Intervention de Grégory Emery

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Grégory Emery, conseiller sécurité sanitaire au ministère des solidarités et de la santé :

Il existe différents niveaux d'exercices sanitaires. Certains sont menés au sein des établissements de santé. Lorsque j'ai travaillé au centre interministériel d'aide aux victimes dans le cadre de la préparation de l'Euro de football, nous avons effectué, au moment où le risque terroriste était important, plusieurs exercices en région pour nous préparer à faire face à un éventuel accueil massif de victimes – nous avons, hélas ! vécu cette situation lors des attentats de Nice, le même été. Par ailleurs, j'ai présidé, à mon niveau, en décembre dernier, un exercice autour de la variole. Ces exercices font-ils l'objet de communications et de bilans publics ? La réponse est sans doute non, mais, encore une fois, ils sont réguliers.

Pour le reste, je vous rejoins. À titre personnel, je n'ai jamais autant appris que lors de ces exercices de crise. Je travaille au ministère depuis bien longtemps et j'ai participé, par exemple, à des exercices simulant l'explosion de bombes qui annuleraient nos capacités d'action au sein des établissements de santé, en grillant les respirateurs et l'ensemble des équipements informatiques. J'ai également participé à des exercices portant sur les conséquences qu'aurait une coupure de l'arrivée du gaz depuis l'est de la France sur les gaz médicaux. Lorsqu'au sein du cabinet, je m'occupais du risque cyber, nous avons recommandé aux établissements d'effectuer des exercices de crise simulant une panne de machines à la suite d'une attaque cyber. Les exercices visent donc à couvrir tous les risques. Faut-il les renforcer ? Cela peut faire l'objet d'une réflexion ultérieure.

J'en viens à la révision du plan Pandémie grippale. À l'issue de cette crise, il nous faudra balayer à nouveau ce plan et, de manière générale, l'ensemble de nos plans de préparation, en évitant de tomber dans le travers de la fausse réassurance qu'offre l'existence d'un plan. Nous avons, au début de l'épidémie, essayé d'appliquer autant que faire se peut le plan Pandémie grippale, dans les différentes phases que j'ai rappelées au début de l'audition. Mais, en définitive, nous avons préféré l'abandonner, car il n'était pas totalement adapté : les antiviraux n'étaient pas disponibles, les cas asymptomatiques étaient nombreux et la contagiosité très forte. En phase 1, les personnes malades étaient hospitalisées dans des conditions de sécurité particulières – elles étaient quasiment dans une bulle –, ce qui n'est pas prévu dans le plan Pandémie. On a donc préféré se référer à un autre plan, le plan Orsan REB, plan de gestion du risque biologique, qui reprend peu ou prou les trois phases que j'ai citées. En définitive, nous devrons nous demander s'il ne faut pas bâtir un plan Virus émergent qui se distinguerait du plan Pandémie grippale.

Pourquoi ne me suis-je jamais intéressé au stock de masques ? Je vous ferai la même réponse que tout à l'heure. La question des masques chirurgicaux ou FFP2, dans mon processus interne de gestion de crise, ne figurait pas non plus comme une priorité, car rien ne m'a rappelé qu'un problème pouvait se poser dans ce domaine. En tant que médecin, je sais que des masques FFP2 sont nécessaires en présence de virus respiratoires très contagieux et que les malades doivent porter un masque en présence d'un virus. D'ailleurs, cela fait bien longtemps que les personnes malades devraient porter un masque au moment des épidémies de grippe, notamment dans le métro.

Me suis-je interrogé sur le fait de savoir si les masques de Santé publique France étaient soit trop peu nombreux soit périmés ? La réponse est non. À l'issue de cette crise, me poserai-je la question de manière quasi quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle ? La réponse est oui. Il nous faut donc monitorer différemment ce sujet, ce qui peut être réalisé de diverses manières, tout comme le fait de rendre compte, notamment devant la représentation nationale, de l'état des stocks. Plusieurs propositions peuvent être faites. Santé publique France est financée par le budget de l'assurance maladie ; il suffit de conditionner le remboursement de l'assurance maladie à la présentation des actions menées sur la gestion des stocks. Plusieurs pistes peuvent être explorées pour rendre cette gestion plus claire et transparente.

