Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information
Madame la directrice générale, nous souhaitons aborder avec vous la façon dont la crise sanitaire a été gérée et comment elle l'est encore aujourd'hui dans les établissements du secteur médico-social, en particulier dans les établissements pour personnes âgées, qui ont eu à faire face à des situations parfois critiques et toujours complexes.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Virginie Lasserre prête serment.)
La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) gère les populations les plus vulnérables du point de vue de l'épidémie puisqu'elle gère les politiques en faveur des personnes en situation de handicap, des personnes âgées, de la protection de l'enfance et de l'ensemble des populations les plus précaires. Elle s'occupe également des questions d'égalité entre les femmes et les hommes, donc à ce titre des femmes victimes de violences, qui ont été particulièrement touchées pendant la crise.
Je souhaite saluer en préambule le dévouement de l'ensemble des professionnels du secteur médico-social, et m'associer à la peine des familles dont les proches sont décédés pendant cette crise épidémique.
Il me semble important de rappeler le contexte général de l'épidémie. Cette épidémie est celle d'un virus que nous ne connaissions absolument pas il y a encore neuf mois, que nous avons appris à connaître au fur et à mesure. Il est de ce fait difficile de juger ex post ce qui aurait pu être fait sans prendre en compte cette dimension.
La responsabilité de l'État dans le cadre de cette épidémie s'avère en outre complexe à cadrer, car il doit faire face à trois défis.
Le premier consiste à prendre soin du plus grand nombre, dans une logique d'intérêt général, tout en prenant en compte la dimension individuelle. Typiquement, le confinement général de la population a été accepté dans sa dimension d'intérêt collectif afin d'endiguer la propagation du virus, même si les libertés individuelles ont été restreintes.
Le deuxième défi consiste à édicter des règles nationales, pour rendre lisible une doctrine nationale, tout en laissant des marges de manœuvre au niveau local.
Enfin, le troisième défi consiste à adapter régulièrement les consignes nationales, tout en cherchant à les rendre lisibles et compréhensibles par nos concitoyens.
Je tiens par ailleurs à préciser les caractéristiques du champ médico-social, qui expliquent la difficulté que nous avons eue à gérer la crise. Il s'agit d'un secteur très atomisé, qui ne dispose pas d'un système d'information interopérable. Ce secteur est également en difficulté structurelle de recrutement. Il se trouve, en outre, sous la double tutelle de l'État et des départements.
Ce contexte général étant rappelé, j'évoquerai deux sujets phares : le rôle et la mission de la DGCS dans la crise, et la gestion de la crise dans les EHPAD. Quelles conséquences peut-on tirer de la première vague pour gérer la dégradation épidémique actuelle ?
La DGCS a été en première ligne pendant la crise du fait de son champ de compétences, puisqu'elle gère les populations les plus touchées. Elle a élaboré toutes les consignes relatives à l'ensemble des secteurs placés sous sa responsabilité, qui ont été transmises aux professionnels pour gérer la crise épidémique. Ces consignes étaient toujours validées par le centre de crise sanitaire. La DGCS produisait des documents « métier », toujours soumis à la validation de ce dernier.
Nous avons mis en place dès le 27 février des audioconférences hebdomadaires avec l'ensemble des fédérations et des associations de notre champ. Ce sont là non pas des propos technocratiques visant à expliquer la façon dont l'administration fonctionne, mais un enjeu majeur que d'avoir voulu un point de rendez-vous hebdomadaire avec tous les acteurs de terrain, pour ne pas être déconnecté de ce qui se passait, et pour toujours faire valider et coconstruire les consignes avec l'ensemble des fédérations. Ces audioconférences se poursuivent.
J'en viens à la façon dont la crise a été gérée, de notre point de vue, dans les EHPAD, et aux conséquences que nous en tirons.
Il s'agit d'une crise d'une ampleur inédite. La moitié des 32 700 morts recensés en France est constituée de résidents d'EHPAD, soit 2 % des résidents. Lors d'une semaine de pic, début avril, près de 2 500 décès ont été comptabilisés dans ces établissements. Une grande disparité territoriale s'observe toutefois. Ainsi, 94 % des EHPAD ont été touchés pendant la première vague en Île-de-France, contre 47 % en Bretagne.
Nous pouvons tirer trois enseignements majeurs de la gestion de la crise dans les EHPAD.
