COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE
Mardi 3 septembre 2019
L'audition débute à quinze heures.
(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)
La commission spéciale procède à l'audition de Mme Domitille Duval-Arnould, conseillère à la première chambre civile de la Cour de cassation, M. Patrick Poirret, premier avocat général à la première chambre civile, et Mme Caroline Azar, conseillère référendaire à la première chambre civile.
Mes chers collègues, je vous propose de reprendre le cours de notre programme d'auditions en accueillant en ce début d'après-midi la Cour de cassation, dont la délégation réunit le siège et le parquet. Je souhaite la bienvenue à M. Patrick Poirret, premier avocat général à la première chambre civile, Mme Domitille Duval-Arnould, conseillère à la première chambre civile, et Mme Caroline Azar, conseillère référendaire à la première chambre civile. Il vous a été indiqué que l'audition porterait sur les articles 3 et 4 du projet de loi. Ils concernent respectivement l'accès aux origines des personnes nées d'assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur et les modalités d'établissement de la filiation pour les personnes nées d'AMP dans le cadre d'un couple de femmes.
La commission sera naturellement très attentive aux observations que vous ferez et aux suggestions que vous pourrez formuler au nom de la plus haute instance française chargée de dire le droit.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés membres de la commission, je vous remercie de nous associer à votre réflexion.
La Cour de cassation ayant été interrogée sur les articles 3 et 4, mes propos se limiteront auxdits articles. J'évoquerai quelques points essentiels de la note commune que nous vous avons transmise. Nous pourrons bien sûr ensuite répondre à vos questions et examiner d'autres points de cette note.
L'article 3 vise à permettre à l'enfant conçu dans le cadre d'une AMP avec recours à un tiers donneur d'accéder aux informations non identifiantes relatives au donneur, ainsi qu'à son identité. Il fait donc prévaloir le droit de l'enfant à connaître ses origines sur le droit au respect de la vie privée du donneur. Il confère ce droit à tout enfant pourvu qu'il ait connaissance des conditions de sa conception, et notamment qu'il est issu d'un don. Il prévoit certaines garanties, qui tiennent essentiellement au fait que l'exercice de ce droit d'accès n'a pas d'effet sur l'état civil et la filiation. Le principe de l'anonymat du don est par ailleurs maintenu, et le projet de loi prévoit un recueil du consentement du donneur et une procédure sécurisée d'accès de l'enfant à sa majorité. Est également prévue la protection des personnes ayant préalablement effectué un don de gamètes avant l'entrée en vigueur de la loi.
Cependant, la possibilité d'une communication à l'enfant de l'identité du donneur conduit en pratique à ne garantir l'anonymat du don que lors du don, puis durant toute la minorité de l'enfant. Même en l'absence de création de tout lien juridique, cette communication suffit à donner à l'enfant la possibilité d'entrer en contact avec son donneur ou de rechercher et de contacter les membres de son entourage. Cela pourrait créer certains bouleversements. Cet accès pourrait être redouté par le donneur, d'autant qu'il peut survenir des années après un don, et avoir un effet dissuasif. À l'heure où s'envisage un élargissement de l'AMP, supposant un plus grand nombre de dons, nous pouvons nous interroger sur les répercussions que pourrait avoir l'obligation faite au donneur d'accepter de communiquer son identité, outre des informations non identifiantes. Au vu des garanties apportées par le projet, nous jugeons néanmoins que cette prise de risque relève d'un choix politique. Il est vrai également que, compte tenu de l'essor des tests génétiques, un donneur peut d'ores et déjà s'attendre à être identifié un jour ou l'autre en dehors de tout cadre légal. Il est donc peut-être préférable de prévoir et d'organiser un tel accès.
Dès lors que la communication des données non identifiantes et de l'identité est une condition nécessaire et un préalable du don, il nous semble important d'affirmer que ce consentement est irrévocable à compter de l'utilisation des gamètes, et notamment que le décès du tiers donneur est sans incidence sur la communication. Cela découle en principe de l'irrévocabilité, mais il serait peut-être bon de le préciser.
La conservation des données par l'Agence de la biomédecine (ABM) et le recours à une commission spécifique nous paraissent être une bonne solution pour protéger les données et garantir l'accès de l'enfant à ses origines. Pour dire vrai, nous nous sommes interrogés sur le nombre très élevé de membres de la commission – j'ai vu qu'il y avait 16 membres et un partage des voix organisé. Cette commission se borne pourtant à transmettre les informations non identifiantes ou l'identité. Nous n'avons pas vu dans le texte qu'elle aurait un pouvoir d'appréciation ou de décision.
Il nous semble aussi que la situation des majeurs protégés sollicitant l'accès aux données pourrait être précisée.
S'agissant des dons effectués avec l'entrée en vigueur de la loi, il faudrait privilégier, comme le projet de loi le prévoit, une démarche volontaire du donneur, un anonymat absolu et définitif lui ayant été garanti lors du don. Cela nous paraît faire obstacle à toute initiative des autorités tendant à lui demander s'il est d'accord pour lever son anonymat. Il nous paraîtrait aussi utile de clarifier les conditions de ces manifestations en donnant expressément au donneur la possibilité de communiquer, outre son identité, des informations non identifiantes, l'idée étant d'essayer de favoriser la transmission d'informations – sans cependant bloquer d'éventuelles transmissions en couplant forcément les deux. Nous trouvons que le projet n'est pas tout à fait clair sur ce point.
Nous avons quelques autres observations sur certaines dispositions de l'article 3, notamment la date d'application du nouveau régime. Je vous propose cependant de passer à l'article 4.
L'article 4 règle les conséquences sur le plan de la filiation de l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées.
