En lisant ce texte, on a envie de vous demander : « C'est à quel sujet ? », tant il manque de cohérence. C'est une succession de cavaliers : vous avez même convoqué toute la cavalerie !
Il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 7 mai et nous devions déposer nos amendements avant le 11 mai à 14 heures. Or les 7, 8 et 9 mai, notre assemblée examinait un autre projet de loi. Les représentants du peuple que nous sommes ont donc à peine eu le temps de consulter les personnes concernées par ces mesures et d'évaluer les conséquences de cette délégation de pouvoir.
Nous ne pouvons envisager avec le sérieux que nous impose notre fonction de législateur de vous donner le pouvoir dans ces conditions, même si certaines mesures s'imposent de fait. Rien n'interdisait le Gouvernement, alors que l'ordre du jour du Parlement doit être prioritairement dédié à la gestion de crise, d'inscrire le présent texte à l'ordre du jour de notre assemblée dans le respect d'un temps de dépôt et d'examen compatibles avec l'exercice de la démocratie parlementaire.
Il aurait été respectueux de la démocratie de confier à l'Assemblée le soin d'examiner cet ensemble de dispositions urgentes dans le cadre de projets de loi ad hoc, sans en passer par la voie des ordonnances. Le Gouvernement a choisi, avec une grande gourmandise, de recourir une nouvelle fois à des ordonnances, en demandant à l'Assemblée de lui déléguer tous ses pouvoirs législatifs sur plus d'une trentaine de sujets différents. Cela lui permet d'agir vite, certes, mais surtout de faire l'économie des débats parlementaires et d'éviter d'avoir à justifier ses choix devant les députés et les sénateurs.
Parce que cette délégation de pouvoir n'est pas neutre, la Constitution a prévu de l'entourer de quelques garanties, dont l'obtention d'un avis du Conseil d'État : or, compte tenu de la précipitation avec laquelle vous avez procédé, cet avis nous est parvenu très tardivement. Nous serons donc dépouillés de notre pouvoir pendant six ou douze mois, alors que l'état d'urgence n'est prolongé que jusqu'au 10 juillet. Le Gouvernement veut profiter de la situation, nous laissant spectateurs du tête-à-tête entre le Président de la République et le Premier ministre, qui dirigent à eux deux le pays en rompant l'équilibre des pouvoirs.
Les propositions qui sont sur la table manquent de précision. Certaines sont sans doute nécessaires – nous pourrions discuter, par exemple, du droit à la retraite en cas d'activité partielle – mais beaucoup vont bien au-delà de l'urgence. Ce projet de loi contient une série de coups fourrés, comme les dispositions liées à l'extension du recours au CDD, aux victimes des essais nucléaires, le fait de piocher dans le fonds de réserve des retraites, l'extension de la réforme de la justice au-delà de ce qui était programmé, le recours à des mesures de trésorerie : tout cela ne va pas dans la bonne direction.
Pour conclure, une des caractéristiques du projet qui nous est présenté, c'est la volonté de s'affranchir de toutes les consultations prévues en temps normal, alors que nous avons précisément besoin de revivifier la démocratie et de rouvrir le débat. Pour toutes ces raisons, nous l'abordons avec d'extrêmes réserves.