COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE
Jeudi 29 août 2019
L'audition débute à dix-sept heures trente.
(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)
La commission spéciale procède à l'audition commune de représentants de divers courants philosophiques, réunissant : M. Bruno Tavernier, vice-président de la commission nationale « Santé publique et bioéthique » du Grand Orient de France ; M. Dominique Goussot, responsable de la commission « Droit et Laïcité » de la Fédération nationale de la libre pensée ; M. Édouard Habrant, Grand Maître, et Mme Élise Ovart-Baratte, conseillère, de la Grande Loge mixte de France ; le Dr Alain-Noël Dubart, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, et le Pr Jean-Jacques Zambrowski, ancien Grand Chancelier ; Mme Viviane Girard-Villatte, première vice-présidente, et Mme Nadine Le Forestier, membre expert de la commission « Bioéthique » de la Fédération française de l'Ordre Maçonnique Mixte International – Le Droit Humain.
Nous poursuivons nos travaux avec une audition de représentants de différents courants philosophiques, à qui je souhaite la bienvenue.
L'audition précédente nous a conduits à tester, si je puis dire, l'approche de plusieurs cultes au regard des options posées par le projet de loi relatif à la bioéthique. Riche de nombreux sujets, celui-ci interroge tout autant les courants de pensée que vous représentez ici. C'est donc avec un égal intérêt que nous écouterons vos analyses et éventuelles propositions. Toutes vos obédiences ont transmis à la commission une note préalable, ce dont je vous remercie sincèrement.
Nous vous remercions de nous permettre d'exposer la position de la commission « Bioéthique » de la Fédération française de l'Ordre Maçonnique Mixte International – Le Droit Humain à la suite de son analyse du projet de loi. Dans cette commission, les francs-maçons hommes et femmes travaillent avec un regard humaniste aux côtés de personnes qualifiées qui apportent leur expertise selon les thèmes abordés annuellement, afin d'éclairer nos membres, mais aussi d'animer des conférences publiques. C'est pourquoi je suis accompagnée aujourd'hui de Mme Nadine Le Forestier, praticien hospitalier neurologue à l'hôpital de la Salpêtrière, docteur en éthique et droit médical, qui travaille au sein de l'Espace régional de réflexion éthique d'Ile-de-France et de l'Espace national sur les maladies neuro évolutives. Elle est la rédactrice principale de la synthèse que nous vous avons envoyée, qui a été réalisée en étroite collaboration avec les trois experts de la commission. Nous la remercions de s'être rendue disponible pour être notre porte-parole aujourd'hui.
Les facteurs de justice sociale que sont l'éthique, l'égalité hommes-femmes, la dignité humaine et le droit des enfants ont toujours guidé nos travaux et notre engagement depuis les 125 ans que l'Ordre Maçonnique Mixte International – Le Droit humain existe. La Fédération française a suivi très attentivement l'évolution du projet de loi au fil des mois et des diverses consultations. Sa dernière version répond globalement à nos préoccupations constantes et à nos combats, par son ouverture et son souci de respecter les droits de chacun tout en tenant compte des progrès de la médecine et de la biologie. Ce projet de loi a le mérite de relever le défi d'arrimer notre démocratie sanitaire à nos valeurs républicaines de liberté, égalité, et fraternité. Les francs-maçons que nous sommes ne peuvent que se réjouir de voir cesser des discriminations à l'égard des citoyens grâce à l'ouverture de nouveaux droits. Sachez toutefois que nous avons une crainte concernant la non-conservation des gamètes prévue par l'article 3, au-delà du treizième mois suivant la date de publication de son décret d'application. Si tous les gamètes étaient concernés, cette grande pénurie serait très préjudiciable aux familles en attente de don. Pouvez-vous nous assurer que tous les donneurs seront contactés au préalable pour recueillir leur avis, afin que cette destruction ne concerne que ceux qui refuseraient la communication de leur identité génétique ?
Sans préjuger des questions qui seront posées ni du débat qui s'instaurera dans cette audition, je rappelle quelques remarques et propositions contenues dans notre note. Premièrement, il nous paraît indispensable de toujours interroger les acquis des membres de la société civile sur ces sujets les concernant, et de mettre l'accent sur une formation constructive de la population. Pour cela, il faudra s'assurer que le gouvernement s'en donne les moyens. En parallèle à la médecine des quatre « P » – préventive, prédictive, personnalisée et participative –, nous proposons un esprit de la loi de bioéthique en quatre « P » : préventive, protectrice, pédagogique et progressive. Nous recommandons une veille permanente, car toutes les décisions en ces domaines du vivant ont des répercussions transversales multidisciplinaires, biologiques, environnementales, sociétales, et politiques. Par ailleurs, il est urgent que la France exige un recadrage juridique international sur les frontières qu'elle juge infranchissables entre le souhaitable et le réalisable, quant à la modification du génome. Enfin, nous demandons que le gouvernement poursuive la défense des moyens scientifiques qui construisent la légitimité des connaissances.
Je vais évoquer trois ou quatre points sur tous ceux évoqués dans la note.
La réflexion sur la procréation médicalement assistée (PMA) et sur la levée de l'interdiction du double don de gamètes est hautement travaillée. Vous avez fait un travail remarquable car périlleux et courageux, en cohérence avec une précision apportée à la notion de filiation. Il en ressort une dignité sociale respectée de la femme et de l'enfant. Nous sommes convaincus que la légitimité du droit à l'homoparentalité est un progrès dans la non-discrimination et dans la compréhension des évolutions de notre société, où les singularités s'émancipent ; que reconnaître le droit de l'enfant à connaître sa filiation biologique totale est aussi une garantie d'égalité et de liberté pour chaque être dans une filiation sociale claire, marquant une souplesse de notre code civil ; que le choix défendu par le Conseil d'État, qui subordonne l'accès à l'identité du donneur à un accord de celui-ci au moment où l'enfant en fait la demande, protège le donneur à un moment où son choix initial peut ne plus être en adéquation avec sa vie sociale et familiale, et que ce choix permet d'éviter, j'espère, l'écueil de la diminution du don des gamètes.
Trois remarques toutefois. Premièrement, le gouvernement propose au législateur que la prise en charge de l'assistance médicale à la procréation (AMP) subsiste pour les couples hétérosexuels non stériles, malgré son impact budgétaire. Deuxièmement, nous avons une position partagée sur la gestation pour autrui (GPA), pour des raisons mentionnées par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), mais aussi en raison de la connaissance imparfaite des conséquences physiologiques entre la mère porteuse et le fœtus et des risques importants de marchandisation. Troisièmement, l'accès à la PMA des couples de femmes ou des femmes non mariées va bien sûr conduire à une revendication d'égalité pour les hommes ; cela reposera la question de la GPA et il faut que l'on s'y prépare. L'article 6 introduit la possibilité pour un enfant mineur d'être donneur de cellules souches hématopoïétiques pour un de ses parents, c'est-à-dire une personne qui détient l'autorité parentale. Il met en place une triangulation pour rendre possibles l'audition de l'enfant et le recueil de son consentement sans passer par ses parents. On peut craindre que ce soit un vœu pieux. En revanche, on ne peut pas interdire à un enfant de vouloir sauver la vie d'un de ses parents. Nous étions assez réticents à l'ouverture de ce droit et il faudrait restreindre cette ouverture à des enfants suffisamment âgés, ayant par exemple plus de 13 ans.
La création des notions de « consentement par délégation » et « programme de recherche » est défendable car elles permettent une certaine souplesse.
Enfin, il nous apparaît essentiel que la législation précise les interdits de passerelles avec le monde privé. Nous savons tous que des données massives de santé – recueillies auprès de patients ou de témoins pour la recherche – sont d'un grand intérêt pour les industries, laboratoires pharmaceutiques, sites marchands, assurances, banques. Il faudra clairement encadrer la circulation de ces données.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de participer à cette réflexion parce qu'au-delà des spécificités techniques ou réglementaires, il y a des préoccupations d'ordre éthique, philosophique, spirituel, qui sont le cœur même de notre réflexion. Je voudrais insister sur le fait qu'il n'y a pas un avis de la Grande Loge de France, faute d'avoir consulté les 34 000 frères et les quelques 900 Loges qui participent à nos travaux, mais plusieurs comités et commissions se sont penchés sur le sujet. C'est à partir de tout cela que nous allons essayer de contribuer à votre réflexion. MJe souhaite mettre en avant cinq points sur lesquels ensuite notre ancien Grand Maître Alain-Noël Dubart, chirurgien, reviendra par la suite.