Cette ouverture relève à notre sens d'un choix politique. Le principe d'égalité n'impose pas cette ouverture, dès lors que les couples hétérosexuels sont au regard de la procréation placés dans une situation différente de celle des couples du même sexe ou de celle des femmes non mariées. Cette ouverture nécessite de modifier quelque peu les conditions d'établissement de la filiation, avec des dispositions spécifiques.
Le projet prévoit de créer un titre VII bis concernant uniquement les couples de femmes. Il écarte l'option d'un titre unique avec les couples hétérosexuels ayant recours à une AMP avec tiers donneur. Dans cette hypothèse, les couples hétérosexuels recourant à un don demeurent soumis aux dispositions générales du titre VII du code civil, selon lesquelles le mari est présumé être le père et, dans les cas de couple hors mariage, le père reconnaît l'enfant.
En l'état, cette option nous paraît devoir être approuvée – il est possible d'hésiter – car dans le cas d'un couple hétérosexuel, l'enfant peut bénéficier d'une filiation fondée sur la vraisemblance biologique. Ce choix présente cependant un inconvénient notable, celui de ne pas garantir à l'enfant d'un tel couple qu'il aura connaissance du recours à un tiers donneur et qu'il sera en mesure d'accéder à ses origines. Cela limite un peu les effets de l'article 3. Ceci étant dit, ce choix présente d'autres avantages et en l'espèce, tout est question d'équilibre : il préserve la liberté des parents de choisir ou non de révéler le mode de conception de l'enfant, et les modalités d'information, et il éviter de révéler à des tiers les conditions de la conception de l'enfant et l'infertilité du couple.
Pour l'établissement de la filiation des enfants nés dans un couple de femmes, le recours à une déclaration commune et anticipée remise à l'officier d'état civil à la naissance nous paraît une modalité intéressante. Elle permet de sceller la filiation de l'enfant en lui garantissant un double lien de filiation. Elle nous paraît en tout cas devoir être privilégiée à une filiation adoptive. L'adoption présente toujours un certain aléa : il faut un jugement ; il faut le consentement du parent biologique, qu'il n'est pas du tout évident d'obtenir en cas de séparation d'un couple ; ajoutons à ces réserves que cela suppose certains délais.
La filiation serait donc établie par déclaration de volonté. Cela peut fragiliser quelque peu notre jurisprudence en matière de gestation pour autrui (GPA) sur la transcription des actes d'état civil des enfants nés à l'étranger. Notre droit pose une interdiction de principe de la GPA, mais la Cour de cassation est saisie de ces problèmes de transcription. En l'absence d'autre texte, elle est obligée de faire application de l'article 47 du code civil – il s'agit d'une disposition extrêmement générale sur la force probante des actes de l'état civil – et elle n'autorise que la transcription des actes qui traduisent des faits correspondants à la réalité. Jusqu'à présent, s'agissant de la désignation de la mère, nous avons considéré comme réalité celle de l'accouchement. La Cour de cassation a donc admis la transcription d'actes de naissance mentionnant un père biologique et une femme qui avait accouché, en considérant que ces actes étaient conformes à la réalité. Elle a par contre refusé la transcription d'actes de naissance qui mentionnaient une mère d'intention, et non la mère qui avait accouché, considérant que ces actes n'étaient pas conformes à la réalité. Cela s'accompagne de l'ouverture à la seconde femme de la voie de l'adoption si les conditions sont réunies et que nous les considérons conformes à l'intérêt de l'enfant.
Les dispositions envisagées pour les couples de femmes conduisent à admettre qu'il est possible d'être mère par simple déclaration d'intention, et plus seulement par accouchement ou par adoption. C'est une évolution notable. Elle nous semble pouvoir avoir des conséquences sur notre jurisprudence en matière de GPA.
Nous avons également constaté que l'article 4 ne prévoyait pas de dispositions spécifiques à l'égard de la femme seule non mariée qui sollicite une AMP et qui agit dans le cadre d'un projet purement personnel. Cette situation ouvre la voie à une reconnaissance par un père qui, par hypothèse, ne sera pas le père biologique. Cela peut paraître un peu paradoxal. D'un côté, nous valoriserions l'accès de l'enfant à ses origines. De l'autre, nous permettrions l'effacement par une reconnaissance par un tiers. Une filiation adoptive aurait peut-être été un bon choix, plus adapté à un tel cas de figure, en ceci qu'elle permet de mieux sécuriser le lien de filiation. La mère peut tout à fait faire écarter par une action en contestation le père qui, par hypothèse, n'est pas le père biologique et qui reconnaît l'enfant. La filiation de cet enfant dépendrait finalement de la seule volonté de la mère. En revanche, l'adoption de l'enfant par ce père serait conforme au projet personnel de la mère, tout en nous semblant plus conforme à l'intérêt de l'enfant.
Nous avons émis d'autres observations sur l'article 4, par exemple sur la possibilité d'une insémination post mortem ou les cas d'absence de remise d'une déclaration anticipée de volonté (DAV). Je vous ai présenté une synthèse de notre note. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour répondre à vos questions.
L'étendue des questions est vaste. Il y a effectivement des nouveautés dans le projet de loi.
Le problème que vous évoquez quant aux conditions d'établissement de la filiation pour la femme seule et non mariée a été soulevé dans d'autres auditions, sous d'autres formes, notamment par les associations représentant les mamans « solo ». Elles demandent que soit prévu un mécanisme qui exclut l'hypothèse de reconnaissance de paternité par un homme dans un projet parental que ces femmes auraient volontairement porté seules, et qui scelle donc aussi la filiation par déclaration d'intention, qui n'est pas biologique. Serait-il pertinent de prévoir un tel mécanisme protecteur spécifique qui permettrait d'ailleurs, avec leur accord, d'établir un jour une autre filiation – qui ne serait pas forcément une adoption mais pourrait s'approcher du consentement au don que nous connaissons aujourd'hui dans les AMP concernant les couples hétérosexuels, afin d'établir un mécanisme sécurisant ?
