COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI PORTANT DIVERSES DISPOSITIONS URGENTES POUR FAIRE FACE AUX CONSÉQUENCES DE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19
Lundi 11 mai 2020
La séance est ouverte à vingt et une heures cinq.
« Chaque âge a sa vertu, chaque âge a sa mission » écrivait Henri-Frédéric Amiel.
Le mien me donne le privilège de présider temporairement cette commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant diverses mesures d'urgence pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19. C'est bien évidemment un honneur. Au-delà de la fierté et du plaisir de vous retrouver en bonne santé, je mesure, comme vous, la responsabilité qui est la nôtre à ce moment particulier de notre histoire qui nous invite à nous dépasser. Je ne doute pas un seul instant qu'une fois encore, nous saurons être au rendez-vous, quelles que soient nos différences.
Nous avons pris conscience en quelques semaines de la vulnérabilité de l'humanité. Cette crise sanitaire inédite et exceptionnelle nous a montré combien ses conséquences, sanitaires, sociales, économiques, politiques mais aussi environnementales et géopolitiques, étaient interdépendantes. Cette commission spéciale mérite bien son nom et sa transversalité nous permettra de couvrir tous les sujets. Après avoir prorogé l'état d'urgence sanitaire, il nous revient d'adapter de très nombreux domaines de notre droit.
Je tiens à saluer le travail accompli par les parlementaires, qui ont continué à exercer leur mandat depuis le début de la crise dans leur circonscription et au sein de l'Assemblée nationale : c'est une aventure exceptionnelle dans l'histoire de notre institution.
Tout n'a pas peut-être pas été parfait dans la gestion de cette crise. Des couacs ont pu intervenir. Mais pouvez-vous citer un pays où tout s'est bien passé, chers collègues ? Ne cherchez pas, il n'y en a aucun ! La Chine, peut-être, mais cela se passe de commentaire...
Notre gouvernement et notre parlement ont rapidement pris des mesures couvrant tous les secteurs de l'économie pour apporter un soutien massif aux salariés grâce au chômage partiel. Cette solidarité qui n'a pas beaucoup d'équivalent dans les autres pays, il nous appartient de l'amplifier.
Votre présence ce soir montre que notre Parlement est resté debout. Les règles de proportion ont pu susciter des interrogations mais la représentation démocratique a continué à jouer son rôle. Nous sommes invités à démontrer une nouvelle fois que dans notre pays, la démocratie n'est pas qu'un mot. Elle constitue une force essentielle pour avancer en cette période difficile.
L'ordre du jour appelle la nomination du bureau de la commission spéciale.
Conformément à l'article 39 du Règlement, le bureau de notre commission spéciale comprendra le président, quatre vice-présidents et quatre secrétaires, et la composition du bureau devra s'efforcer de reproduire la configuration politique de l'Assemblée et d'assurer la représentation de toutes ses composantes et de respecter la parité entre les femmes et les hommes.
Je précise que les groupes qui ne disposent pas de représentant au bureau peuvent désigner un de leurs membres appartenant à la commission spéciale pour participer, sans droit de vote, à ses réunions.
Je rappelle que conformément aux décisions du Bureau et de la Conférence des présidents du 5 mai dernier, il ne pourra y avoir, le cas échéant, de scrutin secret.
Vous connaissez les dispositions de notre Règlement : les bureaux des commissions sont élus par catégorie de fonction. Lorsque, pour chaque catégorie de fonction, le nombre des candidats n'est pas supérieur au nombre de sièges à pourvoir, les candidats sont proclamés élus.
Nous allons d'abord procéder à l'élection du président.
J'ai été saisi de la candidature de Mme Nathalie Elimas.
En l'absence d'autre candidature, Mme Nathalie Elimas, conformément à l'article 39, alinéa 4, du Règlement, est proclamée présidente de la commission.
Mes chers collègues, je vous remercie de la confiance que vous avez bien voulu m'accorder. Je suis heureuse de pouvoir contribuer à ce que nos débats, ce soir et demain, soient utiles et constructifs, malgré les conditions inhabituelles dans lesquelles nous sommes amenés à travailler.
À ce propos, nous devons strictement respecter les règles fixées par le Bureau de notre assemblée mardi dernier. Par conséquent, le port du masque est obligatoire en réunion. À cette fin, des masques et du gel hydroalcoolique sont à votre disposition à l'entrée de la salle. Cette règle s'impose de façon absolue pour d'évidentes raisons sanitaires et parce qu'il nous faut aussi nous montrer exemplaires vis-à-vis de nos concitoyens.
Cela étant rappelé, je m'efforcerai de faire en sorte que chacun puisse s'exprimer et que nos travaux se déroulent aussi sereinement que possible.
Je vous propose d'ailleurs d'emblée de procéder par consensus pour la constitution du bureau de notre commission spéciale.
Les autorités de notre assemblée ont pour le moment exclu qu'il soit procédé à des scrutins secrets. Cela signifie que si nous devions départager des candidats, il faudrait le faire par des votes à main levée. Je crois que vous conviendrez avec moi que cela serait inutilement long et compliqué, et peu conforme aux procédures usuelles et souhaitables en matière de nominations personnelles.