Nous sommes attachés à la notion des droits de l'enfant pour ce qui concerne la PMA et souhaitons rendre la représentation nationale attentive à ce que, dans les textes, l'aspect technique ou médical ne prenne pas le pas sur les droits de l'enfant, qui ne peut être objet ni de désir ni de consommation. Deuxième point important – qui fait l'objet d'une note que nous vous transmettrons volontiers : le cadre relationnel parents-enfant ne peut manquer d'être réinterrogé à l'occasion de ce texte, par exemple l'appellation « mère et mère » qui a été proposée par la garde des Sceaux et qui interroge à la fois le scientifique et le philosophe. Troisièmement, le cadre des principes de l'art médical ne nous paraît pas pouvoir être oublié, et pour autant qu'il faille suivre les évolutions de la technique et de la science, voire de la société, les professionnels de santé et tous ceux qui participent à l'activité de santé doivent se souvenir des actes fondamentaux qui ont marqué leur entrée dans ces professions. Quatrième point, nous considérons qu'en toutes circonstances, il faut avoir prioritairement une approche que l'on peut qualifier de philosophique, même si le terme peut paraître étrange ici, sur ce qui touche à la justice, à l'équité, aux droits et aux devoirs, et dans des institutions comme la nôtre, cette notion de devoir est première et fondamentale. Pour avoir suivi parfois les travaux compliqués auxquels les parlementaires sont invités, il arrive que la technicité des textes soit telle que l'on oublie ces points de repère éthiques, déontologiques fondamentaux. Dernier point, il nous paraît important que la représentation nationale exerce une surveillance continue sur les décisions prises en matière de bioéthique, et il ne nous paraîtrait pas déraisonnable qu'au-delà de ce que peut faire le CCNE, votre respectable assemblée suive ces sujets dans l'intervalle qui sépare deux révisions. Vous êtes en effet l'expression même des évolutions de la société et vous avez un autre regard, une autre responsabilité que le CCNE. Nous sommes tout prêts à contribuer à ce suivi, pour autant que notre avis peut avoir quelque utilité.
Nous avons communiqué un texte de cinq ou six pages qui est une réponse technique à un projet de loi qui nous semble une réponse extrêmement technique à des sujets de société. Nous aurions probablement souhaité que préalablement à des réponses d'ordre médical, s'installe une réflexion philosophique, anthropologique, sur la manière d'apporter les réponses. C'est la raison pour laquelle nous avons élaboré une note que nous vous transmettrons, et qui nous semble bien plus importante que les réflexions techniques que nous pouvons apporter. Sur ces réflexions techniques, le projet de loi nous semble dans l'ensemble cohérent. Il n'apporte pas toutes les réponses que nous pouvons souhaiter. Il fait une très large part aux droits de la mère, ou aux droits des couples, sans garantir absolument les droits des enfants. Nous pensons que les droits des enfants, par nature de justice, parce que ce sont des êtres humains, enfants nés ou à naître, sont équivalents aux droits des adultes et même que, puisque les enfants portent l'avenir de la société, ils sont par certains côtés plus importants que les droits des parents.
Pour entrer plus avant dans le détail, l'idée de faire disparaître l'anonymat du donneur est une excellente chose. Cela créera une distorsion car la disparition de l'anonymat – en fait la possibilité de trouver ses origines, car la question de la filiation, dans les domaines religieux ou philosophique, est extrêmement importante – ne s'appliquera pas aux dons effectués avant la loi à venir, pour lesquels le respect de l'anonymat continuera de s'imposer. Il y a là un problème technique qui me semble devoir être résolu. En ce qui concerne l'ensemble des réflexions que nous avons apportées, je voudrais simplement rappeler qu'il est essentiel de faire en sorte qu'il n'y ait pas de marchandisation de la personne humaine, ni de marchandisation de l'embryon, ni de marchandisation de l'enfant. L'enfant est une personne humaine qui a les mêmes droits, n'est pas un objet de désir, du moins pas complètement uniquement un objet de désir, et ne peut jamais être un objet de pure consommation. C'est fondamental. Nous souhaitons également rappeler notre opposition vive à tout ce qui peut être GPA, car un domaine de marchandisation apparaîtrait forcément, sauf en cas de malformation utérine ou de maladie particulière qui pourrait nécessiter que l'on se penche sur la question et que l'on apporte des réponses très sélectives – mais c'est un problème de technique médicale et non un problème de société. Enfin, je souhaite dire que dans la philosophie qui est la mienne – qui n'est pas forcément la philosophie de tous les membres de la Grande Loge de France, mais qui y ressemble quand même –, une loi ne peut pas déterminer la généralité de tous les cas. Il y a un cadre général et il y a la casuistique, le cas par cas, qu'il faut savoir sauvegarder dans l'intérêt de tout le monde. J'ai dit.
Je tiens à préciser que je ne représente pas la position de l'ensemble des membres de la Grande Loge Mixte de France, dont chacune et chacun se détermine en conscience. En revanche, à l'instar des deux obédiences qui se sont déjà exprimées, nous disposons d'une commission de bioéthique dont la présidente, Mme Christiane Vienne, était présente à l'audition organisée par la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique. Elle est aujourd'hui empêchée et je vous prie de l'excuser.
Vous avez classé les obédiences maçonniques parmi les « courants de pensée ». Je conçois que la qualification soit délicate. À mon sens, nous ne sommes pas tout à fait un courant de pensée, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas une pensée forcément homogène qui se dégage. En revanche, il est vrai que le courant significatif qui nous unit est celui qui nous éloigne des eaux glacées du calcul égoïste, par la fraternité, ce lien particulier qui reconnaît à autrui une humanité et une grandeur dont il n'a même pas connaissance. La fraternité, c'est également l'écoute et l'empathie qui nous permettent d'accéder aux représentations d'autrui, même lorsque ces représentations nous heurtent. Ce choc, qu'on pourrait parfois qualifier d'initiatique, ce heurt est aussi la condition de la mise à distance, de la révision de sa pensée. Savoir changer d'avis est important, y compris pour un législateur.
Le débat sur la bioéthique porte en particulier sur le mode d'acquisition des connaissances sur l'humain et sur la destination de ces connaissances dans nos sociétés. C'est donc un débat qui est naturellement délicat puisqu'il interpelle des règles et des principes qui parfois se heurtent, comme la dignité, la liberté et la solidarité. Mais la dynamique du projet éthique – et bioéthique – doit se traduire, notamment, par une évolution régulière, une révision périodique des lois de bioéthique. Nous pouvons retenir un certain nombre de concepts forts : fraternité, vigilance, tolérance, ouverture, qui ont sous-tendu les réflexions autour de la loi de bioéthique. Le CCNE, dans son avis n° 129, évoque même une attitude de confiance. Je n'ai pas noté la présence de ce mot dans le projet de loi, mais la confiance en l'avenir est effectivement essentielle. Pour autant, elle n'exclut pas le contrôle.
Le passage de l'intention éthique à la loi de bioéthique peut se traduire par une forme de tempérament que je qualifierai de recherche d'équilibre, et cette recherche d'équilibre se traduit dans un projet qui me semble marqué par une ambition, mais aussi par une forme de circonspection car il y a une prudence légitime ainsi qu'une réflexion. Par exemple, le périmètre du projet de loi était d'emblée défini de manière à ne pas inclure les questions liées à la fin de vie. Pour autant, celles-ci ont été envisagées par les États généraux de la bioéthique et par l'avis n° 129 du CCNE. Ambition et circonspection, donc.
Ambition par l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation – puisque c'est dans ce sens que l'acronyme a été retenu, ce que je peux concevoir – aux couples de femmes et aux femmes seules, ce qui est une décision plutôt de nature politique, qui n'est pas nécessairement induite par des changements d'ordre scientifique. Globalement, il est possible d'y être favorable. C'est quelque chose qui constitue une avancée. Cela pose des problèmes du point de vue du droit de la filiation et la réponse apportée par le projet de loi, qui a été inspirée par le Conseil d'État, peut être discutée. Ce rattachement de force à la vraisemblance biologique dans le titre VII bis, qui serait réservé aux couples de femmes, peut être discuté. D'autres avancées viennent de la mise en place de deux régimes juridiques distincts pour la recherche sur l'embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires ; l'encadrement juridique des traitements algorithmiques de données massives est également un point positif, ainsi que le don d'organes croisé.
