Intervention de Fabien Di Filippo

Séance en hémicycle du jeudi 7 décembre 2017 à 15h00
Taxe sur les transferts de sportifs professionnels — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Di Filippo :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le transfert de Neymar du FC Barcelone au Paris-Saint-Germain pour 222 millions d'euros l'été dernier a fait beaucoup parler et couler beaucoup d'encre. Si l'on prenait 1 % de cette somme et que l'on y adjoignait quelques petites subventions, on pourrait construire un gymnase dans l'une de nos petites communes. L'argent du football, parce que c'est une activité hyperpopulaire et hypermédiatique – comme l'est un peu parfois la politique – , fait beaucoup fantasmer.

L'exemple précédent laisse à penser que l'on tirerait de gros moyens d'une ponction sur tous les transferts. Mais une telle ponction serait-elle juste ? À quel titre serait-elle effectuée ? Le sport professionnel est-il aujourd'hui exempt de taxes, d'impôts et de contributions ? Comment réagirait-on si l'on faisait de même pour d'autres activités économiques ? Quel est le rôle de chacun des acteurs évoqués par les orateurs qui m'ont précédé, à savoir l'État, les collectivités, les fédérations, les ligues et les clubs, amateurs et professionnels ? Qui a augmenté ses soutiens solidaires au cours des dernières années ? Et qui s'est désengagé ?

Bien entendu, monsieur le rapporteur, si nous examinons de près la situation de nos associations sportives et leurs difficultés, nous partons d'un constat implacable, que je partage. Premièrement, les contraintes administratives et réglementaires se sont accrues, et le bénévolat est aujourd'hui totalement différent : c'est un engagement plus fluctuant, plus ponctuel, moins constant. Deuxièmement, la crise économique a eu un impact sur les dons et le mécénat des entreprises et, partant, sur les finances des petites associations. Troisièmement, au cours des dernières années, les collectivités ont dû baisser leurs aides et leurs soutiens sous la pression des baisses de dotations et des ponctions sur leur budget.

La pratique sportive évolue : elle s'individualise, ce qui pose aussi problème à nos associations. Mais, globalement, l'économie du sport est en croissance, et il faut s'en féliciter. Celle du sport professionnel l'est également, et c'est tant mieux, car cela crée de l'emploi, des richesses et de l'activité. Cela donne aussi lieu à des retransmissions et à de la médiatisation, qui poussent les jeunes à se mettre au sport ou à tester de nouvelles activités, dans lesquelles ils pourront se former et s'épanouir. Quand une chose marche, il ne faut pas systématiquement réfléchir à la manière de la taxer.

Nous avons principalement quatre réserves concernant ce texte.

Premièrement, le sport associatif est certes une activité d'intérêt public, qu'il faut soutenir, pour des raisons de lien social, de santé, d'éducation, mais le sport professionnel est, qu'on le veuille ou non, une activité économique privée à part entière – la forme juridique des clubs le montre : ce sont des sociétés anonymes ou des sociétés à objet sportif – , avec ses contraintes de compétitivité sur un marché international.

On peut fantasmer sur une taxe Neymar mais, en réalité, si l'on ajoute une telle taxe aux taxes déjà existantes, de tels transferts ne se réaliseront même plus en France, et il n'y aura de toute façon plus d'investisseurs pour les financer. En définitive, il n'y aura aucune recette supplémentaire pour le sport amateur. Il ne faut pas être schizophrène : on ne peut pas vouloir que nos clubs réussissent sur la scène continentale et les lester de boulets supplémentaires, alors qu'ils subissent déjà une fiscalité bien supérieure à celle des pays voisins. Et il ne faut pas oublier que le sport professionnel participe à plusieurs cercles vertueux : un cercle vertueux économique, puisque, comme on l'a dit tout à l'heure, il stimule tout un pan d'activités annexes dans le secteur privé et public ; un cercle vertueux sportif, puisqu'il rend les disciplines, la pratique sportive et les clubs attractifs pour notre jeunesse.

Deuxième réserve, il est prévu que cette taxe s'applique au niveau franco-français, ce qui n'est absolument pas l'échelle pertinente aujourd'hui pour une telle taxe, car les clubs professionnels évoluent sur des marchés globalisés : ils ne doivent pas être marginalisés. En effet, cela pose le problème de l'extraterritorialité de notre droit. On ne peut imposer cette taxe aux clubs étrangers, qui nous vendent leurs joueurs. On n'imagine pas l'État français collecter cette taxe auprès de clubs espagnols, allemands, italiens ou anglais.

