Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19
Présidence de M. Julien Borowczyk, président de la mission d'information
Monsieur le Premier ministre, nous savons tous la teneur de votre engagement, comme celui de votre gouvernement, pour apporter à nos concitoyens les meilleures réponses possibles aux multiples défis que pose la pandémie qui frappe notre pays.
Depuis que la mission d'information de la conférence des présidents s'est dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, nos travaux ont principalement porté sur les aspects sanitaires de la crise. Nous en avons entendu les acteurs principaux et reçu la semaine dernière le ministre des solidarités et de la santé. Votre action en tant que Premier ministre est bien plus large ; elle se déploie sur tous les fronts de la crise : contrôler la progression du virus, soutenir le système de soins, de nouveau sous tension, organiser la lutte quotidienne pour sauver des vies – car c'est bien de cela qu'il s'agit –, mais aussi préserver les activités économiques et accorder des aides grâce au déblocage de moyens budgétaires massifs. Édouard Philippe le formulait ainsi devant notre commission : « Gérer la crise, c'est avancer en essayant de concilier des injonctions contradictoires ».
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le Premier ministre, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Jean Castex prête serment.)
Monsieur le président, mesdames et messieurs, j'avais eu l'occasion de répondre à vos questions en mai dernier dans le cadre de mes fonctions de coordinateur national à la stratégie de déconfinement, que mon prédécesseur m'avait confiées. Pour revenir sur les propos d'Édouard Philippe, gérer une crise d'une telle ampleur, c'est essayer de trouver toujours un équilibre, ce qui est extrêmement difficile. Si la priorité reste la sécurité sanitaire de nos concitoyens, il faut aussi veiller aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Ce sont des paramètres très délicats.
Depuis que j'ai commencé à m'occuper du déconfinement, puis dans le cadre de mes fonctions de Premier ministre, je n'ai cessé de tirer profit des actions menées dans les pays étrangers, notamment européens. J'ai beaucoup échangé avec mes homologues pendant la phase de déconfinement, et je suis de très près, directement ou par les postes diplomatiques, ce qui s'y passe. Je parle ici des pays qui nous sont comparables et qui partagent les mêmes systèmes de valeurs. La crise présente un caractère tellement inédit, un visage parfois si surprenant que l'humilité et la volonté d'efficacité nous conduisent à regarder ce que font les autres et à voir dans quelle mesure il est possible de nous en inspirer pour conduire la politique du Gouvernement.
Il me paraît en effet important d'avoir à l'esprit cette modestie et cette volonté de comparaison. Vous êtes allés récemment à la rencontre des soignants au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne. Ils vous ont demandé de continuer à mener la politique de confinement, qui permet de maîtriser le nombre de contaminations et d'hospitalisations. Mais il est difficile de suivre cette fameuse « ligne de crête » entre les dimensions sanitaire et économique. Comment avez-vous anticipé, depuis l'été, l'évolution du virus ? Comment avez-vous réagi face à l'augmentation des contaminations survenue fin août, début septembre ?
Par ailleurs, nous constatons actuellement un ralentissement des contaminations et des hospitalisations. Loin de moi l'idée de crier victoire et de demander une levée anticipée du confinement, mais il convient d'envisager les mois à venir, qui nous séparent d'une vaccination massive. Nous avons constaté qu'il était parfois difficile d'envisager des plans préétablis. Comme le rappelait Édouard Philippe, si nous avions suivi le plan pandémie de A à Z, nous aurions probablement beaucoup moins testé que cela n'a été le cas. Cela étant, il convient d'avoir une trame, à laquelle vous avez annoncé avoir travaillé pour les mois à venir. Pourriez-vous nous en indiquer les lignes directrices ?
Enfin, certains ont regretté la manière dont les décisions avaient été annoncées par le couple formé par le préfet et le maire, ainsi que le mode de gestion de la crise par les agences régionales de santé (ARS), notamment dans leurs relations avec les préfectures. À l'inverse, une région a annoncé aujourd'hui un dépistage massif, indépendamment, semble-t-il, du travail de « tracing » des patients qui est engagé par l'ARS et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Quel est votre regard sur le travail conjoint avec les ARS, les préfets, les élus locaux durant les mois de crise ? Quel bilan tirez-vous de l'effort de dépistage massif que nous consentons depuis plusieurs mois, avec l'aide des ARS, des CPAM et de toutes les instances concernées ?
J'ai apporté un graphique montrant que depuis le déconfinement – et, plus précisément, depuis ma prise de fonctions de Premier ministre, début juillet – les courbes de l'épidémie évoluent de façon linéaire dans plusieurs pays. Face à cette progression, nous avons pris, comme la plupart de nos voisins, un cocktail de mesures – les tests et des actions dites de « freinage » – adaptées à l'évolution épidémique, à partir des critères dont nous disposons, et le plus territorialisées possible. Nous maîtrisions plus ou moins les choses. Nous avons obtenu des résultats en plusieurs endroits, par exemple en Mayenne. Les mesures de freinage que nous avions commencé à prendre à Bordeaux, à Marseille, à Nice ont produit quelques effets.
Puis, en octobre – la date varie de quelques jours selon les pays –, survient, pour des raisons que les scientifiques n'expliquent pas bien, une très brutale accélération de l'épidémie, qui nous prend tous à revers. Comme le montre la carte que je vous ai apportée, la forte hausse du taux d'incidence, sur treize jours glissants, selon les critères harmonisés de la Commission européenne, a fait virer progressivement l'Europe dans le rouge. Il y a huit jours, les situations étaient plus variées selon les pays. Pour répondre à votre question, il était extrêmement difficile d'anticiper la brutale accélération de la pandémie – j'observe d'ailleurs qu'aucun des pays européens n'a réussi à le faire. Cela nous a conduits à décider d'un nouveau confinement.
L'histoire des grandes pandémies nous a montré qu'une deuxième vague pouvait survenir, sans qu'on puisse prévoir le moment de son déclenchement, ni l'ampleur qu'elle peut atteindre. Chacun connaissait donc le risque de l'apparition d'une deuxième vague. Nous avions anticipé la possibilité d'un reconfinement. Je tiens à votre disposition le rapport que j'avais écrit lorsque je m'occupais du déconfinement, dans lequel j'écrivais très clairement que cette situation pouvait se produire. Nous y sommes, et nous avons appliqué, s'agissant notamment du système hospitalier, les dispositions prévues en pareilles circonstances. Je pourrai détailler toutes les mesures qui ont été prises si votre commission le souhaite.
J'en viens à votre question relative à la gestion territorialisée de la crise, qui recouvre deux volets. Le premier a trait à la dévolution des compétences au sein de l'appareil d'État : qui fait quoi dans les territoires ? Les agences régionales de santé, créées en 2010, exercent, comme leur nom l'indique, des missions à caractère régional et sont, pour simplifier – même si ce n'est pas tout à fait exact juridiquement –, les services déconcentrés du ministère de la santé. Les préfets, quant à eux, sont les représentants du Gouvernement et de l'ensemble des ministres, et ont un rôle plus marqué en période de crise.
Globalement, les préfets et les ARS ont, de mon point de vue, travaillé de manière satisfaisante. Il m'est arrivé de les réunir, ensemble ou séparément. La difficulté vient du fait que, depuis l'origine, les ARS sont organisées au niveau régional et sont peu développées à l'échelon départemental. Or, la gestion de la crise suppose une action de proximité, plutôt dévolue au préfet de département. Il faudra certainement, monsieur le président, en tirer des enseignements structurels. Quand on gère une crise dans l'urgence – ce qui a été également le cas de mon prédécesseur –, il est impossible de changer l'organisation en cours de route, car ce serait encore plus déstabilisateur. Nous avons veillé à ce que les uns et les autres travaillent au mieux et que le niveau départemental, en particulier par l'intermédiaire des préfets de département, soit le plus impliqué possible dans la gestion de la crise.
Second volet de votre question, dès lors que nous avons une gestion territorialisée, qui implique les deux acteurs – ARS et préfets –, il faut travailler avec les collectivités territoriales. Vous avez cité le couple formé par le maire et le préfet. Si on voulait être très précis, il faudrait ajouter les agglomérations ou les établissements de coopération intercommunale, ainsi que les régions et les départements qui, à un titre ou à un autre, ont joué un rôle dans la gestion de la crise. À partir du moment où nous avons décidé de pratiquer une gestion territorialisée, donc différenciée – jusqu'à ce que la pandémie reprenne avec force, et que nous devions prendre des mesures uniformes sur l'ensemble du territoire national –, il a fallu s'appuyer sur le « couple maire-préfet », c'est-à-dire associer les collectivités territoriales à la gestion de la crise. Toutefois, je ne vous apprendrai pas que la police sanitaire et même la politique sanitaire relève de l'État. En dernier ressort, en cas de désaccord, c'est évidemment à l'État de prendre ses responsabilités. C'est d'ailleurs ce que souhaitent les collectivités locales. Elles veulent être associées mais ne désirent évidemment pas que l'État se défausse de ses responsabilités sur elles – je crois que ça n'a jamais été le cas.
Des difficultés sont survenues avec les collectivités locales – je ne parle pas des problèmes antérieurs d'acquisition des masques mais uniquement de ce qui relève de ma responsabilité. On l'a vu, par exemple, dans certains territoires, s'agissant de la fermeture d'un certain nombre d'établissements recevant du public (ERP), en particulier les bars et les restaurants. Récemment, la fermeture de commerces ne vendant pas de produits de première nécessité a également été source de difficultés. Globalement, les choses se sont passées – et se déroulent toujours – de manière satisfaisante. En tout état de cause, je m'y emploie.
Je voudrais dire un mot des métropoles, qui sont, du fait de la forte concentration de leur population, au cœur de la gestion de la crise épidémique. Dans une zone urbaine dense, le virus ne s'arrête pas aux frontières communales. Il faut donc conduire une gestion métropolitaine, comme le font la plupart des pays qui nous entourent. Je me suis personnellement investi auprès de nombreux présidents et présidentes des métropoles tout au long de la crise, et je continue à le faire. Je voudrais dire qu'au-delà de ce qu'on peut lire ou entendre ici ou là, les relations n'ont jamais été rompues, ont toujours été fluides. Il a pu y avoir des différences d'appréciation, mais, en fin de compte, les choses se passent bien.
À Marseille, chacun se souvient qu'il y a eu, à un moment donné, quelques tensions. J'ai tenu à m'y rendre, une fois le calme et la sérénité revenus. J'y ai été reçu par Mme la maire et Mme la présidente de la métropole. Nous continuons à discuter, dans le cadre de relations de confiance, pour faire face à la pandémie.
L'association des collectivités et des métropoles est nécessaire, comme l'illustre leur rôle en matière de dépistage et de test. La politique de test, je tiens à le repréciser, a un caractère sanitaire. Il est donc indispensable que la doctrine de test, le déploiement du dépistage, où qu'il se déroule, soit placé sous la conduite des autorités sanitaires. Cela n'exclut pas que les collectivités territoriales y soient associées et puissent y participer. Certaines, par exemple, font l'acquisition de tests. Dès le mois d'août, j'ai demandé l'élaboration de plans métropolitains, qui ont fait l'objet d'un travail conjoint des préfets et des présidents de métropole. J'ai souhaité que les collectivités puissent être associées à l'accompagnement des personnes isolées après avoir été testées positives ou déclarées cas contacts de ces dernières. Les maires et les présidents de métropole ont évidemment une connaissance de leur population que les services de l'État, peu nombreux dans les territoires, n'ont naturellement pas.
Vous m'avez demandé ce qui allait se passer dans les mois à venir, monsieur le président, et avez parlé de « vaccination massive ». De fait, nous nous mettons en état, compte tenu des perspectives qui se dessinent, de vacciner la population française. Il est d'abord nécessaire de savoir quelles personnes les autorités sanitaires et scientifiques recommanderont de vacciner en priorité. Parallèlement, nous nous préparons pour assurer l'organisation logistique de cette opération extrêmement importante.
Nous nous adaptons au fur et à mesure que nous parviennent les informations sur les caractéristiques de la vague épidémique ; nous nous ajustons en permanence. Au cours de la prochaine phase, nous devrons accroître les politiques de test et de dépistage que je viens d'évoquer. Cela sera rendu possible par l'arrivée d'une nouvelle génération de tests dits « antigéniques ». Cela suppose une lourde organisation logistique – tous les pays européens sont confrontés à ces difficultés – qui implique une action d'une triple nature : tester, alerter et protéger les personnes positives et leurs cas contacts. Il faut aussi prendre des mesures de freinage pour éviter le « stop and go ». Les expériences que nous avons connues nous permettront peut-être de mieux ajuster notre action. Nous ferons les annonces et prendrons les décisions dès que nous aurons calé les dispositifs.
La priorité, pour le Gouvernement et, plus largement, pour la nation, est de réussir la phase actuelle de reconfinement, qui est essentielle. D'ici à l'échéance du 1er décembre, fixée par le Président de la République, il faut que, grâce aux mesures de freinage, les taux d'incidence continuent d'être orientés à la baisse – ou connaissent, en tout cas, une progression moindre – et que les services de réanimation ne soient plus saturés. Vous avez tous constaté que l'on atteint manifestement un palier, qu'il faut consolider. Toute notre énergie doit être tournée vers la réussite de la phase actuelle pour bien préparer la suivante. Il faut expliquer aux Françaises et aux Français que plus vite la phase actuelle de confinement produira ses effets, en termes sanitaires – et plus ceux-ci seront efficaces –, plus vite nous pourrons évoluer et passer à la phase ultérieure.