Circonspection, puisque le projet fait l'impasse sur la procréation post mortem, ce que je trouve paradoxal et injuste à l'égard d'une femme qui aurait perdu son conjoint et qui aura tout de même la possibilité de s'engager dans un projet monoparental, mais avec un tiers donneur et pas comme elle l'avait envisagé au départ. Il n'y a rien non plus dans le projet de loi sur la reconnaissance de la filiation à l'égard du parent d'intention pour les enfants issus d'une GPA pratiquée à l'étranger, même si l'avis de la Cour européenne des Droits de l'Homme a limité la nécessité d'une révision législative à cet égard. Il en est de même pour les propositions du rapport d'information de la mission présidée par M. Xavier Breton au sujet de la prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel. Les opérations d'assignation relèvent-elles de l'assignation sociale ou d'une nécessité médicale ? C'est une question ouverte qui n'a pas été considérée par le projet de loi. Sont également absentes du projet la question de la collecte massive des données de santé, la question des embryons chimériques – évoquée notamment dans l'avis du Conseil d'État –, et les propositions de modification du cadre démocratique de la bioéthique qui avaient été formulées par la mission d'information.
La Fédération nationale de la libre pensée a pour objet de défendre la liberté de conscience, et dans ses statuts, elle se revendique de la raison et de la science. Deux sujets sur lesquels nous avons travaillé depuis plusieurs années ont retenu plus particulièrement notre attention dans le projet de loi. Il s'agit de la procréation médicalement assistée et de la recherche sur l'embryon. Nous regrettons que le projet n'apporte pas de réponse à la demande des Français concernant la fin de vie, étant observé que le CCNE avait inclus ce sujet dans les questions qu'il abordait.
La Fédération nationale de la libre pensée considère que les couples homosexuels, tant masculins que féminins, ainsi que les femmes seules, doivent pouvoir satisfaire leur désir d'enfant comme tous les individus. Elle salue donc l'avancée que représente l'extension de principe avec prise en charge par la Sécurité sociale de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Elle estime que ces activités de don d'ovocytes, d'autoconservation des ovocytes, de recueil du sperme, d'accueil des embryons, doivent rester dans la sphère publique. Or, nous avons constaté que des organismes professionnels souhaitaient une privatisation partielle de ces activités.
Malgré cet accord de principe, nous formulons trois observations. D'une part, l'accès des couples homosexuels masculins aux techniques de PMA avec tiers donneur reste un sujet ouvert et on ne pourra pas y échapper puisqu'il y aura un problème d'égalité entre les deux types de couples homosexuels. Un tel accès est autorisé dans huit pays européens, qui ne sont pas des pays barbares : la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie, l'Irlande, le Royaume-Uni. Un texte devrait donc encadrer la GPA, pour en garantir le caractère altruiste et fixer les conditions à remplir par les génitrices candidates. Deuxième observation, nous sommes tout à fait favorables à la filiation d'intention – qui d'ailleurs ressortait du rapport de la mission d'information. Nous avons un désaccord sur le fait de faire enregistrer la déclaration chez un notaire et pas auprès d'un officier d'état civil, ce qui nous paraîtrait assez normal dans la République. Par ailleurs, nous ne comprenons pas pourquoi il y a à la fois un consentement et une déclaration anticipée de volonté. N'est-ce pas redondant ? Troisième observation, qui concerne l'accès à l'identité du donneur. En droit français, pour l'instant, aucune information permettant d'identifier celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Désormais, ce principe général connaîtrait une entorse qui nous semble discutable sur le plan juridique. Par ailleurs, si l'on en croit le professeur Rives, le nombre de donneurs va baisser alors que les demandes de paillettes vont augmenter. Cela va être d'autant plus difficile à gérer que la loi prévoit de détruire les stocks de gamètes recueillis antérieurement et de donner un délai de 13 mois seulement pour reconstituer le stock, ce qui paraît assez court.
Le deuxième sujet est la recherche sur l'embryon, dans ses deux aspects : l'embryon lui-même et les cellules souches embryonnaires humaines. C'est un sujet très important parce que cela peut faire avancer la connaissance de manière tout à fait significative. Il faut que la France reste dans la course par rapport à des pays qui sont moins frileux : les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie ou Israël. Le cadre juridique de la recherche sur l'embryon n'évolue pas par rapport à celui qui a été institué en 2013, que nous trouvons trop contraignant. Nous sommes rendus inquiets par le fait que la loi ne ferait plus référence aux conditions éthiques de la recherche, un projet de recherche devant simplement respecter les articles 16 à 16-8 du code civil. Or, l'article 16 parle de la primauté de la personne. N'est-ce pas ouvrir une brèche qui permettrait à certaines forces dans la société de revendiquer un statut pour l'embryon ? Je sais par avance qu'une certaine fondation se prévaudra de ces dispositions pour embêter l'Agence de la biomédecine, ce qu'elle a déjà fait dans le passé, mais là, elle aura un point d'appui beaucoup plus important. La recherche sur les souches embryonnaires entre dans un régime de déclaration – c'est ce que nous préconisons aussi pour l'embryon –, à ceci près que c'est un peu un faux semblant, puisque ces cellules proviennent d'un embryon pour lequel une recherche aura été autorisée dans les conditions prévues actuellement par la loi.
Enfin, nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles on n'a pas traité deux sujets : la création d'embryons à des fins de recherche – c'est ce qui se pratique par exemple au Royaume-Uni – et la création de chimères. Je sais qu'entre le porc et l'homme, on peut créer des chimères, notamment pour fabriquer des organes en vue d'une greffe ultérieure. C'est autorisé au Royaume-Uni. Cela a été fait en Californie. Comme les donneurs d'organes ne sont pas assez nombreux, il faudrait peut-être considérer cette idée.
J'excuse le président de la commission nationale « Santé publique et bioéthique » qui n'a pas pu être ici ce soir puisque nous tenons notre assemblée générale. Comme d'autres frères et sœurs, je ne suis pas dépositaire de l'avis des membres du Grand Orient de France. Le Grand Orient de France, bien évidemment, se refuse d'ailleurs à toute affirmation dogmatique, il est très important de le souligner. Par ailleurs, le Grand Orient de France est farouchement attaché à la laïcité, et il est important de rappeler ce principe au moment où s'engage l'examen du projet de loi, quand nous voyons toute la portée de ses différentes positions. Enfin, nous travaillons à l'amélioration matérielle et morale et au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité.
Nous avons l'habitude d'analyser les textes au regard de nos valeurs : liberté, égalité, fraternité, qui se confondent avec les valeurs de la République, mais il nous semble très important de travailler au fond sur la responsabilité. Si nous voulions tenter de définir la bioéthique, nous pourrions dire : « solidarité et responsabilité ». Il y a une responsabilité des politiques et il y a une responsabilité des scientifiques. Il est indispensable de renforcer le lien entre politique et scientifique de façon à ce que cette responsabilité puisse être assumée, pour assumer le fait que certains choix ne sont pas forcément de bons choix et qu'ils peuvent être révisés. C'est l'esprit même de ces lois de bioéthique que d'être révisable. Je tiens à souligner l'énorme travail qui a été mené par le CCNE avec la participation des citoyens, car ces questions de bioéthique sont aussi l'affaire de citoyens. Lorsque je présidais la commission nationale de santé publique et de bioéthique, je me désespérais quelquefois du nombre de médecins qui demandaient à y participer. Bien sûr il en faut, mais il faut aussi avoir des éclairages différents.
La levée de l'anonymat est une avancée extrêmement importante mais elle ne résout probablement pas toutes les questions que l'on peut se poser sur l'origine. Dans l'idée d'origine, il y a bien sûr la filiation, il y a la biologie, mais il y a aussi bien d'autres choses. C'est une première question à creuser. Par ailleurs, dans le cadre actuel d'internet, de la numérisation des relations sociales, du développement de l'intelligence artificielle, lever l'anonymat, oui, mais envers qui ? Et une fois que l'anonymat est levé, ne peut-on craindre l'utilisation de l'identité du donneur à d'autres fins que celle qui lui est fixée par le projet : l'accès aux origines ? Nous sommes favorables à ce que les femmes seules et les couples de femmes accèdent à l'aide médicale à la procréation (AMP). Comme l'a souligné mon frère, cela pose peut-être la question de l'égalité entre les hommes et les femmes, donc de la GPA. C'est une chose sur laquelle il faudra se pencher.