Je m'interroge sur les bénéfices de la DAV que le texte prévoit actuellement d'inscrire dans un titre VII bis réservé aux familles homoparentales. En quoi ses effets sont-ils différents de ceux du dispositif applicable aux couples hétérosexuels non mariés autour d'un consentement au don, d'une reconnaissance et du régime particulier de l'article 311-20 – qui dit qu'une fois la filiation établie, elle ne peut pas être contestée, sauf à prouver que l'enfant n'est pas issu de l'AMP ? Avons-nous les mêmes protections, ou voyez-vous des différences ? Que pensez-vous du fait que la DAV vienne en quelque sorte « gommer » l'accouchement en tant que source de filiation ? La DAV met en effet les deux mères sur un strict plan d'égalité – ce qui est un avantage en soi. Quelles conséquences pouvons-nous en tirer, notamment eu égard à ce que vous avez dit quant au contentieux de la GPA ?
J'ai bien entendu vos propos sur l'équilibre entre le droit à l'identité et le droit au respect de la vie privée. Dans une perspective juridique – et non sociale –, y a-t-il une distinction entre les enfants, par la mention de leur mode de conception à l'état civil ou par l'effet plus ou moins incitatif du droit à l'égard de certains enfants pour leur permettre de connaître leurs origines ? Serait-il préférable de décorréler ce sujet de celui de la filiation et de le traiter spécifiquement, avec un mécanisme valable pour tous et avec une même gradation dans l'accès aux origines ? Une gradation entre l'accès à des données non identifiantes avant la majorité – possiblement transmises aux parents ou aux médecins – et à des données identifiantes après la majorité est-elle acceptable en droit ? Est-ce que ce serait une atteinte supplémentaire au droit des parents, si les données non identifiantes leur étaient transmises ?
Les dispositions organisant la DAV permettent-elles de gérer l'hypothèse où la mère qui n'aurait pas porté l'enfant ne transmettrait pas la DAV à l'officier d'état-civil ? Il n'y aurait alors qu'une mère, semble-t-il. Vingt ans ou trente ans plus tard, l'enfant devenu adulte qui tomberait par hasard sur le document pourrait-il, se disant qu'il a une deuxième mère, au moins d'intention, transmettre le document à l'officier d'état civil ?
(Il n'y a plus de passage devant le procureur, à l'inverse des couples hétérosexuels dans le cadre d'une AMP.)
Sans avoir jamais connu la deuxième personne, il ferait rectifier son acte d'état civil pour l'y inscrire. Qu'en pensez-vous ?
Pour établir un lien de filiation dans une famille composée d'une femme non mariée, il est vrai que nous avons plutôt réfléchi à l'adoption. Elle nous paraît a priori la solution la plus protectrice et surtout, la plus conforme à la réalité. L'enfant garde son histoire personnelle. Tout est transparent.
Non, je pensais justement à l'établissement d'une filiation paternelle.
Effectivement. Ce n'est pas évident à mettre en œuvre. Alors que le projet parental initial était un projet personnel, cela évite d'avoir une reconnaissance de quelqu'un qui compte peut-être un jour dans la vie de l'enfant, mais qui peut être très facilement écarté par la mère. C'est pourquoi nous estimions préférable de sécuriser de cette façon une filiation paternelle ultérieure.
Cette réflexion est issue d'une situation contentieuse dans les familles hétérosexuelles non mariées où un homme décide de reconnaître et d'élever un enfant qui n'est biologiquement pas le sien et où la mère peut faire tomber la paternité en la contestant sur une preuve biologique. Est-ce un contentieux que vous avez régulièrement ?
Je ne dirais pas « régulièrement ». La reconnaissance peut être attaquée par la voie d'une action en contestation. La preuve reine est la preuve biologique. Il est vrai que nous connaissons ces cas de reconnaissances de complaisance, qui peuvent être fragilisées par une action en contestation avec demande d'expertise génétique. Il y a cependant une différence car, ici, dès le départ, nous avons admis un système. C'est pourquoi il y a un paradoxe à vouloir ouvrir l'accès aux origines tout en permettant l'effacement des origines, puisque dans cette situation, cette femme pourra prévoir un père pour cet enfant, puis le lui retirer. Si cela existe déjà dans le cadre des reconnaissances de complaisance, nous savons ici dès le départ qu'il n'y a pas de père biologique : il n'y a qu'un donneur.
C'est un choix politique. Il s'agit de savoir ce que nous voulons pour cet enfant. Si nous voulons que sa situation soit conforme à son vécu, il faut privilégier l'adoption. La voie de l'adoption est ouverte par le texte, mais celle de la reconnaissance l'est également. Ne serait-il pas plus conforme au vécu de l'enfant de ne laisser ouverte que la seule voie de l'adoption ? C'est la question que nous posons.
Des choix sont aussi possibles sur d'autres sujets. Nous nous sommes demandé s'il fallait faire un titre spécifique pour l'AMP qui intégrerait les couples hétérosexuels et ceux de même sexe, ou s'il fallait faire un titre spécifique pour l'AMP chez les couples de femmes. D'autres solutions peuvent encore s'envisager. Nous pourrions aussi modifier l'article 311-20 pour l'appliquer aux couples de femmes, car cet article prévoit déjà un consentement à l'AMP. Il faudrait alors prévoir un mode d'établissement de la filiation maternelle de la mère d'intention, ce que l'article ne prévoit pas actuellement. Ce ne serait pas forcément une DAV. Il y a sûrement d'autres modalités, mais il faut absolument sécuriser cette filiation. Dans le cas où cela se ferait via l'article 311-20, il faudrait aussi modifier l'article 6-1 du code civil pour prévoir que le titre VII sur la filiation ne soit pas applicable aux couples de femmes, à l'exception de l'article 311-20.
