Je sors du TGV, je n'ai pas eu le temps de préparer quoi que ce soit, mais je sais à peu près ce que je vais dire vu que je le vis depuis 35 ans. J'ai été conçu par procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur dans un couple hétérosexuel. J'ai appris mon mode de conception quand j'avais 20 ans, suite à une période de mal-être et suite surtout, je pense, à une psychanalyse qu'a faite ma mère. Ma mère a fait une psychanalyse, a poussé mon père qui refusait de me dire comment j'avais été conçu à en faire une. Et puis les choses se sont un peu débloquées de leur côté quand ils ont vu qu'à la sortie de l'adolescence, j'éprouvais un certain mal-être et que je posais des questions, notamment sur les secrets de famille alors que j'étais à cent lieues de me douter de quoi que ce soit, mais je disais « je pense qu'il y a des secrets dans notre famille, etc. ».
Ils m'ont dit « écoute, il faut qu'on te dise quelque chose : voilà, tu as été conçu par insémination avec tiers donneur ». Je sortais d'une première année de médecine, c'était donc plus clair pour moi que pour eux, finalement. Ç'a été très simple une fois qu'ils me l'ont dit, on en a reparlé, mais les choses se sont très bien passées, ça m'a soulagé. Après, il s'est passé, disons 12, 13 ans, sans que j'y repense vraiment. Mon père est décédé. Les choix des mots sont importants : quand je dis « mon père », c'est mon père. Ce n'est évidemment pas le donneur. Là-dessus, il faut être assez clair. Je connais beaucoup de gens qui sont dans mon cas et je n'ai jamais rencontré une seule personne qui ait fait de confusion entre le père et le donneur. Je pense que c'est la première chose à entendre. Si les personnes comme moi recherchent l'identité de leur donneur, c'est une quête d'identité, pas une quête de filiation. C'est vraiment très important à comprendre. Les donneurs doivent le comprendre, les législateurs doivent le comprendre. Je pense d'ailleurs que l'opinion publique commence à le comprendre aussi parce que depuis ces deux ou trois dernières années, on voit un changement favorable à l'accès aux origines. Une fois que j'ai vu que les tests ADN récréatifs ont fait sauter de facto cet anonymat du donneur qui nous était imposé – j'ai été conçu en cabinet privé d'un gynécologue en 1982, c'était bien avant 1994 et là, je ne sais pas comment dire ça, mais c'était un peu le Far West en termes de lois. Je suis allé voir ce gynécologue qui m'a d'ailleurs bien fait comprendre que c'était le Far West, puisque quand je lui ai demandé ses dossiers, il m'a dit « ouh ! ». Si je fais toutes ces démarches aujourd'hui, ce n'est pas vraiment pour moi, c'est plutôt pour les enfants à venir. Quand je me suis aperçu que les tests ADN faisaient voler en éclat l'anonymat qui nous était imposé, je me suis plus investi dans cette cause qui me semble importante. J'ai moi-même fait plusieurs tests récréatifs, j'ai reconstruit avec de la généalogie génétique : je pense avoir identifié le donneur à qui j'ai adressé une lettre qui ne m'a pas répondu pour l'instant. J'ai découvert une demi-sœur biologique que j'ai rencontrée, qui me ressemble. Ce sont ses enfants qui me ressemblent le plus, ce qui est assez étonnant puisque moi-même, je n'ai pas d'enfant encore.
Je pense qu'on est à un carrefour de l'histoire en France puisqu'on est un peu en retard par rapport aux autres. Si je suis là, c'est pour partager mon histoire et essayer de faire comprendre que la seule chose qui peut déboucher de tout ça, c'est du positif pour tout le monde.