Je voudrais terminer en disant qu'il nous semble fondamental de travailler rapidement sur tout ce qui est intelligence artificielle et numérisation. L'AMP et la fin de vie sont des débats absolument passionnants, vertigineux, puisqu'ils concernent notre début et notre fin, et que cela confine à quelque chose de sacré. Cependant l'importance des données numériques et de l'intelligence artificielle va croissant, à tel point – je l'ai vu en examinant les textes – qu'il faudra bientôt se garder de penser que c'est l'algorithme qui s'est trompé. Il y a vraiment quelque chose à faire en matière de pédagogie, pour bien faire savoir que les algorithmes ne sont que des outils et que derrière les outils, ce sont les hommes et les femmes avec leur éthique, avec leur responsabilité, qui doivent être bien évidemment à la manœuvre.
Vos exposés sont riches et denses et je rejoins la remarque liminaire qui tend à souligner que les réponses techniques n'assouvissent pas les questions sociétales et philosophiques, qui peuvent être débattues plus largement.
Il se trouve que la filiation, sur son plan juridique, est la seule question qui n'a pas été abordée lors des États généraux de la bioéthique, car a été surtout discutée l'accessibilité de la PMA avant de discuter de ses modalités. Nous continuons ce débat pendant nos auditions et nous souhaitons qu'il puisse être enrichi des réflexions de l'ensemble de la société. À ce titre, je vous remercie des notes que vous nous avez transmises.
Peut-être faudra-t-il préciser le texte sur la levée de l'anonymat. Je ne sais pas si la formulation actuelle est parfaite. Il n'est pas prévu de redemander le consentement du donneur au moment où l'enfant demande à accéder à son identité. Il n'y a pas de double consentement. Au cours de précédentes auditions, d'autres associations et représentants de la société civile ont souhaité que l'on puisse instaurer un tel « aller-retour » avec le donneur, qui pourrait ainsi se rétracter. D'autres au contraire nous demandent de bloquer ce consentement au moment du don et de ne jamais revenir dessus. Je veux bien entendre votre point de vue sur la question. Il a été aussi demandé que les données non identifiantes puissent être révélées plus tôt, pour des raisons médicales ou autres. Certaines associations réclament que la totalité des enfants issus d'une AMP avec tiers donneur soient informés de leur mode de conception le plus tôt possible. L'État doit-il être à ce point intrusif dans la relation parent enfant, ou faut-il laisser la liberté aux parents ?
Pour revenir rapidement sur la filiation, deux options ont été soumises au Conseil d'État sur la déclaration anticipée de volonté (DAV) : la DAV réservée aux familles monoparentales ou la DAV pour tous ceux qui s'engageraient dans une AMP. Une troisième option n'a pas été retenue par le projet de loi, mais elle retient aussi l'attention de la commission spéciale : il s'agit de la simple extension du droit commun actuel, applicable aux couples hétérosexuels non mariés, et pour qui le consentement au don est recueilli chez le notaire préalablement à la mise en place du processus d'AMP, puis, pendant la grossesse ou après la naissance, une déclaration vaut reconnaissance à l'état civil. La question est posée d'étendre ce système aux familles homoparentales. On retombe sur une réponse technique à des questions philosophiques, puisque cela vient percuter la grande, l'éternelle question : est-ce qu'au fondement de la reconnaissance anténatale par présomption se trouve une vérité, une vraisemblance biologique liée à l'engendrement, ou une question de puissance de la volonté ?
Vous avez choisi d'utiliser le terme AMP, c'est-à-dire « assistance médicale à la procréation ». On peut s'interroger sur ce qui est plus important, c'est-à-dire le terme premier : est-ce une assistance ou est-ce la procréation ? Dans la PMA, c'est la procréation qui est première, et il se trouve qu'elle est médicalement assistée parce que, physiologiquement, elle ne fonctionne pas bien. Mais c'est bien la procréation qui est première, et l'intention du couple – homosexuel, hétérosexuel ou post mortem ou tout ce que l'on voudra – c'est donner la vie. Dans l'AMP, c'est le côté assistance qui est premier, et là une question philosophique pourrait être soulevée – on s'en remet, comme on dit, à la sagesse du Parlement, mais c'est loin d'être anodin. Ce choix d'un terme a quelque chose qui pourrait être lui-même source de questions. Le médecin que je suis, le père que je suis, pense que la procréation est première et que l'assistance n'est que le moyen technique qui nous permet de faire ce que la nature ne permet pas.
La question de l'origine est également essentielle, parce que chacun d'entre nous, même s'il ne l'exprime que tardivement, veut savoir d'où il vient et que, dans une société qui est aujourd'hui fracturée, la question de savoir de qui on vient, d'où l'on vient, est première, indépendamment de « qui m'a élevé ». Certes, celui qui reçoit du sang ou des cellules, ou d'autres éléments, ne sait pas d'où vient le flacon de plasma ou le concentré globulaire. Mais là, il s'agit de quelque chose de plus essentiel, qui est la vie elle-même : les gamètes, le patrimoine génétique dont nous sommes porteurs. Et dans ce cas-là, chacun doit pouvoir avoir accès à ses origines – en tout cas pour un don postérieur à la mise en œuvre de la loi – et l'Agence de biomédecine, ou toute institution qui se substituerait à elle, doit détenir ces informations et y donner accès à ceux qui en éprouveraient le besoin à un quelconque moment. Car l'on s'aperçoit que le défaut de connaissance est générateur de troubles profonds, psychologiques puis qui se somatisent, de troubles identitaires, et que c'est une discrimination qui nous paraît devoir être réglée par le dispositif législatif.
Les mots sont importants – le mot « euthanasie » a disparu pour ne parler plus que de la fin de vie. Entre AMP et PMA, l'assistance est malgré tout quelque chose d'important puisqu'elle renvoie aussi à l'égalité, ce que la loi ne dit pas complètement. Mettre en avant le terme « assistance », c'est permettre à tout un chacun de bénéficier de ces progrès. L'assistance n'est donc pas pour nous que technique, c'est aussi une marque de solidarité. On emporte avec la procréation des choses différentes au regard des genres, le genre masculin ou le genre féminin. Cela emporte aussi une dimension sacrée qui forcément complique les choses.
Pour répondre à votre question sur les données non identifiantes qui pourraient être intéressantes à communiquer, il faut se nourrir de l'exemple d'une personne dont on analyse le patrimoine génétique et chez qui l'on trouve une anomalie qui pourrait être importante à révéler. Nous sommes obligés d'avertir le patient et, d'abord, de lui expliquer ce qu'est un consentement. Nous devons également lui dire qu'il doit annoncer qu'il y a une recherche génétique sur sa personne et qu'il sera amené, un jour ou l'autre, à devoir donner ou proposer le résultat de cet examen génétique, que ce soit une maladie qui peut être soignée ou prévenue ou dans le cadre d'une recherche, puisque cela avance très vite en ce moment. On pourrait reprendre cette méthodologie en imposant d'avertir qu'il y a un résultat sans imposer d'en divulguer le contenu, ceci pouvant bénéficier à tous les proches qui seraient intéressés directement par cette donnée non identifiante grave ou, en tout cas, source de prévention. Je pense qu'il faudrait appliquer ce modèle et l'étendre à tous les articles du projet qui parlent d'examen génétique et de recherche génétique. Sur le terrain, c'est vraiment pratique.
Notre commission réfléchit aux lois et aux débats bioéthiques de demain. Quand ces débats doivent-ils intervenir ? Comment doivent-ils être organisés ? Comment renforcer la place du citoyen dans les futurs débats ? Beaucoup parmi vous ont suggéré de mener une réflexion bioéthique au fil de l'eau sur l'ensemble des textes qui pourraient toucher à l'éthique du vivant. On parle donc de la création d'une délégation parlementaire permanente, et j'en vois tout à fait l'intérêt.
(Dans une autre audition, j'avais évoqué les sujets environnementaux, sur lesquels il peut être intéressant d'apporter une réflexion bioéthique.)
Mais notre calendrier parlementaire est segmenté par des textes et des sujets législatifs précis, et nous ne pouvons pas nous réinterroger chaque jour sur l'ensemble des techniques et des principes bioéthiques. La révision périodique a donc l'intérêt d'offrir un temps dédié à la réflexion bioéthique, un temps suspendu, qui me semble tout aussi nécessaire. J'évoquais dans une autre audition le DPI-HLA, qui interroge aujourd'hui un certain nombre de parlementaires et qui n'aurait pas vraiment trouvé sa place dans notre calendrier. Faut-il choisir entre la vigilance permanente et le temps de l'introspection globale ? Y a-t-il un intérêt à créer cette commission permanente ou délégation en maintenant la révision périodique de la loi de bioéthique ?