Ensuite, la FIFA a mis en place une réglementation permettant un reversement des indemnités aux clubs formateurs, en cas de transferts. Celle-ci est acceptée et plébiscitée pour plusieurs raisons : elle est juste – 5 % des transactions entre deux pays sont reversés aux clubs formateurs des joueurs, y compris quand ils sont amateurs ; elle est globale, c'est-à-dire qu'elle s'applique dans le monde entier ; enfin, elle est efficace, car elle permet de développer les clubs formateurs qui, à leur tour, forment des talents pour le monde professionnel. Comment accepter que, demain, ce soit aux clubs professionnels de football de financer des nouveaux boulodromes ou des cours de tennis, que l'État ne finance plus ou quasiment plus ?

Troisième réserve, les mécanismes de solidarité existent d'ores et déjà entre les clubs professionnels et le sport amateur. Contrairement aux financements de l'État, ils se développent. Il y a tout d'abord des flux financiers qui vont des clubs professionnels vers les clubs amateurs. Je pense à la taxe dite Buffet sur les retransmissions audiovisuelles des événements sportifs nationaux, qui est versée par les ligues professionnelles au CNDS, et qui constitue aujourd'hui la première source de financement de ce dernier, à hauteur de 45 millions d'euros. De même, les ligues professionnelles financent les fédérations nationales qui, à leur tour doivent reverser cette manne aux comités, aux districts et aux clubs. Enfin, des solidarités financières internes aux clubs existent entre les sociétés sportives et leurs associations.

Il faut aussi évoquer les fondations caritatives que possèdent la plupart de nos clubs professionnels, qui, dans le domaine du football, représentent quand même 72 millions d'euros. Enfin, j'ajoute que les clubs professionnels font oeuvre formatrice pour notre jeunesse, via les associations support qu'ils financent – je l'ai évoqué à l'instant – et leurs centres de formation professionnelle, qui accueillent les jeunes et les préparent à une carrière d'élite.

Enfin, quatrième réserve, une telle taxe cible seulement le football car, en réalité, c'est le seul sport où il existe des indemnités de transfert sur des contrats pluriannuels – avec, peut-être, le rugby, mais de manière très marginale. En outre, un seuil déterminant les transactions concernées devra être fixé par décret et les conditions d'application de la loi devront être précisées. Ces dernières ne concerneront de toute façon que le football.

Mais dans un futur plus ou moins proche, les autres disciplines se développant rapidement, cette taxe perturbera l'essor et le rayonnement international des clubs français, qu'il s'agisse du handball, du basket-ball, ou du rugby. Or ces disciplines dites mineures concernent beaucoup de villes moyennes dans nos circonscriptions, où ces clubs animent nos territoires et en font la fierté.

En définitive, on en revient à notre question initiale : est-ce aux clubs professionnels de pallier les carences du financement des associations, notamment celles de l'État ? Celui-ci fait aujourd'hui des choix discutables, qui pénalisent nos associations et le sport pour tous. Je le rappelle, le budget du CNDS a été amputé de 64 millions d'euros. La suppression de la réserve parlementaire et son amputation de moitié représentent une diminution de 25 millions d'euros pour nos associations. L'arrêt brutal des contrats aidés a concerné un certain nombre de nos clubs. Enfin, les moyens des collectivités territoriales ont diminué, alors que celles-ci sont les premiers financeurs des équipements sportifs et les premiers « subventionneurs » de nos clubs.

Une telle taxe détruirait la compétitivité de notre sport professionnel sans apporter, en définitive, de manne supplémentaire au sport amateur. Tout le monde serait perdant. En revanche, afin que les Jeux olympiques Paris 2024 soient la fête du sport pour tous et pas seulement la fête du sport d'élite ou de la région parisienne, nous attendons toujours, madame la ministre, qu'un pourcentage des recettes de cet événement exceptionnel participe au financement des équipements sportifs dans tous les territoires, ou au financement des projets des associations sportives amateurs.

Ainsi, vous l'aurez compris, le groupe Les Républicains n'est pas favorable à ce texte, mais il est prêt à travailler de manière transpartisane sur des mécanismes qui renforceront le développement des pratiques sportives amateurs et l'essor de nos clubs.

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