Vous faites référence à l'audition de Jean-Paul Stahl, qui évoquait un besoin d'un milliard de masques. Je ne pourrai pas répéter vos propos, car si je le faisais, je mentirais. Je cite M. Stahl, dans le compte rendu disponible sur le site de l'Assemblée nationale : « Nous avons chiffré un besoin et non une recommandation de stock. » Ce chiffre d'un milliard indique non un stock, mais un besoin pour couvrir – je peux vous montrer les schémas – 20 millions de personnes sur une période de trois mois. Force est de constater que l'épidémie de covid n'a pas duré trois mois.

Vous m'interrogez ensuite sur la gestion des stocks de gants. J'ai moins de visibilité sur la question, dans la mesure où, à partir du 29 février, une cellule logistique interministérielle a été créée. En revanche, vous avez raison, ce marché connaît des tensions importantes et des stocks de gants ont été constitués. Santé publique France et la cellule idoine se réservent la possibilité de les distribuer, si cela était nécessaire. Ce sujet est suivi dans les remontées au ministère, à deux niveaux : celui des professionnels libéraux, car il leur est plus difficile d'accéder à des marchés, et celui des établissements de santé, pour lesquels la plupart des marchés ont été réactivés au cours de l'été, ce qui leur permet de disposer de ces EPI. À l'issue de cette crise, quand se posera la question du bon niveau de stock stratégique de masques, il faudra inclure les autres produits nécessaires à la préservation de la réponse stratégique française en matière de santé. Cela ne fait aucun doute.

La question relative aux pupilles de la nation ne fait malheureusement pas partie de mes compétences de conseiller sécurité sanitaire – je vous invite à interroger le ministre sur ce point.

Quel bilan dressons-nous de l'emploi de la réserve sanitaire ? Premièrement, elle a été mobilisée très tôt, dans cette crise. Les réservistes ont été projetés à Roissy-Charles-de-Gaulle pour constituer les premières équipes médicales chargées d'accueillir les passagers des vols en provenance de Wuhan ; ils sont également intervenus dans les centres d'accueil installés à Carry-le-Rouet et à Aix-en-Provence pour accueillir les ressortissants français de retour de Wuhan.

La réserve sanitaire, dans le processus de crise, a été victime de son succès : le site internet de Santé publique France pour la réserve sanitaire n'a rapidement plus permis de renseigner des candidatures, si bien qu'une action correctrice a été menée. Les ARS ont alors monté, de manière d'abord individuelle, puis de manière plus groupée, des plateformes de renfort en ressources humaines pour répondre aux besoins. Étant moi-même réserviste, je sais que la difficulté, dans cette crise sanitaire, vient du fait que les besoins portent sur des professionnels de santé particuliers, notamment des réanimateurs et des infirmières d'anesthésie-réanimation. Or, la réserve sanitaire, telle qu'elle était construite, ne permettait pas d'identifier les professionnels de santé concernés. Il faudra donc s'interroger, à l'issue de cette crise, sur son dimensionnement, son pilotage et son animation. Le point positif est que les professionnels de santé – et les autres professionnels de la réserve que nous avons tendance à oublier et qui sont nombreux – ont su répondre présents. Il faudra faire vivre cette énergie, avec une réserve sanitaire en mesure de faire face aux prochains événements, chaque fois que cela sera nécessaire.

Enfin, monsieur le président, je l'ai glissé subrepticement dans l'une de mes réponses : Santé publique France a en effet adressé au ministre et à son cabinet une note complète sur l'état des stocks stratégiques destinés à couvrir l'ensemble des risques. Le premier point porte sur l'état des stocks. Des propositions ont été faites en matière de renouvellement ou de nouvelles acquisitions, pour le covid et pour les autres risques. Cette note a été reçue récemment, il y a environ dix jours – je vous la communiquerai. Le ministre a décidé qu'elle devait donner lieu à un arbitrage interministériel, qui mobilisera notamment le SGDSN, dès lors que plusieurs plans concernés, notamment pour les antiviraux, sont interministériels et pas uniquement sanitaires. Ainsi, à la question de savoir si Santé publique France a fait un état des lieux et des propositions, la réponse est oui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.