Intervention de édouard Habrant

Réunion du jeudi 29 août 2019 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France :

Je tiens à préciser que je ne représente pas la position de l'ensemble des membres de la Grande Loge Mixte de France, dont chacune et chacun se détermine en conscience. En revanche, à l'instar des deux obédiences qui se sont déjà exprimées, nous disposons d'une commission de bioéthique dont la présidente, Mme Christiane Vienne, était présente à l'audition organisée par la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique. Elle est aujourd'hui empêchée et je vous prie de l'excuser.

Vous avez classé les obédiences maçonniques parmi les « courants de pensée ». Je conçois que la qualification soit délicate. À mon sens, nous ne sommes pas tout à fait un courant de pensée, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas une pensée forcément homogène qui se dégage. En revanche, il est vrai que le courant significatif qui nous unit est celui qui nous éloigne des eaux glacées du calcul égoïste, par la fraternité, ce lien particulier qui reconnaît à autrui une humanité et une grandeur dont il n'a même pas connaissance. La fraternité, c'est également l'écoute et l'empathie qui nous permettent d'accéder aux représentations d'autrui, même lorsque ces représentations nous heurtent. Ce choc, qu'on pourrait parfois qualifier d'initiatique, ce heurt est aussi la condition de la mise à distance, de la révision de sa pensée. Savoir changer d'avis est important, y compris pour un législateur.

Le débat sur la bioéthique porte en particulier sur le mode d'acquisition des connaissances sur l'humain et sur la destination de ces connaissances dans nos sociétés. C'est donc un débat qui est naturellement délicat puisqu'il interpelle des règles et des principes qui parfois se heurtent, comme la dignité, la liberté et la solidarité. Mais la dynamique du projet éthique – et bioéthique – doit se traduire, notamment, par une évolution régulière, une révision périodique des lois de bioéthique. Nous pouvons retenir un certain nombre de concepts forts : fraternité, vigilance, tolérance, ouverture, qui ont sous-tendu les réflexions autour de la loi de bioéthique. Le CCNE, dans son avis n° 129, évoque même une attitude de confiance. Je n'ai pas noté la présence de ce mot dans le projet de loi, mais la confiance en l'avenir est effectivement essentielle. Pour autant, elle n'exclut pas le contrôle.

Le passage de l'intention éthique à la loi de bioéthique peut se traduire par une forme de tempérament que je qualifierai de recherche d'équilibre, et cette recherche d'équilibre se traduit dans un projet qui me semble marqué par une ambition, mais aussi par une forme de circonspection car il y a une prudence légitime ainsi qu'une réflexion. Par exemple, le périmètre du projet de loi était d'emblée défini de manière à ne pas inclure les questions liées à la fin de vie. Pour autant, celles-ci ont été envisagées par les États généraux de la bioéthique et par l'avis n° 129 du CCNE. Ambition et circonspection, donc.

Ambition par l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation – puisque c'est dans ce sens que l'acronyme a été retenu, ce que je peux concevoir – aux couples de femmes et aux femmes seules, ce qui est une décision plutôt de nature politique, qui n'est pas nécessairement induite par des changements d'ordre scientifique. Globalement, il est possible d'y être favorable. C'est quelque chose qui constitue une avancée. Cela pose des problèmes du point de vue du droit de la filiation et la réponse apportée par le projet de loi, qui a été inspirée par le Conseil d'État, peut être discutée. Ce rattachement de force à la vraisemblance biologique dans le titre VII bis, qui serait réservé aux couples de femmes, peut être discuté. D'autres avancées viennent de la mise en place de deux régimes juridiques distincts pour la recherche sur l'embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires ; l'encadrement juridique des traitements algorithmiques de données massives est également un point positif, ainsi que le don d'organes croisé.

Circonspection, puisque le projet fait l'impasse sur la procréation post mortem, ce que je trouve paradoxal et injuste à l'égard d'une femme qui aurait perdu son conjoint et qui aura tout de même la possibilité de s'engager dans un projet monoparental, mais avec un tiers donneur et pas comme elle l'avait envisagé au départ. Il n'y a rien non plus dans le projet de loi sur la reconnaissance de la filiation à l'égard du parent d'intention pour les enfants issus d'une GPA pratiquée à l'étranger, même si l'avis de la Cour européenne des Droits de l'Homme a limité la nécessité d'une révision législative à cet égard. Il en est de même pour les propositions du rapport d'information de la mission présidée par M. Xavier Breton au sujet de la prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel. Les opérations d'assignation relèvent-elles de l'assignation sociale ou d'une nécessité médicale ? C'est une question ouverte qui n'a pas été considérée par le projet de loi. Sont également absentes du projet la question de la collecte massive des données de santé, la question des embryons chimériques – évoquée notamment dans l'avis du Conseil d'État –, et les propositions de modification du cadre démocratique de la bioéthique qui avaient été formulées par la mission d'information.

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