Je vais être un peu complémentaire. Je précise que je parle en mon nom, je ne suis pas dans une association, je n'ai pas de compétences particulières en médecine, en droit de la famille, nous sommes bien d'accord, et en accès aux origines non plus d'ailleurs. Tout cela est très empirique. Je suis touchée en tant que femme, lesbienne et maintenant maman de jumeaux qui sont nés en 2015. De quoi parler à part du parcours ? Comme pas mal de femmes, pas toutes, mais pas mal de mes amies hétéros comme homosexuelles, je n'ai pas ressenti de désir d'enfant, comme on dit, très tôt. On cumule donc un peu les difficultés : c'est-à-dire qu'on est lesbienne et vieille. C'est compliqué. Je ne l'avais pas envisagé très tôt non plus, pas parce que je ne pensais pas qu'une lesbienne ne puisse pas être une mère, mais c'est aussi parce que la société me le disait et la loi me l'interdisait. Ç'a reculé aussi beaucoup les choses. Quand le désir est venu, j'ai essayé de procéder « à l'artisanal », comme on dit, ce que font aussi beaucoup de lesbiennes : ça veut dire qu'on a un ami gay et on se débrouille pour faire des inséminations à la maison, le bon jour, le bon moment. C'est rigolo, mais quand ça arrive plusieurs fois par mois, ça n'est marrant, ni pour l'un ni pour l'autre. Il y a aussi énormément de risques sanitaires et il y a énormément d'échecs, évidemment, donc de déception, de difficultés, de douleurs.
J'ai rencontré une femme avec laquelle j'ai eu envie de fonder une famille. Ça n'a pas été forcément facile pour cette amie-là. Je me suis dit que c'était avec elle, que j'aimais, que je voulais faire cette famille. L'âge avançant, il fallait que j'aille vite. La gynécologue de l'époque me l'a confirmé : en gros, elle m'a dit « lesbienne ou pas, il y aura besoin d'une PMA, de toute façon ». Mais pas de bol, j'étais lesbienne. Je suis allée à Barcelone, chez Eugin. C'est un choix de raison parce que je savais qu'il fallait que j'aille très vite, que j'avais très peu de chances que ça fonctionne. Je savais qu'en Espagne, il n'y a pas d'accès aux origines et mes enfants, à l'heure actuelle, n'ont pas d'accès aux origines. J'espère que les choses changeront, j'espère que l'Europe mettra son nez là-dedans et que ça bougera. Pour l'instant, je leur explique comme ça se passe ; ils n'ont que 3 ans et demi, je n'en suis pas encore arrivée exactement à l'identité du donneur, mais c'est une difficulté à laquelle je les confronte, et j'en ai conscience, mais c'était ça ou je n'avais pas d'enfants. J'espère qu'ils comprendront et j'espère que les choses changeront.
Je ne vais pas revenir sur le parcours de la stimulation ovarienne, des examens en fin de cycle, le fait qu'on trouve effectivement un gynécologue sympa qui accepte de nous faire des ordonnances. Globalement, les ordonnances, on les a et on est remboursé par la Sécu – désolée de vous le dire pour ceux qui ne s'en doutaient pas. J'ai eu beaucoup de chance, ça a marché du premier coup alors qu'on m'avait dit que ça ne marcherait pas. Le reste de l'histoire, c'est une grossesse normale, sauf qu'elle était gémellaire, mais une grossesse heureuse, tardive et heureuse. C'est là qu'arrive la chose qui me touche beaucoup : il a fallu se marier avec ma femme, bien sûr, pour qu'elle puisse adopter ses propres enfants. Comme j'ai eu une césarienne avec anesthésie générale, je n'étais pas là à leur naissance, en fait. Donc la première personne qui les a eus contre sa peau pendant une heure, c'est elle, et à l'époque, elle n'était rien. Rien du tout. C'est ça qui est troublant. C'est la première personne qu'ils ont connue, et c'est la personne qu'ils voient le plus dans leur vie encore aujourd'hui puisque je travaille à Strasbourg une semaine sur deux. C'est Sophie qui est avec eux, c'est elle qui est le plus avec eux donc, finalement, qui est la vraie mère dans toute cette histoire.
C'est bien pour ça que je plaide évidemment pour une reconnaissance totale et entière de la mère qu'on dit « sociale », et on devrait dire en fait les deux mères, et ce, avant la naissance évidemment par une déclaration anticipée de volonté, ça me paraît évident. Bien sûr, que ce soit ouvert, « imposé » est un mot un peu… appliqué à tous les couples évidemment pour que ce parcours d'identité qui appartient aux enfants et pas aux parents puisse être mis en place et clarifié. Tant que l'adoption n'est pas prononcée, on vit dans une insécurité absolument atroce et qui en plus est insupportable dans l'idée que la mère sociale n'est pas la vraie mère.
Je vais finir en disant que nos enfants ont 3 ans et demi, nous leur expliquons comment ils ont été conçus, comme vous. Ils ont bien évidemment conscience qu'un homme, à un moment donné, est intervenu pour qu'ils puissent exister. Évidemment, nous ne leur mentons pas. Ils savent aussi que les familles sont multiples, forcément : un papa, une maman, deux papas, deux mamans, des familles divorcées, parfois qu'un seul papa, qu'une seule maman. Ils le savent. Aujourd'hui, la seule chose qui puisse les faire souffrir est le regard qu'on porterait sur leur soi-disant singularité : c'est-à-dire nés de don, dans un couple homosexuel.
Je voudrais dire aussi, et le reconnaître : ce regard, pour l'instant, nous n'avons pas eu à le subir ni à le vivre dans notre vie quotidienne, que ce soit à la crèche, à l'école, à l'hôpital, au centre de loisirs, au supermarché, chez les médecins. Personne ne s'est senti mis en danger par nos familles, bien au contraire. En fait, nous ne représentons aucun trouble à l'ordre public aujourd'hui et ça je l'ai vécu, je le vis : la société est vachement plus en avance que nos lois pour l'instant. Merci.