Toutes ces solutions sont envisageables. Ce qui nous paraît important est que les enfants aient les mêmes droits, qu'ils aient deux mères dans le cas d'un couple de femmes et que nous puissions vraiment sceller la filiation de la mère d'intention.
Je rebondis sur votre troisième question. Nous pouvons interpréter la DAV comme instaurant une absence de différence entre la mère qui accouche et celle d'intention. C'est vrai à partir de la naissance, mais ça ne l'est pas tout à fait durant la grossesse. Il n'est pas prévu de modifier les dispositions selon lesquelles la femme enceinte reste la seule à décider d'un diagnostic prénatal ou d'une IVG, pour motifs personnels comme pour motif médical. Je pense même qu'elle pourrait accoucher sous X. Je pense qu'il y aura donc toujours une spécificité de la mère ayant accouché.
Parce que la filiation et le « gommage » dont je parlais interviennent au moment de la naissance.
Exactement.
Effectivement, la filiation ne peut pas remonter à l'anténatal, voire à l'antéconceptionnel et la DAV prend donc effet au regard de la filiation au jour de la naissance, d'où le fait qu'il reste des droits spécifiques de la mère enceinte pendant la grossesse.
Nous avons commencé à répondre à votre interrogation sur le gommage de l'accouchement. Cela nous apparaît être la grande évolution du texte, qui consacre la filiation maternelle d'intention. Cela me semble inhérent à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes. Il faut absolument sécuriser la deuxième filiation.
J'ai cru comprendre que dans l'accès à la commission de l'article 3, vous hésitiez quant à la possibilité pour les parents d'accéder à des informations non identifiantes ?
Je parlais de l'éventualité d'une gradation dans le temps, avec un accès à des données non identifiantes avant la majorité.
Je n'y vois pas d'obstacle juridique. J'ajoute que l'accompagnement est peut-être important. Je parlais tout à l'heure de l'effectif de cette commission. Elle pourrait peut-être porter une petite mission d'accompagnement qui pourrait occuper ses membres !
Nous avons évoqué le futur article 342-11, qui paraît anodin – c'est plutôt l'ancien procureur qui réagit plutôt que l'actuel premier avocat général… Le législateur a en effet de coutume de passer par le procureur, qui doit ensuite se débrouiller. Nous nous sommes posé la question de la remise différée de la DAV. Nous pouvons penser que dans le temps de la maternité, de l'accouchement, il est possible de régulariser, mais ouvrir une telle possibilité à la majorité du mineur, dix-huit, dix-neuf ou vingt ans plus tard, revient à imposer au procureur de transcrire. Le texte le subodore : « La mention de la déclaration est portée en marge de l'acte de naissance ». Cela ne donne pas l'impression d'ouvrir un quelconque pouvoir d'opportunité. C'est simplement la direction des officiers d'état civil.
Vous me direz que nous voyons toujours malice dans les textes. Dans dix-neuf ou même vingt ans, si un jeune garçon me remettait ce type de déclaration je me poserais cette question : était-elle valide au moment de sa naissance ? Cela sera précisé dans la loi, la déclaration suit les effets du consentement. Lorsque le consentement tombe, la déclaration tombe aussi. De quoi a-t-il connaissance s'il n'a que l'acte notarié ? A-t-il accès à un deuxième acte notarié qui serait une renonciation – prévue par le texte ? A-t-il connaissance d'une renonciation qui serait passée devant le médecin ? Y avait-il une rupture de la communauté de vie au moment de l'insémination ? Je me poserais toutes ces questions plutôt que d'automatiser, dix-neuf, vingt ou vingt-cinq ans plus tard, la création d'un deuxième parent. Je me dis qu'il y aurait matière à ouvrir un débat plutôt que de transcrire brutalement par une mention en marge de l'état civil une DAV qui date d'aussi longtemps, parce qu'un enfant aurait trouvé dans les affaires de sa mère décédée le nom de l'ancienne compagne, l'acte notarié, etc. Quelle en serait la légitimité ? Voilà ce que serait mon réflexe d'ancien procureur.
Pour ce qui est du représentant légal, nous imaginons que c'est la mère accouchée qui s'occupe du mineur. Quid cependant de « toute personne qui aurait intérêt à agir en justice » ? Je ne sais pas quelle est l'inspiration du rédacteur. Quel est ce tiers qui intervient dans ce trio formé de deux femmes et d'un enfant ? Qui est celui que nous pourrions qualifier de « toute personne qui aurait intérêt à agir en justice » ?
Enfin, j'imagine ce jeune qui viendrait voir le procureur en lui disant avoir trouvé des papiers, des échanges de lettres avec le notaire, laissant supposer qu'il existerait une DAV, mais qui ne l'aurait pas. Le procureur lancera une enquête. Il pourrait donc y avoir un fichier des DAV – nous n'avons pas eu cette idée par souci de ficher les gens… –, un registre, qui pourrait inclure les renonciations par acte notarié – pas celles recueillies par un médecin.
Cet article suscite donc des questions. Il n'est pas aussi simple qu'il en a l'air. Il est un peu nébuleux. Je redis que le fait de remettre en cause une situation filiative vingt-cinq ans après la naissance me dérange un peu, si ce n'est pas explicité. Le seul dialogue entre le jeune majeur et le procureur me paraît être un débat trop court.