J'ajoute que les groupes qui ne disposeraient pas d'élus au sein de ce bureau pourront bien sûr y désigner un membre associé qui participera de plein droit à ses réunions, dans l'hypothèse, qui ne me paraît pas la plus probable, où il devrait se réunir.
Pour ce qui est des vice-présidents, la commission est saisie des candidatures de Mme Perrine Goulet et M. Ludovic Mendes pour le groupe La République en Marche, de M. Antoine Savignat pour le groupe Les Républicains et de Mme Agnès Firmin Le Bodo pour le groupe UDI, Agir et Indépendants.
Le nombre des candidats n'étant pas supérieur au nombre de postes à pourvoir, conformément aux dispositions de l'article 39, alinéa 4, du Règlement, il n'y a pas lieu de procéder à un scrutin.
En conséquence, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Perrine Goulet, M. Ludovic Mendes et M. Antoine Savignat sont proclamés vice-présidents de la commission.
Pour les fonctions de secrétaire, la commission est saisie des candidatures de Mme Anne-Christine Lang et M. Rémy Rebeyrotte pour le groupe La République en Marche, de M. Pierre-Henri Dumont pour le groupe Les Républicains et de M. Jérôme Lambert pour le groupe Socialistes et apparentés.
Le nombre des candidats n'étant pas supérieur au nombre de postes à pourvoir, conformément aux dispositions de l'article 39, alinéa 4, du Règlement, il n'y a pas lieu de procéder à un scrutin.
En conséquence, M. Pierre-Henri Dumont, M. Jérôme Lambert, Mme Anne-Christine Lang et M. Rémy Rebeyrotte sont proclamés secrétaires de la commission.
Le bureau de la commission spéciale est donc ainsi constitué :
Présidente : Mme Nathalie Elimas
Vice-présidents : Mme Agnès Firmin Le Bodo
Mme Perrine Goulet
M. Ludovic Mendes
M. Antoine Savignat
Secrétaires : M. Pierre-Henri Dumont
M. Jérôme Lambert
Mme Anne-Christine Lang
M. Rémy Rebeyrotte
Par ailleurs, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a désigné M. Pierre Dharréville pour participer, sans droit de vote, aux réunions du bureau.
Les autres groupes non représentés au bureau ont été invités à faire connaître le membre de la commission spéciale qui pourra participer, sans droit de vote, aux réunions du bureau.
Enfin la commission spéciale a désigné M. Guillaume Kasbarian comme rapporteur.
Avant de passer la parole au rapporteur, je souhaite vous apporter quelques précisions.
Dans la discussion générale, chaque groupe, si vous en êtes d'accord, pourra s'exprimer pendant 5 minutes, les autres intervenants disposeront d'une minute chacun.
Nous entamerons ensuite la discussion des articles. Comme vous le savez, le Bureau de notre assemblée a décidé jusqu'à nouvel ordre que seuls les députés membres d'une commission peuvent participer à ses travaux. Cela pose donc un problème pour les amendements déposés par des députés extérieurs, puisqu'ils ne sont pas en mesure de les défendre eux-mêmes. Je vous propose donc de retenir la solution pratiquée en commission des lois la semaine dernière : j'appellerai un amendement même si son auteur n'est pas présent et j'autoriserai un commissaire, le cas échéant, à le défendre à sa place. Je crois que c'est une bonne manière de respecter le droit d'amendement compte tenu des contraintes actuelles.
Il m'appartient, en tant que présidente, de veiller au respect des règles de recevabilité des amendements. Elles sont principalement de deux ordres : la recevabilité financière au titre de l'article 40 de la Constitution, pour laquelle, comme c'est l'usage, j'ai sollicité l'avis du président de la commission des finances ; l'interdiction au titre de l'article 45 de la Constitution des « cavaliers » législatifs, autrement dit des dispositions étrangères au champ du projet de loi. À cela s'ajoute une troisième règle de recevabilité, spécifique aux projets de loi d'habilitation tels que celui dont nous sommes saisis : l'impossibilité pour les parlementaires, au titre de l'article 38 de la Constitution, de proposer une extension du champ des habilitations. J'ai été amenée à considérer que quelques-uns des amendements déposés enfreignaient l'une de ces trois dispositions constitutionnelles et ne pouvaient donc pas être mis en discussion.
La crise sans précédent traversée par notre pays depuis deux mois et les conséquences exceptionnelles qui en découlent mettent à l'épreuve l'ensemble de notre société et de notre économie. Notre cadre juridique a d'ores et déjà été adapté à cinq reprises depuis le début de l'épidémie : par deux lois organique et ordinaire d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, par la loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire et par les deux lois de finances rectificatives du 23 mars et du 25 avril. Ces adaptations législatives ont permis de doter l'État des moyens juridiques et budgétaires indispensables pour répondre sans tarder à l'urgence, accompagner le confinement et atténuer l'effondrement de notre économie.
Le temps est encore à l'urgence qui appelle de nouvelles adaptations juridiques dans le contexte de l'après-confinement.
