Je vais commencer par une brève chronologie des événements tels que les Chinois ont pu les vivre. On peut distinguer cinq temps.
Le premier est celui de la dissimulation d'une crise qui était encore locale. Cette période va jusqu'au 31 décembre dernier : les autorités chinoises annoncent alors, pour la première fois, l'existence de vingt-sept cas, dont sept graves. L'information est aussitôt relayée au Centre de crise du quai d'Orsay par Olivier Guyonvarch, notre consul général à Wuhan. Pendant cette période, on peut considérer qu'il existe une volonté locale de faire le moins de bruit possible et de cacher l'information.
J'étais le 19 décembre à Wuhan, où j'ai eu beaucoup de contacts avec les milieux universitaires, médicaux et politiques. À aucun moment, la covid n'a été mentionnée. Je n'ai observé aucune tension ou précaution particulière.
Le 2 janvier, nous avons fait modifier les conseils aux voyageurs, et le 8 janvier nous avons annoncé la découverte d'un nouveau coronavirus en Chine.
Le deuxième temps est celui de la minimisation de la dangerosité du virus, jusqu'au 23 janvier. Le 10 janvier, les autorités excluent formellement toute transmission interhumaine, avant de revenir sur cette information le 20 janvier. À cette date, elles disent encore que la maladie n'est pas aussi grave que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002-2003. Probablement parce qu'elles n'avaient pas oublié l'expérience du SRAS, un vrai travail est néanmoins effectué par les autorités médicales chinoises, qui isolent la souche le 7 janvier, réalisent un séquençage génétique le 12 janvier et ont les premiers réactifs pour les tests le 9 janvier.
La troisième phase, qui dure jusqu'à la fin mars, est celle de la lutte pour maîtriser la pandémie sur le sol chinois.
Le 23 janvier, une forme de panique s'installe, compte tenu de l'envolée du nombre de cas, passé de 217 à 443 entre le 21 et le 22 janvier. Des décisions politiques fortes sont prises, et les autorités chinoises cherchent à établir les responsabilités. L'exécutif de la province du Hubei est remplacé et une mobilisation populaire pour lutter contre le virus voit le jour.
Le 23 janvier, à deux heures du matin, des mesures radicales sont appliquées, 20 millions de personnes étant confinées sans préavis. Une seule personne par famille peut alors sortir une fois tous les trois jours – cela pendant soixante-seize jours. Le 10 février, certains quartiers passent à un système de gestion fermée des résidences : les habitants n'ont plus le droit de sortir et sont ravitaillés par des comités de quartier. Les routes sont coupées par des barrages policiers, et on m'a rapporté qu'elles l'auraient même été au sens propre du terme dans des zones périphériques. Le système de santé explosant, 30 000 personnels sont envoyés en renfort dans le Hubei. Jusqu'à seize hôpitaux mobiles supplémentaires sont déployés dans la province. Jusqu'au 8 avril, à peu près, le Hubei et Wuhan restent coupés du monde.
Les mesures prises dans toute la Chine à cette époque suivent à peu près la même logique. D'abord, une politique de prévention : port du masque partout, lavage des mains, interdiction des réunions, isolement de certains quartiers ou immeubles, filtrage des allées et venues. Ensuite, une politique de détection précoce, reposant sur un contrôle systématique des températures, un appel à la dénonciation quand des personnes achètent du Paracétamol en pharmacie, une identification des cas contacts par voie numérique, généralisée début février, et une politique de tests à grande échelle. Le troisième volet est l'isolement précoce et autoritaire des malades, y compris les asymptomatiques. À cela s'ajoutent, évidemment, les traitements médicaux.
Le pays se trouvait déjà à l'arrêt en raison des fêtes du nouvel an chinois, ce qui était un élément positif. Tout le pays reste dans cette situation jusqu'au 10 février, pratiquement dans tous les domaines. La Chine se barricade, se referme. Les chaînes logistiques terrestres en souffrent, les camions n'arrivant plus à passer les barrages. Même après le redémarrage des activités productives, à partir du 10 février, il faudra des semaines pour que la vie reprenne dans des villes comme Pékin. Le fait qu'on était au cœur de l'hiver a certainement contribué au très grand respect du confinement.
Fin février, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) effectue une mission sur place et donne un satisfecit à la Chine quant aux mesures qui sont prises.
Le 19 mars est le premier jour sans cas à Wuhan. On peut considérer que cette date marque le début de la maîtrise de l'épidémie, qui sera assez complète à partir de la fin mars.
Une inversion se produit à partir de cette période. Avec les premières contaminations en Europe, le thème de la menace venant de l'étranger apparaît. La Chine impose, à partir du 20 mars, une quarantaine et des tests systématiques aux passagers arrivant de l'étranger. Le nombre de vols venant du reste du monde est limité. La Chine est elle-même gérée, en quelque sorte, comme une résidence fermée : les allées et venues sont strictement contrôlées.