Vous indiquez qu'il n'est pas opportun de rechercher le donneur – du régime actuel – pour connaître l'éventuelle évolution de son point de vue et savoir si l'on peut garder ses spermatozoïdes pour les utiliser demain. Il faudrait éviter les interrogations que cela pourrait leur causer. Voyez-vous un autre moyen pour avoir la réponse que de leur poser la question ? Vous voudriez qu'ils se présentent d'eux-mêmes. Je peux vous dire une chose d'expérience, fondée sur ce que nous connaissons des situations comparables pour les familles de donneurs d'organes ou les donneurs vivants d'organes : en disant aux gens de se manifester spontanément, c'est déjà un grand succès quand se manifeste une personne concernée sur dix. Si nous voulons avoir la réponse des donneurs, je ne connais pas d'autres moyens que de les contacter. Nous leur rappellerions qu'ils ont donné sous un régime leur assurant l'anonymat et nous nous dirions prêts à conserver pour eux cette règle s'ils le souhaitent, mais que, la loi ayant changé, leurs gamètes ne pourront pas être utilisés à l'avenir. Nous leur demanderions ensuite s'ils seraient d'accord avec les règles de demain afin de pouvoir continuer d'utiliser leurs gamètes. Cela vous paraît-il choquant ? Je ne crois pas à la mobilisation spontanée des anciens donneurs d'il y a vingt-cinq ou trente ans. Cela ne me paraît pas très réaliste. Beaucoup auront même oublié ce don.
Ma deuxième question prolonge les échanges que vous avez eus avec Mme Dubost sur la filiation. Que pensez-vous du traitement différencié que prévoit le texte entre les couples homosexuels et hétérosexuels ? Cela nous pose problème. Je ne dis pas que nous privilégions une solution à une autre, mais le fait d'instaurer un mode d'attribution de la filiation très différent, du moins sur le plan symbolique, nous embarrasse. Cela donne l'impression d'un traitement différent entre les couples homosexuels et hétérosexuels, DAV pour les uns et un système basé sur la « vraisemblance biologique » pour les autres, en faisant « comme si » le père était le donneur effectif de gamètes.
Vous avez dit que la DAV enlèverait toute liberté aux parents. Ce n'est pas si certain. Tout dépend du mot inscrit sur l'acte d'état civil. S'il est fait mention d'une « déclaration anticipée de volonté », dans la plupart des cas cette expression ne va pas beaucoup inquiéter un garçon de dix-neuf ans confronté par hasard à son acte intégral – cela arrive d'ailleurs très rarement. En ce qui me concerne, je n'ai toujours pas regardé le mien alors que j'ai un peu plus de dix-neuf ans.
Que pensez-vous de la PMA post mortem et comment la sécuriser ? Jusqu'à présent, le seul argument qui a été opposé à l'ouverture de la PMA post mortem est qu'elle risquait d'inciter les femmes seules à solliciter des PMA. Dès lors que nous ouvrons la PMA aux femmes seules, la logique commande d'abolir l'interdiction de la PMA post mortem. Qu'en pensez-vous ? Comment verriez-vous cette évolution et quelles seraient les précautions à adopter ?
J'en viens à mon dernier point. Je suis d'accord avec ce que vous avez indiqué quant aux conséquences qu'aurait sur la jurisprudence le fait de considérer que la mère n'est plus forcément la femme qui accouche. Quand il y a deux mères en effet, l'une n'a pas accouché : c'est la mère d'intention. Vous avez donc raison, mais ce n'est pas forcément à craindre car cela permettrait de résoudre certaines situations pour des enfants nés de GPA à l'étranger, sans pour autant inciter d'une quelconque manière à la GPA puisqu'elle est interdite en France. Ces enfants nés de GPA ont pour l'instant des mères reconnues dans le pays où elle a été pratiquée, mais qui, revenant en France, ne sont pas reconnues comme mères puisque n'ayant pas accouché. Celles-ci doivent entreprendre une procédure d'adoption, avec tous les aléas que cela comporte. J'ajoute que cette procédure est humiliante à tous égards, pour les parents comme pour les enfants. Ne serait-ce pas le moment de saisir une opportunité en soulignant que nous avons changé de modèle, que la mère est souvent celle qui accouche, mais qu'elle peut aussi être une mère qui se déclare d'intention ?
Le fait d'aller rechercher le donneur ayant donné sous le régime actuel est une option que prendra ou pas le législateur. Il y a d'autres moyens d'alerter, par exemple par des campagnes de sensibilisations sur l'intérêt de communiquer des données aux enfants – qui pourraient d'abord être des données non identifiantes : il ne s'agit pas d'affoler le donneur en lui disant qu'il faudra communiquer son identité. Néanmoins, l'accès pour tous les enfants concernés à un tant soit peu d'informations justifierait de sensibiliser l'opinion. Je pense même que l'importance de l'accès aux origines pourrait être soulignée pour les enfants nés d'AMP, mais c'est vrai pour tous les enfants, quelles que soient les conditions de leur naissance. Nous y arriverions peut-être en faisant ainsi. En tout cas, engager une recherche de donneurs par un processus tout de même un peu autoritaire est envisageable, mais serait plus facilement contestable.
Oui, mais il est tout de même contacté à propos d'un don qu'il peut avoir fait il y a trente ans.
Cela touche à la protection du consentement : le donneur a consenti dans un contexte donné. Or, voilà que la loi qui disait quelque chose à un moment donné revient sur ce qu'elle a dit. Un donneur ne peut pas penser qu'il sera un jour recontacté.
Un intervenant. Il n'a jamais été dit aux donneurs qu'ils ne seraient jamais recontactés.