Le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 s'inscrit dans cette perspective en habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance dans de nombreux domaines. Ses quatre articles partagent un objectif commun, clair et assumé : répondre le plus rapidement possible aux difficultés soulevées par l'épidémie, qu'il s'agisse de difficultés non résolues par les ordonnances précédentes ou de nouvelles difficultés suscitées par la durée de la crise ou la mise en œuvre du déconfinement.
Je ne ferai pas l'inventaire de toutes ces dispositions. Nos débats en commission et en séance publique nous permettront de les aborder une à une et de préciser le sens et la portée de certaines. Je tiens néanmoins à saluer l'ampleur de la transformation proposée qui ne laisse aucun secteur d'activité sur le bord du chemin. Le projet de loi donne matière à trente-six ordonnances, décompte amené à varier si des regroupements étaient effectués.
La grande diversité de ces mesures et de leurs champs d'application donne tout son sens à une commission spéciale rassemblant l'ensemble des compétences et des expertises de membres de nos huit commissions permanentes.
L'article 1er apporte une réponse d'ensemble à de nombreuses matières régaliennes, sociales, économiques et culturelles, en tenant compte des dysfonctionnements et des obstacles rencontrés depuis le début de l'épidémie. Il vient compléter les ordonnances prises sur le fondement de la précédente loi d'habilitation du 23 mars dernier, allant du fonctionnement des cours d'assises à l'organisation des compétitions sportives en passant par la préservation des moyens humains des armées, de la police et de la gendarmerie, la sécurisation des droits des travailleurs saisonniers étrangers et la prolongation des indemnités des demandeurs d'emploi.
L'article 2 aménage les échéances d'application de dispositions rendues urgentes ou, au contraire, difficilement atteignables dans le contexte actuel.
L'article 3 centralise les trésoreries d'organismes publics ou d'organismes privés chargés d'une mission de service public afin d'améliorer la gestion de la dette de l'État.
L'article 4 prépare les conséquences de la fin de la période de transition instituée par l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne dans l'attente de l'issue des négociations de l'accord de partenariat.
Le choix d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, qui irrigue l'ensemble du projet de loi, se justifie pleinement par l'urgence. L'ampleur de la crise sanitaire mais aussi sociale et économique implique de répondre au plus vite aux difficultés posées par l'épidémie et à ses conséquences sur l'ensemble de nos territoires. La publication rapide des ordonnances et de leurs textes d'application constitue à ce titre une garantie de réactivité et d'opérationnalité. La durée de trente mois de l'habilitation à légiférer par ordonnances sur les mesures concernant le retrait britannique de l'Union européenne se justifie, quant à elle, par l'incertitude de l'échéance de la période de transition qui ne sera connue qu'au 30 juin prochain.
Certaines de ces ordonnances nécessitent un important travail technique de rédaction qui mobilisera, comme depuis le début de l'épidémie, l'ensemble des administrations. D'autres ne posent pas de difficultés techniques particulières et mériteraient de voir leur portée précisée dans nos débats.
Je vous proposerai, comme l'avis du Conseil d'État sur l'avant-projet de loi y invite de manière pressante, à inscrire en clair dans le texte les dispositions législatives que le Gouvernement prévoyait d'adopter par la voie d'ordonnances qui seraient prêtes. Elles portent sur des sujets en nombre limité : mise à disposition d'agents publics auprès d'établissements de santé ou médico-sociaux, « CDIsation » des agents publics ayant été sous contrat pendant six ans, simplification de l'accès des très petites entreprises (TPE) à l'épargne salariale, fonctionnement des fédérations départementales et interdépartementales des chasseurs, indemnisation des victimes d'essais nucléaires français, extension des fonctions attribuables aux volontaires internationaux en administration (VIA).
Tout au long de nos débats, je veillerai à clarifier le sens des habilitations face d'éventuelles ambiguïtés ou difficultés de compréhension. Il est indispensable que notre assemblée soit éclairée sur l'intention associée à chacune d'entre elles et sur leur portée normative. Je formule le vœu que les ordonnances dont la rédaction est d'ores et déjà stabilisée puissent nous être présentées par le Gouvernement dans leurs grandes lignes. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, tiendra à cet égard un rôle essentiel pendant nos débats.
Compte tenu de l'étendue des champs législatifs couverts et de la durée de certaines habilitations, je propose aussi d'insérer un dispositif de contrôle parlementaire renforcé afin d'assurer le suivi des habilitations législatives. Il nous reviendra ensuite de prêter attention à la publication des ordonnances avant d'en débattre à nouveau lors de leur ratification qui devra faire l'objet de votes sur des projets de loi spécifiques à chacune d'entre elles. D'ici là, les pouvoirs publics auront pu s'appuyer sur des outils juridiques renouvelés et renforcés pour affronter cette épreuve inédite, dans le respect des principes de notre Constitution et des garanties posées par l'État de droit.
Après avoir permis à l'État de répondre en urgence à la crise et de rectifier par deux fois son budget pour 2020, nous travaillons à doter le Gouvernement des moyens d'agir face aux nombreuses conséquences de la crise sans précédent qui touche notre pays. Les mesures sanitaires et le confinement ont eu un impact sur toutes les activités, qu'elles soient économiques, associatives, judiciaires, administratives, sportives, sans compter le travail législatif et réglementaire. Les calendriers sont bouleversés et les dossiers s'accumulent. La reprise de l'activité nécessite des adaptations dans tous les domaines. Cela représente autant de défis à relever dans les prochains mois. L'État doit continuer à s'adapter et anticiper et c'est l'objectif de ce projet de loi de le lui permettre.
