à la fois à restreindre les visites si la situation le nécessite et à éviter au maximum le strict confinement en EHPAD.

Le deuxième enseignement de la crise a trait à l'instauration pendant la première vague d'un appui sanitaire renforcé aux établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). Il s'agit là d'un acquis majeur, que nous pérennisons. Cet appui implique la mobilisation d'équipes mobiles de soins palliatifs et gériatriques, des admissions directes dans les services de spécialité, des astreintes téléphoniques « personnes âgées » et « soins palliatifs », qui jouent un rôle majeur, ou encore le renforcement du rôle du médecin coordonnateur. Le déploiement généralisé de ces dispositifs a grandement facilité et structuré la coopération entre les acteurs du sanitaire et du médico-social. C'est pourquoi nous avons choisi de les pérenniser, afin de gérer la crise dans la durée.

Le troisième enseignement, auquel je tiens beaucoup, est le suivant : l'État doit, lucidement, pouvoir décentrer son point de vue. Les collectivités locales ont été pourvoyeuses de solutions dans l'ensemble du territoire. Il faut s'appuyer sur cela pour gérer la crise dans la durée. Au début de la crise, les relations entre les agences régionales de santé (ARS), l'État et les collectivités territoriales n'ont peut-être pas été totalement fluides. Les acteurs se sont attendus dans les territoires. Les relations se sont ensuite structurées et formalisées progressivement, pour des gouvernances plus efficaces.

La première vague de la crise est également porteuse d'un dernier enseignement majeur. Il a existé un formidable gisement de solidarité, dont on parle peu, envers les plus âgés. La société, que l'on dit pourtant fracturée, s'est fortement mobilisée. De nombreuses associations sont intervenues dans les EHPAD pour les aider. Des personnes ont fait les courses pour leurs voisins ou ont passé des appels téléphoniques pour prendre des nouvelles. Il me semble important de souligner cette image d'une société fraternelle.

Face à cette crise épidémique grave qui a touché tout le pays, en particulier les plus fragiles, il faut tirer les enseignements nécessaires tant au niveau collectif qu'au niveau des comportements individuels pour se préparer au mieux à la dégradation de la situation, et capitaliser sur les innovations qui émergent toujours lors d'une crise, afin d'améliorer structurellement notre système de santé et médico-social.

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