Intervention de Guillaume Jouanny

Réunion du mardi 27 août 2019 à 15h05
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Guillaume Jouanny :

Contrairement à certains, j'ai envie de rencontrer cette personne. Ce qui est important c'est d'avoir la liberté de le faire si on le désire, je pense. En tant que petit garçon, et venant d'un couple hétérosexuel, je me suis forcément comparé à mon père ou aux autres frères de ma famille. C'est un peu compliqué : mon père était stérile, mais avait eu deux enfants avant la médecine. Je ne ressemble à personne, en tout cas à aucun homme de ma famille. À ma mère non plus : elle fait 1,60 m, je fais 1,90 m. J'ai un petit frère, on n'est pas vraiment pas du tout pareils : ni physiquement ni intellectuellement. Personne n'est bête dans la famille, mais disons que nous avons des formes d'intelligence différentes. Je vais aller dans votre sens : mon frère est énarque, il est très intelligent. Je suis très scientifique, mes parents et mon frère sont très littéraires. Ils ne savent pas changer une ampoule.

Quand on m'a dit « tu as été conçu avec une troisième personne », ç'a finalement fait disparaître beaucoup d'inquiétudes. Finalement, pourquoi tous les autres petits chatons sont blancs et moi je suis roux ? Je comprends pourquoi je suis roux. Je suis avec une petite tache. Je ne suis pas un vilain petit canard, je suis un petit canard qui a été conçu avec l'aide d'un autre petit canard. Ç'a élargi mon horizon. À partir de ce moment-là, je me suis dit qu'en psychanalyse, il y avait cette histoire de roman familial : on voudrait que ses parents ne soient pas ses parents. À un moment, la réalité fait que ton père, c'est ton père, ta mère… Pour moi, c'est comme si ce roman familial était un roman inachevé. J'ai le sentiment qu'il me manque une inconnue à l'équation. C'est une équation à trois inconnues : j'ai deux inconnues, il m'en manque une.

On me pose souvent la question « qu'est-ce que ça va te faire de rencontrer ton géniteur ? ». Je ne sais pas, puisque je ne l'ai pas rencontré. « Mais pourquoi cherches-tu ? ». Je n'en sais rien. Souvent, je me dis « tiens, ça, ça doit venir du géniteur, tiens, ça, ça doit venir de ceci, ça, ce n'est pas possible que ça vienne de là ». En fait, à partir du moment où on n'a pas le sentiment d'avoir toutes les cartes en main, on ne peut que fantasmer sur ce qui nous est inné et ce qui nous est acquis. J'ai le sentiment, peut-être à tort, et c'est un sentiment que je partage avec d'autres enfants comme moi conçus par PMA avec tiers donneur, que tant que je n'aurais pas le sentiment d'avoir les données transmises, je fantasmerai toujours dessus. J'en tire personnellement une très grande force parce que j'ai l'impression que je n'ai pas de limites, je n'ai pas cette espèce de plafond de verre « tu vois bien, ton père a fait ci, ta mère a fait ça, tu ne peux pas aller plus loin que ça », une espèce de carcan que certains peuvent se créer. J'ai l'impression de tirer une grande force de ça en disant que tout est possible parce que finalement, je ne sais pas, donc, allons-y. J'en tire donc une très grande force. En tout cas, mon identité, j'ai l'impression qu'elle n'est pas complète. C'est ça, la différence entre filiation et identité. Je suis le fils de mon père, à plein d'égards, d'ailleurs, les bons comme les mauvais côtés, mais qui je suis ? J'ai l'impression qu'il me manque encore des pièces.

Si je peux faire une dernière petite parenthèse parce que moi aussi, j'ai un avis sur la déclaration de filiation. En fait, je trouverais cela assez injuste de favoriser les couples homosexuels en leur donnant le droit d'avoir cette déclaration et pas pour les couples hétérosexuels. Les couples hétérosexuels auront à leur disposition uniquement la filiation charnelle et la filiation adoptive aux titres 7 et 8, je crois. Si on doit être tout à fait exact, ce n'est ni une filiation charnelle ni une filiation adoptive. Il faut bien faire attention : j'ai vu dans Le Monde et dans Le Figaro, dans des journaux qui ne sont pas Picsou Magazine et qui ont quand même valeur de référence que justement, on allait mettre le mode de conception dans l'état civil. Ce n'est pas exactement cela : si je comprends bien la déclaration anticipée de volonté, ce n'est pas écrire « PMA avec tiers donneur », c'est dire qu'il y a une filiation qui n'est pas charnelle et qui n'est pas adoptive. Oui, vous me direz, dans les faits, mais le mode de conception n'est pas écrit tel quel. Il faut faire attention à ne pas faire la confusion entre les deux parce que beaucoup de gens disent « vous allez écrire “PMA” ! ». Non, ce n'est pas vrai. Je ferme la parenthèse, la question n'était pas pour moi, je vous laisse répondre. Je trouve que les couples hétérosexuels seraient un peu lésés s'ils n'avaient pas accès à ce mode de filiation. J'ai trop parlé.

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