Le recours aux ordonnances est toujours délicat mais nous devons plus que jamais faire preuve de responsabilité alors que les administrations travaillent dans l'urgence, dans des conditions dégradées. Les députés du groupe La République en Marche resteront extrêmement exigeants. Ils proposeront des modifications et l'inscription d'un contrôle parlementaire renforcé, convaincus qu'ils sont du rôle prépondérant que le Parlement aura à jouer jusqu'à la ratification des ordonnances.
En outre, nous saluons les efforts du Gouvernement pour inscrire dans le texte un maximum de dispositions conformément aux recommandations du Conseil d'État. Des amendements en ce sens ont déjà été déposés et je ne doute pas qu'il y en aura d'autres d'ici à la séance. C'est une marque de respect pour notre assemblée.
L'article 1er prévoit une longue série de dispositions d'adaptation que nous jugeons indispensables pour tenir compte des retards pris pendant la crise et pour maintenir la continuité de nos services publics et économiques. Par exemple, pour faire face à l'engorgement massif des cours d'assises, nous devons adapter provisoirement le système. Les dispositifs retenus nous semblent proportionnés. Nous proposerons toutefois d'ajouter des précisions afin d'assurer une protection optimale des justiciables.
Plusieurs mesures sociales fortes sont ouvertes par ces habilitations. Il s'agit d'abord de l'acquisition de droits à la retraite pour les salariés en activité partielle. Avec près de 12 millions de salariés concernés, le dispositif français d'amortissement social est à nouveau renforcé. Nous saluons cette mesure importante, annoncée dès la semaine dernière par la ministre de l'emploi. La France aura été en pointe en matière de protection sociale et contrairement aux États-Unis, elle n'est pas confrontée à une explosion du chômage. La prolongation des indemnités des demandeurs d'emploi dès le 1er mars complétera le dispositif de protection sociale. Enfin, nous saluons les mesures permettant aux employeurs d'entreprises de moins de onze salariés de mettre en place un régime d'intéressement. Cette incitation au partage de la valeur au sein de l'entreprise se situe dans le droit fil de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »).
Les articles 2 et 3 modifient certains dispositifs en urgence, notamment en prorogeant la délégation de gestion des fonds européens en région, et contribuent à une meilleure gestion de la dette de l'État.
Ancienne membre de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, je me réjouis des dispositions de l'article 4. La finalisation de l'accord de partenariat fait partie des défis majeurs des prochains mois. Le Gouvernement pourra mieux anticiper les conséquences du Brexit à l'issue de la période de transition, qu'elles concernent le tunnel sous la Manche, les exportations sensibles ou le traitement de nos ressortissants.
Ce projet de loi est essentiel pour assurer la continuité des activités de notre pays. Il aborde tous les champs de compétences des commissions de notre assemblée, ce qui justifie pleinement l'existence de cette commission spéciale. Notre groupe sera fortement mobilisé pour l'enrichir et l'adopter.
Nous sommes tous parfaitement conscients de vivre une crise sanitaire, sociale et économique sans précédent. Elle nécessite d'engager des moyens exceptionnels, nous le savons aussi, et c'est la raison pour laquelle nous avions adopté avec la majorité l'état d'urgence et que nous avons voté samedi sa prorogation jusqu'au 10 juillet, conscients que nous sommes de la nécessité d'assurer une certaine souplesse dans le fonctionnement de nos institutions en cette période troublée. Mais – parce qu'il y a toujours un « mais » –, nous ne saurions cautionner tout et n'importe quoi. Nous ne pouvons accepter que l'on fasse de l'urgence sanitaire une aubaine pour essayer de faire passer tout ce qui n'avait pas pu être voté avant et qui aurait été difficile voire impossible à faire accepter après.
On nous demande une nouvelle fois, dans des conditions de travail déplorables, de valider un texte fourre-tout de quatre articles mais quels articles ! L'article 1er comporte pas moins de quarante et un alinéas et traite de sujets aussi variés que les délais en toute matière de la compétence de la loi et du règlement, la durée des mandats, du conseiller prud'homal au syndic de copropriété, l'adaptation de la procédure de jugement de crimes, les modalités de poursuite pénale, les emplois publics, militaires et policiers, les contrats de travail, les pouvoirs des fédérations sportives, les directions de fédérations de chasseurs, les titres de séjour, les mises à disposition d'agents publics, l'affectation des réserves financières de certaines caisses, l'intéressement au travail, la protection sociale, la durée d'attribution des revenus de remplacement, la contre-valeur des titres-restaurant, la mise en œuvre de règlements européens sur la protection des consommateurs. Du délire à l'état pur !
N'oublions pas que le Conseil constitutionnel fait de la clarté un principe fondamental de l'élaboration de la loi. Il a d'ailleurs rappelé, dans une décision du 28 avril 2005, que la loi doit « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ».
