Si vous permettez, madame de La Rochère, je vais aller dans votre sens. Cela risque de vous surprendre, compte tenu de mon engagement en faveur de l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, mais nous partageons au moins cette conviction que l'on ne ment pas aux enfants. Ce point commun dans nos convictions s'arrête là, puisque contrairement à vous, je ne crois pas que le mensonge soit dans la falsification fantasmée que vous développez très bien sur la filiation des enfants issus de couples lesbiens. Nous ne prétendons pas du tout manipuler le droit de nier la différence entre les sexes, que vous évoquiez tout à l'heure, ou faire oublier aux enfants qu'ils ont un géniteur. S'il y a bien un cadre dans lequel la question ne se pose pas, c'est dans les familles homoparentales, où très vite, l'enfant est en mesure de comprendre. On parle d'un enfant sujet et non d'un enfant objet. Il est en mesure de comprendre très facilement qu'il y a eu intervention d'un tiers géniteur.
En revanche, de mon point de vue, le vrai mensonge consiste à maintenir cette espèce d'illusion ou de fiction juridique sur laquelle il y a consensus aujourd'hui, qui donne la substance du droit actuel. C'est une fiction juridique qui tente de biologiser la filiation – et c'est exactement ce que nous entendons dans vos propos depuis tout à l'heure –, en faisant croire que le modèle de vraisemblance biologique au moyen duquel un certain nombre de familles hétérosexuelles peuvent continuer à prétendre que leur enfant est leur enfant biologique, que le père est bien le géniteur de l'enfant… Là, nous revenons sur la précision des termes. Vous entretenez de façon extrêmement savante – je dois vous rendre cette grâce – cette espèce de confusion perpétuelle entre le père, qui est celui pour lequel sont établis la filiation, et le géniteur, en faisant croire qu'il n'y a qu'un seul modèle où le géniteur est forcément le père et où le père est forcément le géniteur. C'est très compliqué, parce que dans la réalité du droit, ce qui fonde la filiation n'est pas du tout la réalité biologique de la fondation de la filiation ; c'est une espèce de convention sociale, où l'on s'appuie sur cette vraisemblance biologique, mais la réalité n'est pas du tout là. La réalité biologique va permettre de venir contester une parenté ou de confirmer un lien de parenté, de dire que le père est bien le géniteur ou le géniteur est bien le père, ou à l'inverse, que le père n'est pas le géniteur. C'est une construction de droit reposant sur cette espèce de convention sociale, mais qui est un mensonge.
Tout à l'heure, nous avons employé le terme « d'engendrement », ce qui me paraît être une très bonne proposition. La filiation est dans cette espèce de communauté de désir de créer une famille qui va passer par l'engendrement à travers l'acte sexuel, l'adoption ou le consentement au don. J'aimerais comprendre pourquoi, lorsqu'une femme consent à l'insémination de son épouse par le sperme d'un tiers donneur, vous appelez cela un mensonge. Pourquoi, quand un homme consent à l'insémination de son épouse par le sperme d'un tiers donneur, appelez-vous cela donner la vie ?