Pendant la première vague, à la demande de l'ensemble des sociétés savantes et des fédérations, nous avons pris des mesures extrêmement strictes de confinement des résidents. Nous avons limité les visites dès le 11 mars, pour les réélargir ensuite et détendre les confinements en chambre, le 20 avril. Pendant ce laps de temps, les personnes dans les EHPAD ont été confinées. La plupart des pays européens l'avaient fait à la même période, puisque tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception de la Grèce, avaient interdit aux visiteurs d'entrer dans les maisons de retraite pendant la première phase de la pandémie. En Suède, cela s'est prolongé jusqu'au 31 août.
Néanmoins, à la suite de l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) du 30 mars et de ce que nous avons appris de la première vague, nos consignes visent désormais à la fois à restreindre les visites si la situation le nécessite et à éviter au maximum le strict confinement en EHPAD.
Le deuxième enseignement de la crise a trait à l'instauration pendant la première vague d'un appui sanitaire renforcé aux établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). Il s'agit là d'un acquis majeur, que nous pérennisons. Cet appui implique la mobilisation d'équipes mobiles de soins palliatifs et gériatriques, des admissions directes dans les services de spécialité, des astreintes téléphoniques « personnes âgées » et « soins palliatifs », qui jouent un rôle majeur, ou encore le renforcement du rôle du médecin coordonnateur. Le déploiement généralisé de ces dispositifs a grandement facilité et structuré la coopération entre les acteurs du sanitaire et du médico-social. C'est pourquoi nous avons choisi de les pérenniser, afin de gérer la crise dans la durée.
Le troisième enseignement, auquel je tiens beaucoup, est le suivant : l'État doit, lucidement, pouvoir décentrer son point de vue. Les collectivités locales ont été pourvoyeuses de solutions dans l'ensemble du territoire. Il faut s'appuyer sur cela pour gérer la crise dans la durée. Au début de la crise, les relations entre les agences régionales de santé (ARS), l'État et les collectivités territoriales n'ont peut-être pas été totalement fluides. Les acteurs se sont attendus dans les territoires. Les relations se sont ensuite structurées et formalisées progressivement, pour des gouvernances plus efficaces.
La première vague de la crise est également porteuse d'un dernier enseignement majeur. Il a existé un formidable gisement de solidarité, dont on parle peu, envers les plus âgés. La société, que l'on dit pourtant fracturée, s'est fortement mobilisée. De nombreuses associations sont intervenues dans les EHPAD pour les aider. Des personnes ont fait les courses pour leurs voisins ou ont passé des appels téléphoniques pour prendre des nouvelles. Il me semble important de souligner cette image d'une société fraternelle.
Face à cette crise épidémique grave qui a touché tout le pays, en particulier les plus fragiles, il faut tirer les enseignements nécessaires tant au niveau collectif qu'au niveau des comportements individuels pour se préparer au mieux à la dégradation de la situation, et capitaliser sur les innovations qui émergent toujours lors d'une crise, afin d'améliorer structurellement notre système de santé et médico-social.
Comment les protocoles mis en place avec les structures d'accueil des personnes âgées ont-ils été appliqués, rédigés et proposés aux établissements concernés ? Les représentants des structures privées d'accueil de personnes âgées nous ont dit qu'il y avait eu un « retard à l'allumage » s'agissant de leur communication et qu'ils étaient restés un moment dans l'expectative pour la prise en charge des patients. Existait-il avant la crise des protocoles déjà élaborés ? Les structures elles-mêmes disposaient-elles de protocoles à soumettre à votre validation ? Bénéficiaient-elles d'une certaine latitude ? À quel moment des protocoles spécifiques ont-ils été communiqués aux structures recevant des personnes âgées ?
Par ailleurs, vous parliez du sujet majeur des violences faites aux femmes pendant le confinement. Pourriez-vous nous en dire davantage sur leur prise en charge notamment par les pharmaciens, qui étaient sur le devant de la scène dans ce domaine ?
Depuis un décret de 2005, les EHPAD ont l'obligation d'élaborer des plans bleus. Ce sont des outils d'organisation en cas de crise, internes aux établissements. Pensés initialement pour faire face à la grippe et à la canicule, ils n'en sont pas moins importants. Les EHPAD devaient donc les avoir conçus avant même le début de la crise. Nous les avons activés officiellement le 6 mars.