Au-delà des problèmes de fond, la forme crée également de la confusion. Ce texte a été déposé le 7 mai pour être examiné en commission spéciale quatre jours plus tard – dont un dimanche et un jour férié – puis en séance publique dès jeudi. Le mépris du Parlement n'est plus à démontrer ! La moindre des choses aurait été de témoigner, au moins en apparence, quelques égards à la représentation nationale qui, ne vous en déplaise, est bien là – même si c'est en version réduite. Plus rien ne justifie d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance, ni l'urgence, ni la prétendue lourdeur de la procédure parlementaire, puisque même dans l'urgence, nous répondons présents.
Le Gouvernement demande, sur une multitude de sujets, une habilitation de douze mois : c'est donc qu'il n'y a aucune urgence. Pourquoi devrions-nous renoncer à notre pouvoir en quatre jours, alors que le Gouvernement disposera de douze mois pour mettre en œuvre les mesures qu'il présente ? Je ne doute pas que le Gouvernement puisse être aussi réactif que le Parlement, dont il a si souvent critiqué la lourdeur : qu'il nous soumette un texte sur chacun des sujets abordés dans ce projet de loi et nous l'examinerons, même dans l'urgence, comme nous le faisons ce soir. La crise n'autorise pas tout et nous devons, en cette période si particulière, donner aux Français l'image rassurante d'institutions qui fonctionnent normalement.
Ce qui me gêne le plus, dans cette nébuleuse législative, c'est que vous profitez de l'urgence et de la confusion générale pour prendre des mesures qui vont nuire aux Français. Alors que nos concitoyens sont partagés depuis ce matin entre la joie de retrouver leurs proches et l'indécision quant au choix d'envoyer leurs enfants à l'école et de retourner au travail, vous profitez de la situation pour réaliser le casse du siècle. À l'article 3, vous faites main basse sur la trésorerie des organismes publics et privés chargés d'une mission de service public. Vous en avez rêvé tout au long du débat sur la réforme des retraites et aujourd'hui, vous le faites. Profitant de ce que les Français sont aux abois, vous mettez la main sur les fonds des associations exerçant une mission de service public, sur la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats et sur les réserves des caisses de retraite et des mutuelles : autant de choses que nous ne pouvons accepter.
Au-delà vos méthodes de travail, auxquelles nous sommes désormais habitués, mais que nous continuons de ne pas tolérer, c'est aussi le fond de votre texte que nous jugeons inacceptable : légiférer par ordonnance pour une durée très supérieure à l'état d'urgence, confisquer des trésoreries, porter atteinte à la liberté des procureurs d'engager des poursuites, ou encore élargir l'expérimentation des cours criminelles, ce qui est en contradiction totale avec les engagements pris par le Gouvernement au moment du débat sur la réforme de la justice. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons, à ce stade, accepter ce texte. L'urgence ne justifie pas la précipitation, encore moins un blanc-seing jusqu'à la fin du mandat. Nous ne pouvons pas renoncer, pour les douze prochains mois, aux compétences qui sont les nôtres.
Le projet de loi qui nous est soumis contient des mesures très diverses, mais qui ont toutes un caractère d'urgence, soit parce qu'elles découlent directement de la crise due au covid-19, soit parce qu'elles en dépendent, du fait du bouleversement de l'agenda parlementaire. Il nous faut donc envisager les dispositions proposées à l'aune de ce double impératif : répondre à la crise par des mesures qui, pour la plupart, prolongent des décisions déjà prises, et anticiper certaines décisions nécessaires à notre action. Chacun a conscience que nous vivons une période particulière, qui nous impose de prendre des mesures rapides et efficaces. Nous devons donc être pragmatiques, tout en veillant au respect du débat démocratique, ainsi qu'au droit des personnes concernées.
Ce projet de loi comporte un certain nombre d'habilitations à légiférer par ordonnance. Nous souhaitons que le champ de ces habilitations soit limité et que le Gouvernement propose, chaque fois que c'est possible, une inscription dans la loi même. Cela étant, les mesures proposées nous paraissent absolument nécessaires, qu'elles touchent à la prorogation de divers mandats hors politique, à la continuité des missions dans lesquelles nos forces armées sont engagées ou encore à diverses mesures sectorielles touchant aux domaines de la recherche ou du sport par exemple.
Le projet de loi répond aussi à un souci de protection des salariés – un souci constant du Gouvernement et du Parlement depuis le début de la crise. Je pense notamment aux mesures qui favorisent la reprise de l'activité des entreprises, tout en offrant un cadre plus sécurisant aux salariés. Nous devons aussi prêter une attention particulière aux détenteurs de titres de séjours ainsi qu'aux bénéficiaires de l'allocation pour demandeur d'asile : il faut que cette aide continue de leur être octroyée, même si elle aurait dû cesser de l'être, car nous ne pouvons pas les laisser sans aucun moyen de subsistance. De même, nous devons prendre en considération la situation très difficile des étudiants étrangers présents sur notre sol et qui ne peuvent pas repartir chez eux. Nous ferons plusieurs propositions en ce sens.
L'article 3 réduit les besoins en financement à court terme de l'État par une mutualisation de la trésorerie de nombreux acteurs publics.
