Intervention de Haïm Korsia

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Haïm Korsia, Grand Rabbin de France :

Cette question du désir est pour moi essentielle. Cela m'avait fait tiquer tout à l'heure quand vous avez parlé, parce que je me suis emporté récemment contre une mère qui me disait devant son petit : « Vous voyez, mon fils, c'est un accident. » C'est terrifiant : cet enfant se rappellera de cela dans 50 ans. « Je suis un accident. » Alors que l'histoire qu'on se raconte sur notre famille c'est : papa et maman s'aiment – ou papa et papa – et tu es l'enfant de cet amour. C'est magnifique. On se raconte une sorte de désir, une attente. D'ailleurs on parle de parents d'intention – « On a voulu que tu sois là. »

Mais justement, la notion d'intention et de désir n'est pas toujours structurante. On arrive à autre chose, qui est ce que la Bible appelle très joliment le désir du désir. La Bible raconte par exemple que les Hébreux sortent d'Égypte et sont dans le désert ; du pain tombe tous les jours du ciel : les Hébreux en ont autant qu'ils veulent et en plus, ce pain a le goût qu'on veut. Et ils veulent de la viande ! Ils ont tout ce qu'ils veulent, mais justement ils désirent des désirs.

Il est vrai que l'on pourrait aller plus loin dans les études sur l'infertilité et que l'on pourrait améliorer ou simplifier les conditions d'accession à l'adoption, Cependant, dans une société relativement aboutie comme la nôtre, on tient pour indispensable le fait de vouloir quelque chose qu'on n'a pas. Le désir n'est plus quelque chose qui porte sur un objet, mais simplement le fait de vouloir quelque chose qui est inatteignable, parce que cela donne un nouvel horizon. Je m'élève au-dessus de ce qu'est la société. C'est un danger parce que, comme le dit le Psaume 91, « Tu n'auras pas peur de la crainte de la nuit ». Ici, ce n'est pas peur de la nuit, c'est peur de la crainte. De la même façon, en parallèle, on en vient à désirer des désirs.

Aujourd'hui notre société est une société du désir – je dirais même de l'envie : « Pourquoi l'ont-ils, et pourquoi ne l'ai-je pas ? Ce n'est pas parce que je ne l'ai pas que je suis malheureux. C'est parce que d'autres l'ont, et moi non. » Et parce que Mgr d'Ornellas voulait aider des personnes en état de faiblesse, il a été brusquement confronté à « Puisqu'ils l'ont, moi aussi je le veux ». C'est donc le désir du désir. Autant le désir est bon parce que sans désir il n'y a pas de vie – sans désir d'un homme pour son épouse, d'une épouse pour son mari, il n'y a pas de vie –, autant quand on est dans le désir du désir, on plonge dans quelque chose qui se retourne contre son objet premier.

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