S'agissant des protocoles, le 14 janvier, les premières consignes ont été diffusées par le centre de crise sanitaire du ministère des solidarités et de la santé à l'ensemble des établissements hospitaliers et des établissements médico-sociaux. Elles visaient à sensibiliser les professionnels à la situation et à donner les premières recommandations sanitaires. Elles sont donc intervenues très tôt, puisque les trois premiers cas ont été recensés le 24 janvier.
Il était question, par exemple, des gestes barrières. Le 21 février, nous avons envoyé un message d'information et d'alerte assorti d'un guide méthodologique aux fédérations des établissements médico-sociaux, dans lequel nous avons alerté sur les risques sanitaires, rappelé l'importance des gestes barrières, et fourni l'ensemble des sites de référence contenant des informations sur la crise sanitaire.
Très rapidement, nous avons aussi indiqué aux ESMS comment mettre en place des unités spécifiquement dédiées aux personnes « covid + » – en réservant soit un étage entier, soit un lieu spécifique au sein de l'établissement. Nous leur avons signalé la nécessité de tenir des registres traçant les personnes entrant dans les établissements. Nous avons donc diffusé des consignes très pratiques, dès le départ.
Toutes les consignes ont été élaborées avec l'ensemble des fédérations, que nous réunissions au moins une fois par semaine.
Ces consignes étaient-elles diffusées aux fédérations, directement aux établissements, ou aux ARS ?
L'ensemble de ces protocoles et de ces consignes, que nous élaborions du point de vue « métier », était toujours complété et validé par des médecins du centre de crise sanitaire de la direction générale de la santé (DGS). En effet, la DGCS n'est pas compétente sur le champ sanitaire. Puis, ces consignes étaient diffusées aux ARS, aux préfets et à l'ensemble des fédérations. Compte tenu de la double tutelle département/État de notre secteur, elles étaient également transmises aux départements.
J'en viens à votre question relative aux violences faites aux femmes. De nombreux dispositifs ont été déployés. Il est difficile d'objectiver le nombre de femmes victimes de violences pendant la crise, néanmoins tout porte à croire qu'il y a eu une dégradation de la situation. Le ministère de l'intérieur a instauré dans les pharmacies des dispositifs permettant aux femmes, en toute discrétion, de prévenir les pharmaciens qu'elles étaient victimes de violences. La DGCS a ouvert des permanences d'associations dans les centres commerciaux, partant du principe qu'il était plus facile pour les femmes de se rendre dans ce type d'endroit de façon anonyme pendant qu'elles faisaient leurs courses, pour parler à une association et, éventuellement, dénoncer les violences dont elles étaient victimes. Plus de 99 centres ont ainsi été ouverts près des centres commerciaux. Il en reste environ 40.
Nous avons aussi ouvert une plate-forme d'écoute téléphonique pour les auteurs de violences. De plus, la création d'une quinzaine de centres est en cours, pour les héberger et les prendre en charge.
Les dispositifs préexistants ont en outre été beaucoup activés pendant la crise, notamment le numéro 3919, où les femmes victimes de violences peuvent témoigner et recevoir des conseils.
Sauf erreur de ma part, la DGCS comporte une sous-direction chargée des questions de pauvreté et de précarité. Les conséquences de la crise sont évidemment sanitaires, mais aussi sociales. Quelques chiffres le montrent : 1 million de Français vont basculer dans la pauvreté ; 20 % des Français les plus pauvres ont puisé dans leur épargne pour survivre pendant la crise ; le nombre des personnes bénéficiaires de l'aide alimentaire a bondi de 30 % ; le nombre des demandes du revenu de solidarité active (RSA) a augmenté de 10 % ; les impayés de loyers dans les logements sociaux ont augmenté, et il est dit qu'il pourrait y avoir jusqu'à 1 million de chômeurs supplémentaires.
Face à cette situation, les réponses du Gouvernement prennent essentiellement et presque exclusivement la forme d'un soutien à l'emploi et du maintien à haut niveau du chômage partiel. Or ces réponses oublient ceux qui n'ont pas d'emploi, et oublient que l'emploi partiel implique une perte de revenu substantielle pour ceux qui touchent de très petits salaires.
Quelle est l'analyse de votre direction en la matière ? Qu'a-t-elle pu proposer au Gouvernement ?
Le Premier ministre n'entend ni augmenter le RSA ni prévoir de dispositifs spécifiques pour ceux qui sont déjà titulaires de ces droits ou pour les jeunes de 18 ans, qui font face à des difficultés considérables. Il entend simplement « booster les dispositifs d'insertion », ce qui paraît très en deçà de ce que les nécessités commandent de faire.
