Je voudrais évoquer deux points assez différents. Tout d'abord, je vais revenir rapidement sur la demande potentielle de dons de sperme liée à l'élargissement de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Deux types de demandes sont possibles, d'une part les couples de femmes, et Mme Élise de la Rochebrochard nous a expliqué à quel point c'était un parcours qui n'était pas simple. Nous partons d'une idée, qui est plutôt une hypothèse haute, qui consiste à dire que les couples de femmes qui résident ensemble, et qui sont suffisamment établis pour être visibles dans des opérations statistiques comme le recensement, sont les couples de femmes susceptibles d'avoir recours à une AMP. Ces couples souhaitent avoir deux enfants en moyenne, ce qui est encore une fois une hypothèse haute. Cela fait donc un nombre de naissances supplémentaires de 4 000 à 5 000 par an. C'est beaucoup plus important que les AMP avec donneur, mais c'est un nombre très faible par rapport au nombre de donneurs potentiels que nous pourrions envisager si nous cherchions des donneurs de façon un peu plus proactive.
L'estimation du nombre de femmes seules qui souhaiteraient avoir recours à l'AMP est beaucoup plus délicate, nous n'avons aucune idée. Autant nous pouvons dire que des femmes qui sont en couple peuvent aspirer à avoir autant d'enfants que des couples de sexes différents, autant pour les femmes seules, nous n'avons pas de moyens aujourd'hui de savoir, si ce n'est justement en regardant combien de femmes seules vont à l'étranger pour avoir recours à une AMP. Mme de la Rochebrochard parlait d'un parcours du combattant, et si la loi change, peut-être que le parcours sera moins difficile. Par ailleurs, il existe aujourd'hui un nombre assez important de femmes qui mettent au monde des enfants sans vivre en couple, sans que ces enfants ne soient reconnus par leurs pères ou par leurs géniteurs. Il existe donc un continuum de situations extrêmement variées entre des projets de femmes qui veulent avoir un enfant sans père, et qui ont recours à un géniteur, soit avec une insémination artisanale, amicale, soit en ayant des relations sexuelles ; certains couples peuvent rompre pendant la grossesse, donc des conceptions dans le cadre d'un couple donnent lieu à des naissances par des mères seules ; certaines grossesses peuvent être non souhaitées, mais sont néanmoins menées à terme et donnent donc des enfants qui ne faisaient pas l'objet d'un projet parental au moment de leur conception. Toutes ces situations sont rares aujourd'hui grâce à la maîtrise de la fécondité par la contraception et la possibilité de recourir à l'avortement, mais elles représentent quand même 3 % des naissances, soit un peu plus de 20 000 par an, c'est-à-dire beaucoup plus que les naissances supplémentaires qui pourraient probablement advenir si la possibilité de l'AMP était offerte aux femmes en couple ou aux femmes seules.
Aujourd'hui, des femmes mettent donc au monde des enfants avec un géniteur, sans que ce géniteur n'ait reconnu l'enfant ou sans que la femme ne soit mariée, sans que ce géniteur ne soit un père. Cela pose évidemment des questions compliquées, puisqu'il peut y avoir des contentieux variés. Aujourd'hui, malgré un continuum de situations et une très grande diversité, soit l'homme reconnaît l'enfant et il est le père, soit il ne reconnaît pas l'enfant et il n'est rien d'un point de vue légal. Ces situations sont extrêmement diverses, et par rapport aux questions qui ont été posées dans le cadre de la préparation de la loi, bien qu'il s'agisse de réviser la loi de bioéthique, certaines questions touchent à la filiation. On peut considérer que le fait que le législateur souhaite avoir un nouveau mode d'instauration de la filiation, avec un titre VII bis, correspond à des conceptions d'enfants fondées uniquement sur la volonté, et pas sur la vraisemblance biologique, et qui font appel à un tiers donneur. Ces questions existent aussi en dehors du cadre actuel de l'AMP médicale. Évidemment, dans ce cas, ce n'est pas l'État qui organise le secret, le désordre, les incertitudes, mais nous pourrions nous poser des questions équivalentes. Nous avions aussi évoqué ces questions lors de précédentes réflexions sur les familles recomposées, les situations où les relations entre les adultes et les enfants changent, parce que les couples se font, se défont et se refont. Il s'agit de voir quelles relations, quel statut donner aux conjoints des parents, aux beaux-parents, et comment articuler la permanence de la filiation et l'apparition de nouveaux parents. Toutes ces questions sont abordées un peu par la bande, en prévoyant des situations nouvelles créées par l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules, alors que ces nouveaux cas sont à la fois très peu nombreux par rapport aux situations actuelles et très peu problématiques. Comme Mme Panico va nous l'expliquer, ces couples, ces enfants n'ont pas de difficultés spécifiques. C'est un peu un pas de côté par rapport aux discussions. Mme de la Rochebrochard prévoyait de préparer la prochaine révision de la loi de bioéthique, ce serait peut-être une autre réflexion sur une autre loi, mais il me paraît important d'insister sur le fait que le projet de révision de la loi de bioéthique aborde des questions de filiation par le petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire par des situations rares et non problématiques.