Toutefois, la période suivante ne marquera pas le retour à « l'antéconfinement ». Des mesures de freinage, qui sont en cours de calage, perdureront, par exemple pour certains ERP. En effet, la situation ne se sera pas encore suffisamment améliorée. Surtout, il faudra éviter un trop grand écart entre la période de confinement et celle du déconfinement et pouvoir gérer dans la durée. Nous espérons toutes et tous que les vaccins pourront être rapidement déployés, qu'ils seront efficaces et que nos concitoyens y recourront. Tant que je n'ai pas la certitude que ces trois conditions seront remplies, il est du devoir de l'État d'organiser une gestion au long cours.
Le Gouvernement a bien conscience que, plus les mois passent, plus le corps social accepte difficilement les mesures de confinement. Il est normal que les Français supportent moins bien la deuxième phase, précisément parce qu'ils ont dû déjà traverser cette première phase qui les a surpris et au cours de laquelle ils ont montré leur force de résilience. C'est humain : plus la crise dure, plus il est difficile de la supporter.
Depuis l'arrivée de la pandémie en France, le gouvernement de mon prédécesseur et le mien n'ont pas lésiné sur les mesures d'accompagnement économique et social. Nous les avons même renforcées dans la phase actuelle, conscients des conséquences extrêmement délétères de la crise sanitaire.
La forme du deuxième confinement a été choisie après une analyse approfondie des effets du premier, notamment de ses conséquences sur le système éducatif. Le bilan coût avantages, y compris sanitaires, militait pour laisser cette fois les écoles ouvertes. Ce choix, qu'ont fait la plupart de nos voisins, est difficile car il conduit plus de personnes à sortir de chez elles, ce qui amoindrit nécessairement les effets du reconfinement.
Répétons-le, et faisons preuve de pédagogie : en déconfinement, on va où l'on veut, mais les lieux de destination – entreprises, écoles, commerces, salles de sport – obéissent à des protocoles sanitaires plus ou moins stricts ; en confinement, on reste chez soi, on limite au maximum ses déplacements, on évite les interactions, on ne se rend que dans les commerces de première nécessité.
Nous sommes passés à une logique préventive différente. Il ne s'agit pas de stigmatiser les autres lieux : nous savons tous les efforts qu'ils ont consentis, les protocoles auxquels ils se sont pliés ; il faut les indemniser. Mais l'idée est bien de limiter le plus strictement possible les occasions de sortie – les établissements scolaires restant ouverts, elles sont plus nombreuses qu'avant – et d'en maîtriser les contreparties inévitables afin que le confinement puisse produire ses meilleurs effets.
En effet, la notion médicale du rapport bénéfices/risques doit toujours présider à nos décisions.
Monsieur le Premier ministre, nous mesurons la difficulté de votre tâche mais notre devoir est de vous poser les questions que se posent les Français, sans esprit polémique et sans vouloir nous transformer en tribunal populaire, encore moins en tribunal judiciaire – cela serait particulièrement inopportun dans la période.
Je voudrais commencer par vous interroger sur le passé récent. Le 18 juin – date symbolique –, nous avons auditionné les membres du conseil scientifique. La plupart d'entre eux ont clairement annoncé une seconde vague, tout comme le professeur Antoine Flahault, entendu le 15 septembre. Durant les premières semaines du mois de septembre, les indicateurs se sont dégradés, avec plusieurs centaines de nouveaux cas quotidiens. Le ministre de la santé a tenu des propos alarmistes le 5 septembre, disant s'attendre à une forte augmentation des admissions en réanimation. L'évolution de la situation a conduit le Président de la République à réunir le Conseil de défense et de sécurité nationale le 11 septembre. Les observateurs s'attendaient à ce que vous annonciez, lors de la conférence de presse qui devait se tenir à l'issue de ce conseil, l'adoption de mesures fortes. Mais vous n'avez décidé ni couvre-feu ni, a fortiori, confinement. N'y a-t-il pas eu un temps de retard dans la prise de décision ?
Des voix fortes se sont exprimées, à l'instar de la professeure Dominique Costagliola, qui expliquait le 30 octobre : « Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est une occasion manquée […] Prendre les choses de façon précoce, c'est toujours plus efficace. Si j'ai de l'eau à la taille, je dois m'en sortir avec une solution qui agisse vite, alors qu'avec de l'eau aux chevilles, je peux faire quelque chose de moins drastique ». De son côté, Esther Duflo, prix Nobel d'économie, avait prôné dès le 2 octobre un confinement préventif.
Certes, il est toujours facile de dire ce qu'il aurait fallu faire. Mais ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, qu'une décision plus précoce aurait pu nous éviter les problèmes que l'on connaît, d'autant que les mesures adoptées, couvre-feu puis confinement – que, pour ma part, j'ai approuvées et soutenues – portent manifestement leurs fruits ?
Beaucoup de nos concitoyens s'interrogent aussi sur la façon dont la seconde vague a été anticipée. Ils se demandent ce qui a été fait durant l'été pour tirer les leçons de ce que nous avions subi en mars-avril, notamment pour adapter le système hospitalier. Les contraintes liées au nombre de lits de réanimation demeurent et nous devons faire face aux mêmes problématiques, qui conduisent à déprogrammer à nouveau les soins hors Covid.
La déprogrammation des soins sera sans doute à terme l'une des conséquences les plus graves de cette crise terrible, qui a déjà emporté 45 000 de nos concitoyens. Cela a été dit devant notre mission, des personnes mourront, faute, notamment, d'avoir vu leur cancer dépisté suffisamment tôt. Hier, le président de la CME du CHU de Nice me disait regretter que des coloscopies préventives soient retardées de plusieurs mois.
Le terme « anticipation » est au cœur de nos travaux. Monsieur le Premier ministre, a-t-on suffisamment anticipé ?
S'agissant de la conduite de la crise, ou de la « guerre », ainsi qu'elle a été nommée par le Président de la République, on se demande depuis le début qui est le commandant en chef. Ainsi, on a le sentiment, mais vous me contredirez certainement, que le ministre de l'économie n'est pas totalement en phase avec vous sur la question du calendrier de réouverture des commerces. Le pilotage de la crise n'est-il pas au cœur des difficultés ressenties ?
Sortir de la crise, éviter une troisième vague, dépendra de notre capacité à vacciner la population. Comment se prépare-t-on à l'arrivée du ou des vaccins, comment organise-t-on la chaîne logistique, une stratégie est-elle déjà établie ? Lors de la première vague, on a échoué sur les masques ; lors de la seconde vague, on a échoué sur les tests ; il faut que l'on réussisse avec les vaccins !
Une dernière question, monsieur le Premier ministre : je lis dans Le Figaro que vous devriez annoncer la semaine prochaine qu'un couvre-feu se substituera au confinement ; est-ce exact ou cela n'est-il qu'une hypothèse de travail ?
J'invite la mission dont vous êtes le rapporteur à s'intéresser aux décisions qui ont été prises, et dont je veux vous rendre compte de façon très transparente. Vous comprendrez qu'il est compliqué de discuter de ce qui n'est pas encore décidé !
S'agissant de la conduite de la crise sanitaire, la Constitution est claire : c'est l'État qui est responsable. Dans d'autre pays, la gestion de la santé est décentralisée – la chancelière allemande expliquait qu'elle devait négocier avec les présidents des Länder pour obtenir telle ou telle décision. Au sein de l'État, le pouvoir exécutif agit, le législateur vote les lois – vous avez récemment autorisé la prorogation de l'état d'urgence sanitaire –, et contrôle l'action du Gouvernement – vous le faites sans faillir, j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte depuis que je suis Premier ministre.
Le pouvoir de décision appartient au pouvoir exécutif et sous la Ve République, le pouvoir exécutif, c'est le Président de la République, le Premier ministre et son gouvernement. Le Gouvernement prépare et met en oeuvre les décisions dans le cadre de ses prérogatives. Le ministre de l'économie est un acteur essentiel dans la gestion de la crise, au même titre que la ministre du travail, les ministres chargés des personnes les plus vulnérables, ou encore le ministre de l'éducation nationale. Les ministres expriment leur avis au sein de l'appareil gouvernemental, comme cela a été le cas en d'autres temps, et c'est heureux ; mais à la fin, ce sont le Président de la République et le Premier ministre qui décident.
Votre question sur les décisions qu'il convenait de prendre en septembre est fondamentale et mon rôle est de vous rendre compte de notre action. En effet, les courbes du taux d'incidence et du nombre d'hospitalisations croissaient début septembre, mais assez faiblement.
Vous avez cité certains scientifiques, je peux en citer d'autres – je tiens leurs noms à votre disposition. Un infectiologue de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière expliquait le 5 août qu'il n'était pas affolé, que la létalité serait beaucoup plus faible ; un autre, très célèbre, disait le 28 août que les cas étaient différents, les formes moins graves et les hospitalisations moins longues ; le 8 septembre, le chef du service des maladies infectieuses d'un grand hôpital du sud, soulignait que les chiffres de la mortalité liée au coronavirus était très bas, qu'elle concernait des personnes très âgées et très fragiles ; enfin, un chercheur épidémiologiste fort connu déclarait le 11 septembre : « La menace à l'heure actuelle n'existe pas, on la fabrique plus ou moins avec des chiffres […] Nous sommes face à une épidémie avec 97 % des cas [personnes testées] négatifs ».
Il ne vous aura pas échappé que les discours scientifiques n'ont jamais été unanimes et convergents. Il ne m'appartient pas d'en juger, mais on peut être critique et se dire que les spécialistes ont changé d'avis – la littérature de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a beaucoup évolué depuis le mois de janvier.
En tout cas, lorsque l'on est décideur public, on aimerait pouvoir s'adosser à des conseils scientifiques précis et unanimes. Mais, et c'est toute la difficulté de cette épidémie, c'est moins de la théorie que de l'observation des dégâts causés par le virus sur la planète que l'on peut tirer les conséquences et adapter sa stratégie. Donc, si vous cherchez à me faire dire que le substrat scientifique sur lequel nous nous appuyons est évolutif, pas toujours convergent, et n'éclaire pas nécessairement les pouvoirs publics, et que cela contribue à stresser une opinion publique en mal de repères et de références, je peux vous donner raison.
Nous vivons à la fois dans un état de droit et dans une démocratie. Dans un état de droit, monsieur le rapporteur, on ne peut prendre des mesures restrictives de liberté – couvre-feu, confinement – que lorsque les données épidémiologiques sont suffisamment dégradées et que toutes les autres mesures ont été prises : c'est la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État. Je rappelle que des tribunaux administratifs ont annulé des arrêtés. Dans une démocratie, on doit aussi mesurer l'acceptabilité des mesures. Dois-je vous rappeler les réactions de l'opinion publique et de certains parlementaires face aux mesures prises en septembre ? L'accueil était loin d'être enthousiaste et je n'ai pas souvenir qu'à l'époque, on nous ait reproché de ne pas en faire assez !
Je vais illustrer mon propos. J'ai été nommé Premier ministre le 3 juillet, une semaine avant la fin de l'état d'urgence sanitaire. Le 17 juillet, alors que les données épidémiologiques montraient une incidence très faible, j'ai pris un décret étendant l'obligation du port du masque aux commerces, aux locaux administratifs recevant du public, aux banques et aux marchés couverts. Cela n'a pas été compris de tous. Le 30 juillet, j'ai pris un décret habilitant les préfets à rendre obligatoire le port du masque obligatoire sur la voie publique, lorsque les circonstances locales l'exigeaient. Le 28 août, j'ai pris un décret étendant l'obligation du port du masque dans les établissements recevant du public (ERP) « assis » ainsi que, à la veille de la rentrée, dans les collèges et les lycées. À cette même date, nous avons traduit les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) dans le Protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise, en généralisant le port du masque en milieu professionnel.
Comme les courbes augmentaient encore au début du mois de septembre, j'ai annoncé, le 11 septembre, le classement de 42 nouveaux départements en « zone de circulation active du virus », les préfets étant appelés à prendre les mesures de freinage qui s'imposaient.
Dans les territoires où la situation était la plus dégradée – les agglomérations de Marseille, de Bordeaux et la Guadeloupe –, j'ai demandé aux préfets de faire des propositions. Après concertation, nous avons pris un certain nombre de mesures. Dans les 27 communes des Bouches-du-Rhône, le port du masque a été rendu obligatoire, les bars et restaurants ont dû fermer leurs portes à minuit, la vente d'alcool a été interdite après vingt heures, les vestiaires des équipements sportifs ont été fermés, le cadencement des transports en commun a été renforcé et des événements comme la Foire internationale de Marseille ont été annulés. Je n'ai pas souvenir, monsieur Ciotti, que l'on m'ait accusé alors de prendre des décisions trop molles ! Dans ce département, le taux d'incidence de la maladie a commencé de diminuer le 28 septembre.