Quelle est votre appréciation de la situation ?
Pendant le confinement, j'ai été chargé avec une collègue de la commission des affaires sociales, d'un travail portant sur les questions de solidarité et de pauvreté et sur la situation des jeunes, notamment des enfants dépendant de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Nous avions déjà repéré à ce moment-là une explosion de la pauvreté, et noté que les aides ponctuelles fournies étaient insuffisantes. Elles l'étaient d'autant plus que les associations avaient le plus grand mal à faire face à la situation, leurs bénévoles et militants étant parfois empêchés de faire leur travail. Elles se sont néanmoins démenées, et je veux évidemment les saluer. Une aide a finalement été débloquée en juin, mais très tardivement, les effets de la crise sur la jeunesse s'étant déjà fait sentir.
Le sujet de la fracture numérique a également été mis en avant. L'accès aux droits a été fortement limité par cette barrière.
Quelles ont été les mesures prises pour répondre au problème de la pauvreté pendant le confinement et au cœur de la crise ?
Par ailleurs, le besoin de maintenir des relations humaines et sociales avec les résidents des EHPAD est apparu très tôt, l'absence de maintien de ce lien pouvant entraîner une aggravation de leur état de santé. Comment avez-vous abordé la contradiction, entre cette absolue nécessité de maintenir des relations sociales et le risque de voir parfois le virus se glisser dans les interstices ?
Nous avons eu connaissance de difficultés d'approvisionnement en masques dans les établissements au début de la crise. Que pouvez-vous nous en dire ?
Enfin, combien de personnels supplémentaires en soins palliatifs dans les EHPAD il y a-t-il eu durant cette période ?
Comment l'État peut-il assurer un filet de sécurité pour les plus précaires ?
Une aide exceptionnelle dégagée en mai a permis d'apporter un soutien financier direct aux personnes les plus précaires.
Plus de 5 millions de personnes sont inscrites aux distributions d'aide alimentaire – sujet majeur que la DGCS a beaucoup pris en charge. Non seulement les files d'attente ont augmenté pendant la crise, mais nous avons aussi constaté un changement dans le profil des personnes concernées, avec davantage de travailleurs pauvres et d'étudiants. Nous avons augmenté de plus de 90 millions d'euros le budget consacré à l'aide alimentaire pour permettre aux associations de répondre à ces besoins.
Nous avons mis à l'abri de façon tout à fait inédite plus de 13 000 personnes sans domicile à l'hôtel. Ces établissements ne proposant pas de prestation alimentaire, nous avons acheté via un marché des tickets services, pour fournir des bons alimentaires aux personnes hébergées. Plus de 110 000 tickets services ont ainsi été distribués pour leur donner la possibilité de s'alimenter correctement – à moins que ce nombre ne désigne les personnes concernées par ce dispositif – je vous confirmerai cela par écrit ultérieurement.
La question des bénévoles des associations chargées des distributions alimentaires s'est avérée également cruciale, notamment pendant l'été. La situation a été très tendue, ce qui nous a conduits à développer la plate-forme de bénévoles de réserve civique www.jeveuxaider.gouv.fr. De plus, dès le début de l'été, nous avons demandé à l'ensemble des préfets de réunir toutes les associations et chambres d'agriculture de leurs territoires ainsi que tous les acteurs concernés par les distributions d'aide alimentaire, pour s'assurer qu'il n'y avait pas de « trous dans la raquette » et que l'aide alimentaire était sécurisée pour l'été.
Cette structuration de l'aide alimentaire se poursuit. Nous avons demandé aux préfectures de continuer, afin d'éviter que des personnes n'aient pas accès aux biens alimentaires nécessaires.
S'agissant des annonces du Premier ministre, une clause de « revoyure » est fixée prochainement, à l'occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, avec l'annonce d'un « acte II » du plan pauvreté, en cours d'élaboration.
Je ne dispose pas du nombre de professionnels mobilisés en soins palliatifs, mais nous regarderons cela de près avec nos collègues de la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Cela rejoint la question plus globale de la mobilisation des dispositifs sanitaires que j'ai évoquée plus haut. L'hospitalisation à domicile (HAD) en EHPAD a été très utilisée pendant la crise. Cette possibilité sera prolongée jusqu'au 31 décembre. Des équipes mobiles sanitaires ont également été déployées, qui ont pu venir s'ajouter aux équipes de soins palliatifs dans les EHPAD.
