J'ai apporté un graphique montrant que depuis le déconfinement – et, plus précisément, depuis ma prise de fonctions de Premier ministre, début juillet – les courbes de l'épidémie évoluent de façon linéaire dans plusieurs pays. Face à cette progression, nous avons pris, comme la plupart de nos voisins, un cocktail de mesures – les tests et des actions dites de « freinage » – adaptées à l'évolution épidémique, à partir des critères dont nous disposons, et le plus territorialisées possible. Nous maîtrisions plus ou moins les choses. Nous avons obtenu des résultats en plusieurs endroits, par exemple en Mayenne. Les mesures de freinage que nous avions commencé à prendre à Bordeaux, à Marseille, à Nice ont produit quelques effets.
Puis, en octobre – la date varie de quelques jours selon les pays –, survient, pour des raisons que les scientifiques n'expliquent pas bien, une très brutale accélération de l'épidémie, qui nous prend tous à revers. Comme le montre la carte que je vous ai apportée, la forte hausse du taux d'incidence, sur treize jours glissants, selon les critères harmonisés de la Commission européenne, a fait virer progressivement l'Europe dans le rouge. Il y a huit jours, les situations étaient plus variées selon les pays. Pour répondre à votre question, il était extrêmement difficile d'anticiper la brutale accélération de la pandémie – j'observe d'ailleurs qu'aucun des pays européens n'a réussi à le faire. Cela nous a conduits à décider d'un nouveau confinement.
L'histoire des grandes pandémies nous a montré qu'une deuxième vague pouvait survenir, sans qu'on puisse prévoir le moment de son déclenchement, ni l'ampleur qu'elle peut atteindre. Chacun connaissait donc le risque de l'apparition d'une deuxième vague. Nous avions anticipé la possibilité d'un reconfinement. Je tiens à votre disposition le rapport que j'avais écrit lorsque je m'occupais du déconfinement, dans lequel j'écrivais très clairement que cette situation pouvait se produire. Nous y sommes, et nous avons appliqué, s'agissant notamment du système hospitalier, les dispositions prévues en pareilles circonstances. Je pourrai détailler toutes les mesures qui ont été prises si votre commission le souhaite.
J'en viens à votre question relative à la gestion territorialisée de la crise, qui recouvre deux volets. Le premier a trait à la dévolution des compétences au sein de l'appareil d'État : qui fait quoi dans les territoires ? Les agences régionales de santé, créées en 2010, exercent, comme leur nom l'indique, des missions à caractère régional et sont, pour simplifier – même si ce n'est pas tout à fait exact juridiquement –, les services déconcentrés du ministère de la santé. Les préfets, quant à eux, sont les représentants du Gouvernement et de l'ensemble des ministres, et ont un rôle plus marqué en période de crise.
Globalement, les préfets et les ARS ont, de mon point de vue, travaillé de manière satisfaisante. Il m'est arrivé de les réunir, ensemble ou séparément. La difficulté vient du fait que, depuis l'origine, les ARS sont organisées au niveau régional et sont peu développées à l'échelon départemental. Or, la gestion de la crise suppose une action de proximité, plutôt dévolue au préfet de département. Il faudra certainement, monsieur le président, en tirer des enseignements structurels. Quand on gère une crise dans l'urgence – ce qui a été également le cas de mon prédécesseur –, il est impossible de changer l'organisation en cours de route, car ce serait encore plus déstabilisateur. Nous avons veillé à ce que les uns et les autres travaillent au mieux et que le niveau départemental, en particulier par l'intermédiaire des préfets de département, soit le plus impliqué possible dans la gestion de la crise.