Enfin, nous saluons la réactivité du Gouvernement au sujet du Brexit. Les négociations sont plus difficiles encore du fait de la crise sanitaire et il est peu probable qu'elles aboutiront d'ici le 31 décembre. Il convient donc de laisser toute latitude au Gouvernement pour défendre les intérêts de la France et des Français dans cette négociation. C'est pourquoi le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés le soutient dans cette démarche, comme il soutient largement les dispositions de ce texte, que nous nous apprêtons à discuter et, sans doute, à amender.
Depuis le début de la crise, notre groupe a très largement soutenu les textes d'urgence proposés par le Gouvernement pour faire face le plus rapidement possible aux difficultés innombrables soulevées par cette situation inédite, car notre pays avait besoin de mesures urgentes, aussi bien sanitaires, qu'économiques et sociales. Je pense aux lois de finances rectificatives, nécessaires pour permettre aux entreprises et aux salariés de supporter le choc, mais aussi aux nombreuses ordonnances contenues dans la loi du 23 mars. Dans un contexte de confinement et de pic épidémique, ces nombreuses habilitations nous ont paru utiles, et même nécessaires. Nous pensions qu'il était de notre devoir de donner au Gouvernement des marges de manœuvre pour parer au plus pressé. Désormais, et même s'il convient de rester prudents, le contexte n'est plus le même : j'en veux pour preuve le fait que nous pouvons à nouveau nous réunir à l'Assemblée.
Les trente-trois habilitations demandées par le Gouvernement dans des domaines très divers suscitent des réserves au sein du groupe UDI, Agir et Indépendants. Premièrement, les délais d'examen de ce projet de loi sont extrêmement courts, pour ne pas dire trop courts, et ce qui pouvait sembler acceptable pour proroger l'état d'urgence sanitaire ou préparer le 11 mai ne l'est plus forcément. Notre groupe n'est pas hostile par principe aux ordonnances, car elles permettent d'avancer sur des sujets techniques, à condition d'être concertées avec les acteurs et avec les parlementaires, qui peuvent faire remonter les demandes du terrain. La période que nous traversons nécessite, plus que jamais, de tenir compte des différences locales et des retours du terrain.
L'utilité de chaque ordonnance doit être pesée au cas par cas. Certaines d'entre elles sont justifiées : il est par exemple logique de prolonger certains contrats arrivés à échéance durant l'état d'urgence sanitaire. D'autres devront être précisées, voire être inscrites directement dans la loi. D'autres encore doivent être revues : il n'est pas souhaitable que le Gouvernement repousse l'entrée en vigueur de certaines lois déjà votées, sans préciser lesquelles. Nous pouvons l'entendre pour la réforme du divorce, mais cette mesure ne saurait être systématique – je pense en particulier à la loi sur l'économie circulaire.
Troisièmement, il est difficile de demander aux parlementaires de voter de nouvelles ordonnances, alors qu'une cinquantaine d'ordonnances plus anciennes doivent encore être ratifiées. Le Parlement fonctionne désormais presque normalement : il doit donc assumer pleinement sa fonction de législateur et contrôler l'action du Gouvernement. Si nous approuvons bon nombre des mesures proposées, nous considérons toutefois que la méthode des ordonnances ne doit pas devenir le mode normal des relations entre l'exécutif et le Parlement. Certaines mesures pourraient tout à fait être inscrites dans un texte portant diverses mesures économiques et sociales et faire l'objet d'un examen dans les règles, sans précipitation inutile.
Nous regrettons d'autant plus cette méthode que nous partageons pleinement vos objectifs. Sur le fond, ce projet de loi vise à accompagner la reprise du pays à la sortie du confinement dans toutes ses dimensions, tout en le préparant aux échéances futures, comme le Brexit. Face à un risque de récession inédite, il est essentiel de relancer notre pays, aujourd'hui à l'arrêt. Les enjeux sont d'importance : il s'agit d'assurer la continuité des services publics et l'organisation des pouvoirs régaliens et de réamorcer la pompe en relançant notre économie, largement sous perfusion, tout en évitant que les difficultés des entreprises ne se traduisent par un chômage de masse et par un accroissement des difficultés de nos concitoyens.
Certaines des habilitations demandées nous posent question, notamment celles relatives à la remise en route du service public de la justice ou celle qui élargit l'obligation de dépôt au Trésor public, qui pourrait priver plusieurs organismes, notamment les collectivités territoriales, de ressources induites. Cela étant, nous notons avec intérêt l'assouplissement temporaire des dispositifs relatifs aux accords d'intéressement dans les entreprises de moins de onze salariés. D'autres mesures urgentes auraient pu utilement figurer dans ce projet de loi, comme le remboursement des masques pour les bénéficiaires d'une allocation pour affection de longue durée ou les bénéficiaires de la protection universelle maladie. Nous déposerons des amendements en ce sens.
La loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire a montré que les méthodes de travail que nous avons adoptées au cours des dernières semaines pouvaient aboutir à la censure du Conseil constitutionnel. Veillons à ce que les travaux parlementaires conservent un minimum de tenue, même dans l'urgence !
Les conditions et les délais d'examen de ce texte sont inacceptables et vont à l'encontre du principe de sincérité des débats parlementaires.
