J'étais avec Annie à Abbeville. Elle me détaillait ses soucis financiers. « J'ai un cahier de comptes avec toutes mes factures. J'ai 64,95 euros de gaz et d'électricité par mois. » « C'est comme ça chez les pauvres, » je lui faisais remarquer, « vous connaissez le montant par coeur, même derrière la virgule. » Elle me disait : « Oui, on refait les comptes dans la tête, on les refait avec les enfants. J'ai calculé qu'il nous restait 20 euros par jour pour six personnes. » « Vous voulez dire 20 euros pour la nourriture, les habits et les loisirs, c'est ça ? ». « Oui, elle me confirme. Donc, des loisirs, il n'y en a pas. » « Par exemple, je la questionne, vos enfants ont quoi comme activité le week-end ? » Et Annie de me répondre : « Aucune. Les jumeaux auraient bien aimé faire du football, mais c'est plus possible. Avant, on recevait une aide de la maison de quartier, ils payaient la moitié de la licence. Du coup, comme le foot c'était trop coûteux, je les ai mis au tennis de table l'an dernier. C'était que 25 euros. »
Pour moi, chers collègues, le football, c'est le bonheur de l'enfance. Alors, qu'un gosse ne puisse pas chausser des crampons et taper dans la baballe par manque d'argent de ses parents, comment l'accepter ? Dans notre pays riche à milliards, vous trouvez ça normal ? On va tolérer ça ?
Je ne vous parle pas que d'un ballon, je vous parle de l'envie, l'envie d'avoir envie. Pour mes enfants, je n'aspire qu'à une chose, qu'ils soient passionnés d'un truc, n'importe quoi : jouer au foot, réparer des mobylettes, chercher des fossiles, faire du karaoké, dessiner des Mickey, n'importe quoi, mais que nos enfants nourrissent une envie, une passion et on les sauvera. Qu'ils se sentent bons à quelque chose !
C'est le drame que, trop souvent, j'entrevois, sous l'abribus d'un village ou au bas des tours d'un quartier : le vide d'envie. Des gamins qui se sentent nuls à l'école et qui, du coup, se sentent nuls à tout, pas faits pour la vie, qui se replient sur eux-mêmes et se désespèrent, à treize, quinze ou dix-sept ans. Chez eux, la résignation a déjà fait son nid, un gigantesque « à quoi bon ? ». Le sport, parfois, peut combattre ça. Donner à un gosse le sentiment qu'il est au moins bon à ça, bon à dribbler et à marquer des buts. Sa semaine sera éclairée, simplement parce que le samedi, il aura mis une reprise de volée dans la lucarne et aura été, le temps d'un match, un héros pour lui-même. Cette fierté rejaillira sur le reste.
Le football ne détient pas le monopole de cette fierté, qu'il tirera peut-être du théâtre, du fait de faire rire ses copains sur les planches. Ou d'une trompette, parce qu'il jouera dans la fanfare de la ville. Qu'importe. Mais il faut trouver. Pour chaque jeune, il faut trouver un truc, un petit truc, qui fasse rejaillir la fierté sur le reste.
Voilà, madame la ministre, après quelle médaille d'or nous devons courir. Nous en sommes loin, très loin. Le budget consacré au sport amateur est dérisoire, infime, comparé aux milliards d'euros déversés sur l'élite. J'ai vérifié hier soir sur internet : le budget de la ligue de football professionnel s'élève à 850 millions d'euros contre 214 millions d'euros pour la Fédération française de football. Autrement dit, on consacre en France quatre fois plus d'argent pour les quarante clubs professionnels et leurs 1 650 joueurs que pour les 2,1 millions d'amateurs et les milliers de clubs.
Quand le marché donne tout à une élite et rien, ou si peu, aux gens, quel est notre rôle à nous, élus politiques, et à vous, pouvoirs publics, sinon de rétablir un minimum la balance par la loi ?
Marie-George Buffet a ouvert la voie il y a une vingtaine d'années avec l'instauration d'une taxe sur les droits télévisuels. Avec sa proposition, notre collègue Michel Zumkeller poursuit aujourd'hui ce chemin. Que les gros contrats soient taxés à 5 %, franchement, aucun joueur, aucun agent même n'en mourra. Et je comprends que beaucoup d'entre vous soient démangés par l'envie de porter le taux à 10, 20 ou 30 %, et je pense que Michel Zumkeller y est ouvert.