Par ailleurs, ce projet de loi se veut progressiste, notamment en matière démocratique, avec l'ambition de mettre le citoyen de demain toujours plus au centre des réflexions et des débats bioéthiques. Vous soulignez d'ailleurs ces progrès mais vous dites aussi que nous pouvons faire plus. Que pourriez-vous nous recommander en ce sens ?
Dans la note conclusive que nous avons rédigée récemment et que nous vous communiquerons bientôt, nous suggérons la création d'une commission attachée au Parlement, non pas pour conduire une réflexion en amont sur l'évolution des lois de bioéthique, mais au contraire pour suivre ce qui se passe sur le terrain, les difficultés de mise en œuvre des lois votées qui touchent de manière très prégnante à la structure même de notre société. Il est possible que des problèmes se posent, soient mal perçus, mal compris, mal traités, et qui pourraient nécessiter une réflexion immédiate sans pour autant justifier l'intervention du CCNE. Celui-ci a une vue globale, globalisante, préalable. Sur des sujets comme ceux qui vont résulter de l'application de la loi, il serait utile de pouvoir suivre la façon dont celle-ci va être mise en œuvre. En effet, il y a le cadre général de la loi, et puis il y a les cas particuliers qui en découlent. Hannah Arendt disait que l'on ne peut jamais subsumer tous les cas pratiques dans le cadre général de la loi. Il faut donc forcément conduire une réflexion permanente. J'ai dit.
Le progrès médical n'est pas linéaire et pas forcément prévisible. Certaines innovations sont incrémentales et on peut les envisager à l'avance. Le rythme de révision – à intervalles de cinq ans, six ans, sept ans, pourquoi pas – suffit largement à fixer le cadre général de notre réglementation. Mais des innovations de rupture offrent subitement des solutions aux patients et aux professionnels. Le problème est que dans notre système bioéthique, tout ce qui n'est pas autorisé est interdit, alors que normalement tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. Mais chez nous, dans le cadre des professions de santé et établissements de soins, tout ce qui n'est pas autorisé est, de fait, interdit ou en tout cas répréhensible. Il faudrait que le cadre juridique puisse s'adapter rapidement à des innovations de rupture. Lorsque nous voyons aujourd'hui des femmes subir une chirurgie mutilante parce qu'elles ont un bout de fragment de chromosome, un petit bout de gène, qui les rend susceptibles d'avoir une extrême probabilité de cancer du sein et des ovaires – on voit tout de suite à quelle actrice de cinéma je fais allusion – on est obligé de se dire qu'il faut un cadre. Ces interventions sont-elles licites ou pas ? Quelle est la responsabilité de celui qui les propose et qui les pratique ? Peuvent-elles être prises en charge par la solidarité nationale au titre d'un risque qui n'était pas connu avant que cette altération génomique ou génétique ne soit détectée ? Il faut que le législateur soit capable d'apporter une réponse qui soit l'émanation de la pensée collective dont vous êtes les seuls détenteurs. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'un suivi et une vigilance permanente peuvent traiter de ces sujets chaque fois qu'une innovation vient bousculer l'ordre établi de la connaissance et des pratiques – donc l'ordre établi de la demande sociale par rapport à ces phénomènes multiples, qui vont très au-delà de la PMA et touchent aussi à la génétique, la génomique ou la fin de vie.
Devant la complexité actuelle de la recherche médicale ou en biotechnologie, mais aussi celle de notre société et des exigences de nos citoyens, il faut toujours se souvenir – on le voit tous les jours sur le terrain, mes collègues, professeurs et médecins le savent – que l'on a beau parler d'éthique, l'on a beau parler de bioéthique, nombre de ceux qui nous entourent ne savent pas ce que c'est, même dans le monde du soin. Nous devons absolument faire une pédagogie, sans dogmatisme, sans gravité, sans légèreté – mais cela devrait devenir presque ludique. C'est ce que j'essaye de faire en neurologie à la Pitié Salpêtrière. Ce n'est pas évident, mais il faut que les gens s'approprient cette réflexion. Parce qu'on pourra être toujours de très bons élèves, mais tant que les gens ne sauront pas ce qu'est le mot bioéthique, tout ce que l'on fera ne servira à rien ou ne sera qu'esthétique.
Comme tout cela devient très compliqué – par exemple, nous avons parlé tout à l'heure d'intelligence artificielle –, il nous faut aussi accepter que certaines choses nous échappent. Et même si l'on construit le cadre le plus beau et le plus cohérent possible, il y aura des choses qui nous échappent. Nous incarnons pourtant des gens qui vont justement aller vers le public pour expliquer ce que l'on sait, ce que l'on a compris, et pourquoi on fait ces choix-là. Parce qu'une loi, c'est aussi protéger. Si on accepte cela, certes, on ne touchera peut-être pas l'égalité totale, mais on touchera au moins l'équité.
Effectivement, le progrès médical, loin d'être linéaire, serait plutôt exponentiel, avec une accélération absolument foudroyante. Je partage tout à fait les propos qui ont été tenus. Des projets peuvent introduire des problématiques extrêmement importantes, voire clivantes. Il faut être attentif à l'évolution de la société. Nous le voyons bien avec l'aide médicale à la procréation et le mariage pour tous. Les choses changent, la notion de famille est en pleine mutation. Certaines connexions sont extrêmement importantes, et une veille permettrait de s'emparer rapidement de ces sujets.
Enfin, au-delà même de la question du rythme de révision – puisque, de toute façon, on n'arrivera pas à tout faire : nous sommes imparfaits et il faut garder cette imperfection, cette fragilité de l'être humain, pour surtout éviter de passer de l'autre côté –, nous avons maintenant de formidables outils qui permettent de mettre en place des protocoles d'évaluation avec des niveaux de preuve extrêmement élevés. On parle d'intelligence artificielle, on parle de données – avec la problématique de leur protection et de leur conservation – et il faudrait pouvoir s'en servir de façon à nourrir des évaluations robustes qui nous aident et qui permettent d'adapter ce rythme.
J'ai entendu dire que le progrès n'était pas linéaire, mais la pensée non plus n'est pas linéaire. La révision périodique présente beaucoup d'intérêt. Le droit a une fonction anthropologique et la représentation que l'on s'en fait, le regard porté sur le droit et sur la société évoluent aussi peut-être indépendamment des progrès scientifiques. Nous l'avons vu avec l'AMP. La filiation est un concept qui, lui aussi, n'a pas toujours été linéaire et qui n'a pas toujours été relié à une réalité biologique. Reconsidérer la filiation, reconsidérer le rapport à la nature et au biologique, à leur imitation et leur transposition, ce sont des débats philosophiques, des débats juridiques, des débats symboliques, qui me semblent indispensables à intervalle régulier. C'est aussi un moyen pour le législateur de reprendre un peu du pouvoir qu'il a perdu, parce qu'on sait qu'à une époque, c'était la loi qui régissait les comportements, qui fixait des bornes et des limites. Aujourd'hui, les sources du droit sont beaucoup plus étendues que la seule loi. La loi a même tendance à s'effacer. C'est le retour du droit, le retour de la loi, le retour de la démocratie.
S'agissant du contrôle et de l'évaluation, nous sommes, en tant que députés, des veilleurs. L'article 24 de la Constitution nous donne cette capacité de veiller puisqu'il nous investit d'une mission : contrôler l'application de la loi et évaluer les politiques publiques. Nous sommes dans ce cadre-là. Créer ou non une commission est un autre sujet, mais tout député peut, de son propre chef, au regard de ses contacts avec nos concitoyens, notamment dans sa circonscription, assumer ce rôle de contrôleur et d'évaluateur.