Dans l'agglomération bordelaise, les effets de l'épidémie ont pu être limités grâce à des mesures de même nature : le préfet a décidé de réduire les jauges des événements de 5 000 à 1 000 personnes, d'interdire les rassemblements de plus de dix personnes dans les parcs et sur les quais. Les dispositions qui ont été prises étaient adaptées à la fois aux circonstances locales et à la circulation du virus, telle que nous la comprenions.
Enfin, le 24 septembre, nous avons adopté un nouveau classement en créant les zones d'alerte, les zones d'alerte renforcée et les zones d'alerte maximale, caractérisées par le taux d'incidence et le nombre de patients covid admis dans les services de réanimation.
Je ne reviendrai pas sur la fermeture des bars et restaurants à Marseille, mais il me semble, monsieur le rapporteur, que les réactions aux mesures que nous avons prises en septembre n'étaient pas motivées par le sentiment que nous avions un « temps de retard » mais plutôt que nous en faisions trop.
C'est là toute la difficulté de la gestion de cette crise. Nous sommes accusés, parfois par les mêmes, d'en faire trop ou pas assez. La vérité, que je ne prétends pas détenir, se situe sans doute au milieu.
Votre question, essentielle, sur l'anticipation dans le système hospitalier me permet de faire de la pédagogie. Lorsque la crise est survenue, nous disposions, selon une classification peu homogène en Europe, de 5 000 lits de réanimation armés. Nous nous efforçons de porter cette capacité à 10 000 lits en nous appuyant sur la gestion mutualisée des moyens, sur la coopération public-privé qui permet, en hospitalisant les patients à domicile, grâce à la collaboration avec la médecine de ville, de gagner de la place en hôpital, en appelant en renfort les étudiants en médecine et en pharmacie ainsi que la réserve sanitaire. Mais surtout, nous réallouons les ressources humaines, en affectant aux services de réanimation les personnels dont la qualification se rapproche le plus des compétences demandées en anesthésie-réanimation.
On m'interroge souvent à ce sujet, notamment lors de la séance des questions aux Gouvernement : les personnels qui exercent en réanimation sont extrêmement spécialisés et il est impossible d'augmenter en six mois le nombre d'infirmiers anesthésistes et de médecins anesthésistes-réanimateurs. Lors de mes déplacements dans les hôpitaux, les soignants eux-mêmes me disent que c'est chose impossible. Même des professeurs agrégés dans d'autres disciplines ont du mal à se reconvertir dans l'anesthésie-réanimation ! En tout cas, la gestion mutualisée des moyens est formidable. Les soignants sont fatigués, mais ils demeurent motivés et exemplaires partout.
Lors de la première vague, nous avions pu en effet déprogrammer en masse. Mais la déprogrammation étant un fusil à un coup, il est beaucoup plus dolosif de le faire aujourd'hui. Puisque les effets en sont dramatiques, il faut éviter d'y recourir, et comme ne cessent de le répéter les médecins, il faut, non pas chercher à accroître indéfiniment les capacités de réanimation, mais faire en sorte que moins de personnes tombent malades et arrivent dans les services de réanimation. D'où le confinement et les mesures préventives. Il faut qu'ainsi le flux des arrivées se tarisse, à tout le moins permettent de le diminuer fortement pour que le nombre de sorties des services de réanimation dépasse celui des entrées.
Je tiens à votre disposition le détail des décisions que nous avons prises dès le mois de juillet, avant ma nomination, pour préparer le système hospitalier à une deuxième vague. Nous n'avions pas de baguette magique, il n'était pas possible de trouver des anesthésistes-réanimateurs en un délai aussi court. Nous avons perdu la possibilité de recourir aux déprogrammations de manière massive, mais l'amélioration des thérapies et de l'organisation nous a permis de réduire la durée moyenne des séjours, et d'améliorer la fluidité dans les services. Il était toutefois impératif d'arrêter le flux, car tous ces efforts, que je salue, ont leurs limites.
Les ressources humaines constituent le principal problème, mais j'ai évidemment veillé à ce que les stocks de matériel soient suffisants dans tous les établissements de soins. Nous sommes prêts, en milieu sanitaire et en anesthésie-réanimation, pour faire face à la situation présente, et même s'il fallait porter la capacité à 10 000 lits. Mais ce n'est pas l'objectif.
Je vous rejoins totalement, monsieur Ciotti : nous devons à tout prix éviter de placer les médecins face au dilemme éthique imposant de trier les patients. C'est un motif supplémentaire pour que l'ensemble du pays respecte et applique ce confinement. Il faut casser la vague épidémique, réduire le taux d'incidence et diminuer le flux des admissions à l'hôpital. La situation dans les hôpitaux reste extrêmement tendue, il faut la montrer aux Français. Il ne faudrait pas que l'annonce d'une amélioration dont nous nous réjouissons tous laisse penser que nous pourrions baisser la garde. Pour utiliser une métaphore rugbystique, il vaudrait mieux transformer l'essai en concentrant nos efforts pour que le système sanitaire soit le mieux préservé possible et puisse continuer à soigner les autres malades.
Je pense que vous préférerez juger sur pièces : je présenterai le dispositif lorsqu'il aura été arrêté. Ce sujet concentre beaucoup de mon énergie et de celle du Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, quelles leçons tirez-vous de la période d'avril pour éviter un troisième confinement ?
S'agissant de la politique « tester, tracer, isoler », ne pensez-vous pas qu'en matière d'isolement, nous avons une grande marge de progression au regard des mesures appliquées notamment à Wuhan ? Certes, celles-ci ne sont pas encore intégrées dans la culture française, mais nous pouvons nous améliorer.
Vous avez annoncé votre volonté de déployer en masse des tests antigéniques rapides. Envisagez-vous de tester toute la population ? Le ministre de la santé a déclaré que nous ne testions pas les personnes asymptomatiques en raison des faux négatifs. Mais tester les personnes asymptomatiques permettrait de réduire la propagation du virus. Avons-nous les capacités de production et les moyens logistiques de le faire ?
S'agissant des commerces, je comprends que le problème ne tient pas à la situation à l'intérieur des locaux commerciaux, mais aux flux de déplacements. Ces flux pourraient cependant être organisés, comme nous l'avions fait pour les marchés alimentaires. Pourquoi les préfets ne pourraient-ils aménager les horaires d'ouverture dans les rues commerçantes ? On pourrait prévoir des attestations de proximité téléchargeables sur l'application TousAntiCovid. De telles mesures permettraient peut-être de rouvrir les commerces de proximité le 1er décembre. Nous sommes d'accord sur le reste puisque nous étions favorables à un confinement avec poursuite des activités professionnelles et maintien des écoles ouvertes. La fermeture des commerces suscite un sentiment d'injustice, car c'est aussi un travail.
Lors de son audition, Édouard Philippe avait évoqué la judiciarisation de la vie politique française, et la difficulté, pour le Premier ministre, d'agir en période de crise sanitaire face à un risque pénal qui pèse parfois comme une épée de Damoclès. Vous êtes-vous senti contraint par ce risque au moment de prendre des mesures ?
Lorsque nous vous avions auditionné au mois de mai dernier, vous étiez « monsieur déconfinement ». Maintenant Premier ministre, vous êtes devenu « monsieur reconfinement ». Nous avons besoin de savoir ce qui s'est passé dans l'intervalle, car nous allons connaître un deuxième déconfinement et, potentiellement, une troisième vague que personne évidemment ne souhaite.
Le 14 juillet, le Président de la République avait indiqué que le pays était prêt à une seconde vague. Le 26 août, vous aviez déclaré qu'il n'y avait pas lieu de s'affoler. Dès le 11 septembre, le conseil scientifique avait souligné la gravité de la situation et appelé à des mesures énergiques. La gravité de la seconde vague n'a-t-elle pas été sous-estimée, entraînant un défaut d'anticipation ?
Dans son avis du 26 octobre, le conseil scientifique a constaté le relatif échec de la stratégie : « tester, tracer, isoler ». Quelles leçons en tirez-vous ? La décision de permettre l'accès aux tests sans ordonnance n'a-t-elle pas conduit à court-circuiter les médecins libéraux, à emboliser le système, et finalement, faire échec pendant un certain temps à la stratégie décidée ?
Le conseil scientifique a également déploré à plusieurs reprises que, pendant l'été, le plan de réduction des risques qui s'adresse aux personnes fragiles n'ait pas été suffisamment mis en œuvre. Y a-t-il eu manquement en la matière ?
Dès le mois de septembre, la pandémie dans les établissements scolaires n'a-t-elle pas été sous-estimée, ainsi que le rôle que les enfants pouvaient jouer dans la transmission de la maladie ? Les chiffres du ministère de l'éducation nationale ont-ils commandé le protocole sanitaire, sachant qu'ils ont longtemps été treize fois inférieurs aux estimations de Santé publique France pour la tranche d'âge des enfants scolarisés ?
M. Abad a justement souligné l'importance d'isoler les personnes testées positivement et leurs cas contacts. Nous agissons dans le cadre de la loi, avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel : l'isolement des gens testés positifs et de leurs cas contacts est organisé sur la base du volontariat. Je suis très attentif à ce qui se fait chez nos voisins – vous avez évoqué un pays plus lointain, monsieur Abad. Quelques pays, minoritaires, ont instauré une obligation d'isolement, accompagnée de sanctions.
Puisque nous sommes tous d'accord pour amplifier encore la politique de tests, mettons la question sur la table. En tant que chef du Gouvernement, je n'y suis pas rétif. J'appelle cependant l'attention de tous sur ses incidences fortes sur notre dispositif de libertés publiques, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et surtout sur les moyens de faire respecter cette obligation. Les gens sortant de chez eux seront-ils contrôlés dans la rue, devront-ils produire une attestation de non-contamination ? Les expériences des pays voisins – bonnes ou mauvaises – soulèvent beaucoup d'interrogations.
Il faudra effectivement développer les stratégies de dépistage permises par l'apparition des tests antigéniques, mais cela soulève la question de l'isolement des personnes, au-delà de leur accompagnement social, sanitaire et psychologique indispensable. En Chine, monsieur Abad – nous pourrions aussi évoquer la Corée –, vous êtes géolocalisé par votre téléphone portable dès que vous sortez de chez vous. C'est efficace, certes, mais comment cela fonctionnerait-il dans notre droit positif, avec nos concitoyens ? Ce sujet devra être partagé avec la représentation nationale, car seule la loi pourrait prévoir une évolution vers de tels systèmes, sous le contrôle du juge constitutionnel.
Il ne faudrait pas non plus que la perspective d'un isolement obligatoire incite certaines personnes présentant des symptômes à ne pas se faire tester. Je n'écarte pas votre suggestion ; nous l'avons déjà envisagée. Mais je vous renvoie tous à la décision du Conseil constitutionnel du 11 mai 2020, qui ne concernait pourtant que la transmission des données issues des tests vers les équipes chargées de l'isolement. Si nous voulons obliger quelqu'un à s'isoler, il faut que ceux qui seront chargés de faire respecter cette obligation sachent qu'une personne est positive au covid-19, ce qui renvoie au secret médical. Tous ces sujets, que le Gouvernement ne rejette pas du tout, doivent être abordés dans toutes leurs dimensions : sanitaire, juridique et même philosophique. En tout état de cause, le problème ne peut être tranché que par le législateur.
La question de la logistique mérite également d'être soulevée, car si l'on teste massivement – M. Abad a évoqué la possibilité de tester toute la population –, il faut que tout suive. Grâce aux tests antigéniques, le verrou constitué par le temps d'attente du résultat peut sauter. Ce fut l'une des difficultés rencontrées au mois de septembre, lorsque l'attente entre la prise de rendez-vous et l'obtention des résultats était trop longue. Pour développer les tests, il faut une organisation quasi industrielle de toute la chaîne, que nous préparons.
J'appelle l'attention de votre commission sur le fait que si nous sommes loin de tester toute la population, nous faisons néanmoins partie des pays qui testent le plus en Europe. Lorsque le délai entre la prise de rendez-vous et le résultat du test était trop long, ce résultat perdait toute valeur car il arrivait trop tard pour isoler la personne positive. On estime que 40 à 45 % des tests pratiqués à cette période étaient dans ce cas. Mais même en écartant ces 40 %, le nombre de tests pratiqués rapporté à la population restait dans des proportions tout à fait satisfaisantes.
M. Vallaud me demande si la fin de la prescription médicale obligatoire n'a pas eu pour effet de mettre en échec la stratégie de test. C'est vrai, mais je rappelle que l'objectif était de tester les personnes asymptomatiques. Aujourd'hui encore, parmi ceux qui recourent aux tests, seul un quart présentent des symptômes. Nous les avons priorisés pour faire face aux problèmes logistiques que vous avez évoqués : les cas symptomatiques sont maintenant testés dans des délais satisfaisants. Le non-recours à la prescription médicale avait pour objet de faire tester des asymptomatiques qui ne savaient pas eux-mêmes s'ils étaient porteurs du virus.