Effectivement, puisqu'ils doivent transmettre leurs données, comme les maladies génétiques éventuelles. Ils peuvent donc être recontactés. Sans cela, comment voulez-vous savoir les maladies génétiques développées depuis leur don ? Ils doivent être recontactés.
C'est une option et nous ne vous donnons que notre préférence. Ce n'est pas une limite majeure mais une crainte par rapport aux conditions du don et du consentement. Cela relèvera en définitive du choix du législateur.
J'en viens à la problématique de la disparité des régimes juridiques. Les couples hétérosexuels et homosexuels ne sont pas tout à fait placés dans la même situation au regard de la procréation. Nous pouvons bien essayer de leur appliquer les mêmes dispositions, mais il faut trouver des solutions pour avoir deux filiations maternelles. Cela apparaît forcément dans l'acte de naissance, mais comme il peut apparaître que l'enfant n'a qu'une seule filiation ou qu'il est adopté. Les couples et les enfants ne sont donc pas exactement dans la même situation. Ce qui me semble par contre fondamental est l'article 6-1 : il faut que les enfants aient vraiment les mêmes droits. Pour autant, il est impossible de gommer la réalité, qui est que l'enfant a deux mères.
Il n'y a pas d'obstacle juridique à ce qu'il soit légiféré en ce sens. Le choix porte aussi ce que cela renvoie, mais ce n'est pas une question strictement juridique.
L'article 4 maintient l'impossibilité de réaliser une insémination ou un transfert d'embryon en cas de décès. Cette impossibilité est logique dans le cadre d'une AMP réservée aux couples : la femme étant seule, elle ne peut plus procréer. C'est beaucoup plus discutable si l'AMP est ouverte aux femmes non mariées. Sans aller jusqu'à dire que cela crée une absurdité, c'est tout de même discutable. Si le mari avait consenti expressément à l'AMP, si le couple avait le projet de recourir à l'AMP et qu'il était d'accord pour que le processus se poursuive après son décès, il apparaît assez surprenant d'interdire l'insémination post mortem tout en permettant à la femme de recourir aux gamètes d'un tiers. De plus, l'enfant ainsi conçu entrera plus nettement dans une famille, par rapport à une AMP avec donneur : il aura un père dont on lui parlera.
Ceci étant dit, si nous ouvrons l'insémination post mortem, il faut que ses délais soient extrêmement encadrés. Cela suppose aussi de modifier les règles successorales : en principe, la succession s'ouvre au décès et ici, au décès, la femme n'est pas enceinte.
Je reviens sur ma dernière question, concernant les craintes quant à la jurisprudence sur la mère d'intention. L'évolution à venir n'est peut-être pas à voir comme une crainte, mais comme une donnée dont la Cour de cassation et les juridictions de fond devront tenir compte. Nous pouvons prévoir des évolutions, comme vous le dites, mais la jurisprudence a aussi avancé sans le législateur. Si le législateur est assez innovant, cela aura probablement des conséquences sur la jurisprudence. Le législateur est libre de ce genre d'ouverture. Le verrou du parent d'intention serait alors partiellement levé, avec les conséquences que vous imaginez.
L'état actuel de la jurisprudence ne le permet pas, même s'il est vrai que la jurisprudence peut toujours évoluer. Je voudrais tout de même souligner la difficulté à laquelle est confrontée la Cour de cassation. Elle doit concilier plusieurs choses : elle doit appliquer l'interdit de la GPA – l'article 16-7 du code civil ; elle doit s'interroger pour transcrire des actes de naissance de GPA réalisées à l'étranger en vue de contourner l'interdit posé en France ; elle doit appliquer des textes qui n'ont pas du tout été conçus pour cela, comme je le disais à propos de l'article 47. Cet article n'est pas du tout propre à la GPA : il concerne l'immigration, la nationalité et le séjour des étrangers en France. Nous devons faire avec ce que nous avons, c'est-à-dire des textes qui ne sont pas spécifiques à l'AMP. Nous devons dans le même temps préserver l'intérêt des enfants et ne pas encourager la pratique d'actes interdits. Pour chaque avancée de la jurisprudence, il faut faire attention à ne pas toucher auxdits interdits. Il est très délicat de trouver un équilibre pour maintenir l'interdit tout en faisant en sorte que les enfants ne souffrent pas de la situation, c'est-à-dire qu'ils aient une filiation établie. Nous avons pour cela saisi la Cour européenne des droits de l'homme, qui a affirmé qu'il était important qu'une filiation puisse être établie.
Je m'interroge sur la dissymétrie introduite par une DAV qui ne s'applique qu'aux couples de femmes. J'ai entendu vos remarques. Je voudrais savoir s'il pourrait y avoir des façons de sécuriser juridiquement la situation de ces enfants autres que la distinction prévue par le projet actuel.
Le texte proposé aujourd'hui tend à étendre le principe de la levée de l'anonymat. Un texte plus ancien contient quelque chose de très important pour les femmes comme pour les enfants. Je parle du principe de l'accouchement sous X. Il garantit évidemment l'anonymat. Pouvez-vous garantir, en tant que magistrats, que le projet qui nous est soumis n'aboutit pas à fragiliser juridiquement l'accouchement sous X ? Nous ferions alors face à un risque d'effet juridique collatéral assez conséquent, pour la protection des femmes comme des enfants concernés.
La Cour de cassation que vous représentez aujourd'hui s'est illustrée par différentes décisions en matière de filiation. Les parents ayant eu des enfants nés d'une GPA à l'étranger rencontrent aujourd'hui de nombreuses difficultés pour établir en France la filiation à l'égard de ces enfants. Je pense à la transcription de l'état civil, qui n'est qu'une simple formalité et qui n'est pas entièrement admise par votre juridiction. En effet, la Cour n'a autorisé qu'une transcription simple. Comment expliquez-vous cette difficulté à reconnaître les parents d'intention ? Une évolution législative est-elle nécessaire ?