Dans les quinze premiers jours de mars, 25 millions de masques ont été distribués aux établissements de santé, et non au secteur médico-social. Cela tient à deux raisons. Les autorités politiques ont pensé qu'il était essentiel que le système de soins tienne. En effet, s'il s'effondrait, l'ensemble de nos systèmes s'effondrait. La priorité a donc été donnée aux établissements de santé. Les EHPAD avaient en outre déjà l'habitude d'utiliser des masques, notamment à cause des épidémies grippales. Ils disposaient donc normalement de quelques stocks.
La distribution des masques a commencé de façon massive auprès des EHPAD le 16 mars, avec 500 000 masques distribués par jour. Ce chiffre a ensuite augmenté à partir du 13 avril pour atteindre les 600 000 masques distribués par jour dans ces établissements. Il s'est donc bien produit un décalage dans la distribution de masques, entre les établissements de santé et le secteur médico-social.
Quelles mesures spécifiques ont été prises pendant le confinement s'agissant des personnes handicapées ? Plus précisément, avez-vous des éléments concernant la situation des personnes autistes et de leurs familles ?
Vous avez mentionné l'ouverture de places d'hébergement d'urgence dans des hôtels pour les personnes à la rue. J'ai surtout vu dans les territoires des réquisitions de bâtiments publics, notamment de lycées . Il y a eu en la matière une grande réactivité, qui me paraît intéressante. Quel est votre regard sur la dynamique qui s'est manifestée entre les services de la préfecture et les associations ? Ne pourrions-nous pas nous inspirer de ces bonnes pratiques pour la suite ? La France manque encore de places d'hébergement d'urgence. Or les associations ont démontré pendant la crise leurs capacités à s'adapter et à investir des lieux, notamment des bâtiments publics.
Le 11 mars a été décidée l'interdiction complète des visites aux personnes âgées. Ces mesures semblant avoir été allégées, pourriez-vous nous dire quelles sont les nouvelles règles appliquées ?
Comment expliquer le nombre des morts survenues alors que les visites étaient totalement interdites, et, à l'inverse, le nombre moins important de décès que l'on constate actuellement alors que le processus a été allégé ?
A-t-on une idée des conséquences directes du confinement et de l'interdiction des visites sur la santé des personnes âgées ?
Certains départements ont rencontré des difficultés pour mettre en relation les assistantes sociales de secteur, le premier maillon de l'aide en ville, et les demandeurs d'aide, alimentaire ou de premier secours.
En tant que membre de la réserve sanitaire de l'ARS Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), j'ai constaté que le début de la crise avait coïncidé avec une attaque de hackers sur le système d'information de la ville et du département, ce qui a fortement compliqué les choses. Ce type d'hybridation de difficultés doit nous préparer à une plus grande résilience.
Pour avoir travaillé par ailleurs sur la mise en application du plan de gestion des décès massifs piloté par le ministère de l'intérieur, j'ai relevé chez ceux qui en sont chargés l'existence d'une croyance selon laquelle la plupart des certificats de décès seraient dématérialisés. Or si la dématérialisation concerne 20 % des certificats de décès en ville, en EHPAD ce pourcentage n'est que de 5 % – alors que ces lieux sembleraient particulièrement adaptés. Quelle est votre interrogation par rapport à cette volonté de dématérialisation qui n'a pas eu la portée attendue ? Faut-il davantage inciter voire contraindre ?
La plate-forme www.jeveuxaider.gouv.fr est-elle pérenne ? Qui a accès aux données ? Comment cette plate-forme est-elle gérée après la crise et en prévision d'une éventuelle nouvelle crise ? Comment pouvons-nous armer ces gens qui souhaitent favoriser la résilience de notre pays ?
Je reviens tout d'abord sur l'intelligence collective qui s'est manifestée dans les territoires pour trouver des solutions à destination des personnes précaires. Ce n'est pas la première fois que l'on constate une très forte mobilisation et une grande innovation de la part de l'ensemble de notre secteur d'hébergement. Nous l'avions vu en effet pendant la crise migratoire. Dans les moments de crise aiguë, des solutions très intéressantes sont trouvées sur les territoires.
La crise migratoire a marqué également une augmentation considérable du nombre de places d'hébergement en France – du côté du ministère de l'intérieur comme de la DGCS. Sans comparer complètement les deux situations, nous retrouvons le même type de mobilisation sur les territoires à l'occasion de la crise épidémique.