Je suis médecin, mais surtout législateur, donc j'ai quitté ma casquette de médecin depuis quelque temps. Je voudrais vous entendre sur les tests génétiques à visée populationnelle. Tout un chacun peut aujourd'hui – pas en France, parce que c'est interdit –frotter l'intérieur de sa joue et envoyer cela aux États-Unis ou en Israël, ou ailleurs, pour avoir l'information – si on peut dire, car c'est parfois de la désinformation – sur son génome. Je voudrais aussi vous entendre sur la différence entre avancées techniques, avancées scientifiques, et progrès pour la société. S'il n'y avait pas cette réflexion, il n'y aurait pas de loi de bioéthique, par définition. Pour prendre l'image de l'automobile : l'automobile existe et tout le monde veut avoir une automobile. Les tests génétiques existent, et tout le monde veut faire des tests génétiques. La franc-maçonnerie réfléchit-elle sur les conséquences sociétales de ces possibilités, qui sont offertes à toutes et à tous, et qui suscitent un certain nombre de sujets sur lesquels nous, législateurs, devons travailler ? Pour être tout à fait clair, je rappelle que le projet de loi ne prévoit pas d'autoriser la pratique de ces tests génétiques récréatifs.
L'exemple que vous prenez permet de poser en effet la question sous ses deux aspects. Un test réalisé hors de France permet par exemple à une femme qui a été prise en charge pour un cancer du sein de savoir si elle court un risque de récidive et s'il convient ou non de lui administrer une chimiothérapie. Il est clair que, selon qu'elle se trouve dans l'un ou l'autre cas, sa vie est singulièrement différente et que, d'assez bonne foi, les spécialistes français de cette discipline suggèrent – à celles de leurs patientes qui peuvent assumer les frais correspondants, puisque ce n'est pour l'instant pas remboursé – de faire ce choix. Mais cela a une incidence sociale et sociétale parce qu'une femme qui vit avec l'angoisse d'une récidive, une femme qui subit une chimiothérapie et tous les effets indésirables qui lui sont associés, après une chirurgie mutilante, n'a pas la même posture qu'une femme à qui l'on a dit : « la probabilité que vous ayez une récidive est quasiment nulle, vous n'avez pas besoin de chimiothérapie » et « reprenez la vie comme avant, dans la mesure du possible au regard de que ce qu'on a pu reconstruire dans votre silhouette et dans votre image de vous-même » ; ce sont des facteurs d'identité de soi extraordinairement importants. Ces tests ont donc une incidence technique, économique, organisationnelle, sociale et sociétale, parce que le trouble va affecter non seulement la patiente, mais tout son entourage. Cette femme, qui peut devenir une forme d'invalide, qui va développer un malaise ou un mal-être durable, n'a pas dans son environnement personnel la même place que si on lui a annoncé que son cancer était, pardonnez-moi l'expression, « parti dans la poubelle » du chirurgien. Je rappelle que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état complet de bien-être physique, psychique et social. Il faut en revenir à cette promesse. Nous devons évidemment avoir le souci du bien-être de la société. Toute décision qui affecte un patient, que ce soit un enfant né ou à naître ou que ce soit un adulte en fin de vie, est une décision qui affecte non seulement l'individu, mais son entourage immédiat et autour de lui, la société tout entière. Cette dimension n'est pas forcément lisible dans le projet de loi, mais nous voulons espérer qu'elle guidera la plume du législateur – et des rédacteurs d'amendements – au fur et à mesure que le texte législatif progressera.
Monsieur le député, je ne doute pas un seul instant que vous soyez vigilant sur l'application des lois. Je voulais dire que les choix effectués se fondent sur des objectifs : réparer, améliorer, etc. En termes scientifiques, il est important de savoir si ces choix faits par la loi apportent quelque chose et répondent à leurs objectifs. Cela fait partie de la responsabilité dont je parlais tout à l'heure, qui suppose la capacité de revenir en arrière. Je sais que ce n'est pas facile, mais c'est de cette évaluation-là que je parlais.
Pour répondre à votre question, nous faisons bien évidemment une distinction fondamentale entre réparer et augmenter. Cette distinction vaut aussi pour les tests génétiques. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement – comme le disait mon frère – de réparer sur un plan technique, mais aussi de réparer sur un plan social. Le rapport entre la technique et la science est extrêmement complexe : les deux sont totalement imbriquées. Tout scientifique qui travaille dans des domaines très pointus commence par fabriquer ses outils d'évaluation. On passe malgré tout assez souvent par la technique.
Les tests génétiques récréatifs sont à la portée de tout le monde, dans n'importe quelles conditions, mais cela peut poser de grandes difficultés si on les utilise à mauvais escient. Cette technique doit rester prescrite par des médecins dans le cadre du traitement d'une maladie, ou en vue de déterminer si la personne pourrait contracter telle maladie dans un avenir relativement proche.
Votre question montre le seuil très fin entre ce qui est de la prédiction et ce qui est de la prévention. Certains travaux en éthique disent que la prédiction est égale à la prévention. C'est faux. Avec la prédiction, on fabrique de l'incertitude, qui est source d'angoisse et ouvre probablement la voie à des tentations d'eugénisme. Là encore, il nous faut engager une action de pédagogie par rapport à nos citoyens qui font la démarche consistant à donner une goutte de salive pour savoir d'où ils viennent et ce qui pourrait leur tomber sur la tête, afin de leur expliquer que nous ne sommes pas que des gènes. Nous sommes un équilibre tout à fait unique dans un environnement fluctuant ; la normalité n'existe pas, l'équilibre est constant pour chacun, mais cela peut être bouleversé – on le sait, il y a des frères jumeaux qui ne feront pas les mêmes maladies. Il faut expliquer cette subtilité par rapport à ce qui touche le génome. Et peut-être un jour, ces personnes qui ont voulu savoir et qui ne se sont pas interrogées avant d'agir seront victimes sur les réseaux sociaux de leur curiosité. Cela se voit déjà : des personnes sont extrêmement déçues d'avoir reçu des informations qu'elles n'arrivent pas à gérer. Il faut donc conduire un travail de réflexion éthique, même si – je le disais tout à l'heure – il y a probablement des domaines où malheureusement les choses nous échappent.
Nous ne pouvons pas nous borner à l'interdiction pure et à des sanctions pénales, qui d'ailleurs ne sont même pas forcément appliquées. En effet, la pédagogie est essentielle, parce que nos frontières n'arrêtent pas les comportements individuels. Je rejoins la nécessité d'une réflexion internationale – au moins européenne dans un premier temps. À cet égard, la participation aux États généraux de la bioéthique donne matière à encouragements, mais aussi matière à inquiétudes, parce qu'elle devrait quand même être améliorée à l'avenir.
Je voudrais émettre un petit bémol par rapport l'atmosphère de ce qui a été dit. Que la connaissance du génome complet par tout le monde en tout lieu et en tout temps ne soit pas une bonne chose, je le partage aujourd'hui. Peut-être, demain, les solutions techniques seront-elles différentes. Il n'empêche que, pour un certain nombre de pathologies précises, très graves, héréditaires, dont on sait avec certitude qu'elles vont être provoquées par l'expression de gènes – qui dans certains cas, comme la chorée de Huntington, va provoquer la mort –, il me semble fondamental de pouvoir avoir accès à cette connaissance génétique. On voit donc là une zone d'incertitude qui ne peut pas être réglée par une loi ex cathedra, mais qui nécessite à tout le moins un avis médical éclairé. On peut même se demander dans le cadre d'une procréation avec don de gamètes s'il ne serait pas souhaitable, dans les cas où il y aurait un doute, de déterminer le patrimoine génétique du donneur. Imaginez qu'un don de gamètes aboutisse à créer un enfant qui soit porteur de la chorée de Huntington. Où serait la responsabilité ? J'ai dit.
Je voudrais vous poser trois questions très simples. Le projet de loi prévoit une déclaration anticipée de volonté. Que pensez-vous de sa mention sur l'état civil ? Puisqu'il y a la différence que vous savez entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels de par la loi, est-ce une entrave au principe de liberté ?
L'un de vous a dit tout à l'heure que les droits des enfants doivent l'emporter sur ceux des adultes. Il n'est pas prévu dans le texte qu'il y ait un double consentement du donneur à la révélation de son identité. Ne pensez-vous pas que l'on pourrait dire à un donneur de choisir et, s'il accepte qu'on lève l'anonymat, lui laisser, après quelques années, la possibilité de se rétracter, au nom de la liberté individuelle ?
Tout à l'heure, quelqu'un a parlé des principes républicains et a associé à ces trois principes que nous connaissons bien le mot « responsabilité ». Ce projet de loi a-t-il vocation à générer plus de responsabilité dans la société ?
Ma première question concerne l'intelligence artificielle, que le texte prévoit d'encadrer, l'idée étant de garantir la présence, l'interprétation humaine. Est-ce que cet encadrement vous paraît satisfaisant ? Conviendrait-il d'aller plus loin et d'en renforcer certains aspects ?