Nous avions déjà commencé à aborder la première question posée. Il faut opérer des choix. Le dispositif peut être une DAV ou s'appeler autrement, mais il faut sécuriser la maternité d'intention. On peut bien sûr envisager de remettre en cause tout le système de la filiation, mais je pense que cela dépasse complètement le cadre d'une loi de bioéthique. Essayer de faire entrer tous les couples dans le cadre du titre VII serait une évolution majeure, qui supposerait certainement une loi spécifique sur la filiation. Le législateur me semble avoir voulu cantonner son intervention à la sécurisation de la filiation dans les situations résultant du projet. Cela peut prendre la forme d'une déclaration de volonté, cela peut s'appeler une reconnaissance spécifique, mais si nous touchons à tout le titre VII et à sa cohérence, cela devrait plutôt se faire dans le cadre d'une réforme d'ampleur.
L'accouchement sous X et la levée de l'anonymat sont des situations différentes. Le premier cas concerne une mère en détresse. Il me semble a priori difficile de lui imposer les mêmes choses que dans le cadre d'une AMP.
Ce n'était pas exactement ma question. Je la reformule. L'adoption de ce texte pourrait-elle avoir par ricochet une incidence sur le principe de l'accouchement sous X ?
Cela relève du législateur, mais il s'agit de deux situations différentes. C'est d'ailleurs ce que le projet veut consacrer, avec l'établissement d'une commission spéciale et une procédure distincte de la procédure d'accès aux origines pour les enfants nés sous X ou qui ont été placés sans avoir leurs parents.
J'évoquais précédemment d'éventuelles fragilisations. Notre premier objectif est d'arriver à concilier l'interdit de la GPA et la nécessité pour les enfants d'avoir une filiation. La jurisprudence apparaît pour l'instant assez fixée et penche donc vers l'adoption. Des affaires sont en cours. Nous ne pouvons aller plus loin actuellement. Ce sera évidemment à discuter au sein de la Cour de cassation.
L'adoption apparaît peu satisfaisante actuellement. Auriez-vous des pistes pour faire évoluer la législation ?
Je m'interroge. Je trouve très difficile de faire une loi pensée pour transcrire les actes d'état civil de parents qui accomplissent des actes interdits en France. Le législateur y parviendra peut-être, mais la tâche est très compliquée.
La plus belle des filles ne peut donner que ce qu'elle a. Nous venons vous expliquer que, juridiquement, nous ne pouvons pas plus. Ce n'est pas la Cour de cassation qui fait la société. C'est à la société de choisir.
Excusez-moi de revenir sur des éléments qui ont sûrement déjà été abordés. Notre commission est traversée par certaines questions. Mon collègue Pierre Dharréville a abordé celle de la DAV. Je n'ai pas de prérequis sur ce qu'il conviendrait de faire. Je sais en revanche l'intention du projet de loi : nous voulons ouvrir l'AMP à toutes les femmes et avec l'accès à cette technique médicale, il nous faut sécuriser la filiation au bénéfice des deux mères et de l'enfant. Pouvez-vous nous dire clairement si le mécanisme retenu garantit bien la satisfaction de ces prérequis d'un point de vue juridique, et qu'ils seront incontestables pour l'établissement de la filiation et de tout ce qu'elle emporte ?
J'entends qu'il ne vous appartient pas de statuer politiquement sur l'opportunité d'ouvrir la GPA, voire sur la reconnaissance des enfants nés à l'étranger par GPA. C'est évidemment au législateur d'arbitrer ces questions, notamment au regard du principe de non-marchandisation du corps. Est-il simplement possible d'aménager le code civil pour garantir qu'il n'y ait pas de recours à la GPA en France ? Des collègues préconisent que ce soit de nature constitutionnelle.
Ma première question porte sur l'insertion d'un nouvel article 16-8-1 dans le code civil, prévoyant que la règle d'anonymat ne fait pas obstacle à la mise en œuvre du droit à la connaissance de l'identité du donneur par l'enfant né d'un don et devenu majeur. Je comprends la nécessité de cette disposition. Je m'interroge néanmoins sur la pertinence de l'insérer dans le code civil. Le projet de loi prévoit en effet d'insérer une disposition analogue dans le code de la santé publique. Cela ne serait-il pas suffisant ?
Ma seconde question porte sur les modalités d'établissement du lien de filiation en cas de recours à une AMP dans un couple de femmes. Le projet prévoit des dispositions spécifiques qui conduiront à ce que les deux femmes soient considérées également comme mères de l'enfant, sur le fondement de leur DAV. Cela nie la correspondance que notre droit consacre aujourd'hui, s'agissant de la filiation charnelle, entre l'accouchement et l'établissement du lien de filiation. Dans votre note liminaire comme dans votre exposé, vous exprimez la crainte d'une fragilisation du droit français au regard de la transcription des actes de naissance établis en cas de recours à la GPA à l'étranger. En l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation, en cas de naissance par GPA à l'étranger, seules les mentions de l'acte conformes à la réalité biologique peuvent être transcrites. S'agissant de la filiation maternelle, cela conduit à refuser de transcrire le lien à l'égard de la mère d'intention parce qu'elle n'a pas accouché. Elle doit donc adopter l'enfant. Avec le projet de loi, en permettant que des actes français soient établis sans respect de la vérité biologique, il sera impossible de refuser l'établissement par transcription de la filiation d'intention. Nous voyons ainsi par quel mécanisme implacable l'extension de la PMA conduit à admettre les effets de la GPA.
