Intervention de Grégory Emery

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Grégory Emery, conseiller sécurité sanitaire au ministère des solidarités et de la santé :

Concernant les stocks stratégiques de masques avant janvier 2020, ma réponse comportera plusieurs points. Premièrement, un conseiller ministériel conseille un ministre. Les missions de Santé publique France sont précisées à l'article L. 1413-4 du code de la santé publique, qui dispose que « l'agence procède à l'acquisition, la fabrication, l'importation, le stockage, le transport, la distribution et l'exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves. Elle assure, dans les mêmes conditions, leur renouvellement et leur éventuelle destruction. » Autrement dit, c'est à l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) depuis 2007, et à Santé publique France depuis le 1er mai 2016, que revient la mission de gérer les stocks stratégiques. J'ai assuré les fonctions de conseiller en charge de la sécurité sanitaire à partir du 1er octobre 2018, et je ne peux donc pas commenter les éléments antérieurs à ma prise de fonctions. En revanche, il est très clair qu'entre octobre 2018 et janvier 2020, rien de particulier n'est remonté au cabinet de la ministre concernant les stocks stratégiques gérés par Santé publique France.

Chaque mercredi, se tient la réunion de sécurité sanitaire. Présidée par le directeur général de la santé, elle se déroule en présence du conseiller sécurité sanitaire du ministre et de l'ensemble des directeurs d'agence et permet de coordonner, d'anticiper et de gérer. À aucun moment, les directeurs de Santé publique France n'ont évoqué, lors d'une de ces réunions, le sujet des stocks stratégiques de masques. C'est un fait ; l'ensemble des comptes rendus de ces réunions peuvent être mis à votre disposition.

Par ailleurs, quand je prends mes fonctions de conseiller ministériel, j'ai pour habitude de lire le dossier remis à la ministre au moment de la passation de pouvoirs. Dans celui remis à Mme Buzyn en 2017 – elle peut, je pense, le porter à la connaissance de votre mission d'information –, les mots « stocks stratégiques de masques » ne figurent pas parmi les alertes mentionnées dans la note de transmission du directeur général de la santé de l'époque, le professeur Benoît Vallet. Voilà pour mon analyse concernant les stocks stratégiques avant janvier 2020.

Vous m'interrogez ensuite, monsieur le président, sur la note adressée au cabinet de Mme Agnès Buzyn par la DGS le 6 février 2020 et dont l'objet est la mise en place d'un stock d'État de masques FFP2 dans la perspective d'une propagation de l'épidémie de covid-19 sur notre territoire. La question des masques fait l'objet d'échanges entre le directeur général de la santé et moi-même dès le 23 janvier 2020. Je rappelle qu'à cette date, nous comptions 581 cas et dix-sept décès à Wuhan, et dix cas exportés. Au 21 janvier 2020, le stock de masques chirurgicaux est composé – je cite la réponse – de « 33 millions de masques de chirurgie pédiatrique et de 65,9 millions de masques chirurgicaux adultes. Nous devons recevoir avant la fin du mois de février 10,6 millions de masques pédiatriques et 54,6 millions de masques adultes. » Il n'est pas fait état, ce jour-là, de stocks de masques FFP2. Le mail est complété le lendemain, 24 janvier 2020, par le sous-directeur concerné de la DGS, qui reprend les éléments que je viens de citer, et ajoute : « Le stock est géré par Santé publique France. Il n'y a pas de masques FFP2. »