Ce que vous avez dit sur la différence entre prédiction et prévention fait penser à l'un des points du texte qui concerne justement l'examen des caractéristiques génétiques et la façon de gérer les données incidentes. Là encore, un équilibre est recherché entre l'utilité d'accéder à l'information, pour des raisons médicales, et le droit de ne pas savoir. Est-ce que cet encadrement vous paraît suffisant pour garantir la volonté de ceux qui avaient procédé initialement à cet examen ?
Madame Le Forestier, vous avez évoqué la distinction entre la prédiction et la prévention. Votre réponse incite à développer la pédagogie. Pensez-vous que la loi n'a pas besoin de fixer des limites à la médecine prédictive qui permettraient de protéger les patients, surtout si elle peut générer des erreurs, faute d'un déterminisme statistique biaisé, et par conséquent de l'angoisse et du mal-être ?
Concernant l'article 6, vous préconisez l'âge de 13 ans comme plancher pour les dons des mineurs aux parents. Dans une audition précédente, l'âge de 16 ans est apparu. Pourquoi 13 ans et pas 14, 15, ou 16 ?
L'âge de 13 ans était ressorti de notre commission bioéthique. Et j'ai dit 13 ans à titre d'exemple. On peut tout à fait discuter : est-ce que c'est 15 ans ? Est-ce que c'est 16 ans ? Les jeunes sont de plus en plus précoces. Peut-être faudra-t-il demander aux pédopsychiatres de nous aider à placer le curseur.
Je ne me suis probablement pas bien expliquée : je pense que la prédiction est un faux ami et que nous pouvons faire de la prévention sans forcément passer par de la prédiction. Il nous faut dire à nos citoyens que nous ne sommes pas qu'un patrimoine génétique. : nous sommes une histoire ; nous sommes un environnement ; nous sommes une accessibilité à des réseaux, etc. Comme il a été dit tout à l'heure, on ne peut pas légiférer sur tout. Il faut reconnaître que ce « vouloir savoir » trouve aujourd'hui un exutoire international. On va voir ce que cela va donner. Je pense que nous allons être très vite entourés de personnes qui vont pouvoir nous dire si cela a créé une valeur ajoutée dans leur vie. Pour ma part, les retours que j'ai sont assez dramatiques. Si les comportements dans la société nous échappent quand même, il nous restera d'avoir fait un beau travail comme celui-ci, qui passe par le fait d'expliquer que nous protégeons de ce qui pourrait être très violent.
Sur l'enregistrement de l'activité cérébrale, je pense que vous n'êtes pas naïfs : vous devez savoir que tout un chacun peut s'inscrire dans les congrès de neurosciences, notamment ceux qui étudient les comportements, l'imagerie fonctionnelle. Cela fait des années que des spécialistes du marketing s'inscrivent à ces congrès : ils ont parfaitement compris comment on pouvait éventuellement modifier le libre arbitre. Tout le monde peut venir à nos congrès, y compris les spécialistes des manipulations du choix.
L'article 12 nous « ennuie » un petit peu car, si l'imagerie fonctionnelle devenait fiable, elle pourrait être mise entre les mains des juges, à des fins judiciaires. Nous demandons que ce soit clarifié, parce que cela nous paraît dangereux : l'intimité de nos pensées reste le dernier lieu de notre liberté individuelle.
Je ne sais pas si cela va répondre à votre question, mais nous nous sommes interrogés sur les déclarations de Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui a annoncé récemment que la mention portée sur l'acte de naissance des enfants nés dans le cadre de l'AMP – ou de la PMA, comme on voudra… – sera « mère et mère ». Cela nous paraît poser bien plus de problèmes que cela n'en règle. Cette formulation peut se concevoir peut-être au plan administratif, mais elle n'a strictement aucun sens au plan scientifique, parce qu'un enfant reste le fruit de l'union d'un gamète masculin, venant d'un père, et d'un gamète féminin, venant d'une mère – le père, dans un couple ou pas, la mère dans un couple ou pas, mais en tout cas d'un père et d'une mère. La dénomination « mère et mère », même si la garde des Sceaux a dit : « il y aura, dans le premier, “la mère qui” et la deuxième mère sera “la mère que” ». Tout cela manque de vraisemblance et est parfaitement malencontreux, parce que cela pourrait laisser entendre qu'un enfant pourrait être conçu par l'union de deux ovocytes et évidemment, cela pose un problème éthique et phylogénique, ou phylogénétique, comme on voudra, qui paraît absent totalement des décisions de Mme la garde des Sceaux. L'appellation « mère et mère » nous paraît poser problème pour l'état civil.
La question portant sur l'intelligence artificielle me donne l'occasion de soulever un sujet qui agite les congrès, auxquels je participe très activement. Aujourd'hui, il existe des logiciels, commerciaux ou pas, qui sont capables de lire en une seconde 360 pages de revues scientifiques dans des langues diverses. Nous avons beau, mes confrères ici présents, lire beaucoup, lire souvent, lire vite, personne n'est capable de lire le centième, le millième de cela. Il est clair que certaines machines peuvent accéder à des éléments de conclusion. On sait que dans la lecture de certains tracés d'électrocardiogramme, d'électroencéphalogrammes ou d'imagerie médicale, la machine peut faire mieux que les tout meilleurs experts. Très bien. Mais si la machine conclut, après avoir lu, qu'il convient d'adopter telle solution et que le professionnel de santé, fort d'une expérience de 10, 15, 20 ou 30 ans, dit : « non, je ne vois pas les choses comme cela, je vais faire autrement », si les choses se passent mal pour le patient, et que l'on vienne chercher une responsabilité, comment ne dirait-on pas au professionnel de santé – sauf si la loi a prévu autrement : « la machine qui a compilé des milliers de pages du savoir mondial sur le sujet avait dit qu'il fallait faire blanc et vous avez choisi de faire noir. Vous avez eu tort. » La question de la responsabilité – souvenons-nous de « liberté, égalité, fraternité, responsabilité » – se trouve posée et il faut que le législateur ait prévu les voies et moyens par lesquels est établi le partage de responsabilité : qui arbitrera entre un algorithme bien fichu et quarante années d'expérience ?
Sur l'intelligence artificielle – que je place entre guillemets, parce que cette qualification est souvent approximative – je relève que la question de la responsabilité du praticien avait été envisagée par le rapport d'information que j'évoquais tout à l'heure : la proposition numéro 42 précisait qu'une faute ne devrait pas pouvoir être établie du seul fait que le praticien n'aurait pas suivi la recommandation d'un algorithme, quand bien même celle-ci se révélerait exacte. Cela n'a pas été retenu dans le projet, à l'instar des 13 propositions sur les 60 que le rapport formulait. Les trois dispositions de l'article 11 me paraissent un peu minces sur ce sujet.
On parle un peu dans ce texte d'intelligence artificielle, mais on en parle très à la marge, et je pense que ce n'est pas le lieu pour traiter du sujet de l'intelligence artificielle, qui a une tout autre ampleur et que du reste, l'on connaît relativement mal, l'on maîtrise encore mal. Le projet est pour l'essentiel orienté vers la PMA, et plus globalement vers la biologie. L'intelligence artificielle a des retombées en médecine, c'est évident, mais elle est d'abord quelque chose de mathématique, d'informatique, qui a des retombées dans toute la société. Je ne pense pas que l'on puisse traiter dans le même projet de loi des avancées sur des problèmes bioéthiques et des réflexions qu'à mon sens, on ne peut pas encore mener sur les problèmes de l'intelligence artificielle et de son impact sur la société. J'ai dit.
Il est extrêmement important d'insister sur le thème de la responsabilité. On a parlé de la responsabilité du scientifique, cela vient d'être souligné. Mais la responsabilité est également du ressort du citoyen. On voit bien comment évolue notre société, vers toujours plus d'individualisme. On revient donc sur la question de la pédagogie qui a déjà été soulevée. Je pense qu'il y aurait quelque chose à renforcer à cette fin dans les textes de loi, parce qu'invoquer la responsabilité du citoyen est probablement quelque chose de très longue haleine, et il faut agir tout de suite.
On a l'habitude de dire que ce qu'il y a de plus important dans l'intelligence artificielle, c'est le côté artificiel. C'est un peu facile, mais cette intelligence artificielle est extrêmement importante pour nous, parce qu'il y a un énorme risque pour l'autonomie du citoyen, pour l'intimité et la vie privée. L'intelligence artificielle pose la problématique des données, de la conservation des données.