Second volet de votre question, dès lors que nous avons une gestion territorialisée, qui implique les deux acteurs – ARS et préfets –, il faut travailler avec les collectivités territoriales. Vous avez cité le couple formé par le maire et le préfet. Si on voulait être très précis, il faudrait ajouter les agglomérations ou les établissements de coopération intercommunale, ainsi que les régions et les départements qui, à un titre ou à un autre, ont joué un rôle dans la gestion de la crise. À partir du moment où nous avons décidé de pratiquer une gestion territorialisée, donc différenciée – jusqu'à ce que la pandémie reprenne avec force, et que nous devions prendre des mesures uniformes sur l'ensemble du territoire national –, il a fallu s'appuyer sur le « couple maire-préfet », c'est-à-dire associer les collectivités territoriales à la gestion de la crise. Toutefois, je ne vous apprendrai pas que la police sanitaire et même la politique sanitaire relève de l'État. En dernier ressort, en cas de désaccord, c'est évidemment à l'État de prendre ses responsabilités. C'est d'ailleurs ce que souhaitent les collectivités locales. Elles veulent être associées mais ne désirent évidemment pas que l'État se défausse de ses responsabilités sur elles – je crois que ça n'a jamais été le cas.
Des difficultés sont survenues avec les collectivités locales – je ne parle pas des problèmes antérieurs d'acquisition des masques mais uniquement de ce qui relève de ma responsabilité. On l'a vu, par exemple, dans certains territoires, s'agissant de la fermeture d'un certain nombre d'établissements recevant du public (ERP), en particulier les bars et les restaurants. Récemment, la fermeture de commerces ne vendant pas de produits de première nécessité a également été source de difficultés. Globalement, les choses se sont passées – et se déroulent toujours – de manière satisfaisante. En tout état de cause, je m'y emploie.
Je voudrais dire un mot des métropoles, qui sont, du fait de la forte concentration de leur population, au cœur de la gestion de la crise épidémique. Dans une zone urbaine dense, le virus ne s'arrête pas aux frontières communales. Il faut donc conduire une gestion métropolitaine, comme le font la plupart des pays qui nous entourent. Je me suis personnellement investi auprès de nombreux présidents et présidentes des métropoles tout au long de la crise, et je continue à le faire. Je voudrais dire qu'au-delà de ce qu'on peut lire ou entendre ici ou là, les relations n'ont jamais été rompues, ont toujours été fluides. Il a pu y avoir des différences d'appréciation, mais, en fin de compte, les choses se passent bien.
À Marseille, chacun se souvient qu'il y a eu, à un moment donné, quelques tensions. J'ai tenu à m'y rendre, une fois le calme et la sérénité revenus. J'y ai été reçu par Mme la maire et Mme la présidente de la métropole. Nous continuons à discuter, dans le cadre de relations de confiance, pour faire face à la pandémie.
L'association des collectivités et des métropoles est nécessaire, comme l'illustre leur rôle en matière de dépistage et de test. La politique de test, je tiens à le repréciser, a un caractère sanitaire. Il est donc indispensable que la doctrine de test, le déploiement du dépistage, où qu'il se déroule, soit placé sous la conduite des autorités sanitaires. Cela n'exclut pas que les collectivités territoriales y soient associées et puissent y participer. Certaines, par exemple, font l'acquisition de tests. Dès le mois d'août, j'ai demandé l'élaboration de plans métropolitains, qui ont fait l'objet d'un travail conjoint des préfets et des présidents de métropole. J'ai souhaité que les collectivités puissent être associées à l'accompagnement des personnes isolées après avoir été testées positives ou déclarées cas contacts de ces dernières. Les maires et les présidents de métropole ont évidemment une connaissance de leur population que les services de l'État, peu nombreux dans les territoires, n'ont naturellement pas.
Vous m'avez demandé ce qui allait se passer dans les mois à venir, monsieur le président, et avez parlé de « vaccination massive ». De fait, nous nous mettons en état, compte tenu des perspectives qui se dessinent, de vacciner la population française. Il est d'abord nécessaire de savoir quelles personnes les autorités sanitaires et scientifiques recommanderont de vacciner en priorité. Parallèlement, nous nous préparons pour assurer l'organisation logistique de cette opération extrêmement importante.