Ce texte contient, pour l'essentiel, des dispositions permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnance, comme le prévoit l'article 38 de la Constitution, dans des domaines aussi variés que la législation sociale, le droit de la consommation, les finances publiques, le droit pénal, le droit d'asile, le droit européen ou le code de la défense. Par principe, le groupe Socialistes et apparentés considère que toute loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance doit remplir deux conditions cumulatives : une urgence réelle et un large consensus sur l'opportunité de nous dessaisir en partie de notre capacité de débattre sur le fond de chaque disposition. Il va sans dire que le non-respect de l'une de ces conditions est une ligne rouge pour notre groupe.
Ce texte pose de nombreux problèmes. Fourre-tout, il ne compte que quatre articles, mais plus de trente habilitations à légiférer par ordonnance, sur de multiples sujets. Les délais d'habilitation, en outre, ne relèvent pas de l'urgence, puisqu'ils sont de trente mois pour le Brexit et de douze mois pour un grand nombre d'autres ordonnances. Rien ne justifie de tels délais.
On nous dit, comme toujours, que le contrôle parlementaire va continuer de s'exercer, au moment de la ratification des ordonnances. Mais l'une de nos collègues a rappelé que des dizaines d'ordonnances devront déjà être ratifiées au cours des prochains mois et je m'inquiète beaucoup de ces méthodes de travail.
Ce texte est effectivement un fourre-tout. On demande au Parlement de se dessaisir de ses prérogatives pour laisser le Gouvernement faire ce qu'il veut. Quelle est la cohérence de ce projet de loi, aussi indigeste que brinquebalant, qui n'a que peu à voir avec les conséquences de l'épidémie de covid-19, le Conseil d'État l'a souligné. C'est d'ailleurs pourquoi le groupe Libertés et Territoires a déposé un amendement visant à en modifier le titre, afin qu'il corresponde davantage à son contenu. Quelle urgence nous oblige à examiner ce texte en commission et en séance publique la même semaine ? Aucune, d'autant que certaines des habilitations demandées par le Gouvernement courent sur plusieurs mois.
Le covid-19 a bouleversé la vie de nos concitoyens et nous avons dû prendre des mesures d'urgence. En agissant dans la précipitation, nous risquons de voter des textes mal rédigés, c'est-à-dire inconstitutionnels ou inadéquats. Le Conseil constitutionnel a censuré aujourd'hui certaines des dispositions relatives au traçage et à l'isolement des malades contenues dans la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. C'est une manière de sanctionner les méthodes du Gouvernement, qui bafoue le Parlement et les libertés fondamentales.
Oui, nous avons dû réorganiser le fonctionnement de nos institutions pour répondre à la crise et limiter son impact sur les plans économique, sanitaire et social. Demain, nous devrons peut-être réinventer notre société et notre démocratie, mais cela n'implique pas de mépriser le Parlement. Vous nous proposez un texte qui, tant sur la forme que sur le fond, s'assoit sur la qualité du travail parlementaire, avec un délai de dépôt des amendements extrêmement courts et un champ d'application des ordonnances extrêmement vaste : justice, agriculture, immigration, entreprises, travail, trésorerie, sport, Brexit, j'en passe. Ce n'est pas notre conception de la manière dont notre institution doit fonctionner. Ce n'est pas notre conception de la démocratie, où les députés sont les seuls représentants du peuple.
Le projet de loi que vous nous proposez n'est pas à la hauteur des enjeux, alors que l'état d'urgence sanitaire est amené à se prolonger, alors que le déconfinement commence et que sa réussite dépendra en grande partie de la responsabilité individuelle de nos concitoyens. Or celle-ci dépend pour beaucoup de leur confiance dans la capacité du Gouvernement à gérer la crise et la sortie de crise. Las, votre projet, en ce premier jour de déconfinement, ne fait que miner un peu plus la confiance des Français. Notre groupe, même s'il a eu peu de temps pour déposer des amendements, tentera de le faire évoluer dans la bonne direction, dans le sens du pragmatisme, de la responsabilité, de la justice et de l'humanité.
Nous proposerons l'allongement des titres de séjour et de la durée de séjour annuel autorisée pour les travailleurs saisonniers : nous le leur devons. Nous demanderons également la « CDIsation » des agents de la fonction publique, car il ne faut pas ajouter de l'injustice à la violence de cette crise sanitaire. Il convient également d'adapter l'activité partielle pour tenir compte de la situation particulière de nos concitoyens français bloqués à l'étranger : ils ne peuvent rester à l'écart de nos dispositifs de maintien dans l'emploi. D'autres amendements portent sur la justice : nous veillerons à ce que vous ne réintroduisiez pas dans le texte ce que nous ne voulions pas dans les textes précédents. Nous nous opposons radicalement à l'article 3, qui nous paraît disproportionné et contre-productif. Les membres du groupe Libertés et Territoires ont bien l'intention de jouer leur rôle de représentants du peuple, en dépit de votre volonté d'expédier des mesures importantes, sous couvert d'une urgence qui n'en a que le nom.