S'agissant de l'adoption, vous nous avez exposé le pour et le contre. Vous avez dit que le contre est que cela prend du temps et que le couple peut se séparer. Vous avez dit que c'est néanmoins une voie juridiquement plus sûre que la DAV. Je voudrais soumettre à votre jugement une troisième possibilité. Elle consisterait à réserver la DAV à la mère qui n'a pas accouché. De cette façon, la réalité biologique demeurerait prééminente, si j'ose dire.
La filiation prévue avec la DAV me semble assez protectrice, puisque l'on connaît les deux filiations. Le système a peut-être ses inconvénients, parmi lesquels faire un titre VII bis, mais c'est tout de même assez protecteur par rapport à l'enfant et aux deux femmes.
Pour l'interdiction de la GPA, nous disposons déjà de l'article 16-7. Il est toujours possible d'ajouter de nombreux articles, mais il faut surtout savoir ce que nous voulons. Au-delà des déclarations d'intention, que faisons-nous en cas de réalisation d'une GPA ? Nous pouvons décider qu'elle doit se faire hors de nos frontières, mais qu'une fois faite ailleurs, il n'y a aucun problème d'aucune sorte pour les enfants. Des intérêts très divers doivent être conciliés. C'est un équilibre difficile pour la Cour de cassation. Le législateur doit vraiment savoir ce qu'il veut : s'il maintient l'interdiction, il faut que cela produise certains effets.
Vous parliez du principe de l'anonymat. J'ai l'impression que lorsque le législateur fait des entorses à un principe, il commence souvent par le rappeler. Le principe de l'anonymat est très important. Il figure dans le code de la santé publique, et c'est le principe qui prédomine dans tous les dons d'éléments et de produits du corps humain. Je pense qu'il peut également figurer dans le code civil. Il subit de toute façon un certain nombre d'entorses. Dans des situations comme les greffes entre parent et enfant, le don n'est pas anonyme.
Pour ce qui concerne la détermination des choix politiques, nous avons déjà évoqué le fait de savoir si ouvrir l'AMP aux couples de femmes induit un risque de glissement. Il est possible d'argumenter un principe d'égalité entre les couples de même sexe, qui ferait que les deux catégories devraient avoir accès à la procréation. Il reste que dans un certain nombre de cas, la GPA s'accompagne d'une exploitation de la femme que notre société réprouve. L'AMP et la GPA sont tout de même différentes.
J'enfonce des portes ouvertes en rappelant une évidence qui nourrit la réflexion de la Cour de cassation sur la GPA : les parents sont fraudeurs. Quelles sont cependant les conséquences pour l'enfant qui n'a pas participé à la fraude ? C'est la préoccupation de la Cour européenne des droits de l'homme et c'est aussi en partie la préoccupation de la Cour de cassation. Ces enfants sont sur notre territoire. Ils n'ont pas fraudé. Ils n'ont rien demandé. Ils sont là.
Je maintiens mon interrogation concernant l'insertion d'un nouvel article 16-8-1 dans le code civil. Pourquoi ne pas nous en tenir au code de la santé publique, qui prévoit déjà que la règle d'anonymat ne fait pas obstacle à la mise en œuvre du droit à la connaissance de l'identité du donneur par l'enfant né d'un don et devenu majeur ?
C'est une question d'intégrité des articles 16 et suivants : ils consacrent un certain nombre de principes généraux qui sont ensuite déclinés dans le code de la santé publique. Cette dualité existe depuis 1994. Les articles 16 et suivants protègent la personne humaine. Ils sont dans le code civil. Nous pourrions les qualifier de proclamatoires. Nous les déclinons ensuite dans le code de la santé publique. L'ajout d'un article 16-8 prévu par le projet me semble procéder de cette démarche. La présence d'un principe dans le code civil lui donne une force particulière.
La troisième option que propose Mme Genevard pour la DAV ne devrait changer pas grand-chose. L'idée est que la DAV traduit l'existence d'un projet commun : on demande aux deux femmes de s'engager ensemble. Mais il serait bien sûr possible de n'avoir qu'une DAV individuelle, ce qui signifierait distinguer la femme qui a accouché de la femme qui fait une DAV.
Votre question me semblait faire le lien avec la jurisprudence sur la GPA. Je crois que c'est différent. Nous disions que notre jurisprudence risquait d'être fragilisée, mais le choix ne nous appartient pas. Elle le sera à partir du moment où sera reconnue une mère d'intention. Notre construction jurisprudentielle actuelle résulte d'une lecture de l'article 47 du code civil et part du principe que c'est la mère qui accouche. Nous accueillons aujourd'hui une nouvelle réalité de mère. C'est cette nouvelle réalité qui peut nous amener à nouvelle réflexion autour de notre jurisprudence.
C'est une réforme importante. Elle a des incidences importantes en matière de filiation. C'est donc un choix législatif important.
Mesdames, Monsieur, merci pour vos réponses. Nous allons poursuivre avec le diagnostic prénatal.
L'audition s'achève à seize heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique
Réunion du mardi 3 septembre à 15 heures
Présents. – M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, M. Xavier Breton, Mme Anne-France Brunet, M. Pierre Cabaré, M. Guillaume Chiche, M. Pierre Dharréville, Mme Coralie Dubost, Mme Nathalie Elimas, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Bruno Fuchs, Mme Annie Genevard, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, Mme Monique Limon, Mme Brigitte Liso, Mme Sereine Mauborgne, M. Maxime Minot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Sylvia Pinel, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Hervé Saulignac, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Pierre Vatin, Mme Michèle de Vaucouleurs
Excusé. - M. Jacques Marilossian