Outre l'isolement, qui est une question tout à fait pertinente, il faut amplifier au maximum la politique de tests. Tester toute la population serait une gageure et il faudrait isoler toute la population. Même à l'échelle d'une ville, tester toute la population pourrait être intéressant à des fins populationnelles ou épidémiologiques, pour mieux savoir dans quels quartiers le virus se développe, mais si la visée est curative, il faut alors isoler complètement les personnes positives et leurs cas contacts jusqu'à ce qu'ils soient guéris ou hospitalisés. Et que faire alors pour empêcher que des personnes n'entrent ou sortent de la ville ?
Les tests antigéniques vont nous permettre de renforcer la politique de tests dans des conditions qui seront précisées pour préparer la phase postérieure au 1er décembre. Nous avons mené des expérimentations et nous suivons les recommandations de la Haute Autorité de santé pour utiliser les tests antigéniques. Mais ils ne se substitueront pas aux tests PCR, car ils n'ont pas la même portée ni la même fiabilité. Ils seront utilisés en complément, sur la base des recommandations des autorités scientifiques, avec différents niveaux de déploiement.
Dans une deuxième phase, nous déploierons encore plus massivement les tests, dès que nous serons capables de tracer les cas contacts – c'est le rôle de l'assurance maladie, dont les moyens ont été renforcés, et ce traçage est maintenant à peu près performant – et d'isoler de façon plus efficace encore les personnes testées positives.
Nous attendons un avis du Conseil scientifique pour savoir dans quelles conditions le dépistage de masse serait possible.
À propos de la fermeture des commerces, chacun doit comprendre que si nous reconfinons, il faut limiter les flux. Une exception est prévue pour aller travailler, une autre pour aller dans les établissements scolaires, et une troisième pour se nourrir – d'où l'expression de produits de première nécessité. Ce n'est déjà pas si mal. Si des exceptions s'y ajoutent encore, ce n'est plus un confinement, et il ne faudra pas s'étonner de ne pas obtenir les effets espérés. Il faut prendre en considération toutes les professions, bien sûr. Si les indicateurs épidémiologiques suivent la tendance actuelle, si les protocoles sont améliorés et si nous sommes passés alors à une deuxième phase, nous pourrons envisager de rouvrir les commerces non essentiels au 1er décembre.
Je rappelle que nous avons décidé de fermer un certain nombre de rayons dans les grandes surfaces pour assurer l'équité entre les commerces, ce qui n'était pas le cas lors du premier confinement. Ce choix a été critiqué, mais nous l'assumons. Il répond à un souci d'équité et de cohérence : si tous les rayons des grandes surfaces ne sont pas ouverts, les flux et les interactions sont limités.
Je sais que c'est difficile. Je connais bien les commerçants de proximité et je n'ignore rien de leur importance dans la vie sociale. Ils ne veulent pas d'aides : ils veulent vivre de leur travail. Je vous ai expliqué le fondement de ces décisions. La France n'est d'ailleurs pas la seule à les prendre. Nous devons les respecter jusqu'à l'étape suivante, et assurer l'indemnisation des pertes de chiffres d'affaires que ces mesures ont entraînées. J'en appelle au sens des responsabilités de chacun, tout en comprenant parfaitement la colère et les critiques, mais la sécurité sanitaire passe avant toute chose : c'est ma position.
Cela m'amène à la question de la judiciarisation. Si je commence à penser à ma responsabilité personnelle ou pénale, je ne suis pas sûr que je prendrais les décisions dans l'intérêt du pays. Je ne dis pas que je n'y pense jamais. J'ai accepté d'être nommé Premier ministre de la France et je n'ignorais pas ce risque quand j'ai pris mes fonctions, mais je l'ai intériorisé. Ma seule boussole, c'est l'intérêt du pays face à une crise extrêmement forte et inédite.
Monsieur Vallaud, vous demandez ce qui s'est passé entre le déconfinement et le reconfinement. Je vous réponds : la même chose que dans tous les pays qui nous entourent, et qui reconfinent aussi. À défaut de certitudes, je vais émettre des hypothèses. Peut-être que nous avons déconfiné un peu trop. Peut-être que le peuple français, comme les autres, a cru que cette épidémie était derrière nous et que les gestes barrières, qui restent le premier rempart, n'ont pas été appliqués avec suffisamment de zèle. Enfin, la reprise épidémique a été d'une violence qui a surpris l'ensemble des pays européens, et concerne l'ensemble du monde.
La dernière chose à faire serait de nous affoler. J'estime que nous avons pris à chaque fois les décisions adaptées aux évolutions, pas toujours prévisibles, de l'épidémie. Ces décisions sont extrêmement difficiles à prendre, tout comme leur calibrage : il faut lutter pour la sécurité sanitaire de nos concitoyens – qui est notre fil conducteur – et éviter un effondrement complet de l'économie, dont les conséquences sociales seraient dramatiques. C'est toute la difficulté des injonctions contradictoires évoquées par mon prédécesseur.
Le but n'est pas de savoir si nous avons surestimé ou sous-estimé la deuxième vague : elle est là. Qui l'a bien estimée ? Quand l'événement arrive, il faut y faire face avec les décisions les plus adaptées. Est-ce que les Italiens, les Espagnols ou les Allemands ont anticipé ce qui s'est passé ? Non. Nous avons préparé le système hospitalier à cette deuxième vague, compte tenu des contraintes liées aux conséquences de la première.
Vous m'interrogez sur les avis du conseil scientifique. Je pense, monsieur Vallaud que vous faites allusion à l'avis n° 8, du 27 juillet. Il rappelle effectivement que l'épidémie n'est pas derrière nous. J'ai préparé un verbatim de mes déclarations au cours de l'été, et j'invite la commission à les reprendre : « le virus n'est pas en vacances » ; « ne lâchons pas » ; « ne baissons pas la garde. » Je n'ai cessé de marteler ce discours tout l'été. Dans son avis du 27 juillet, le conseil scientifique recommande de faire des campagnes d'information renouvelées, notamment auprès des estivants et des jeunes. Je tiens à votre disposition les campagnes que nous avons décidées sur la base de cette recommandation et qui ont été conduites par le service d'information du Gouvernement.
Le Conseil scientifique nous a aussi demandé de mieux mesurer le niveau d'immunité collective. Santé publique France et l'Institut Pasteur ont donc lancé une étude dont les résultats, publiés le 21 septembre, montrent une séroprévalence de 3 à 10 % selon les régions.
Le Conseil scientifique a également demandé aux autorités sanitaires d'élaborer un plan de préparation du système de soins. Cela a été fait : je tiens à la disposition de la mission d'information toute une série de fiches sur ce sujet.
Le Conseil scientifique nous a surtout demandé, dans son avis du 27 juillet, de mettre en œuvre des actions spécifiques dans les grandes métropoles. Il s'agit là d'une recommandation essentielle. Le 7 août, j'ai demandé aux présidents des vingt et une plus grandes métropoles de France et à leurs préfets de décliner, à partir du plan d'action national, un plan d'action métropolitain conforme aux recommandations des autorités scientifiques. Cela a été fait de façon variable selon les métropoles, les réalités n'étant pas les mêmes partout. Le démarrage a peut-être été un peu lent, car le mois d'août n'est jamais très propice à ce genre d'initiatives et qu'on ne s'alarmait pas alors d'une possible reprise de l'épidémie – je vous rappelle cette réalité, monsieur le rapporteur, puisque vous me demandez pourquoi nous n'avons pas agi dès cette période.
M. Vallaud m'a posé une question sur l'école. Ce n'est pas l'augmentation du nombre de contaminations début septembre qui a entraîné l'élaboration de protocoles sanitaires dans les établissements scolaires, puisque ces documents sont antérieurs à la rentrée. Le premier protocole, validé par le ministère des solidarités et de la santé, date du 9 juillet 2020. Le second, daté du 19 août, prévoit plusieurs niveaux de mesures.
Je tiens à votre disposition des données statistiques sur le nombre de cas constatés dans les écoles, les collèges et les lycées en septembre et en octobre, ainsi que sur le nombre d'établissements et de classes fermés. Nous n'avons pas été confrontés à de grosses contestations, même si certains parents s'opposent au port du masque pour les plus jeunes enfants et si plusieurs personnels de l'éducation nationale protestent contre les protocoles sanitaires. Nous suivons les recommandations des autorités scientifiques comme la Société française de pédiatrie, qui ont constamment souligné – du moins depuis que je lis leurs avis, c'est-à-dire depuis le printemps – l'importance de maintenir les enfants, notamment les plus jeunes d'entre eux, à l'école. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de contaminations dans les écoles, les collèges et les lycées, mais c'est le domaine où la doctrine scientifique me paraît la plus assurée et la plus constante. Pour cette raison, nous avons fait le choix politique de maintenir les écoles ouvertes dans le cadre du deuxième confinement, même si cette situation accroît les flux, augmente le nombre de personnes utilisant les transports publics et atténue donc un peu l'efficacité de notre stratégie sanitaire. C'est un choix assumé, que nous avons fait en fonction du fameux bilan coûts-avantages évoqué par le président et le rapporteur.
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, pour les explications que vous avez déjà données. Dans ce type de crise sanitaire, la critique est aisée mais l'art est toujours difficile.
Deux stratégies s'opposent aujourd'hui. Pour les uns, il faut confiner en stop-and-go jusqu'à l'arrivée du vaccin, si tant est qu'il soit efficace, qu'il n'entraîne pas d'effets secondaires et qu'il puisse être administré à toute la population. Pour les autres, il faut assumer un certain nombre de décès pour maintenir l'économie, dans l'intérêt à long terme de la nation. Entre ces deux visions, une voie médiane peut se dessiner dans un certain nombre de pays avec l'isolement des personnes positives et des cas contacts, et la quarantaine imposée aux personnes entrant sur le territoire national. Vous avez déclaré que ces mesures pouvaient être envisagées pour l'avenir, mais ont-elles déjà été envisagées ou débattues ?
Vous avez évoqué la question des libertés. Pensez-vous qu'il soit plus restrictif de priver de liberté les personnes positives, donc contagieuses, pendant sept à quatorze jours, ou de priver l'ensemble de la population de sa liberté de circulation, de réunion, de commerce et de culte dans le cadre des stratégies de confinement mises en œuvre dans la plupart des pays européens ?
Enfin, avez-vous déjà envisagé des mesures particulières visant à favoriser l'aération et le renouvellement de l'air dans les lieux clos accueillant du public ? Je pense notamment aux cantines scolaires, aux restaurants d'entreprise, aux salles de sport, aux salles de spectacles et aux salles des fêtes. Au-delà des gestes barrières, du lavage des mains et du port du masque, tous ces lieux ne pourront rouvrir que si nous y appliquons également une quatrième recommandation : l'aération des locaux, dont nous connaissons aujourd'hui toute l'importance. Le Gouvernement a-t-il une stratégie visant à permettre le renouvellement rapide de l'air dans ces locaux, à l'instar de ce qui se fait dans les avions ou dans les trains ?
Le Président de la République a présenté le Conseil scientifique comme la structure sur laquelle il veut s'appuyer en priorité. Dans un avis publié le 5 juin, ce Conseil scientifique estimait que le scénario d'une épidémie sous contrôle dans les mois suivants était le plus probable, mais expliquait que les pouvoirs publics devaient aussi se préparer activement et anticiper des scénarios plus pessimistes pour ne pas se retrouver dans la même situation que le 12 mars, lorsque le premier confinement a été décidé. Malheureusement, un deuxième confinement a été instauré, avec son cortège de drames. Dans la gestion de la crise, on peut constater de nombreux dysfonctionnements et couacs, ainsi qu'un manque de concertation évident. Beaucoup d'observateurs étrangers voient en France une « technocratie en folie », à l'instar du journal allemand Die Zeit qui nomme notre pays « l'Absurdistan ». Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, répétait qu'un nouveau confinement généralisé ne serait ni possible ni souhaitable, car il ne serait pas accepté par la population et aurait des conséquences économiques et sociétales très lourdes ; en cas de besoin, il envisageait plutôt un confinement partiel, conseillé notamment aux populations plus âgées et à risques. Ma première question est donc précise : pourquoi ne pas avoir choisi cette option ?
Ma deuxième question porte sur les études scientifiques et économiques sur lesquelles vous fondez maintenant vos décisions. Vous disiez qu'il n'y avait pas que le Conseil scientifique. Vouliez-vous parler du Conseil de défense, dont le fonctionnement nous apparaît totalement opaque ? Vous fiez-vous toujours au Conseil scientifique, ou regardez-vous du côté du Haut Conseil de la santé publique ?
Enfin, je n'ai pas encore tout à fait compris qui prenait réellement les décisions. Qui décide, au sein de l'exécutif ? Le Premier ministre ou le Président de la République ?
Le 27 octobre, monsieur le Premier ministre, vous avez reçu les chefs de partis et de groupes politiques dans le cadre d'une concertation. Nous attendions que vous nous présentiez des options, mais vous vous êtes contenté de nous écouter. Le Président de la République a annoncé des décisions le lendemain. Le 27 octobre, connaissiez-vous précisément les décisions du Président de la République ? J'aimerais simplement savoir si, alors que vous ouvrez des concertations avec de nombreuses organisations, notamment avec les forces politiques, vous prenez in fine les décisions ou si ces dernières relèvent du Président de la République.
M. Becht a rappelé le dilemme auquel nous sommes confrontés en employant une formule très importante : il faudrait « assumer un certain nombre de décès pour maintenir l'économie ». Je tiens à repréciser devant votre mission d'information que mon objectif est d'abord d'éviter les morts, ensuite de maintenir l'économie.