En ce qui concerne les chiffres, l'évolution par rapport à ceux de la fin mars n'est plus très importante – au 1er novembre, 86 000 cas et 4 634 morts étaient officiellement recensés. Les cas enregistrés depuis cette période sont essentiellement importés. Néanmoins, 1 837 contaminations locales sont liées à de petits rebonds épidémiques, à Canton, Harbin, Jilin, Pékin, au mois de juin, et dans le Xinjiang actuellement.
J'en viens au quatrième temps, celui de la normalisation des mesures de prévention et de gestion de la crise, celle-ci s'inscrivant dans la durée.
La garde reste très haute : les clusters que j'ai mentionnés sont étouffés assez rapidement, grâce à des mesures drastiques. À Pékin, 500 000 personnes sont ainsi confinées du jour au lendemain, les voyages entre la ville et le reste du monde s'arrêtent complètement et des centaines de milliers de personnes sont testées. À Wuhan, au moment du rebond, neuf millions de personnes sont testées en une quinzaine de jours, et un nombre à peu près équivalent à Qingdao. Le contrôle est très ferme.
Par ailleurs, une normalisation a lieu progressivement de la fin mars au début du mois de juillet, notamment en ce qui concerne le retour des résidents français – la situation devient presque complètement normale début septembre.
Depuis l'été, nous sommes entrés dans une nouvelle forme de normalité. L'objectif est clair : il s'agit de préserver l'acquis du zéro cas, vu comme un symbole de la supériorité de la gouvernance à la chinoise. À la rentrée de septembre, les écoles ont rouvert à Pékin, après huit mois de fermeture. La semaine du 1er octobre, un déclic s'est produit dans les esprits, me semble-t-il : cinq millions de Chinois ont recommencé à voyager à travers le pays.
J'ai visité un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à Shenzhen samedi dernier. Les pensionnaires et le personnel soignant sont restés confinés durant 230 jours. Depuis le 1er octobre, les visites des familles ont repris, mais uniquement dans la cour de l'établissement.
Si on peut parler d'un retour à la normale, il s'agit d'une normalité différente. Pour se déplacer, prendre le train ou aller à l'hôtel, ainsi que dans un certain nombre de restaurants ou de musées, il faut absolument utiliser une application. Des différences existent selon les provinces : les choses sont plus légères à Shanghai qu'à Pékin, et plus légères à Pékin qu'à Shenzhen.
On continue à prendre la température lors des déplacements, mais d'autres contrôles se sont allégés. Il est à nouveau possible de recevoir des visiteurs chez soi – même si, en principe, ils doivent toujours laisser leur numéro de téléphone et présenter leur carte d'identité. Le masque est encore très présent, mais avec plus de légèreté, et les gens se serrent à nouveau la main.
La reprise économique est confirmée par nos entreprises. Quelques secteurs sont même en forte croissance – pour l'Oréal, elle doit être de 20 % par rapport à l'année dernière. Par ailleurs, la marine marchande n'a plus de bateaux à l'ancre. Il est vrai qu'elle profite de la baisse du trafic aérien, mais c'est quand même un signe.
Je vais maintenant vous présenter le travail de l'ambassade au cours des dix derniers mois. Il a naturellement évolué en fonction des cycles de la crise.
Nous avons vécu dans une quasi-normalité jusqu'au 23 janvier – deux visites ministérielles ont eu lieu durant la première quinzaine du mois. Dès le 23 janvier, nous avons commencé à faire des points quotidiens sur la situation, puis tout s'est accéléré et nous avons organisé l'évacuation de nos ressortissants de Wuhan, grâce à quatre vols, entre la fin du mois de janvier et le 21 février.
Nous sommes alors entrés dans une période où nous avons suivi l'évolution de la situation et les conséquences pour nos entreprises et nos ressortissants. Nous avons fait de nombreux webinaires avec la communauté d'affaires, et nous avons transmis des informations à la communauté française. Nous avons aussi fait un « retour » sur les mesures prises par notre poste afin de préparer le réseau diplomatique à ce qui arrivait.
Quand la crise est devenue une réalité en Europe, l'ambassade s'est transformée en centrale d'achat, autour d'une task force. Presque tous les jours, nous avons identifié des producteurs et reçu des demandes de Paris concernant la recherche de certains composants. Pendant plusieurs semaines, le gros de notre activité a consisté à préparer les achats, puis à assurer le suivi et la logistique. À peu près deux milliards de masques sont passés par la chaîne unissant Santé Publique France, l'ambassade et notre pays.
À partir de la sortie de crise, ou du moins du moment où elle a atteint un point bas en Chine, la question du retour des résidents français s'est posée de façon croissante. L'amélioration relative de la situation dans notre pays a aussi conduit à renforcer la pression sur les autorités chinoises en ce qui concerne le retour de nos ressortissants, le rétablissement d'une forme de connectivité aérienne et, en la matière, l'instauration d'une meilleure parité entre les compagnies chinoises et la compagnie française.
Dans la période actuelle, nous nous centrons surtout sur la reprise de l'activité en Chine. Il s'agit de l'accompagner au mieux, de reprendre notre place, en utilisant les instruments disponibles – on peut faire des choses en « présentiel » et d'autres à distance – et, bien sûr, de faire passer les messages de nos autorités.