Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Je veux d'abord exprimer un grand remerciement aux personnes que nous auditionnons pour leur expertise, leurs remarques, et l'apport que représente pour tous leurs opinions. Nos valeurs sont bien sûr communes, et votre réflexion est essentielle, mais d'un certain côté, vous devez vous dire que nous, les législateurs du vingt-et-unième siècle, nous sommes bien timides, bien prudents, bien peu aventureux par rapport à nos ancêtres des temps bibliques : en effet, plusieurs exemples de GPA se trouvent dans la Bible, comme Sarah et Abraham avec l'aide d'Agar, ou Jacob et Rachel avec l'aide de Bilha. Nous proposons modestement, non pas la GPA, mais tout simplement l'extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Nous souhaitons aussi offrir le droit à l'accès aux origines pour les enfants qui sont nés grâce à un tiers donneur.

Tout cela pose des questions qui sont toutes légitimes. J'entends bien les vôtres. Vous avez parlé de la confrontation entre les droits individuels et les droits collectifs. En filigrane, vous évoquez aussi les droits relatifs des enfants et ceux des parents, ou des adultes, ou des donneurs.

Nous, législateurs, nous devons privilégier le droit des enfants. C'est notre préoccupation première, parce qu'ils sont plus vulnérables, parce qu'ils sont plus fragiles. Le nouveau-né ne peut pas se défendre ; par contre, ses parents et le donneur de gamètes ont des moyens pour se faire entendre. Il me semble donc que nous devons véritablement privilégier toujours l'intérêt de l'enfant.

À cet égard, plusieurs d'entre vous se sont interrogés sur le fait de savoir si être privé de père était préjudiciable. La question mérite d'être posée, elle est légitime. Mais il y a des réponses par les sciences humaines, pas tellement dans notre pays où ces études sont bien trop rares, mais dans les pays anglo-saxons où les pratiques sont déjà répandues depuis plusieurs décennies et ont donné lieu à des études conduites depuis plus de 25 ans. Toutes les études, même si l'on veut contester l'une ou l'autre, indiquent les mêmes choses. Qu'elles viennent de Cambridge, des États-Unis ou d'ailleurs – le dernier papier était dans le New England Journal of Medicine avec une cohorte importante suivie pendant plus de 25 ans – toutes montrent que tous les enfants nés de PMA, que ce soit dans un couple hétéro, dans un couple homo ou d'une femme seule, n'ont aucune différence avec les autres dans leur développement ultérieur, dans leur épanouissement, dans leur bonheur, dans leur orientation sexuelle, dans leurs qualités de toute nature. Il n'y a aucune différence, et tous collectivement, vont relativement mieux que la moyenne des enfants nés dans les conditions dites naturelles.

Cela ne veut pas dire qu'il faut abroger les conditions naturelles. Cela veut simplement dire que ces enfants sont le fruit d'une profonde attente, d'un désir, d'une volonté et d'un amour qui leur est délivré à foison. C'est un élément essentiel dans l'épanouissement de l'enfant. Ces réponses multiples venant de tous horizons sont de nature à vous tranquilliser. Avez-vous donc encore sur ce sujet des interrogations ?

Je vous rejoins tout à fait sur le souhait de promouvoir davantage d'études sur l'infertilité. Mais j'y ajoute le souhait de promouvoir des campagnes d'éducation sur la fertilité. Les jeunes femmes d'aujourd'hui, et les jeunes hommes aussi, ne savent pas que l'horloge biologique est si sévère avec les femmes. Elles ne considèrent la procréation que bien après 35 ans. Il vaudrait mieux commencer un peu plus tôt, surtout si elles veulent avoir plusieurs enfants. La connaissance de la fécondité n'est pas n'est pas correctement délivrée.

C'est notre devoir de promouvoir cette éducation et la prévention de l'infertilité. L'infertilité augmente aujourd'hui pour des raisons multiples. Je ne veux pas rentrer dans des considérations écologiques, mais les garçons ont des azoospermies et les filles sont moins fécondes. En plus, elles font des enfants plus tard, ce qui aggrave encore ce phénomène.

Mon dernier point concerne ce que vous avez évoqué sur la promotion souhaitable des cellules iPS. Je parle brièvement de ces cellules pluripotentes. C'est simplement pour rappeler qu'elles posent des problèmes éthiques qui ne sont pas moindres que les cellules souches embryonnaires. Ce sont des problèmes différents, mais ce sont des cellules génétiquement modifiées, dont l'usage comporte donc un risque. De plus, ces cellules peuvent être utilisées comme des gamètes. Là, on voit un spectre effrayant : utiliser une cellule somatique, une cellule de notre corps, pour la transformer en gamète pouvant donner lieu à des procréations encore bien plus artificielles que tout ce que nous avons connu jusqu'à maintenant.

Oui, les cellules iPS sont des matériaux très importants. Elles n'ont pas les mêmes fonctions, les mêmes propriétés, les mêmes facultés que les cellules souches embryonnaires. Les unes et les autres sont intéressantes, mais elles ne peuvent pas se substituer l'une à l'autre, et ni les unes ni les autres ne sont exemptes de préoccupations éthiques.

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