M. Pancher a évoqué les couacs, la « technocratie en folie » et l'« Absurdistan ». Nous sommes en démocratie : j'entends tout, et tout le temps. Cependant, je constate aujourd'hui que les mesures que nous avons prises commencent à avoir un impact sanitaire, même s'il faut évidemment rester prudent. Quand je regarde les chiffres officiels de l'INSEE et de la Banque de France, comme je vous invite à le faire, je constate aussi que même dans le cadre de ce deuxième confinement, l'économie française tient le choc, beaucoup plus que lors du premier confinement. Nous passons notre temps à nous autoflageller, à dire que tout va mal, et il est vrai que la situation est très difficile – des centaines de personnes meurent tous les jours dans les services de réanimation –, mais différents éléments nous permettent d'affirmer que nous sommes en passe d'atteindre cet équilibre que nous recherchons en permanence. Il y a des motifs d'espoir – nous parlions des vaccins –, des éléments positifs qui montrent que notre pays se bat et qu'il tient le choc.
Un certain nombre de nos concitoyens contestent le port du masque ou voient des complots partout, mais nous ne devons pas oublier les nombreuses personnes que nous entendons moins que les autres, qui comprennent et appliquent les décisions que nous prenons. Elles se résignent, certes, mais elles savent que l'objectif est la lutte contre l'épidémie et que le virus est la cible. Ne nous trompons pas de cible : à chaque fois que l'on pense que la cible est quelque chose d'autre que le virus, on fait une erreur.
M. Becht a bien résumé le débat sur les libertés : il a raison de dire que les mesures de confinement portent atteinte aux libertés publiques. C'est nécessaire, mais cela ne me plaît absolument pas. Je ne reviens pas sur les mesures d'isolement car j'ai déjà longuement répondu, sur ce sujet.
S'agissant de l'aération des lieux clos : l'observation scientifique montre que le risque de contamination est moins important à l'extérieur qu'à l'intérieur et qu'il est réduit par l'aération.
Dans un souci pédagogique, j'ajouterai qu'il faut aussi appliquer les gestes barrières voire porter le masque chez soi. J'admets que c'est très difficile, mais j'ai été frappé par une étude réalisée par l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur ses personnels ayant contracté la covid. L'administration hospitalière craignait que ces personnels, dont on peut penser qu'ils sont plus sensibilisés à la maladie que la population générale, aient été contaminés sur leur lieu de travail. L'étude a montré qu'ils respectaient scrupuleusement les gestes barrières et le port du masque à l'hôpital et dans les transports en commun, pour ceux qui les utilisaient ; or, arrivés chez eux, ils changeaient de comportement, comme si le virus ne pénétre jamais dans le domicile, et c'est évidemment là que les contaminations se produisaient, a fortiori s'ils recevaient des amis.
Il faudra effectivement revoir les systèmes d'aération dans les lieux clos collectifs. Pour les écoles, par exemple, nous devrons élaborer un plan à long terme, au-delà même de la crise actuelle. Les avions utilisent des systèmes d'air pulsé, mais nous entrons là dans des considérations techniques où je vous prierai de ne pas m'amener.
Monsieur Pancher, vous m'avez demandé avec insistance qui prend les décisions. Ce qui est important, c'est de savoir si les décisions prises sont bonnes ou mauvaises.
Je pourrais vous faire une réponse juridique : la plupart des décisions passent par des décrets signés par le Premier ministre. Il est rare que les décrets soient délibérés en conseil des ministres, entraînant la signature du Président de la République. Les lois que vous avez votées, mesdames, messieurs les députés, prévoient des décrets signés par le Premier ministre. Si cela peut vous rassurer, monsieur Pancher, je vous réponds donc que juridiquement, c'est moi qui prends les décisions. Cependant, sans vous faire un cours de droit constitutionnel, je vous ferai remarquer que sous la Ve République, le Président de la République a un rôle à jouer – et cette situation ne date pas de 2020. Le Conseil de défense nationale est une instance ancienne, que j'ai vue fonctionner bien avant 2020, au sein de laquelle le Président de la République choisit de réunir les ministres principalement concernés. Il est conforme à l'esprit des institutions qu'en situation de crise, ce Conseil de défense se réunisse au niveau politique. De la même façon, un centre interministériel de crise et un centre opérationnel de gestion interministérielle des crises traitent ces sujets au niveau des services. Ce fonctionnement ne me semble absolument pas choquant : il est même tout à fait normal, dès lors que les décisions prises sont expliquées, transparentes, et que lorsqu'elles relèvent du Parlement, soit au titre de ses compétences propres, soit au titre de son pouvoir de contrôle, il en soit rendu compte devant lui.
Encore une fois, la question de fond n'est pas tellement de savoir comment sont prises les décisions…
Je ne sous-estime pas votre question, monsieur Pancher – d'ailleurs, j'y réponds ! Mais il s'agit surtout de savoir quelle est la nature des décisions prises et si celles-ci permettront de répondre à la situation de fait à laquelle nous sommes confrontés.
Depuis le début de la crise, l'essentiel des décisions visant à lutter contre la covid ont été prises par les préfets, représentants de l'État. Dès lors que la gestion de la crise a été territorialisée, ces mesures n'étaient pas forcément les mêmes partout. Cette collection d'arrêtés préfectoraux encombrerait sûrement votre mission d'information si vous en demandiez la communication – je les tiens cependant à votre disposition.
Vous m'avez interrogé sur les organismes expertaux sur lesquels s'appuient nos décisions. Vous savez qu'au début de la pandémie en France, le législateur a créé, sur proposition du Gouvernement, un Conseil scientifique. Ce dernier rend des avis, que nous analysons et suivons le plus possible – ils font partie des éléments dont l'autorité politique dispose pour prendre ses décisions. Admettez qu'il serait étonnant que nous n'en tenions aucun compte ! J'entends, d'une part, qu'il n'y aurait pas d'autonomie du pouvoir politique et que nous serions prisonniers du Conseil scientifique ; d'autre part, que le Conseil scientifique nous aurait prévenus de l'évolution de la situation et que nous n'aurions pas tenu compte de ses recommandations – je l'ai encore entendu dans plusieurs de vos questions.
Mais vous avez eu raison de rappeler que le Conseil scientifique n'est pas la seule autorité expertale que consultent les pouvoirs publics. Il en existe plusieurs autres – l'Assemblée nationale dira peut-être un jour qu'il y en a trop. Santé publique France gère plutôt l'appareil statistique épidémiologique. S'agissant de la Haute Autorité de santé, une instance dont les compétences ont été définies par la loi, nous avons évoqué les stratégies de test et les stratégies vaccinales. Quant au Haut Conseil de la santé publique, il s'agit d'un organe qui valide les protocoles sanitaires – Dieu sait s'il y en a ! J'ai parlé des protocoles applicables aux écoles, mais je pourrais aussi citer les protocoles applicables aux milieux professionnels ou aux transports publics. Le Haut Conseil de la santé publique rend une multitude d'avis, parfois plusieurs sur le même sujet ; il est davantage chargé de l'opérationnalité des décisions que de la stratégie de gestion de la crise.
Il ne m'appartient pas de dire si ces instances sont trop nombreuses ou pas assez. Il y aurait sûrement des choses à améliorer, mais comme je le disais à propos des ARS et des préfets, je suis actuellement au front, et ce n'est pas dans ces moments que l'on peut remettre en cause le système et décider de tout reconstruire, même pour faire mieux ! Je ne doute pas de la pureté des intentions de ceux qui proposent des réformes, mais tout changement majeur serait aujourd'hui inopportun. Attendons la fin de la crise et tirons-en les conséquences structurelles, le cas échéant, si l'organisation de ces autorités expertales n'apparaît pas pleinement satisfaisante.
Mon expérience de Premier ministre m'a montré qu'il valait mieux avoir plusieurs experts qu'un seul, quitte à ce qu'ils soient spécialisés : la pluralité des avis est plus éclairante pour les pouvoirs publics. Rien ne m'autorise à dire devant votre mission d'information que la qualité scientifique des productions expertales serait défaillante ou mauvaise. Faisons preuve de rigueur : il ne faut pas s'appuyer sur les avis du Conseil scientifique quand ils nous arrangent et les méconnaître quand ils ne nous arrangent pas. Dans son avis du 26 octobre, le Conseil scientifique a lui-même qualifié de « surprenante » la brutalité avec laquelle l'épidémie explosait, en dépit des observations qu'il avait formulées dès l'été dernier.
Je termine en répondant à la question très importante sur les personnes âgées ou à risques. On considère souvent que les décès concernent principalement les personnes très âgées présentant des polypathologies. C'est vrai, mais pas tout à fait : hélas, certaines personnes jeunes meurent de cette maladie. Je vous disais que je faisais le tour des établissements de santé : je vois, dans les services de réanimation, des personnes âgées de moins de 60 ans, même si elles ne sont pas majoritaires. On émet parfois l'idée que l'on pourrait se contenter de confiner les personnes les plus âgées ou les plus vulnérables à la maladie. Très honnêtement, je trouve que c'est une très mauvaise idée. Pas un pays ne s'y est d'ailleurs aventuré ; si nous étions les seuls à le faire, nous entrerions peut-être en Absurdie, monsieur Pancher ! Au-delà des problèmes éthiques majeurs que poserait un confinement sélectif, il existe un consensus scientifique pour dire qu'un tel dispositif serait inefficace, car il serait impossible de créer un cordon sanitaire parfaitement étanche autour de ces populations. Si nous laissions le virus se développer autour d'elles, considérant que les plus jeunes ne développent pas de formes graves, et encore moins de formes mortelles, de la maladie, les personnes âgées et vulnérables seraient, au bout d'un certain temps, rattrapées par la patrouille – sauf à instaurer des systèmes de contrôle pour les isoler, ce qui serait d'ailleurs impossible et même indigne de notre État démocratique. Surtout, ce serait méconnaître la réalité de cette maladie, qui provoque aussi des dégâts tout à fait significatifs chez les personnes les plus jeunes ou les moins vulnérables.
Chacun peut mesurer le caractère inédit de la situation et, donc, la difficulté de l'exercice qui vous incombe.
Cette audition est singulière puisque nous entendons le maître d'œuvre du déconfinement et le Premier ministre du reconfinement, celui-ci nous amenant à nous interroger sur les ratés de celui-là : qu'aurions-nous pu mieux faire ? Qu'en est-il des responsabilités publiques ? Nous nous interrogeons par exemple sur les mesures qui ont été prises, ou non, pour soutenir l'hôpital, notamment en prévision d'une recrudescence de l'épidémie.
Vous avez dit réfléchir à des mesures de long terme – j'imagine, en tirant les leçons de ce qui s'est passé – mais ne pensez-vous pas que ces hypothèses devraient être mises sur la table ? La réduction démocratique à laquelle nous sommes contraints depuis plusieurs mois n'est-elle pas problématique ?
Le choix du management, de la verticalité et, d'une certaine façon, de l'autorité, a selon nous insuffisamment positionné les citoyens, les différents acteurs sociaux et territoriaux, pour leur permettre de lutter et agir contre le virus. Cela n'a-t-il d'ailleurs pas alimenté une crise de confiance ? Dans cette lourde épreuve individuelle et collective, les différentes institutions et organisations n'avaient-elles pas besoin d'être confortées, associées et mobilisées plus encore face aux défis auxquels nous étions confrontés ?
L'idée d'un affaiblissement progressif de l'État ressort des auditions que nous avons menées. Selon vous, qui êtes au cœur du dispositif, disposons-nous d'un assez grand nombre d'outils ? N'est-il pas nécessaire de reconstruire une puissance publique appuyée sur une fonction publique plus étoffée, plus respectée ? En quel état se trouve l'État ?
Par ailleurs, une action suffisante a-t-elle été entreprise pour que le droit au vaccin pour tous soit effectif en France, en Europe et dans le monde ?
Sur un plan social, les mesures qui ont été prises en faveur des jeunes sont insuffisantes, de même que pour les salariés en activité partielle ; certains perçoivent depuis trop longtemps seulement 84 % de leur salaire. À ce propos, l'utilisation du dispositif d'activité partielle par Carrefour m'a surpris, au moment même où nous nous interrogeons sur les capacités de nos petits commerces à survivre. Qu'avez-vous à nous dire à ce sujet ?
Dans vos propos liminaires, monsieur le Premier ministre, vous avez souligné les nombreux échanges avec nos voisins européens. Pourriez-vous préciser leur nature ? L'Europe, que nous souhaitons solidaire, est un atout, mais avez-vous des échanges privilégiés avec certains pays – vous avez évoqué la chancelière allemande – en Europe, certes, mais aussi dans le monde ? Ont-ils influé sur vos décisions, l'idée étant d'aller chercher les bonnes pratiques dans le monde entier ?
Dans cette crise inédite et complexe, la priorité demeure certes celle de la santé mais le critère de l'acceptabilité est de plus en plus important, au point qu'il pourrait en venir à primer. Qu'en pensez-vous puisque, comme vous le dites avec raison, nous devrons vivre avec ce virus ? Ce critère me semble donc d'autant plus primordial.
