Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mardi 3 septembre 2019 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Vous indiquez qu'il n'est pas opportun de rechercher le donneur – du régime actuel – pour connaître l'éventuelle évolution de son point de vue et savoir si l'on peut garder ses spermatozoïdes pour les utiliser demain. Il faudrait éviter les interrogations que cela pourrait leur causer. Voyez-vous un autre moyen pour avoir la réponse que de leur poser la question ? Vous voudriez qu'ils se présentent d'eux-mêmes. Je peux vous dire une chose d'expérience, fondée sur ce que nous connaissons des situations comparables pour les familles de donneurs d'organes ou les donneurs vivants d'organes : en disant aux gens de se manifester spontanément, c'est déjà un grand succès quand se manifeste une personne concernée sur dix. Si nous voulons avoir la réponse des donneurs, je ne connais pas d'autres moyens que de les contacter. Nous leur rappellerions qu'ils ont donné sous un régime leur assurant l'anonymat et nous nous dirions prêts à conserver pour eux cette règle s'ils le souhaitent, mais que, la loi ayant changé, leurs gamètes ne pourront pas être utilisés à l'avenir. Nous leur demanderions ensuite s'ils seraient d'accord avec les règles de demain afin de pouvoir continuer d'utiliser leurs gamètes. Cela vous paraît-il choquant ? Je ne crois pas à la mobilisation spontanée des anciens donneurs d'il y a vingt-cinq ou trente ans. Cela ne me paraît pas très réaliste. Beaucoup auront même oublié ce don.

Ma deuxième question prolonge les échanges que vous avez eus avec Mme Dubost sur la filiation. Que pensez-vous du traitement différencié que prévoit le texte entre les couples homosexuels et hétérosexuels ? Cela nous pose problème. Je ne dis pas que nous privilégions une solution à une autre, mais le fait d'instaurer un mode d'attribution de la filiation très différent, du moins sur le plan symbolique, nous embarrasse. Cela donne l'impression d'un traitement différent entre les couples homosexuels et hétérosexuels, DAV pour les uns et un système basé sur la « vraisemblance biologique » pour les autres, en faisant « comme si » le père était le donneur effectif de gamètes.

Vous avez dit que la DAV enlèverait toute liberté aux parents. Ce n'est pas si certain. Tout dépend du mot inscrit sur l'acte d'état civil. S'il est fait mention d'une « déclaration anticipée de volonté », dans la plupart des cas cette expression ne va pas beaucoup inquiéter un garçon de dix-neuf ans confronté par hasard à son acte intégral – cela arrive d'ailleurs très rarement. En ce qui me concerne, je n'ai toujours pas regardé le mien alors que j'ai un peu plus de dix-neuf ans.

Que pensez-vous de la PMA post mortem et comment la sécuriser ? Jusqu'à présent, le seul argument qui a été opposé à l'ouverture de la PMA post mortem est qu'elle risquait d'inciter les femmes seules à solliciter des PMA. Dès lors que nous ouvrons la PMA aux femmes seules, la logique commande d'abolir l'interdiction de la PMA post mortem. Qu'en pensez-vous ? Comment verriez-vous cette évolution et quelles seraient les précautions à adopter ?

J'en viens à mon dernier point. Je suis d'accord avec ce que vous avez indiqué quant aux conséquences qu'aurait sur la jurisprudence le fait de considérer que la mère n'est plus forcément la femme qui accouche. Quand il y a deux mères en effet, l'une n'a pas accouché : c'est la mère d'intention. Vous avez donc raison, mais ce n'est pas forcément à craindre car cela permettrait de résoudre certaines situations pour des enfants nés de GPA à l'étranger, sans pour autant inciter d'une quelconque manière à la GPA puisqu'elle est interdite en France. Ces enfants nés de GPA ont pour l'instant des mères reconnues dans le pays où elle a été pratiquée, mais qui, revenant en France, ne sont pas reconnues comme mères puisque n'ayant pas accouché. Celles-ci doivent entreprendre une procédure d'adoption, avec tous les aléas que cela comporte. J'ajoute que cette procédure est humiliante à tous égards, pour les parents comme pour les enfants. Ne serait-ce pas le moment de saisir une opportunité en soulignant que nous avons changé de modèle, que la mère est souvent celle qui accouche, mais qu'elle peut aussi être une mère qui se déclare d'intention ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.