Intervention de Haïm Korsia

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Haïm Korsia, Grand Rabbin de France :

Je suis scotché par la question posée par Mgr d'Ornellas. Vous pouvez constater qu'il n'y a pas de front commun des religions.

Je reviens sur deux questions qui ont été posées avec beaucoup de vista et de justesse. L'hospitalité, dans nos traditions, en tout cas dans la mienne, est illustrée par Abraham. Il reçoit dans sa tente, nous dit la Bible, qui est ouverte sur les quatre points cardinaux. Personne n'a à faire d'effort pour aller chez lui. Il est donc quasiment instantanément chez Abraham. Celui-ci lave les pieds de ceux qui entrent chez lui. Et les commentaires demandent pourquoi. Se prend-il pour Saint-Louis ? Pas du tout. Vous avez une vision ancillaire des relations avec les autres, d'autant que j'ai pris comme exemple Saint Louis qui n'est pas forcément le roi le plus philosémite que la France ait connu. Il le fait, nous disent les commentaires, et notamment le gendre de Levinas, auquel vous faisiez allusion, parce qu'il voulait enlever la poussière des pieds des voyageurs, que certains idolâtraient, le chemin parcouru devenant une forme d'orgueil.

Je trouve intéressant de dire d'où l'on vient, ce que l'on a accompli. Nous l'avons accompli pour essayer de trouver cette société apaisée. Depuis 1983 et la création du Comité consultatif national d'éthique, on se pose des questions : comment nous avons mis dans notre droit les lois de Nuremberg, comment nous avons intégré la convention d'Oviedo, comment nous avons donné forme juridique à cette réflexion sur l'humain et l'humanité. On a étendu d'ailleurs ce questionnement au-delà la santé, à tout ce qui est humain. On a donc essayé d'apaiser.

Pour faire les lois, oui, nous nous sommes étripés, parce que nous sommes Français. On s'étripe joyeusement, mais après, on doit être capable de retrouver ensemble une façon de vivre ce que la loi nous propose. Ceux qui étaient pour, ceux qui étaient contre se retrouvent le lendemain pour construire la société. C'est rassurant.

C'est en cela que le mot ipséité que vous avez employé à juste titre est différent de la mêmeté. C'est un thème de Ricœur, que le pasteur Clairvoly pourrait nous expliquer plus en détail : il y a cette idée, cette pulsion de vouloir faire des autres les mêmes que nous. Et justement vivre en société dans cette recherche d'altérité et de fraternité, ce n'est pas vivre avec « le même ». Le frère ou la sœur, c'est celui ou celle qui vient du même père, de la même mère, et pourtant chacun et chacune est différent. C'est le même, mais pas le même. C'est une sorte d'oxymore sur l'idée qu'on se fait de l'humain dans la Bible.

On nous explique que nous sommes tous à l'image de Dieu, mais cela veut-il dire que nous serions tous les mêmes ? C'est la vérité. Nous sommes tous les mêmes, par la loi de la transitivité. Si A égale B et B égale C, alors A égale C. Puisque je suis à l'image de Dieu et que chacun et chacune est à l'image de Dieu, nous sommes donc les mêmes. Mais puisque Dieu est unique, nous sommes chacun et chacune uniques. Nous sommes donc les mêmes et uniques, d'où cette idée d'ipséité : nous sommes les mêmes dans nos potentialités et uniques dans nos choix.

D'où la réponse que je pourrais vous faire : si une femme fait le choix d'être avec une autre femme, techniquement, elle s'empêche de faire un enfant avec quelqu'un. Elle dit : « Je veux cela, et la conséquence de mon choix, c'est ça ».

C'est un grand poète, pour ne pas dire un prophète de ma jeunesse, Jean-Louis Aubert, qui dit dans une chanson magnifique – « Voilà, c'est fini » : « Tu as eu ce que tu as voulu, même si tu n'as pas voulu ce que tu as eu. » C'est ce que j'appelle l'adolescence de notre société : on veut une chose et son contraire. C'est comme cela que je réponds à votre question, car vous avez vu parfaitement où elle se pose.

Une révision régulière de la loi de bioéthique oblige tout le monde à redébattre d'un sujet – parfois de tous – qui a déjà été débattu il y a quatre ans et qui ne posent plus de problème. Or quand l'opinion publique décide qu'un autre sujet est à l'ordre du jour, on est bien obligé d'en parler. On a vu qu'il y avait une urgence sur la fin de vie, alors qu'en réalité, nous n'avions pas prévu de le faire. Simultanément, il y a des sujets dont on dit : « On va en parler », mais la situation n'a pas tant changé.

Alors que si vous créiez cette commission de suivi permanent, vous pourriez dans tous les textes insérer votre apport, même si le sujet débattu n'est pas un sujet relevant des lois de bioéthique, par exemple les questions environnementales. C'est plus fluide, c'est plus simple et cela ne dévalorise pas la loi pour laquelle on se dirait : « Si nous ne pouvons pas maintenant, nous le ferons en 2030 ou en 2050 », comme pour la question de monseigneur d'Ornellas.

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