Je reviens à la question de la révision de la loi de bioéthique. Je me félicite de tous les exemples que vous avez pris, Madame, et du fait que les lois aient pu évoluer. Je vais vous livrer un grand secret : celui de la pérennité du judaïsme. Nous nous sommes adossés à une loi écrite et nous l'avons commentée. Et qui dit commenter dit contextualiser.
C'est une règle que m'avait apprise mon vieux prof d'histoire – je le dis ici, en sachant que vous produisez des textes : tout texte est déjà périmé dès qu'il sort. La loi qui est donnée aux hommes est datée, au moment même où elle est donnée. Comment faire qu'un texte vieux de 3 500 ans soit toujours contemporain ? C'est parce qu'il est commenté et qu'on peut le contextualiser. D'où le problème de religions, ou de certaines branches dans certaines religions, qui s'enferment dans l'impossibilité, ou l'interdiction, de commenter, donc de contextualiser le texte.
Bien sûr, il faut réviser la loi de bioéthique, mais je me méfie du concept qui consiste à dire : « On revoit tous les trois ans, tous les quatre ans. » Parce qu'alors on a rendez-vous à la prochaine révision. Et la loi n'est plus une aspiration à voir ce que la société pourrait devenir, mais entérine tout simplement ce qu'on fait aujourd'hui.
Madame la présidente, vous m'avez dit en aparté que, si nous avions le temps, vous demanderiez à votre collègue de nous faire part de la parabole qu'elle voulait nous livrer. Je vais vous en livrer une pour vous déculpabiliser de nous livrer la vôtre. C'est une publicité pour une compagnie d'aviation. Un brave homme est assis au douzième rang de l'avion. Il est engoncé dans son siège très serré. Il a sa mallette sur lui. Il est serré. Cinq rangs devant lui, il y a le rideau des sièges business. Il appelle l'hôtesse et lui dit : « Mademoiselle, regardez, j'ai un billet business. Je suis là tout serré. » Elle répond : « Monsieur, je suis confuse, un instant. » Elle court, elle prend le rideau, elle le tire et le met derrière lui.
J'ai malheureusement le sentiment que parfois, c'est ce à quoi conduit une révision régulière des lois : elle ne fait pas aller la société vers une aspiration à la loi, qui est une forme de bien, mais elle reconfigure la loi pour faire en sorte que ce que nous faisons soit réintégré dans le bien, sans rien changer en fait. C'est en cela qu'une commission de l'Assemblée pourrait suivre les évolutions et pourrait même aller plus vite que les dates butoirs des renouvellements, parce que quatre ans, c'est peu et c'est beaucoup. S'il y a un changement évident dans la société, il faut être capable d'entériner ce changement tout de suite. Je maintiens qu'interpréter les textes pour les faire coller à la réalité de ce que vivent les gens est un risque de fragilisation de la loi en tant qu'aspiration collective.
Certes la PMA n'a pas changé les pays autour de nous, mais malgré l'espace européen, le principe de subsidiarité sur ces questions me paraît essentiel. Or la France a gardé de grands principes.
Ce sont par exemple la gratuité et l'anonymat des dons. Ce n'est pas le cas avec les Espagnols, mais je n'ai jamais vu une personne aisée donner un rein à une personne dans le besoin, sauf quand c'est quelqu'un qui a l'altruisme chevillé au corps. En Espagne, des personnes précarisées en viennent à donner un organe pour subvenir à leurs besoins. D'autres pays proches comme la Suisse autorisent le suicide assisté. Nous nous y opposons de manière assez ferme pour l'instant, et à juste titre, de mon point de vue.
Nous ne devons pas nous calquer sur ce que font nos voisins. Nous avons une spécificité, une approche tout à fait particulière de la notion de corps, de l'habeas corpus. Par exemple, en France, quelqu'un ne pourrait pas persévérer dans une grève de la faim : on arrêterait cette grève de la faim pour le sauver. Alors que d'autres pays, nos voisins d'outre-Manche par exemple, laissent faire. Bobby Sands et d'autres sont allés jusqu'au bout et sont morts.
De telles différences ne sont pas liées à la religion, mais à ce que nous avons voulu bâtir ensemble comme société. Et je suis assez fier des choix que la France a toujours faits.