Il est clair, monsieur Dharréville, que l'État a été mis à rude épreuve. Dans l'organisation des pouvoirs publics, je l'ai dit, c'est à lui qu'incombe la responsabilité de la santé et de la gestion de la crise, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Encore une fois, s'il faut changer les règles du jeu, il faut le faire après-coup et pas pendant la partie.
En tout cas, de mon point de vue, l'État a tenu. Je tiens à ce propos à rendre hommage à l'ensemble des fonctionnaires. Certes, il est encore possible d'améliorer la situation en préparant des relèves, à travers une meilleure formation à la crise mais, au prix de beaucoup d'efforts et de fatigue, ils ont joué un rôle essentiel sur les plans central et territorial. L'État, comme d'autres États, a connu des difficultés face à une crise à laquelle il ne s'attendait pas, il a cependant tenu et il tient, même si c'est très dur. Je crois en l'État, certes de plus en plus déconcentré, qui concerte et qui se tient aux côtés des collectivités territoriales, car nous avons manifestement de plus en plus besoin de lui, et je m'emploie à lui donner les moyens de ses missions.
Vous avez parlé de réduction démocratique, de crise de confiance. Je ne suis pas certain que la crise de confiance dans les pouvoirs publics date vraiment de la crise sanitaire.
Une telle situation n'est pas non plus absolument étonnante alors que les citoyens d'autres pays acceptent également mal les mesures de « freinage ». L'acceptabilité, la patience des opinions publiques sont en effet mises à rude épreuve.
J'ai eu l'occasion de dire que cette crise était un rendez-vous avec nous-mêmes. Si la première responsabilité appartient à l'État, on ne luttera cependant efficacement contre l'épidémie que si chacun d'entre nous devient un acteur de ce combat. Cette crise nous administre aussi une leçon de responsabilité individuelle et collective.
Elle est également une affaire de solidarité. Je peux considérer, à tort ou à raison, que je ne développerai pas une forme grave de la maladie, mais il est certain que je peux la transmettre à une personne vulnérable. Je dois donc me montrer solidaire en adaptant mes comportements. C'est un défi collectif. Bien sûr, l'État est toujours le responsable de tout, c'est bien connu…mais ce n'est pas si simple ! Il est le premier responsable et se doit de faire face – le Premier ministre, encore plus que les autres – mais chacun sent bien que nous avons besoin d'une mobilisation collective. Il n'est pas possible de ne pas se soucier de la situation dans les hôpitaux et dans les services de réanimation. Nous devons y être tous attentifs, ce qui suppose d'adapter nos comportements.
Je ne partage pas le constat d'une réduction démocratique : le Parlement légifère, contrôle – je suis d'ailleurs ici dans ce cadre. Je ne ferai pas un cours sur la dévolution des pouvoirs mais il me semble que les parlementaires que vous êtes jouent pleinement leur rôle, quitte à ce que ce soit parfois peu agréable pour le pouvoir exécutif. Je suis au front, mais j'écoute aussi ce que les uns et les autres disent, y compris bien entendu nos concitoyens, n'en doutez pas ! Si je faisais le contraire de tous les échos qui me parviennent, je me dirais que quelque chose ne va pas, mais ces échos ne sont pas unanimes, ce qui est normal.
Dans le cadre des institutions de la République, je suis là pour assumer mes responsabilités, ce que j'essaie de faire. Vous-mêmes, ou l'Histoire, direz ensuite si j'ai bien ou mal fait. Sûrement, ce ne sera pas très bien fait ni complètement mal fait, d'où l'intérêt toujours précieux des comparaisons, puisque nous sommes confrontés à un évènement inédit, qui frappe tout le monde : quels outils sont utilisés, quelles sont les relations avec les collectivités décentralisées dans le cadre de telle ou telle organisation institutionnelle ?
Le centre interministériel de crise procède à un benchmark, ou plutôt à un parangonnage permanent et nous regardons chaque jour ce qui se passe dans les pays qui nous entourent, quelles sont les mesures prises, quelle est leur situation épidémique.
L'Europe de la santé repose encore sur des politiques d'États, même si la France et l'Allemagne ont pris une initiative, le 20 août, pour essayer de concevoir une approche commune afin de régler les questions de libre circulation au sein de l'Union européenne. Vous avez tous en mémoire tel pays assurant que ses ressortissants ne doivent pas se rendre dans tel autre ou dans telle région dans lesquels les risques de circulation virale sont jugés plus graves. Nous essayons donc d'harmoniser les positions européennes. Ce n'est pas simple mais les progrès sont réels. Les enseignements de la crise montreront sans doute que l'Europe devra prendre un peu plus de place pour harmoniser les politiques sanitaires.
Elle l'a fait s'agissant du vaccin. Cela n'a échappé à personne : un groupement européen de commandes a été passé dans le cadre d'une task force qui a déjà permis de signer quatre accords visant à acheter 100 millions de doses afin de vacciner 66 millions de personnes.
La stratégie vaccinale suppose une priorisation. Des publics seront donc prioritaires, notamment les plus vulnérables et les professionnels de santé, mais notre objectif reste d'avoir une approche la plus large possible.
Lorsque le scandale du Lancetgate a éclaté – Édouard Philippe était alors Premier ministre – l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a pris de mauvaises décisions en décidant d'arrêter les études concernant l'hydroxychloroquine. Autre scandale : les mêmes auteurs ont publié dans le New england journal of medicine une étude en faveur du Remdésivir dont nous avons appris, depuis, qu'il serait toxique, et l'Europe en a acheté des millions de doses.
Aucun mea culpa n'a été fait. Au contraire, le ministre Olivier Véran, à l'époque, s'est empressé de communiquer sur la dangerosité de l'hydroxychloroquine et personne n'a fait marche arrière, personne ne s'est jamais excusé alors que nous avons été confrontés à des faussaires, qui avaient une fausse société, de faux employés, de fausses données d'hôpitaux comprenant des patients français, qui revendiquaient avoir des données ethniques alors qu'elles sont interdites dans notre pays ! Nous n'avons eu aucun retour, personne, au Gouvernement, n'ayant avoué l'erreur d'avoir suivi cette étude ni n'ayant jugé bon de dire que ces personnes seraient poursuivies en justice. Tout cela est bien dommage car la suspicion contre le monde médical, scientifique, et contre Big Pharma date de ce péché originel. Les conséquences seront les mêmes, demain, pour le vaccin.
Vous vous faites un peu l'apôtre de la sécurité sanitaire, or, je souhaiterais qu'en tant que Premier ministre, vous ne vous situiez pas dans le « tout sanitaire » mais que vous meniez une politique plus équilibrée. Nous ne devons pas favoriser une « République des médecins », et c'est un médecin qui vous le dit.
Vous dites qu'il faut porter un masque à la maison, or, le cerveau des enfants se construit socialement à travers la reconnaissance des visages. C'est une caractéristique unique de notre espèce, par laquelle nous sommes capables de reconnaître des milliers de visages. Le lien social, le schéma corporel, peut-être l'apprentissage de la lecture sont conditionnés par le visage. Demain ou dans dix ans, le nombre d'enfants dyslexiques, dyscalculiques, dyspraxiques peut exploser, leur champ visuel peut être aussi partiellement amputé. Dès aujourd'hui, les personnes âgées risquent de chuter. Nous sous-estimons un certain nombre de choses qui, demain, seront peut-être irrattrapables. Je souhaiterais donc que vous fassiez preuve de prudence lorsque vous demandez aux gens de porter un masque en permanence car ce n'est pas anodin pour le développement de l'être humain.
Vous avez évoqué le benchmark, je le pratique également puisque je vis aussi en Suisse, où le confinement est moins douloureux, moins massif, et où l'épidémie reflue, comme ailleurs. Je n'ai pas le sentiment d'y être aussi oppressé qu'à Paris : je ne suis pas obligé d'avoir une attestation ; socialement, je vis mieux cette deuxième crise.
Je vous invite donc à ne pas vous faire seulement l'apôtre de la santé et à proposer une politique plus équilibrée.
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », assure Pascal. Le même virus sévit de part et d'autre et, pourtant, à Séville, les commerces non essentiels sont ouverts jusqu'à dix-huit heures tout comme, en Catalogne, les commerces de moins de 800 mètres carrés. Sur la base de quelle étude d'impact sanitaire avez-vous estimé que la concentration des flux dans les grandes surfaces était moins risquée que leur distribution dans les petits commerces ? En quoi notre situation diffère-t-elle de celle de l'Espagne ?
Vous nous avez expliqué la répartition des tâches entre, d'une part, le Président de la République et les instances qui en dépendent et, d'autre part, le Premier ministre et le Gouvernement. Or, comme vous le savez, à la différence du Gouvernement, le Président de la République n'est pas pénalement responsable de ses actions. D'une certaine façon, la présence d'organismes ad hoc auprès de lui peut entraîner une forme d'ambiguïté et d'hybridation juridique quant à la responsabilité des différents acteurs. Une telle présence s'explique-t-elle par ce problème juridique de responsabilité pénale ?
En ce qui concerne les vaccins, évoquant les négociations de l'Union européenne, vous avez parlé d'une bonne nouvelle. Le 17 novembre, un des laboratoires américains a cependant indiqué qu'elles étaient prolongées mais qu'aucun accord ferme n'avait été trouvé et que les Européens devaient se dépêcher, sinon, ils risquaient de se faire doubler par d'autres pays qui pourraient acheter des vaccins à leur place. Renaud Muselier, président de Régions de France, a interpelé Olivier Véran aujourd'hui : la France ne devrait-elle pas prendre une initiative dans ce domaine afin d'acheter ces vaccins et de sécuriser la situation ? Par ailleurs, sera-t-il possible de disposer un jour d'un vaccin français ?
Vous avez à juste titre appelé au sens des responsabilités, monsieur le Premier ministre. Chaque fois que le Gouvernement a demandé à l'Assemblée nationale l'autorisation de confiner la population, nous l'avons suivi. C'est cet esprit de responsabilité qui nous a amenés à considérer que, à situation exceptionnelle, réponses exceptionnelles, et qui nous autorise aujourd'hui à vous dire que certaines choses ont « cloché ».
Vous avez dit que l'acceptabilité de la situation diminue avec le temps, ce qui est une évidence, mais elle diminue d'autant plus que la confiance fait défaut. Nos concitoyens ne comprennent pas : pourquoi avoir mis tant de temps à insister sur la nécessité du télétravail ? Le MEDEF, comme on l'entend souvent, a-t-il joué un rôle négatif en la matière ?
Deux de mes fils sont étudiants. Dès la rentrée universitaire, les amphithéâtres étaient bondés. Nous avons tous évoqué cette situation dans l'hémicycle. Pourquoi avoir mis tant de temps à limiter le nombre d'étudiants ou à favoriser leur distanciation ?
En se situant au quatre-vingt-treizième rang des départements atteints, les Pyrénées-Atlantiques ont été épargnées par la première vague, avant de connaître une flambée. Pourquoi ne pas avoir interdit les déplacements depuis les huit métropoles ? Un nombre considérable de personnes se sont déplacées lors de la Toussaint. Nous savions qu'il en serait ainsi et nous aurions pu l'anticiper.
Nous n'ignorons pas que la France manque d'une véritable culture du risque. Si les dispositifs ont fonctionné, c'est parce que les préfets, eux, ont cette culture, alors que ce n'est pas le cas d'autres administrations, notamment des Agences régionales de santé (ARS). Le code de santé publique confère aux préfets un certain nombre de prérogatives en cas de situation exceptionnelle. Pourquoi ne leur a-t-on pas donné autorité sur les ARS ?
Les Français nous confient dans nos circonscriptions qu'ils sont un peu lassés d'un discours de culpabilisation. Le 11 septembre, vous leur avez dit : « Demain dépend de vous ». Cela signifie-t-il que l'État se désengage et que tout repose sur les épaules des Français ? Un clip, qui a été diffusé de très nombreuses fois, montre une grand-mère qui fête son anniversaire en famille et qui, quelques jours plus tard, se retrouve en réanimation. Les Français en ont un peu assez d'être à ce point culpabilisés.
De même, vous avez déclaré le 11 novembre : « ce n'est pas le moment de desserrer la bride aux Français », phrase, peut-être sortie de son contexte, qui a beaucoup choqué. Les Français ne doivent pas être tenus en bride mais respectés.
En mars, on avait le droit de se tromper mais, depuis, 166 études ont montré qu'il existe un traitement précoce et efficace contre le covid-19 et qu'il est tout à fait possible de revoir la prise en charge des malades dès qu'ils sont testés positifs.
Des études, qui sont sur le bureau du ministre de la santé et de M. Salomon, le Directeur général de la santé, montrent aussi qu'il est possible de prévoir l'évolution de la situation sanitaire à partir de l'analyse des eaux usées, ce qui permettraient, comme vous l'avez souhaité, d'organiser un confinement territorialisé. Le virus étant 1 500 fois plus présent dans les selles qu'ailleurs, il est en effet beaucoup plus facile de prévoir une explosion de l'épidémie, par exemple dans une métropole. Or, aucune mesure n'a été prise en ce sens alors que, depuis le mois de juillet, l'efficacité de ces prélèvements est prouvée.
