Je vais répondre sur l'adoption, sur la filiation de nos filles, je n'en ai pas parlé tout à l'heure. Je suis la mère qui n'a pas porté les enfants, donc la mère sociale, comme on dit, la mère tout court. Quand Camille est née, en 2011, il n'y avait pas encore le mariage pour tous. Nous savions très bien, quand nous avons fait cette enfant, que je n'aurais aucun droit sur cette enfant. Nous le savions très bien, nous ne savions pas du tout ce qu'il adviendrait de l'ouverture du mariage pour les couples de même sexe. Ce que nous avons fait, avant que Camille soit née même, nous sommes allées voir un notaire et clairement, Aurélie a fait son testament, ce n'est pas très joyeux surtout quand on attend un enfant, c'était comme cela, c'était le minimum qu'on pouvait faire – en disant ce qu'elle souhaitait qu'il advienne de notre enfant à naître si jamais il lui arrivait quelque chose, si elle venait à décéder ou autres. Nous avons fait notre petit testament sachant très bien qu'en plus, juridiquement, cela ne garantissait pas grand-chose, ça pouvait aider un peu s'il arrivait quelque chose. C'était quand même le conseil de famille qui, de toute façon, aurait le dernier mot. Nous en étions là, mais nous avions quand même ce fort désir d'enfants. Nous y sommes allées, en nous faisant confiance.
En 2013, le mariage pour tous a été autorisé. Très vite, nous nous sommes mariées. Nous n'avions pas initialement le désir de nous marier car ce n'est pas forcément quelque chose d'important pour nous, mais nous l'avons fait très vite puisque la loi est passée en mai, nous nous sommes mariées en août et nous avons lancé tout de suite la procédure d'adoption. J'ai dû adopter Camille que j'élevais déjà depuis presque deux ans. Comme cela a été dit tout à l'heure, il a fallu faire un témoignage, justifier que j'étais une bonne mère, que j'étais là au quotidien, que tout se passait bien, qu'il n'y avait pas de maltraitance, demander des témoignages de l'entourage aussi. Nous avons eu quand même un peu de chance parce qu'en étant à Montpellier, je pense que nous avons pu bénéficier d'un environnement assez ouvert. Nous n'avons pas eu de convocation à la gendarmerie, d'enquêtes que d'autres, dans la ville de Nîmes qui est juste à côté, ont dû subir : être convoqué à la gendarmerie et se faire questionner sur le niveau de nos revenus, est-ce qu'on est de bons parents ou pas. Ce n'est pas quelque chose de très facile. Montpellier, c'était assez simple même si la démarche n'est pas facile psychologiquement à gérer.
L'adoption s'est passée sans problème, elle a été prononcée assez vite. C'était tout de suite après le mariage pour tous. Je pense que les gens n'avaient pas encore trop le temps de se poser des questions. En un mois, l'adoption a été prononcée. C'était une très bonne surprise pour nous, ça nous a surtout beaucoup rassurées. Nous avons pu souffler en disant que quelque part, s'il arrivait quelque chose, un drame, quoi que ce soit, nous étions protégées, notre fille était protégée. Voilà pour Camille. Nous avons aussi pu la rajouter sur notre livret de famille du mariage. C'était notre deuxième livret de famille ; nous en avions un premier avec Aurélie et Camille à la naissance de Camille. Ensuite, quand nous nous sommes mariées, nous avons eu un autre livret de famille sans Camille puisque je n'avais aucun droit sur elle, nous ne pouvions donc pas apparaître sur le même livret de famille. Nous avons donc mis après l'adoption tout ce petit monde dans le même livret de famille.
Ensuite, quand Suzanne est née, nous étions mariées, nous avions un enfant en commun, une adoption plénière qui avait été prononcée. Suzanne est née, je suis allée la déclarer à l'état civil puisqu'Aurélie était un peu fatiguée après l'accouchement. J'étais inscrite sur l'acte de naissance en tant que déclarante à l'état civil, mais sans aucune filiation, sans aucune responsabilité vis-à-vis de cette enfant alors que j'étais mariée avec sa mère et que nous avions déjà un enfant en commun. Là, rebelote, on a relancé la procédure d'adoption, toujours à Montpellier. Entre-temps, nous avons constaté que la procédure s'était un peu complexifiée, c'est-à-dire qu'on nous a demandé des témoignages en plus. Nous n'avons toujours pas eu d'enquêtes de gendarmerie et ça, c'était très bien. La procédure a duré un an, c'était beaucoup plus long, mais je comprends que, de ce qu'on m'a dit, c'était simplement un délai de traitement administratif parce que le nombre de dossiers avait pas mal augmenté, et c'est plutôt bien. Cela a été prononcé aussi sans problème. Nous avons pu rajouter Suzanne sur notre livret de famille sur lequel nous étions toutes les trois parce qu'à la naissance de Suzanne, quand je l'ai déclarée à l'état civil, nous avons eu un troisième livret de famille sur lequel il y avait Aurélie, mère biologique de Suzanne qui n'était plus mariée sur ce livret de famille et notre deuxième enfant Suzanne inscrite comme premier enfant. Elle n'avait donc plus qu'un seul enfant qui était son deuxième enfant. Nous nous sommes dit « comment fait-on ? Qu'est-ce qui se passe ? Nous avons trois livrets de famille, notre famille est éclatée ! ». Administrativement, ce doit être logique. Nous, au quotidien, ce n'est pas vraiment logique.
Il fallait jongler un peu avec les livrets de famille. Là, ça y est, nous sommes toutes sur le même, nous sommes toutes une vraie famille vis-à-vis de l'État. Ç'a été un parcours du combattant, mais nous y sommes arrivées. Ce n'est pas simple. J'espère que pour les futures familles, ce sera beaucoup plus facile, sans stress, et surtout avoir de la sérénité tout juste après la naissance de son enfant. C'est quand même un événement assez incroyable dans une vie. On ne vit ça qu'une fois et devoir s'inquiéter de ça n'est pas normal. Je ne comprends pas qu'on doive en passer par là.