Nous nous adaptons au fur et à mesure que nous parviennent les informations sur les caractéristiques de la vague épidémique ; nous nous ajustons en permanence. Au cours de la prochaine phase, nous devrons accroître les politiques de test et de dépistage que je viens d'évoquer. Cela sera rendu possible par l'arrivée d'une nouvelle génération de tests dits « antigéniques ». Cela suppose une lourde organisation logistique – tous les pays européens sont confrontés à ces difficultés – qui implique une action d'une triple nature : tester, alerter et protéger les personnes positives et leurs cas contacts. Il faut aussi prendre des mesures de freinage pour éviter le « stop and go ». Les expériences que nous avons connues nous permettront peut-être de mieux ajuster notre action. Nous ferons les annonces et prendrons les décisions dès que nous aurons calé les dispositifs.
La priorité, pour le Gouvernement et, plus largement, pour la nation, est de réussir la phase actuelle de reconfinement, qui est essentielle. D'ici à l'échéance du 1er décembre, fixée par le Président de la République, il faut que, grâce aux mesures de freinage, les taux d'incidence continuent d'être orientés à la baisse – ou connaissent, en tout cas, une progression moindre – et que les services de réanimation ne soient plus saturés. Vous avez tous constaté que l'on atteint manifestement un palier, qu'il faut consolider. Toute notre énergie doit être tournée vers la réussite de la phase actuelle pour bien préparer la suivante. Il faut expliquer aux Françaises et aux Français que plus vite la phase actuelle de confinement produira ses effets, en termes sanitaires – et plus ceux-ci seront efficaces –, plus vite nous pourrons évoluer et passer à la phase ultérieure.
Toutefois, la période suivante ne marquera pas le retour à « l'antéconfinement ». Des mesures de freinage, qui sont en cours de calage, perdureront, par exemple pour certains ERP. En effet, la situation ne se sera pas encore suffisamment améliorée. Surtout, il faudra éviter un trop grand écart entre la période de confinement et celle du déconfinement et pouvoir gérer dans la durée. Nous espérons toutes et tous que les vaccins pourront être rapidement déployés, qu'ils seront efficaces et que nos concitoyens y recourront. Tant que je n'ai pas la certitude que ces trois conditions seront remplies, il est du devoir de l'État d'organiser une gestion au long cours.
Le Gouvernement a bien conscience que, plus les mois passent, plus le corps social accepte difficilement les mesures de confinement. Il est normal que les Français supportent moins bien la deuxième phase, précisément parce qu'ils ont dû déjà traverser cette première phase qui les a surpris et au cours de laquelle ils ont montré leur force de résilience. C'est humain : plus la crise dure, plus il est difficile de la supporter.
Depuis l'arrivée de la pandémie en France, le gouvernement de mon prédécesseur et le mien n'ont pas lésiné sur les mesures d'accompagnement économique et social. Nous les avons même renforcées dans la phase actuelle, conscients des conséquences extrêmement délétères de la crise sanitaire.
La forme du deuxième confinement a été choisie après une analyse approfondie des effets du premier, notamment de ses conséquences sur le système éducatif. Le bilan coût avantages, y compris sanitaires, militait pour laisser cette fois les écoles ouvertes. Ce choix, qu'ont fait la plupart de nos voisins, est difficile car il conduit plus de personnes à sortir de chez elles, ce qui amoindrit nécessairement les effets du reconfinement.
Répétons-le, et faisons preuve de pédagogie : en déconfinement, on va où l'on veut, mais les lieux de destination – entreprises, écoles, commerces, salles de sport – obéissent à des protocoles sanitaires plus ou moins stricts ; en confinement, on reste chez soi, on limite au maximum ses déplacements, on évite les interactions, on ne se rend que dans les commerces de première nécessité.
Nous sommes passés à une logique préventive différente. Il ne s'agit pas de stigmatiser les autres lieux : nous savons tous les efforts qu'ils ont consentis, les protocoles auxquels ils se sont pliés ; il faut les indemniser. Mais l'idée est bien de limiter le plus strictement possible les occasions de sortie – les établissements scolaires restant ouverts, elles sont plus nombreuses qu'avant – et d'en maîtriser les contreparties inévitables afin que le confinement puisse produire ses meilleurs effets.