Aujourd'hui, nous parlons de PMA pour toutes, de tests génétiques, de médecine préventive, d'utilisation de cellules souches, de don d'organes, etc. Je crois que pour votre réflexion philosophique et humaniste, il n'y a aucune limite à la recherche de la vérité. Mais ne pensez-vous pas que dans l'élaboration d'une loi de bioéthique, le législateur ne doit pas observer des règles et des limites infranchissables ? Je pense notamment à deux débats : d'une part la nécessité ou pas de la présence du père dans la procréation ; d'autre part, l'utilisation de tests génétiques sur l'embryon face au risque d'eugénisme. Sur ces deux points, y a-t-il des limites que nous ne devons pas dépasser ? Et si oui, comment exercer le contrôle nécessaire ?
On célèbre un peu partout en France les 500 ans de la mort de Léonard de Vinci qui a vécu à la Renaissance, temps de l'humanisme. Est-ce que vous diriez que nous sommes actuellement dans une période de renaissance ? Du fait de toutes les données que nous avons aujourd'hui, de l'explosion des connaissances, de l'information nombreuse et variée qui est tous les jours dans les médias, nous n'avons plus le temps de tout lire, plus le temps de tout regarder. Aujourd'hui, un médecin a de grandes difficultés à se mettre à la page après qu'il a validé son mémoire et sa thèse. Faut-il y mettre dans cette intelligence artificielle dont vous avez souligné les dangers, mais également les possibilités, un peu plus de main humaine, c'est-à-dire d'esprit humain ? Quelque part, c'est une façon de prolonger notre capacité à humaniser les choses.
Les lois de bioéthique que nous révisons tous les cinq ans vont-elles apparaître très vite dépassées ? Tout à l'heure nous recevions un responsable de culte qui disait qu'en réalité, dès qu'un texte sort d'ici, il est déjà périmé. Est-ce que nous sommes toujours derrière, pas devant, est-ce que nous ne sommes que des suivistes ? Est-ce que les lois de bioéthique sont les fils de leur temps, donc en retard ? Je voudrais avoir votre avis sur cet humanisme qu'il faut peut-être réinventer par rapport à ce qui se faisait il y a 500 ans. Nous voyons bien l'évolution, mais l'espoir est là.
Comment analyser le principe du consentement au regard de l'explosion de l'information ? Cela m'interpelle, car nous savons que le consentement doit être, notamment en médecine, basé sur une information claire, loyale, appropriée – c'est l'article 36 du code de déontologie médicale. Aujourd'hui, comment donner une information claire, loyale et appropriée ?
La note conclusive que nous vous remettrons tout à l'heure fait justement référence à un certain nombre d'interrogations que l'on pourrait qualifier de philosophiques. En effet, les obédiences maçonniques, par définition, s'intègrent dans une réflexion philosophique. Elles pratiquent une initiation, mais l'initiation n'est que l'une des facettes des initiations philosophiques. Il faut s'en tenir à quelques invariants culturels qui nous viennent de la Renaissance et du Siècle des Lumières. L'invariant culturel fondamental, c'est que toute recherche scientifique est légitime, toute recherche technique est légitime. En revanche, l'application d'une recherche scientifique et l'application d'un résultat technique n'est pas forcément légitime, parce que cela peut être en opposition avec des valeurs éthiques fondamentales. Une technique qui marche bien dans l'absolu peut être condamnable éthiquement parce qu'elle ne correspond pas aux invariants culturels qui structurent notre société. Quand je dis notre société, je parle des sociétés occidentales européanisées. Peut-être que pour d'autres sociétés, les problèmes se posent de manière un peu différente – je pense en particulier à ce que l'on a pu voir en Chine où, par exemple, le clonage humain semblait une possibilité ouverte. Dans notre esprit, le clonage est un interdit absolu. C'est la raison pour laquelle nous avons fait référence au fait d'appeler « mère et mère » quelque chose qui est techniquement possible, car il est techniquement possible de faire un enfant avec uniquement des XX, alors que, dans notre culture, la naissance d'un enfant résulte toujours de l'union de XX et XY, avec le choix aléatoire qui en résulte. Mais il est tout à fait possible de faire un enfant à partir de deux XX. Le clonage humain à partir des cellules d'une mère isolée va aussi devenir techniquement possible. Ce qui est techniquement possible peut être condamnable sur le plan éthique. Je pense que c'est la raison pour laquelle nous avons insisté sur les aspects philosophiques, prioritaires – de même que, j'imagine, les représentants des différents cultes ont insisté sur les aspects religieux qui conditionnent le fait de savoir si l'on peut cultiver des cellules embryonnaires ou faire des expériences sur les embryons. Les choses sont différentes en fonction des religions des uns et des autres. Il me semble que dans la religion chrétienne – ce n'est pas ma tradition –, l'embryon est définitivement fixé dès la fusion du spermatozoïde et de l'ovocyte. Dans la tradition hébraïque, ce n'est qu'au quarantième jour que cela survient. Les variations culturelles peuvent expliquer les prises de position de tel ou tel. En ce qui nous concerne, nous pensons qu'avant toute modification législative importante, il faut avoir une réflexion philosophique, et qu'une fois la loi mise en place, il faut pouvoir en surveiller l'application pratique et les dérives, mais aussi pouvoir s'approprier les difficultés que provoque cette nouvelle législation.
Un mot par rapport à l'intelligence artificielle et à ce qui restera de nos carrières. Vous avez pu lire ce qu'ont écrit sur ce sujet deux chirurgiens urologues, Laurent Alexandre et Guy Vallancien, qui s'intéressent beaucoup à ces sujets et qui les connaissent fort bien. Guy Vallancien, à qui nous devons de nombreuses contributions sur l'intelligence artificielle, dit : « les médecins, en tout cas les spécialistes, disparaîtront possiblement dans les prochaines décennies » parce que, comme cela a été dit tout à l'heure, les machines feront tel ou tel acte, liront telle ou telle image plus vite et mieux. Ce n'est pas tout à fait vrai, naturellement, c'est une caricature, mais une partie de leur activité sera remplacée par les machines. Sauf qu'une machine ne sait pas rassurer. Une machine ne sait pas avoir d'empathie. Une machine ne sait pas – c'était la question de M. Marilossian – lire la détresse dans les yeux d'un patient et lui apporter une réponse appropriée. Si par hasard la machine sait le faire, cela ne serait que parce qu'on l'aurait programmée pour cela, et non par une réaction spontanée qui viendrait de sa conscience et de ses valeurs, pour la raison très simple qu'une machine, si sophistiquée soit-elle, n'a pas intrinsèquement de valeurs. Elle ne peut être porteuse que de celles qu'on lui aura implantées, c'est-à-dire un modèle répétitif, décliné de manière subtile, à l'infini, mais rien de ce qui ressemble à notre spontanéité, à notre spiritualité, qu'elle soit religieuse ou pas. C'est pourquoi vous avez entendu une forme d'unanimité – cela peut en surprendre quelques-uns – dans les points de vue qui vous ont été présentés. Même si notre sensibilité se nourrit à des sources différentes, nous exprimons globalement la même préoccupation : c'est placer l'homme, l'humain – l'homme qui est dans 51 % des cas une femme – au centre de nos préoccupations et la conscience au centre du débat. Il ne faudrait pas que, dans un texte technique, disparaisse cette dimension humaine – plus que philosophique – qu'on appelle l'humanisme – et le terme ne vaut que ce qu'il vaut. Vous avez le devoir de garder cette dimension de conscience au-delà de la régulation technique qui par ailleurs vous incombe, puisqu'il faut bien que vous l'encadriez par les textes.
Nous allons terminer sur cette parole. Mesdames et messieurs, il me reste à vous remercier d'avoir participé à cette audition, d'avoir répondu aux questions de mes collègues, d'avoir nourri et enrichi nos réflexions sur ce projet de loi relatif à la bioéthique.
L'audition s'achève à dix-neuf heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique
Réunion du jeudi 29 août à 17 heures
Présents. – M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Pascal Brindeau, M. Francis Chouat, Mme Bérangère Couillard, Mme Coralie Dubost, M. Jean-François Eliaou, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Bruno Fuchs, M. Raphaël Gérard, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Brahim Hammouche, Mme Marie Lebec, M. Jacques Marilossian, M. Didier Martin, Mme Bénédicte Pételle, M. Jean-Pierre Pont, Mme Florence Provendier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Pierre Vatin, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Philippe Vigier
Excusés. - Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Gosselin