Nous avons besoin d'une véritable évaluation non seulement sanitaire mais économique et sociale de la situation, alors que le nombre de suicides explose. En tant que psychiatre, je suis très inquiète des répercussions sociales du confinement.
Le coût des tests est estimé à plus de 2,2 milliards pour 2020, or, avec cette somme, nous pourrions construire plusieurs établissements publics de santé.
Enfin, alors que nous nous apprêtons à utiliser pour la première fois des vaccins à ARN, l'évaluation du bénéfice-risque ne me semble pas suffisante.
Je n'ai pas dit, madame la députée, qu'il fallait serrer la bride des Français : je parlais des mesures que nous avons prises, et dont je continue à penser que le moment de les assouplir n'est pas encore venu. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Je ne pense pas non plus avoir montré que l'État se désengageait. Cela étant, je confirme que la lutte contre l'épidémie est l'affaire de tous. J'en ai appelé à l'esprit de responsabilité, ce qui n'a rien à avoir avec la culpabilisation. L'État se doit de susciter l'engagement de chaque citoyen, dans tous les domaines, d'ailleurs, et en particulier dans le cas d'espèce.
Vous avez évoqué un traitement précoce. Je ne sais pas de quoi il s'agit. En tout cas, je n'en connais pas.
De la même façon, je ne peux pas vous laisser dire qu'il faudrait renoncer aux tests pour construire des établissements de santé. Face à une telle épidémie, il importe que le moins de personnes possible contracte le virus et soient hospitalisées. Sinon, cessons aussi de rendre la ceinture de sécurité obligatoire, conduisons n'importe comment et retrouvons-nous tous dans les services d'urgence et de réanimation ! Je ne peux pas me reconnaître dans un tel raisonnement.
En revanche, je suis d'accord avec vous sur un point : la crise sanitaire, le confinement et, plus généralement, l'ensemble des mesures que nous avons prises, ont des incidences psychologiques. C'est un vrai sujet. J'en profite pour vous dire que je suis particulièrement fier d'avoir signé les accords du Ségur de la santé, quelques jours après mon arrivée, même s'ils avaient été négociés, pour une large part, par mon prédécesseur. J'y ai apporté une plus-value, si je puis m'exprimer ainsi, en demandant qu'au-delà des indispensables revalorisations indiciaires et indemnitaires prises pour améliorer l'attractivité des professions de santé, des crédits soient accordés afin de créer des emplois dans le système de soins, en particulier dans le domaine de la santé mentale, confronté à de graves difficultés structurelles qui l'empêchent de faire face aux conséquences de la crise sanitaire.
M. le député du beau département des Pyrénées-Atlantiques, qui a montré son sens des responsabilités en votant les orientations que j'ai proposées, regrette l'absence de cohérence dans les mesures. Concernant tout d'abord les universités, nous avons mis en place des protocoles sanitaires pour assurer la distanciation sociale dans les amphithéâtres. J'ai pu constater qu'en effet, ces mesures n'étaient pas toujours respectées ni appliquées avec rigueur. En concertation avec la conférence des présidents d'université et le ministère de l'enseignement supérieur, nous avons corrigé le tir.
Vous avez évoqué le sujet crucial du télétravail. Il mérite que l'on s'y attarde. Deux questions sont posées. Tout d'abord, n'aurions-nous pas dû maintenir le télétravail à la sortie du premier confinement, a fortiori aujourd'hui ? C'est vrai, aujourd'hui, son usage s'est considérablement réduit mais il me semble qu'en la matière, il faille s'en remettre d'abord au dialogue social avec les partenaires sociaux. Nous avons toujours privilégié cette voie – un homme comme vous ne peut que l'approuver, je pense. Vous m'avez d'ailleurs demandé quelle était la position du Medef à ce propos.
Nous avons pris des dispositions qui ont été introduites dans le protocole sanitaire des entreprises il y a quelques semaines et qui ont force obligatoire. Mais c'est par le dialogue social que nous pourrons aller encore plus loin. Les discussions avec les partenaires sociaux sont en cours et vous comprendrez aisément qu'il n'appartient pas au Premier ministre de commenter la position des uns et des autres.
J'ai toujours été favorable au dialogue social et je souhaite qu'il nous permette de progresser dans l'organisation du télétravail car j'ai l'impression que s'il s'est si rapidement arrêté après le 11 mai, c'est parce que ni les entrepreneurs, ni les salariés, pour des raisons diverses, n'y étaient favorables. Je ne vous parle pas du télétravail comme moyen de lutter contre la crise mais comme organisation du travail qui devra survivre à cette crise. Le dialogue social sera indispensable pour vaincre les réticences et transformer les mentalités. C'est une évolution culturelle. Il faudra revoir toute l'organisation du travail et ne pas se préoccuper seulement de l'équipement informatique des salariés, même si, bien évidemment, les doter des bons outils est le b.a.-ba du télétravail. L'administration est elle-même confrontée à ce problème. Nous avons fait des progrès en plusieurs mois mais tout ne peut pas se régler d'un coup. L'évolution doit être beaucoup plus forte et pourrait même devenir, si j'ose dire, l'héritage positif de cette crise si grave.
Bien évidemment, on ne peut pas télétravailler en permanence, en temps normal. Rien ne remplace les relations humaines – ce qui explique d'ailleurs que les salariés soient extrêmement désireux de travailler le plus possible en présentiel. Rien n'empêche, cependant, de réfléchir à un nouveau rapport à la ville, pour une répartition plus homogène de la population dans le territoire, des déplacements plus optimisés, des mobilités différentes. Le chantier n'est pas nouveau mais nous devons progresser. En tout cas, dans l'immédiat, la position du Gouvernement est claire: télétravailler partout où cela est possible. La ministre du travail, Mme Borne, ne ménage pas son énergie à cette fin mais le dialogue social reste indispensable. Enfin, nous devrons inscrire dans le temps ce qui apparaît aujourd'hui comme une réponse subie à l'urgence sanitaire et, pour y parvenir, mener une évolution structurelle en transformant le regard que portent les employeurs et les salariés sur le télétravail. Je suis mobilisé pour relever ce défi.
Monsieur le député, vous avez comparé la réactivité des ARS à celle du préfet. J'ai longuement travaillé au ministère de la santé, au cours de ma vie professionnelle mais j'ai aussi été secrétaire général de préfecture, sous-préfet. N'exagérons pas le hiatus entre les deux instances. Je ne nie pas que des problèmes aient pu surgir d'un côté comme de l'autre mais ne les grossissons pas pour autant. Surtout, s'il s'avère nécessaire de tirer les conséquences des problèmes que vous avez soulevés pour améliorer l'organisation de ces instances et la définition de leur rôle, nous le ferons. L'heure n'est pas encore venue. Les fonctionnaires des ARS, les préfets, sont tous sur le pont et se démènent, malgré les difficultés, pour travailler le mieux possible. N'exagérons pas le problème. Nous nous en occuperons le moment venu, le cas échéant, mais pas sous le feu de l'action.
Monsieur Aubert, le débat ne se situe pas entre grandes surfaces ou petits commerces mais entre commerces de première nécessité ou non. Les commerces de première nécessité, grands ou petits, sont tous ouverts. Pourquoi avons-nous décidé de fermer les autres, même s'ils ne concentraient pas le plus grand nombre de clusters ? Je le répète : nous sommes confinés et nous devons limiter au maximum les occasions de sortir de chez nous. Déjà, nous avons posé trois exceptions à ce principe puisqu'il est autorisé de sortir pour aller travailler, se former, se nourrir – je schématise. Vous conviendrez, monsieur le député, que les libertés publiques ne sont pas si entravées que cela. C'est vrai, on ne peut pas faire tout ce que l'on veut mais il se trouve qu'un virus circule. On peut toujours penser que le Gouvernement est seul en cause – certains ont sans doute intérêt à faire circuler cette conception de la situation mais, en l'état, celui qui circule et nous ennuie reste bel et bien le virus.
Nous voulons, par conséquent, limiter au maximum les flux et les interactions. Surtout, nous avons progressé depuis le premier confinement durant lequel tous les rayons des grandes surfaces étaient restés accessibles puisque, aujourd'hui, les grandes surfaces et les petits commerces sont traités de la même manière.
C'est vrai, on trouve un peu de tout quand on compare la situation avec nos voisins. Dans certains pays, les commerces non essentiels sont ouverts, dans d'autres ils sont fermés. Quelques-uns, comme l'Autriche, ont choisi de ne pas interrompre certaines activités économiques mais ils ont finalement dû fermer les écoles. Ce n'est pas la voie que nous avons choisie et je l'assume. En tout cas, si nous respectons ces mesures, nous devrions en récolter les premiers fruits d'ici à fin novembre, début décembre.
Concernant les vaccins, la France vient en soutien de l'Europe pour passer les commandes nécessaires. Vous me demandez pourquoi le vaccin français développé par Sanofi n'est pas aussi avancé que les autres. Je vous invite à interroger l'entreprise concernée. Je sais simplement que les recherches avancent et nous vous tiendrons informés de leur évolution. Pour le reste, l'État ne peut pas être responsable de tout. Ce n'est pas lui qui mène les recherches pour trouver un vaccin !
Pour ce qui est de l'étude du Lancet, je ne l'ai pas du tout suivie car je n'étais pas Premier ministre à l'époque. Je ne peux donc pas vous apporter de réponses.
Quant au port du masque, je n'ai pas recommandé de porter le masque en permanence mais le plus possible. C'est en tout cas la préconisation qui me semble découler de toute la littérature scientifique publiée à ce sujet. Chacun, ensuite, agit en conscience. Cela étant, il est possible que le port du masque, non pas d'une manière permanente mais ponctuelle, perdure pour prévenir la contamination par d'autres virus saisonniers. Cette pratique existe dans d'autres pays. Le port du masque présente des inconvénients, je pense cependant que, si vous le portez tous ici, ce n'est pas tant pour m'être agréable ou respecter les règles qui ont été édictées par décret, que parce que vous êtes vous-mêmes convaincus de son utilité pour vous protéger, protéger vos collègues députés, mais aussi votre entourage. C'est un point essentiel.
Je ne poursuis qu'un objectif : parvenir à un équilibre, même s'il n'est pas facile à atteindre. Je ne prends ces mesures difficiles pour les Français que dans leur intérêt, pour lutter contre la pandémie. Les sociétés occidentales, très développées comme les nôtres, sont extrêmement perturbées par cette crise parce qu'elles n'ont pas été habituées à ce phénomène et pensent que la science est devenue toute puissante. Des pandémies de cette envergure ont été renvoyées, dans l'inconscient collectif, au Moyen-âge. La grippe espagnole de 1920 n'est pas si éloignée que cela de notre époque mais les progrès scientifiques ont été si fulgurants depuis que l'on avait fini par croire que ces pandémies, sans disparaître de la surface du globe, ne pourraient plus frapper les sociétés dites développées. Je ne fais pas de commentaire, je me contente de constater avec vous la réalité.
Les États, comme les systèmes sanitaires, sont perturbés. Les opinions publiques sont profondément affectées. Nous devons chacun prendre nos responsabilités – et je ne me soustrais pas aux miennes, qui sont importantes – pour, collectivement, relever ce défi grave et inédit.
Nous sortirons de cette crise, j'en suis convaincu, mais je ne suis pas capable, hélas, de vous dire quand. Nous apprenons chaque jour, moi le premier. Nous devons aborder cette crise avec humilité et écoute, mais aussi détermination et conviction. Nous n'avons pas d'autre voie que celle de la fermeté dans les principes et de la bienveillance à l'égard de nos concitoyens car, j'en suis conscient, ils subissent une épreuve redoutable.
Tester, tracer, isoler, reste la meilleure méthode de disposer de la carte épidémiologique de notre pays. Plus nous testerons, mieux nous serons renseignés pour l'avenir. D'autres pays l'ont fait – l'Autriche, la Finlande – et Liverpool a lancé une vaste opération de dépistage récemment.
Comment envisagez-vous le déconfinement, monsieur le Premier ministre ? On entend parler de fin novembre-début décembre car, si j'ai bien compris, le niveau des consultations auprès des généralistes aurait baissé de 30 % en l'espace de quelques jours dans toute la France. C'est un signe très positif.
Vous avez évoqué la cellule interministérielle de crise. En 2006, il a été décidé, par décret, de confier le pilotage de la crise à un délégué interministériel de la lutte contre la grippe aviaire, le DILGA et au secrétaire général de la défense nationale. Ce binôme a géré toutes les crises de l'époque et, en 2007, l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires l'EPRUS, a été créé – vous étiez encore à Ségur. Le plan pandémie a été instauré en 2009. Le pays était bien armé. Comment en sommes-nous arrivés là alors que deux rapports, l'un de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et l'autre du Général Lizurey, ont remis en cause la gestion de la crise durant les premiers mois de la pandémie ?
Vous réfléchissez aux modalités du nouveau déconfinement, mais pourriez-vous nous expliquer selon quels critères et indicateurs le premier plan de déconfinement a été conçu ? Plusieurs mois après, avec le recul dont vous disposez, pourriez-vous nous dire en quoi les problématiques seront-elles différentes ? Faut-il nous préparer à des épisodes successifs de mise en sommeil de l'activité sociale jusqu'à ce que le virus ait été apprivoisé, d'une manière ou d'une autre ?