Nous sommes en train de faire un retour sur expérience, partagé avec l'ensemble des associations, afin d'identifier parmi les solutions prônées pendant la crise celles qui pourraient être pérennisées. Alain Christnacht, président du Samu Social de Paris, a fait de même de son côté.
J'en viens à la question relative à l'impact du confinement sur la situation des personnes résidant en EHPAD, et à l'évolution de nos consignes vers davantage de souplesse. Le 11 mars, nous avons suspendu les visites. Le 25 mars, l'ensemble des fédérations ainsi que le Conseil national professionnel (CNP) de gériatrie nous ont demandé d'aller beaucoup plus loin, notamment en confinant les résidents en chambre dès lors que la situation le nécessite – ce que nous avons fait au moyen d'une consigne diffusée le 28 mars. Nous avons saisi ensuite le CCNE qui a rendu un avis le 30 mars dans lequel il mettait l'accent – nous l'avions déjà fait dans nos consignes, mais le CCNE le faisait de manière plus insistante – sur l'importance de faire attention au syndrome de glissement et de maintenir à tout prix les liens avec les familles. Forts de cet avis du CCNE, nous avons desserré les consignes en indiquant qu'il fallait recommencer les visites des familles en EHPAD et ne confiner en chambre que lorsque cela était absolument nécessaire. Ce protocole, diffusé le 20 avril, a mis fin au confinement strict en EHPAD.
Face à l'actuelle reprise de l'épidémie, prenant en compte ce qui s'est passé, nous ne revenons pas à une politique stricte de confinement en EHPAD. Le protocole que nous avons envoyé le 1er octobre précise que les suspensions de visites ne peuvent avoir lieu que sur une période de quinze jours, lorsque cela est complètement nécessaire, et toujours sur avis du conseil de la vie sociale de l'établissement. La suspension des admissions urgentes a été également demandée par ce protocole. Ce dernier insiste enfin sur l'importance de maintenir le lien avec les familles, et précise que le confinement en chambre ne doit se faire qu'en cas d'absolue nécessité.
En fonction des situations locales, des consignes spécifiques peuvent toutefois être formulées. Ainsi, le 5 octobre, le directeur général de l'ARS Île-de-France a restreint les visites en EHPAD pour quinze jours à Paris et dans les trois départements limitrophes, en n'autorisant les visites que sur rendez-vous, pour deux visiteurs maximum, afin de limiter autant que possible l'entrée du virus dans les établissements.
Nous ne disposons pas de chiffres permettant d'estimer, par exemple, un nombre de décès directement liées au confinement. Nous savons que les conséquences sanitaires du confinement peuvent être dramatiques, mais nous ne les avons pas objectivées.
Nous ne nous sommes pas encore penchés sur la question de la faible dématérialisation des certificats de décès dans les EHPAD, mais nous le ferons. Ce sujet rejoint, plus globalement, celui du manque de numérisation de l'ensemble des EHPAD. Dans le cadre du Ségur de la santé, ce constat nous a amenés à un plan ambitieux de développement du numérique dans ces structures, assorti d'un budget de 600 millions d'euros pour les prochaines années.
La plate-forme www.jeveuxaider.gouv.fr est gérée par la Direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA). Toute association peut s'y inscrire pour y demander des bénévoles. Nous pourrons vous envoyer des éléments écrits plus précis concernant son fonctionnement.
J'en viens à la façon dont l'État a géré la crise par rapport aux personnes en situation de handicap. À l'instar des audioconférences avec les fédérations de structures pour personnes âgées, nous organisons des conférences régulières avec les fédérations gérant des établissements ou des services pour les personnes en situation de handicap.
Plusieurs démarches ont été menées, à commencer par un traitement accéléré des situations complexes pour des ouvertures de droits via les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Des services de soutien psychologique ont également été constitués par des centres de ressources sur l'autisme. De plus, les externats ayant été fermés durant le confinement, tout l'enjeu a été de développer des soutiens aux aidants et aux familles qui ont réaccueilli en leur sein leurs enfants en situation de handicap. Nous avons donc proposé des séjours de répit dans plusieurs ARS, notamment en Île-de-France ou dans le Nord, pour permettre aux familles de souffler.
Nous dénombrons près de 15 000 décès dans les EHPAD – 14 955 très exactement –, dont 4 170 survenus à l'hôpital. L'ampleur de ces chiffres, près de la moitié des décès recensés dans notre pays, est-elle le signe d'un échec ou d'erreurs de prise en charge ? Comment ressentez-vous ce bilan terrifiant ?
