Intervention de Cédric Roussel

Séance en hémicycle du jeudi 7 décembre 2017 à 15h00
Taxe sur les transferts de sportifs professionnels — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Roussel :

Je vous remercie de vos encouragements.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier le groupe UDI, Agir et indépendants pour le thème de sa proposition de loi. Je salue M. le rapporteur qui nous a permis de nous saisir du dossier en commission des affaires culturelles et de l'éducation, de prendre part au débat et de le faire progresser grâce aux amendements, que nous avons examinés, et rejetés, en commission et qui sont de nouveau présentés en séance publique. Nous avons également mené des auditions conjointement avec M. Zumkeller.

Cette proposition de loi, qui est simple, est construite autour d'un unique article. Elle vise à instaurer une taxe de 5 % au-delà d'un certain montant non encore défini sur les transferts de sportifs professionnels. Le produit de cette taxe, introduite à compter du 1er août 2018, serait reversé au CNDS, qui la répartirait ensuite aux clubs sportifs amateurs.

Mes chers collègues, nous sommes d'accord sur un point : nous avons tous été étonnés des montants exorbitants des dernières transactions estivales dans le milieu du football. Il faut donc penser le cadre adéquat de cette régulation, rechercher la bonne formule pour encadrer concrètement ces transferts et, surtout, mettre en oeuvre un dispositif qui ne pénalise pas notre pays, tout en permettant la nécessaire solidarité avec le sport amateur que nous voulons tous.

Je n'insisterai pas sur les problèmes de concurrence au niveau du droit européen : mes collègues de la République en Marche se sont parfaitement exprimés sur le sujet. Mais soyons précis, car cette proposition de loi pourrait, en l'état, avoir plus d'inconvénients que d'avantages.

En effet – c'est le premier point et principal argument qui irrigue tout mon propos – , si nous devons penser la régulation de ce marché, aujourd'hui dans le football, demain dans d'autres sports, il paraît très difficile, voire dangereux, d'établir une taxe au seul niveau national, alors même que l'économie du sport, en l'espèce du football, est essentiellement européenne, voire internationale.

Cette taxe n'aurait de sens que si elle était portée au niveau du continent, afin que tous les clubs européens soient confrontés aux mêmes règles du jeu. Si cette hypothèse était retenue, la création d'un prélèvement sur les mutations de joueurs ne devrait être envisagée que dans le cadre d'un arrangement fiscal au niveau de l'Union européenne. Il serait en effet étonnant que nous installions des éléments de concurrence faussée aux dépens de notre pays, à l'heure même où la France aspire à harmoniser fiscalement et socialement l'Union européenne.

J'en viens à la question de la compétitivité. D'un point de vue économique, cette taxe pénaliserait fortement les clubs français et renforcerait le déséquilibre concurrentiel entre nos clubs et ceux des principaux pays européens, sans véritable espoir d'imitation. Certains d'entre vous, je le sais, espèrent que cette mesure sera adoptée dans d'autres pays qui suivraient en cela l'exemple de la France. Or, pourquoi le feraient-ils, alors même qu'ils sont déjà plus compétitifs que nous ? Pourquoi le feraient-ils, alors que l'adoption dans notre seul pays renforcerait encore cet avantage pour eux ? Par ailleurs, sommes-nous certains que tous ces pays sont confrontés aux mêmes problématiques et qu'ils ont tous les mêmes besoins de financement du sport amateur ?

Mes chers collègues, soyons réalistes, le poids actuel du football français au sein des différents championnats européens ne semble pas donner un rôle moteur à notre pays pour l'instauration d'une telle taxe chez nos voisins européens. Si le secteur du football professionnel français est fortement créateur d'activité et d'emploi, il reste très peu compétitif au regard des autres marchés européens.

Bien entendu, nous avons des motifs de nous féliciter et surtout de féliciter les dirigeants pour la professionnalisation des clubs français. Bien entendu, la croissance du chiffre d'affaires du football français est continue. Bien entendu, pour la première fois depuis sept saisons, le résultat net cumulé des quarante clubs de football professionnel est excédentaire, bien que timidement.

Toutefois, il s'agit de comparer ce qui est comparable. Les clubs des pays du Big Four – Angleterre, Espagne, Allemagne, Italie – disposent de chiffres d'affaires sans commune mesure avec le nôtre. Le seul résultat net des clubs anglais est quasiment trois fois plus élevé que celui des clubs français. Les principales raisons de cet écart, nous les connaissons : les ressources tirées des droits audiovisuels sont, pour nos clubs, bien moins importantes qu'ailleurs et la fiscalité qui pèse sur les clubs ainsi que les charges sociales sont sensiblement plus lourdes en France. Il ne m'appartient pas d'en juger ici, ni d'un point de vue économique ni d'un point de vue moral, mais c'est un fait. N'oublions pas que le ratio masse salariale sur chiffre d'affaires représente pour les clubs français de football plus de 60 %.

Nous comprenons ainsi aisément les raisons pour lesquelles les acteurs du secteur sportif français, alors même qu'ils essaient de rattraper doucement l'attractivité des autres clubs européens, sont tous opposés à cette mesure de taxation des transferts au seul niveau national. L'instauration de cette taxe sur notre seul sol entraînerait une baisse de compétitivité pour nos clubs, laquelle ferait baisser la qualité de notre championnat et mettrait à mal les efforts entrepris pour renforcer l'attractivité de notre ligue. Car ce sont les agents des joueurs qui font les transferts et qui tiennent le marché. Ils sont mobiles. Ils ont une logique européenne, voire internationale.

De plus, la date de déclenchement de la taxe dont la proposition de loi prévoit la création, à savoir le 1er août, pose un réel problème. Alors que le mercato estival se termine le 31 août, les clubs, pour acheter les joueurs les plus performants, et cela juste après la coupe du monde de football en Russie, où certains champions se seront révélés, seront tentés de clore les transferts avant le 1er août. De fait, ces joueurs, qui pourraient rejoindre le championnat français, deviendraient automatiquement plus chers et le temps d'organiser leur transfert beaucoup plus court, au sein d'un seul championnat, le nôtre.

En l'état, le décalage entre le début de la taxation et la fenêtre légale de transfert provoquera un effet d'aubaine pour les clubs et des déséquilibres importants dans le marché. Cet effet d'aubaine, qui désorganiserait totalement le mercato en France, serait un mauvais coup porté à nos clubs.

Mes chers collègues, je suis élu d'une ville, Nice, qui vibre, comme vous tous, pour son club de football, en l'occurrence l'OGC Nice. Ce club, qui vit une saison un peu plus difficile que les deux précédentes, dispose d'un budget global très raisonnable – moins de 50 millions d'euros. Il a réussi grâce à la compétence de ses dirigeants, du président Rivère, de ses entraîneurs Puel puis Favre, et surtout de ses joueurs, à terminer dans les cinq premiers deux années de suite, et même sur le podium l'année dernière, sans jamais dépasser le seuil des 10 millions d'euros, seuil que vous avez évoqué à plusieurs reprises, monsieur le rapporteur, comme pouvant déclencher la taxe pour l'achat d'un joueur. En effet, le marché des transferts franco-français n'a compté en 2017 que quatre transferts ayant dépassé les 10 millions d'euros. Cette taxe affecterait donc seulement quelques rares clubs pour quelques rares joueurs.

Cette proposition de loi répond sans doute à une attente du public, elle est populaire, vous le savez. Vous avez même largement communiqué là-dessus. Toutefois, je vous l'assure : nous en avons conscience.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.