Intervention de N…

Réunion du mardi 27 août 2019 à 15h05
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

N… :

Bonjour à toutes et à tous. J'ai été conçue par PMA insémination artificielle avec donneur en Belgique, à l'hôpital Érasme à Bruxelles. J'ai une petite sœur qui a 20 ans, j'ai deux mamans. Je suis issue, non pas d'une PMA sans père, comme vous dira la Manif pour tous tout à l'heure, mais plutôt d'une PMA avec deux mères et c'est bien positif. Avec cette histoire, j'ai la certitude, que je répète encore et toujours, d'être le fruit d'un projet d'amour, d'une rencontre, puis d'un projet d'enfant, et le fruit d'une bataille pour que je puisse exister et ensuite que ma sœur puisse exister. C'est quelque chose d'extrêmement précieux dans l'existence que de savoir qu'on a été désirée et que ses parents se sont battus pour qu'on puisse exister.

Je vais revenir sur les 2 sujets qui ont principalement été abordés ici. D'abord, sur l'accès aux origines. Je pense que c'est très important que Guillaume Jouanny soit à côté de moi aujourd'hui parce que le débat qui est créé par son histoire et l'histoire des enfants de sa génération qui ont été conçus par APM avec tiers donneur n'est pas du tout le même que pour moi. Tout simplement parce que mes parents ne peuvent pas me cacher mon mode de conception et que j'ai été conçue plus tard, à un moment où la société était déjà plus ouverte à la question de la stérilité et de la PMA. Pour moi, la question du rapport avec le donneur a beaucoup évolué. Quand j'étais petite fille, je vous avoue que ce n'était pas du tout une question que je me posais. Mes parents m'ont toujours expliqué la situation, j'ai toujours su, il n'y a jamais eu de grande révélation. Je ne me posais pas du tout de question sur lui. Pour moi, c'était le donneur, comme dit votre fille « un gentil monsieur qui a donné une petite graine » et ça s'arrêtait là. Quand j'ai été adolescente sont venues de nouvelles questions, je suppose, typiques de l'adolescence, des questions d'identité : d'où est-ce que je viens ?

Bien sûr, j'ai deux branches dans mon arbre généalogique, je sais qui sont mes quatre grands-parents et d'où je viens. J'avais peut-être un peu plus de questions sur le contexte dans lequel j'avais été conçue, pourquoi ç'avait été si compliqué, pourquoi cet homme a fait ce geste incroyable, ce don magnifique au début des années quatre-vingt-dix en sachant que ça pouvait bénéficier à un couple de femmes. Il faut quand même se remettre dans ce contexte-là, un geste exceptionnel et qui peut être motivé par des raisons très différentes. Maintenant, je pense que si je pouvais le rencontrer… sachez qu'en Belgique, la PMA se fait avec des donneurs qui sont anonymes, ce ne sera donc jamais possible. Je sais qu'il a les cheveux bruns, qu'il a les yeux marron et je connais aussi sa taille, c'est tout. Je pense que si je pouvais le rencontrer, je n'irai pas, je ne verrai pas l'intérêt, je n'ai pas franchement de questions à lui poser, je ne saurai pas quoi attendre de lui ni quelle relation je peux avoir avec lui. Peut-être aussi parce que je me suis construite en tant que jeune adulte, que je sais d'où je viens et où je vais et qu'aujourd'hui, ça me suffit. J'ai aussi eu des conversations complémentaires avec mes parents pour savoir comment s'était passée ma conception, ce qu'elles avaient vécu, ce qu'elles pensaient de lui, comment elles le remerciaient. Du coup, ça me suffit. Évidemment, je ne parle qu'en mon nom, ce serait peut-être intéressant d'avoir des études plus approfondies. Des enfants vont être curieux et vont vouloir savoir, mais je n'en fais pas partie, ma sœur non plus.

Sur la question de la filiation, bien sûr, je suis née à un moment où la mère « sociale », je mets des guillemets, n'avait aucune reconnaissance. Ç'a donc été un parcours d'équilibriste où selon l'interlocuteur qu'on a en face, on peut être le parent ou non de son enfant. Nous, on a beaucoup de chances : à l'école, elle a toujours pu signer les autorisations de sortie et autres documents. Nous avons vraiment, vraiment été bien reçues et je parle d'écoles publiques et privées. Les seuls soucis c'étaient quand il y avait des décisions importantes à prendre du style autoriser une opération à l'hôpital ou ce genre de choses. S'est posée ensuite la question inverse qui est de savoir comment, aintenant que j'ai 24 ans, je vais pouvoir m'occuper d'elle quand elle vieillira parce que je n'ai pas de droit non plus sur elle. Je ne peux pas autoriser quelque chose si elle a un problème de santé, je ne peux pas prendre de décision parce que je ne suis pas sa fille. Mes parents, quand il y a eu la loi du mariage pour tous en 2013, ont pris la décision de se marier. Elles étaient déjà pacsées, le mariage était un moyen d'accéder à l'adoption. Nous avons bénéficié d'une adoption simple puisque ma sœur et moi étions déjà majeures. C'est, bien sûr, assez insatisfaisant, et c'est une procédure qui, sachez-le, n'a aucun sens : se faire adopter par son propre parent est quand même une épreuve extraordinaire. Mettez-vous à ma place : ça veut dire écrire un témoignage qui raconte comment ma mère m'a élevée, ça veut dire demander des témoignages aux gens qui nous entourent, ma famille, nos amis, les médecins, les professeurs. C'est quelque chose de très personnel de témoigner pour dire qu'elle s'est toujours occupée de nous. Ç'a été assez simple parce que je pense qu'il n'y avait pas d'enjeu particulier pour le juge. Nous n'avons même pas été auditionnées, on a simplement envoyé un dossier le plus complet possible avec des photos, etc. L'adoption a été prononcée et la grande satisfaction est d'avoir le livret de famille avec toutes les quatre réunies sur un même document et l'assurance que nous n'aurons aucun souci. Je pense aussi à l'héritage, c'est tout bête. C'est quelque chose de très important, je suis très heureuse pour les futurs enfants qui n'auront pas à vivre de genre d'épreuves.

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