Mme Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du syndicat national des établissements et résidences privés a indiqué lors de son audition avoir eu le sentiment d'un « retard à l'allumage » au début de la crise, qu'elle évalue à un mois et demi. Pourquoi cette prise de conscience extrêmement tardive des problématiques liées aux EHPAD ? Dans la cellule de crise de mon département, constituée sous l'autorité du préfet et de l'ARS, j'ai pu constater que ces enjeux étaient très secondaires dans les préoccupations publiques à la fin du mois de février, et totalement absents s'agissant des services de soins à domicile.
Vous avez dit plus haut que les établissements étaient censés disposer de masques, notamment pour faire face à des épisodes grippaux. La tutelle que vous exercez, au travers des ARS, sur ces établissements a-t-elle veillé à contrôler l'état de ces stocks ? Des objectifs quantitatifs ont-ils été fixés et contrôlés dans ce domaine ?
Par ailleurs, avec le recul, une distribution de cinq masques par lit et par semaine vous paraît-elle suffisante ?
Nous avons eu le sentiment que la mise en œuvre de la stratégie de tests dans les EHPAD a été tardive. Comment cela se fait-il ?
Comment la réserve sanitaire a-t-elle été mobilisée dans les EHPAD ? Cette mobilisation était-elle suffisante ?
Nous avons vu pendant la crise que les personnels étaient soumis à de fortes tensions, certains étant eux-mêmes touchés par la maladie, voire cas contacts, donc indisponibles. Alors que la deuxième vague est là, la mobilisation de cette réserve sanitaire s'améliore-t-elle ? Quels sont les effectifs mis à disposition des EHPAD ? Certains personnels positifs continuent-ils à travailler dans les EHPAD, comme cela se fait dans des établissements sanitaires, ou est-ce totalement exclu ?
Enfin, la question de l'accès aux soins des résidents des EHPAD est revenue plusieurs fois devant notre mission. Des exemples de difficultés d'accès à l'hôpital nous ont notamment été rapportés. Ces difficultés vous ont-elles été remontées et, le cas échéant, quelles réponses y avez-vous apportées ?
Concernant le retard à l'allumage qui a pu être cité par une fédération par rapport à la gestion de la crise épidémique en EHPAD, je me permets de redire ce que je disais plus haut. On ne peut pas dire qu'il y a eu un retard dans la mesure où les premières consignes émises le 14 janvier par le ministère des solidarités et de la santé pour les établissements hospitaliers concernaient aussi les établissements médico-sociaux. Il s'agissait donc de consignes communes à l'ensemble des établissements, qui sensibilisaient les professionnels à la situation et aux recommandations sanitaires.
Ensuite, dès le 21 février, nous avons envoyé un message d'information global assorti d'un guide méthodologique à l'ensemble des fédérations des ESMS pour leur indiquer l'importance des gestes barrières, leur fournir des sites de référence et leur donner des consignes d'organisation pour faire face à l'épidémie.
En revanche, il est vrai que le secteur médico-social n'a pas reçu de masques pendant les quinze premiers jours de mars, parce qu'il devait déjà en disposer et parce que nos autorités politiques avaient fait le choix de sécuriser le système sanitaire. Pendant cette période, 25 millions de masques ont été distribués aux établissements de santé. En cas de situation tendue, les EHPAD pouvaient néanmoins se rapprocher des ARS pour obtenir des masques. La distribution massive de masques a commencé à partir du 16 mars pour ces établissements, avec 500 000 masques distribués par jour, soit 5 masques par lit et par semaine. Ce chiffre a augmenté lors du déconfinement, pour passer à 10 masques. La montée en charge a donc été importante, dès lors que nous avons pu disposer de nombreux masques.
S'agissant des consignes, je pense que nous n'avons pas eu de retard par rapport à la gestion de la crise épidémique. À titre d'exemple, nous avons confiné le 11 mars dans les EHPAD, contre le 17 mars pour la population générale, et avons déconfiné le 20 avril, contre le 11 mai pour la population générale. La gestion du médico-social ne semble donc pas – sauf par rapport aux masques – avoir été plus tardive que celle du reste des établissements de soins.
Vous m'avez interrogée par ailleurs sur les tests. Il faut revenir sur l'historique et sur la manière dont les tests ont été gérés, sachant que la DGCS n'est pas en première ligne dans ce domaine. Je me fais sur ce point la porte-parole de mes collègues.