Je voudrais vous alerter sur les grands oubliés du décret du 19 septembre 2020 qui prévoit, suite aux accords du Ségur de la santé que vous avez signés, de verser un complément de traitement indiciaire aux agents des établissements publics de santé, des groupements de coopération sanitaire et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de la fonction publique hospitalière. Certains soignants en sont exclus, en particulier les agents en psychiatrie des maisons d'accueil spécialisé et des foyers d'accueil médicalisé (FAM) qui dépendent des centres hospitaliers de psychiatrie, alors que vous avez déclaré vouloir soutenir le secteur de la santé mentale. Pourtant des clusters ont été identifiés dans ces lieux. Il en est de même pour les personnels des services de soins infirmiers à domicile, les SSIAD, alors que l'on essaie de privilégier l'accompagnement de nos personnes âgées à leur domicile le plus longtemps possible. Au total, près de 40 000 personnes se retrouvent exclues du dispositif, ce qui représente pour eux une perte d'environ 2 000 euros nets par an. Ces soignants ont l'impression d'être victimes de l'injustice d'une politique à deux vitesses et ces métiers perdent de leur attractivité, les taux d'encadrement sont insuffisants, de nombreux postes sont vacants. Ces agents, à l'approche de Noël, vous écoutent et vous attendent. D'ailleurs comment se déroulera la période de Noël ?
Vous avez dit, monsieur le Premier ministre, qu'il fallait travailler avec humilité et écoute pour combattre cette maladie. Il est important de répéter les choses, surtout lorsque l'on constate aujourd'hui certaines réflexions ou manifestations – je ne parlerai pas de Montauban. Pour le moment, nous ne savons qu'une seule chose de ce virus : son nom. Nous ne disposons que d'un traitement : le confinement. Tout déplacement entraîne la mobilité du virus, d'où le caractère essentiel du confinement que vous avez décrété.
Bien sûr, il serait plus facile d'ouvrir le robinet mais les conséquences seraient terribles car nous sommes tout en haut de la courbe, dans une position extrêmement fragile. Nous disposerons sans doute bientôt d'un vaccin mais ce ne sera pas un traitement, simplement une prophylaxie – à condition qu'il soit accepté par tout le monde, ce que j'espère. Pour le moment, il semblerait que 50 % de la population soit prête à se faire vacciner. On constate d'ailleurs que les gens se font beaucoup plus vacciner contre la grippe cette année que précédemment.
Enfin, que pensez-vous de ces personnes qui font de la résistance et proposent de payer les amendes pour les autres – les écrivains, celles des libraires, les maires, celles des commerçants. Ces comportements me paraissent irresponsables.
Contrairement au printemps dernier, le virus est réparti de manière égale sur l'ensemble du territoire. La flambée des infections par le covid met sous pression notre système hospitalier. Nous savons aujourd'hui que 95 % de nos capacités sont atteintes pour ce qui concerne les lits de réanimation et ce n'est qu'en déprogrammant des hospitalisations prévues qu'il est possible d'accueillir de nouveaux cas. Nombre d'actes ont ainsi été déprogrammés afin de libérer des places. Or, certaines interventions déprogrammées en mars dernier n'ont toujours pas été reprogrammées, ce qui présente le risque d'un afflux de patients non atteints du Covid, du fait de la saison hivernale. Le nombre de lits en réanimation est un vrai problème. Vous avez déclaré qu'il était très difficile de l'augmenter car cela supposait du personnel qualifié mais d'autres pays, comme l'Italie, ont réussi à former très rapidement des personnels qui ont pu renforcer les équipes de réanimation. Dans de telles conditions, comment comptez-vous sanctuariser la prise en charge des pathologies les plus graves ?
Par ailleurs, nous nous inquiétons pour la santé psychique de nos concitoyens. Le climat est très anxiogène, renforcé par une certaine stratégie de la peur et, progressivement, la diffusion d'un sentiment de culpabilité, ce qui peut être grave pour les enfants mais aussi pour les adultes. Avez-vous envisagé un accompagnement pour toutes ces personnes qui ne vont pas bien et sous quelle forme ?
J'en viens à la revalorisation des salaires décidée dans le cadre des accords du Ségur de la santé. Certains personnels, comme ceux des SSIAD ou des FAM ont, en effet, été oubliés. Aujourd'hui découragés, ils éprouvent le sentiment de ne pas être considérés après été fortement mis à contribution.
Y a-t-il des motifs d'espérer ? Je vous communique les chiffres de ce soir. Le taux d'incidence nationale continue de diminuer puisqu'il est à 248 contre 258 hier – rappelons qu'il a grimpé jusqu'à 480 ! Nous comptons également soixante-cinq lits occupés en réanimation de moins, ce qui porte leur nombre total, si mes données sont exactes, à 4 854. Nos efforts collectifs portent leurs fruits et nous devons les poursuivre. Je suis d'accord, monsieur le député, il trop tôt pour rouvrir le robinet – je vous emprunte l'expression qui semble moins susceptible d'interprétations fallacieuses que celle de desserrer la bride. Patiemment mais sûrement, nous devons continuer dans cette direction.
Madame Corneloup, je vais répéter car je me suis sans doute mal exprimé. Les Italiens ont fait comme nous. Nous disposons de 5 000 lits en réanimation, avec les personnels adaptés. Nous pouvons doubler cette capacité. Pour le moment, 4 854 lits sont occupés en réanimation par des malades du covid mais si cela s'avérait nécessaire, nous pourrions passer à 10 000 lits, en répartissant les personnels existants, en faisant appel aux étudiants en médecine, à la réserve etc. Il est vrai, en revanche, qu'au moment où la crise est survenue, en janvier dernier, le nombre de lits en réanimation était peut-être plus faible en France que dans d'autres pays mais il n'est pas possible, madame la députée, de laisser croire que l'on peut recruter et former en six mois des médecins anesthésistes réanimateurs. Je vous invite à faire le tour des établissements de santé et des services de réanimation, les personnels soignants vous l'expliqueront sans doute mieux que moi et pourront peut-être vous en convaincre. En tout cas, nous nous étions préparés, avec eux, à ce que 10 700 lits soient occupés en réanimation et nous en sommes finalement aujourd'hui à 4 854, ce qui permettra de ralentir la déprogrammation d'actes pour des patients qui ne souffrent pas de la covid.
Concernant le Ségur de la santé, je ne voudrais pas que l'on oublie que l'effort réalisé est historique. Vous avez voté, ici même, un objectif national des dépenses d'assurance maladie, qui traduit les mesures prises dans le cadre des accords du Ségur, du moins pour 2021. Depuis que cet outil existe, jamais autant de moyens n'ont été affectés à l'hôpital ni aux personnels de santé. On peut toujours insister sur ce qui manque et ne va pas, c'est bien normal, mais je ne voudrais pas que l'on fasse oublier à nos concitoyens l'effort significatif qui a été consenti, même s'il s'agissait sans doute de rattraper le retard.
Deux secteurs sont concernés. Tout d'abord, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, en cours d'examen, prévoit des mesures pour revaloriser les personnels du secteur de l'aide à domicile. Quant au secteur médico-social, hors sanitaire, et dans lequel j'inclurai les personnels des établissements qui accueillent des enfants et des adultes handicapés, je vous informe qu'hier matin, lors du conseil interministériel consacré au handicap que j'ai présidé, et que j'ai ouvert pour la première fois aux associations représentatives du secteur, j'ai annoncé que nous nous emparerions du sujet. J'ai mandaté une personnalité qualifiée, M. Michel Lafourcade, ancien directeur de l'ARS de Nouvelle-Aquitaine, pour nous soumettre ses propositions et dégager des priorités. Nous ne pourrons pas tout régler d'un seul coup mais nous avons conscience du problème que vous soulevez, monsieur le député, et nous essaierons d'y apporter les réponses les plus adaptées.
M. Jean-Pierre Door a fait référence au rapport du général Lizurey, que je vous ai communiqué. Vous y aurez relevé les appréciations qu'il porte sur l'organisation du déconfinement. Il comporte vingt et une préconisations. Quinze d'entre elles ont été mises en œuvre. S'agissant de l'organisation territoriale de la gestion de la crise, j'ai été conduit à saisir l'inspection générale de l'administration et celle des affaires sociales, dès le 18 août. Elles nous ont rendu leur rapport il y a huit jours que je tiens à la disposition de votre commission. Elles ont identifié, comme le général Lizurey, quelques pistes d'amélioration. Quant aux propositions d'organisation plus structurelle, il serait irresponsable de les mettre en œuvre dans le feu de l'action, quel qu'en soit le bien-fondé. Nous devons laisser au dispositif tel qu'il est le temps de s'améliorer. Les inspections générales lui ont cependant reconnu quelques aspects positifs.
Sur la base des recommandations que le général Lizurey, ancien directeur général de la gendarmerie nationale, nous communiquait au fil de l'eau, et de celles que j'avais moi-même formulées dans le cadre de la préparation du déconfinement, qui m'avait été confiée, nous avons réorganisé le dispositif de crise pour unifier le pilotage autour du centre interministériel de crise.
Pour ce qui est de l'attitude des maires qui ont pris des arrêtés pour autoriser l'ouverture des commerces, j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer très clairement, tout comme le ministre de l'intérieur : ils peuvent ne pas être d'accord avec les lois de la République mais il est inadmissible qu'ils les enfreignent. Ce mouvement n'a pas été très étendu. Sur 36 000 maires, je ne pense pas que plus de 200 aient pris ce type d'arrêtés et encore moins ont dû s'engager à payer les amendes des commerçants. Il demeure qu'ils n'ont pas donné le bon exemple et nous avons demandé aux préfets d'intervenir. Certains maires ont retiré leur arrêté à la suite de ces interventions. D'autres ont été déférés devant les tribunaux qui ont donné raison aux préfets. Au-delà du manque de respect à l'autorité de l'État, je déplore que la gravité de la situation sanitaire n'ait pas été comprise. C'est le plus préoccupant.
Le président a fait allusion, dans son propos liminaire, à mon déplacement à Saint-Étienne qui a été confrontée, il y a quelques semaines, à l'un des pics épidémiques les plus élevés de France. Dans cette ville, les commerçants ont spontanément fermé leurs magasins, le maire n'a pas pris d'arrêté pour maintenir l'ouverture des commerces, non pas tant, d'ailleurs, pour respecter les décisions gouvernementales, que parce qu'ils avaient pris conscience de la gravité de la situation. De voir tomber malade les personnes de leur entourage, aucun habitant ne s'est imaginé que l'épidémie était le fruit d'un complot ou une invention de l'État. Ils ont accepté de se protéger immédiatement pour se donner les chances de s'engager, le plus tôt possible, dans une nouvelle étape plus heureuse.
On m'a demandé comment je voyais Noël. Je répète ce que je vous ai dit : je n'imagine pas qu'on vivra, dès le 1er décembre, comme on le faisait avant d'entrer dans le deuxième confinement. La sortie se fera de manière progressive. Je ne suis pas encore en mesure de placer précisément le curseur. Même si les chiffres que je vous donne sont plutôt encourageants, je ne peux pas en effet vous dire – et personne ne pourrait le faire – quels seront exactement, autour du 1er décembre, la situation épidémiologique et l'état du système hospitalier, en particulier dans les services de réanimation. J'ai de l'espoir. C'est à vous d'apprécier si les dispositions que nous avons prises sont bonnes, mais les Français, globalement, les comprennent et les appliquent, ce qui devrait entraîner une amélioration.
Si on peut desserrer les règles, les commerces de proximité qui sont aujourd'hui fermés – parce qu'ils ne vendent pas de produits alimentaires, notamment – pourraient être les premiers concernés. Le Président de la République s'est adressé ce matin aux associations sportives et a évoqué le cas des enfants. Ces structures, vous le savez, ne peuvent plus accueillir d'enfants, hormis dans le cadre scolaire et périscolaire. Si nous rouvrons certains commerces, il serait logique qu'on permette aux enfants de retourner dans les clubs pour y pratiquer des activités physiques et sportives.
Toutefois, il est d'autres secteurs qu'il sera sans doute difficile de faire redémarrer dès le début du mois de décembre et nous devrons essayer de leur donner le maximum de visibilité. De la même façon, comme le Président de la République l'a dit, on ne peut pas imaginer que, pendant les fêtes de Noël, on laisse se tenir de grands rassemblements, au risque de favoriser la circulation du virus. Si cela se produisait, on devrait à nouveau serrer la vis et on nous reprocherait nos choix.
Je sais par avance que les décisions difficiles que nous devrons prendre susciteront des critiques de la part des mêmes personnes, sans doute, qui me reprocheraient d'avoir agi différemment – je pense aux propos du rapporteur concernant le 11 septembre. Il faudra trouver un équilibre, et je m'y emploie. Je voudrais m'inscrire dans une perspective qui nous conduise au moins à l'été prochain. J'espère, comme vous tous, que les vaccins produiront leurs effets et qu'on sera débarrassé du virus, mais, d'ici là, mon devoir est de faire en sorte que la situation se stabilise et qu'on évite ces à-coups qui sont encore plus difficiles à supporter par nos concitoyens.