Monsieur le Premier ministre, nous mesurons la difficulté de votre tâche mais notre devoir est de vous poser les questions que se posent les Français, sans esprit polémique et sans vouloir nous transformer en tribunal populaire, encore moins en tribunal judiciaire – cela serait particulièrement inopportun dans la période.
Je voudrais commencer par vous interroger sur le passé récent. Le 18 juin – date symbolique –, nous avons auditionné les membres du conseil scientifique. La plupart d'entre eux ont clairement annoncé une seconde vague, tout comme le professeur Antoine Flahault, entendu le 15 septembre. Durant les premières semaines du mois de septembre, les indicateurs se sont dégradés, avec plusieurs centaines de nouveaux cas quotidiens. Le ministre de la santé a tenu des propos alarmistes le 5 septembre, disant s'attendre à une forte augmentation des admissions en réanimation. L'évolution de la situation a conduit le Président de la République à réunir le Conseil de défense et de sécurité nationale le 11 septembre. Les observateurs s'attendaient à ce que vous annonciez, lors de la conférence de presse qui devait se tenir à l'issue de ce conseil, l'adoption de mesures fortes. Mais vous n'avez décidé ni couvre-feu ni, a fortiori, confinement. N'y a-t-il pas eu un temps de retard dans la prise de décision ?
Des voix fortes se sont exprimées, à l'instar de la professeure Dominique Costagliola, qui expliquait le 30 octobre : « Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est une occasion manquée […] Prendre les choses de façon précoce, c'est toujours plus efficace. Si j'ai de l'eau à la taille, je dois m'en sortir avec une solution qui agisse vite, alors qu'avec de l'eau aux chevilles, je peux faire quelque chose de moins drastique ». De son côté, Esther Duflo, prix Nobel d'économie, avait prôné dès le 2 octobre un confinement préventif.
Certes, il est toujours facile de dire ce qu'il aurait fallu faire. Mais ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, qu'une décision plus précoce aurait pu nous éviter les problèmes que l'on connaît, d'autant que les mesures adoptées, couvre-feu puis confinement – que, pour ma part, j'ai approuvées et soutenues – portent manifestement leurs fruits ?
Beaucoup de nos concitoyens s'interrogent aussi sur la façon dont la seconde vague a été anticipée. Ils se demandent ce qui a été fait durant l'été pour tirer les leçons de ce que nous avions subi en mars-avril, notamment pour adapter le système hospitalier. Les contraintes liées au nombre de lits de réanimation demeurent et nous devons faire face aux mêmes problématiques, qui conduisent à déprogrammer à nouveau les soins hors Covid.
La déprogrammation des soins sera sans doute à terme l'une des conséquences les plus graves de cette crise terrible, qui a déjà emporté 45 000 de nos concitoyens. Cela a été dit devant notre mission, des personnes mourront, faute, notamment, d'avoir vu leur cancer dépisté suffisamment tôt. Hier, le président de la CME du CHU de Nice me disait regretter que des coloscopies préventives soient retardées de plusieurs mois.
Le terme « anticipation » est au cœur de nos travaux. Monsieur le Premier ministre, a-t-on suffisamment anticipé ?
S'agissant de la conduite de la crise, ou de la « guerre », ainsi qu'elle a été nommée par le Président de la République, on se demande depuis le début qui est le commandant en chef. Ainsi, on a le sentiment, mais vous me contredirez certainement, que le ministre de l'économie n'est pas totalement en phase avec vous sur la question du calendrier de réouverture des commerces. Le pilotage de la crise n'est-il pas au cœur des difficultés ressenties ?
Sortir de la crise, éviter une troisième vague, dépendra de notre capacité à vacciner la population. Comment se prépare-t-on à l'arrivée du ou des vaccins, comment organise-t-on la chaîne logistique, une stratégie est-elle déjà établie ? Lors de la première vague, on a échoué sur les masques ; lors de la seconde vague, on a échoué sur les tests ; il faut que l'on réussisse avec les vaccins !
Une dernière question, monsieur le Premier ministre : je lis dans Le Figaro que vous devriez annoncer la semaine prochaine qu'un couvre-feu se substituera au confinement ; est-ce exact ou cela n'est-il qu'une hypothèse de travail ?