Dès lors, un état des lieux des services infectieux est lancé le 28 janvier, avec un retour le 30 janvier. Une note est formellement adressée à la ministre, sous mon couvert, le 6 février ; elle concerne principalement les masques FFP2, du fait de l'absence de stocks d'État – je pourrai y revenir. La proposition qui est formulée est de trois ordres : constitution d'un stock stratégique d'État, au sein du secteur hospitalier et en EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), et au sein du secteur libéral. La note est transmise à mon directeur de cabinet et est validée le lendemain, dès le 7 février. Je vous lis la réponse : « Accord pour demander sous l'égide du SGDSN [Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale] l'ouverture de nouvelles lignes de production dédiées à la constitution d'un stock stratégique et la délivrance aux établissements de santé et aux EHPAD d'un stock d'amorce propre à couvrir les besoins pour un mois. S'agissant des professionnels libéraux, on retient le scénario 3. Il est entendu qu'il faut revoir les conditions de gestion de stocks ainsi constitués pour éviter le constat à date de leur péremption. Une gestion plus dynamique qui prenne en compte la date de péremption et les besoins intermédiaires de consommation devra être mise en œuvre. » Voilà la réponse formelle qui est adressée à la DGS, et qui nourrit un courrier porté à la connaissance de la mission d'information. Nous pourrons revenir sur ces éléments.

Vous m'interrogez sur les tests. D'abord, il faut prendre en compte le nombre de laboratoires qui ont participé aux opérations, puis les objectifs des politiques de tests. La technique a été développée en janvier ; elle peut être transférée du Centre national de référence (CNR), l'Institut Pasteur de Paris, à d'autres laboratoires le 27 janvier, soit seulement dix-sept jours après la publication du génome. La France a donc rapidement identifié la séquence génomique et élaboré une technique de diagnostic.

La capacité de tests a évolué en fonction des différentes phases. Au cours de la phase 1, qui s'est déroulée du 24 janvier au 28 février et qui avait pour objet de freiner l'introduction du virus, la stratégie consistait à être en mesure de dépister précocement les malades. Six laboratoires hospitaliers étaient disponibles au 31 janvier, vingt au 21 février.

Lors de la phase 2, qui s'est déroulée du 29 février au 13 mars et dont l'objectif en matière de gestion de l'épidémie était de freiner la propagation du virus – 43 laboratoires étaient disponibles la semaine du 7 mars –, le dépistage s'est attaché à déterminer les cas probables, c'est-à-dire les personnes présentant des symptômes et ayant préalablement été en contact avec un patient confirmé.

Dans la phase 3 – je ne ferai pas l'énumération de toutes les capacités de tests : je tiens à la disposition de la mission d'information les chiffres de la montée en charge du nombre de laboratoires –, soixante-cinq laboratoires publics et deux groupes de laboratoires privés étaient opérationnels la semaine du 24 mars ; au 4 juin, la France dénombrait 1 162 laboratoires de ville et centres de prélèvements opérationnels, répartis sur tout le territoire.

Les capacités de tests sont donc passées de 2 000 à 2 500 tests par jour fin février-début mars, à 5 000 tests PCR par jour début avril, puis à 50 000 tests par jour en phase de déconfinement, mi-mai. Actuellement, la capacité théorique est de l'ordre de 1 million de tests sur sept jours, sachant que nous avons dépassé le nombre de 1,5 million il y a quelques jours. Cette montée en charge des capacités de tests a été guidée par les objectifs associés à la politique de tests.

Vous m'interrogez sur le fait de savoir s'il aurait fallu, dès le début de l'épidémie, tester massivement la population. Je me suis permis de rappeler les différentes phases de gestion de cette épidémie : ne pas permettre au virus de rentrer sur le territoire, freiner sa propagation et limiter les impacts. Il est vrai qu'à aucun moment, dans les plans de préparation, n'a été envisagé le scénario dans lequel un virus dont le taux de formes asymptomatiques est de 50 % – voire, potentiellement, de 80 % chez les plus jeunes, notamment les personnes de 20 à 30 ans – aurait des conséquences telles qu'elles mobiliseraient l'offre de soins et influeraient sur la mortalité. Autrement dit, le dépistage de masse, qui apparaît au fur et à mesure de la gestion scientifique de cette épidémie – le fameux « tester, tracer, isoler », mis en œuvre notamment en Corée après le 17 mars – n'avait jamais été évoqué en janvier et en février. Si l'Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne, dans des notes datées du 12 février, du 2 mars et du 21 mars, la nécessité de mettre en place des stratégies de dépistage, elle n'indique pas qu'il faut tester d'autres personnes que celles qui sont malades.

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