Intervention de Jean Castex

Réunion du mardi 17 novembre 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Jean Castex, Premier ministre :

Je ne sous-estime pas votre question, monsieur Pancher – d'ailleurs, j'y réponds ! Mais il s'agit surtout de savoir quelle est la nature des décisions prises et si celles-ci permettront de répondre à la situation de fait à laquelle nous sommes confrontés.

Depuis le début de la crise, l'essentiel des décisions visant à lutter contre la covid ont été prises par les préfets, représentants de l'État. Dès lors que la gestion de la crise a été territorialisée, ces mesures n'étaient pas forcément les mêmes partout. Cette collection d'arrêtés préfectoraux encombrerait sûrement votre mission d'information si vous en demandiez la communication – je les tiens cependant à votre disposition.

Vous m'avez interrogé sur les organismes expertaux sur lesquels s'appuient nos décisions. Vous savez qu'au début de la pandémie en France, le législateur a créé, sur proposition du Gouvernement, un Conseil scientifique. Ce dernier rend des avis, que nous analysons et suivons le plus possible – ils font partie des éléments dont l'autorité politique dispose pour prendre ses décisions. Admettez qu'il serait étonnant que nous n'en tenions aucun compte ! J'entends, d'une part, qu'il n'y aurait pas d'autonomie du pouvoir politique et que nous serions prisonniers du Conseil scientifique ; d'autre part, que le Conseil scientifique nous aurait prévenus de l'évolution de la situation et que nous n'aurions pas tenu compte de ses recommandations – je l'ai encore entendu dans plusieurs de vos questions.

Mais vous avez eu raison de rappeler que le Conseil scientifique n'est pas la seule autorité expertale que consultent les pouvoirs publics. Il en existe plusieurs autres – l'Assemblée nationale dira peut-être un jour qu'il y en a trop. Santé publique France gère plutôt l'appareil statistique épidémiologique. S'agissant de la Haute Autorité de santé, une instance dont les compétences ont été définies par la loi, nous avons évoqué les stratégies de test et les stratégies vaccinales. Quant au Haut Conseil de la santé publique, il s'agit d'un organe qui valide les protocoles sanitaires – Dieu sait s'il y en a ! J'ai parlé des protocoles applicables aux écoles, mais je pourrais aussi citer les protocoles applicables aux milieux professionnels ou aux transports publics. Le Haut Conseil de la santé publique rend une multitude d'avis, parfois plusieurs sur le même sujet ; il est davantage chargé de l'opérationnalité des décisions que de la stratégie de gestion de la crise.

Il ne m'appartient pas de dire si ces instances sont trop nombreuses ou pas assez. Il y aurait sûrement des choses à améliorer, mais comme je le disais à propos des ARS et des préfets, je suis actuellement au front, et ce n'est pas dans ces moments que l'on peut remettre en cause le système et décider de tout reconstruire, même pour faire mieux ! Je ne doute pas de la pureté des intentions de ceux qui proposent des réformes, mais tout changement majeur serait aujourd'hui inopportun. Attendons la fin de la crise et tirons-en les conséquences structurelles, le cas échéant, si l'organisation de ces autorités expertales n'apparaît pas pleinement satisfaisante.

Mon expérience de Premier ministre m'a montré qu'il valait mieux avoir plusieurs experts qu'un seul, quitte à ce qu'ils soient spécialisés : la pluralité des avis est plus éclairante pour les pouvoirs publics. Rien ne m'autorise à dire devant votre mission d'information que la qualité scientifique des productions expertales serait défaillante ou mauvaise. Faisons preuve de rigueur : il ne faut pas s'appuyer sur les avis du Conseil scientifique quand ils nous arrangent et les méconnaître quand ils ne nous arrangent pas. Dans son avis du 26 octobre, le Conseil scientifique a lui-même qualifié de « surprenante » la brutalité avec laquelle l'épidémie explosait, en dépit des observations qu'il avait formulées dès l'été dernier.

Je termine en répondant à la question très importante sur les personnes âgées ou à risques. On considère souvent que les décès concernent principalement les personnes très âgées présentant des polypathologies. C'est vrai, mais pas tout à fait : hélas, certaines personnes jeunes meurent de cette maladie. Je vous disais que je faisais le tour des établissements de santé : je vois, dans les services de réanimation, des personnes âgées de moins de 60 ans, même si elles ne sont pas majoritaires. On émet parfois l'idée que l'on pourrait se contenter de confiner les personnes les plus âgées ou les plus vulnérables à la maladie. Très honnêtement, je trouve que c'est une très mauvaise idée. Pas un pays ne s'y est d'ailleurs aventuré ; si nous étions les seuls à le faire, nous entrerions peut-être en Absurdie, monsieur Pancher ! Au-delà des problèmes éthiques majeurs que poserait un confinement sélectif, il existe un consensus scientifique pour dire qu'un tel dispositif serait inefficace, car il serait impossible de créer un cordon sanitaire parfaitement étanche autour de ces populations. Si nous laissions le virus se développer autour d'elles, considérant que les plus jeunes ne développent pas de formes graves, et encore moins de formes mortelles, de la maladie, les personnes âgées et vulnérables seraient, au bout d'un certain temps, rattrapées par la patrouille – sauf à instaurer des systèmes de contrôle pour les isoler, ce qui serait d'ailleurs impossible et même indigne de notre État démocratique. Surtout, ce serait méconnaître la réalité de cette maladie, qui provoque aussi des dégâts tout à fait significatifs chez les personnes les plus jeunes ou les moins vulnérables.

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