Avant le 24 mars, les tests étaient orientés « diagnostic ». Puis ils ont été orientés pour qualifier l'évolution de l'épidémie dans tel ou tel secteur. Il a été donné alors pour consigne aux EHPAD de tester les trois premiers résidents dès lors qu'un cas se présentait, pour pouvoir évaluer la situation de l'épidémie. C'est à partir du 9 avril que la politique de tests a été élargie. La consigne a été alors de systématiser les tests, et de ne plus se cantonner aux trois premiers cas. Nous sommes à présent sur une politique majeure de tests en EHPAD. Sauf erreur de ma part, on comptabilise environ 7 000 dépistages en moyenne par jour actuellement dans ces établissements. Nous confirmerons ces données.
Le secteur médico-social souffre d'un déficit structurel de ressources humaines, qui a été absolument criant pendant la crise. Celle-ci n'a finalement fait qu'exacerber une situation déjà très complexe.
La réserve sanitaire ne répond que partiellement aux besoins du médico-social, les profils des personnes qui y sont inscrites n'étant souvent pas en adéquation avec les besoins des EHPAD. C'est pourquoi d'autres outils ont été développés pour venir en renfort dans ces établissements.
Pendant la crise, les ARS ont ouvert pour la première fois des plates-formes régionales pour renforcer l'ensemble des secteurs, dont le médico-social. On a recensé environ 4 000 appariements pendant la première vague. Cela s'est avéré très utile. De plus, à partir de fin août nous avons constitué une plate-forme nationale intitulée Renfort RH qui permet, en complément de la réserve sanitaire, de mobiliser de nombreux profils – des médecins, mais également des personnels non soignants, comme des cuisiniers. Plus de 5 000 personnes y sont inscrites. Pendant la crise, des étudiants, notamment infirmiers et aides-soignants, ont également été mobilisés. Cette mobilisation se poursuit, même si elle s'avère plus compliquée. Plus de 600 étudiants aides-soignants et infirmiers ont ainsi été mobilisés pendant la première vague en Île-de-France.
Outre la réserve sanitaire et Renfort RH, je me dois de citer la mobilisation majeure du service public de l'emploi, pour répondre aux urgences de recrutement qui se présentent dans l'ensemble du secteur médico-social.
Par ailleurs, plus de 20 000 personnels ont été « cas confirmés » dans les EHPAD. Dans nos dernières consignes, nous demandons l'exclusion des personnels positifs de ces établissements pendant sept jours. Nous vous confirmerons cela par écrit.
J'en viens à l'accès aux soins, notamment à l'hôpital, des résidents. Je rappelle que l'accès à l'hôpital dépend d'une décision médicale. La DGCS n'a jamais donné aucune consigne concernant l'admission à l'hôpital des résidents. Vous-même avez dit que de nombreux décès de résidents d'EHPAD avaient été recensés à l'hôpital, ce qui montre bien qu'il y a eu un nombre élevé de personnes hospitalisées.
De plus, entre le 18 mars et le 10 avril, période de forte croissance de l'épidémie, les personnes de plus de 70 ans représentaient 57,1 % des personnes hospitalisées pour covid en hospitalisation conventionnelle, ce qui montre bien que l'accès à l'hôpital a été tout à fait correct. En tout cas, nous n'avons pas eu d'alerte particulière par rapport à ce sujet. Le protocole du 1er octobre rappelle en outre que, dans la mesure du possible et en fonction des décisions médicales collégiales devant être prises, les personnes atteintes par la covid-19 en EHPAD doivent pouvoir être hospitalisées, si la situation le nécessitait.
Vous ne m'avez pas répondu sur le contrôle du stock de masques dans les EHPAD et sur une éventuelle définition de l'évaluation de ce stock.
Il relevait de la compétence des ARS d'être en lien étroit avec les établissements pour vérifier leurs besoins, avant même le début de la distribution, le 16 mars. Pour autant, c'est cet été qu'a été instauré un système précis de suivi des stocks de masques en EHPAD, de manière à pouvoir prévenir toute difficulté dans ces établissements.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Réunion du mardi 13 octobre 2020 à 9 heures
Présents. - M. Julien Borowczyk, M. Éric Ciotti, M. Pierre Dharréville, Mme Sereine Mauborgne, M. Jean-Pierre Pont, M. Boris Vallaud
Excusés. - M. Olivier Becht, M. David Habib
Assistait également à la réunion. - M. Pierre Dharréville