Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, merci de nous avoir invités à venir présenter nos travaux pour éclairer le débat. Nous sommes ici quatre chercheurs de l'Institut national d'études démographiques. Nous sommes des spécialistes des questions de population, que nous abordons avec une approche démographique, épidémiologique, sociologique. L'INED a une expertise spécifique sur la réalisation de collectes statistiques sur des sujets de population tels que la famille, mais également sur des sujets plus sensibles par exemple la violence, les personnes sans domicile fixe ou l'assistance médicale à la procréation.
Pour commencer, j'aimerais rappeler ce que représente aujourd'hui la PMA en France d'un point de vue démographique. Chaque année, 24 000 à 25 000 enfants naissent suite à une conception obtenue par PMA, ce qui signifie que dans chaque classe, en moyenne, un élève a été conçu par PMA. Pour les couples inféconds, la PMA est un incroyable espoir, car parmi les couples traités par fécondation in vitro, presque la moitié va obtenir une naissance grâce à ces traitements médicaux, après de nombreuses années d'infécondité.
Le parcours de PMA reste néanmoins décrit comme un véritable parcours du combattant (je reprends l'expression), où les couples sont plongés dans une incertitude douloureuse. Tout d'abord une incertitude sur l'issue des traitements, puisque presque la moitié obtient la naissance souhaitée, mais un peu plus de la moitié n'obtient pas la naissance souhaitée grâce aux traitements suivis dans les centres de PMA.
L'incertitude sur l'issue de leur parcours est renforcée par la question « Pourquoi l'enfant n'arrive-t-il pas ? ». En effet, le bilan d'infécondité mène rarement à un diagnostic clair et définitif de stérilité. Du coup, l'espoir de concevoir naturellement reste très souvent permis, même après l'échec des traitements de PMA. Ainsi, parmi les couples pour lesquels le traitement n'a pas fonctionné, 20 % vont finalement devenir parents naturellement dans les années qui suivent l'arrêt des traitements, sans que la médecine ne puisse aujourd'hui expliquer pourquoi.
L'analyse statistique des données de la PMA met en évidence un autre trait saillant. La très grande majorité de la PMA est réalisée avec les gamètes des deux parents, sans recours à un tiers donneur. En France, 5 % uniquement des processus de PMA sont réalisés avec tiers donneur, donc une très petite minorité. Ce recours très limité au don de gamètes en France a des conséquences importantes aujourd'hui, que l'on peut capter à travers le phénomène des Français qui partent à l'étranger pour réaliser une PMA, sujet dont ma collègue Virginie Rozée va vous parler.
Pour pouvoir parler des conséquences, il est d'abord nécessaire de s'arrêter sur les causes. Il est important de comprendre qu'en réalité, nous avons deux problématiques complètement différentes sur le don de gamètes, qu'il faut absolument distinguer. L'une concerne le don de sperme et l'autre le don d'ovocytes. Commençons par le don de sperme. Nous avons en France une situation équilibrée entre la demande des couples hétérosexuels inféconds et les dons de sperme. Nous avons environ 300 donneurs de sperme par an, ce qui permet de répondre aux 2 000 nouvelles demandes annuelles. L'analyse des données statistiques indique que nous disposons par ailleurs d'une large marge de manœuvre pour pouvoir augmenter ce don de sperme en France et répondre à des besoins plus importants qu'actuellement. Cependant, cette idée d'une situation d'équilibre pour le don de sperme n'est valide que si l'on se place dans le cadre très strict de la loi actuelle. Si l'on change la focale, et que nous nous plaçons du point de vue de la société française, nous observons au contraire une situation de déséquilibre sur le don de sperme avec une partie de nos concitoyennes qui sont laissées de côté : les femmes seules et les couples de femmes. Ces femmes vont donc recourir au don de sperme à l'étranger : en Espagne, en Belgique ou auprès des banques de sperme danoises. Mme Rozée va revenir sur les conséquences de cette situation, mais il faut retenir que nous faisons face ici à un problème légal, et non pas à une pénurie de gamètes.
La situation est très différente pour le don d'ovocytes, qui est très peu développé en France : 230 enfants seulement naissent chaque année suite à un don d'ovocytes, soit quatre fois moins que pour le don de sperme. Ce faible recours est lié à un profond déséquilibre entre la demande et le don. En effet, le don d'ovocytes a du mal à se développer, car il s'agit d'un acte médical physiquement éprouvant qui vient impacter pendant plusieurs semaines la vie de la donneuse. Les Françaises qui ont besoin de bénéficier d'un don d'ovocytes ont donc légalement le droit d'accéder à cette technique, mais elles se retrouvent souvent dans l'incapacité d'y recourir sur le territoire national, en raison de la pénurie d'ovocytes. Mme Rozée va vous expliquer qu'elles partent également à l'étranger, essentiellement en Espagne, en Grèce ou en République tchèque. Depuis des années, il existe donc en France un manque de gamètes féminins qui laisse sans solution des couples hétérosexuels souffrant d'une infécondité sévère. Malgré cette pénurie de gamètes, on notera que le modèle de don altruiste français n'a pas été remis en cause. Par ailleurs, la possibilité d'autoconservation des gamètes, discutée dans le cadre de la présente révision de la loi de bioéthique, devrait permettre de diminuer ce problème de pénurie de gamètes.
Pour résumer, le don de gamètes présente deux facettes très différentes selon que l'on parle de don de sperme ou de don d'ovocytes. Lorsqu'on parle de pénurie de gamètes, on parle en réalité uniquement de pénurie d'ovocytes. Ces deux facettes conduisent néanmoins à un même phénomène de départ de Français qui vont réaliser une PMA à l'étranger.