Ce projet de loi est inquiétant, car il méprise le Parlement : que ceux de nos collègues qui croient que nous aurons des moyens de contrôle ne s'abusent pas. En vérité, il va permettre à ce gouvernement de légiférer par ordonnance sur plus d'une trentaine de sujets qui, pour la plupart, ne relèvent pas de l'urgence, car ils ne sont pas directement liés aux conséquences de l'épidémie. Cette méthode, qui n'est pas nouvelle, est d'autant plus choquante que les ordonnances concernent une période qui va bien au-delà de l'état d'urgence. Le groupe La France insoumise y voit une dérive.
C'est plus qu'un cavalier législatif : c'est un véritable concours hippique ! Le texte est un vrai fourre-tout et balaie un nombre de sujets absolument exceptionnel. Et on nous demande, une fois encore, de l'examiner à la va-vite.
C'est un texte d'affaiblissement démocratique, du fait du recours aux ordonnances, dans les conditions que je viens de décrire.
C'est un texte d'affaiblissement social, puisqu'il s'agit essentiellement de permettre aux employeurs de multiplier les contrats à durée déterminée (CDD) hors de toute contrainte et de déroger au nombre de vacations dans toute une série de missions publiques. Il allonge aussi la durée de séjour des travailleurs étrangers, afin de disposer d'une main-d'œuvre peu contraignante. La plupart de ces affaiblissements pourront se prolonger six mois après la fin de l'état d'urgence. Au lieu de proposer un grand plan de relance, avec des droits sociaux nouveaux et des filets de sécurité pour tous, on étend la précarité.
C'est un texte d'affaiblissement écologique, puisqu'il propose notamment de reporter l'application de la loi contre le gaspillage et pour une économie circulaire. Le MEDEF qui, dans une lettre au Gouvernement, estimait que cette loi instaurait trop de contraintes, voit sa demande satisfaite. Alors que la crise du covid-19 nous rappelle l'urgence écologique et l'urgence sociale, vous voulez renouer avec les erreurs du passé.
C'est un texte d'affaiblissement des droits et des libertés, puisque l'état d'urgence sanitaire est maintenu.
Il est impossible de mesurer l'impact qu'aura, pour les salariés, la centralisation des trésoreries, que vous introduisez à l'article 3. Et il faudrait, sur le Brexit, avoir un vrai débat politique, au lieu de laisser les mains libres au Gouvernement.
Nous avons beaucoup de mesures d'urgences à vous proposer : il est temps de geler, bien au-delà des annonces faites aujourd'hui les frais d'incidents bancaires, qui pénalisent tant de ménages et tant d'entreprises. Lorsque j'ai pris position pour le maintien de l'article 6 ter du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, le ministre Olivier Véran m'a dit qu'il s'agissait d'un cavalier législatif. Je regrette que ses arguments soient à géométrie variable. On aurait pu introduire dans ce texte la gratuité des masques, l'extension du droit à l'interruption volontaire de grossesse à quatorze semaines, la gratuité des funérailles, le renforcement des moyens humains dans les services des douanes. Or on n'y trouve rien de tout cela : il ne vise pas à répondre à l'urgence de la crise du covid-19, mais il constitue une aubaine pour continuer de mener la politique qui nous a conduits là où nous sommes.
En lisant ce texte, on a envie de vous demander : « C'est à quel sujet ? », tant il manque de cohérence. C'est une succession de cavaliers : vous avez même convoqué toute la cavalerie !
Il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 7 mai et nous devions déposer nos amendements avant le 11 mai à 14 heures. Or les 7, 8 et 9 mai, notre assemblée examinait un autre projet de loi. Les représentants du peuple que nous sommes ont donc à peine eu le temps de consulter les personnes concernées par ces mesures et d'évaluer les conséquences de cette délégation de pouvoir.
Nous ne pouvons envisager avec le sérieux que nous impose notre fonction de législateur de vous donner le pouvoir dans ces conditions, même si certaines mesures s'imposent de fait. Rien n'interdisait le Gouvernement, alors que l'ordre du jour du Parlement doit être prioritairement dédié à la gestion de crise, d'inscrire le présent texte à l'ordre du jour de notre assemblée dans le respect d'un temps de dépôt et d'examen compatibles avec l'exercice de la démocratie parlementaire.
Il aurait été respectueux de la démocratie de confier à l'Assemblée le soin d'examiner cet ensemble de dispositions urgentes dans le cadre de projets de loi ad hoc, sans en passer par la voie des ordonnances. Le Gouvernement a choisi, avec une grande gourmandise, de recourir une nouvelle fois à des ordonnances, en demandant à l'Assemblée de lui déléguer tous ses pouvoirs législatifs sur plus d'une trentaine de sujets différents. Cela lui permet d'agir vite, certes, mais surtout de faire l'économie des débats parlementaires et d'éviter d'avoir à justifier ses choix devant les députés et les sénateurs.
Parce que cette délégation de pouvoir n'est pas neutre, la Constitution a prévu de l'entourer de quelques garanties, dont l'obtention d'un avis du Conseil d'État : or, compte tenu de la précipitation avec laquelle vous avez procédé, cet avis nous est parvenu très tardivement. Nous serons donc dépouillés de notre pouvoir pendant six ou douze mois, alors que l'état d'urgence n'est prolongé que jusqu'au 10 juillet. Le Gouvernement veut profiter de la situation, nous laissant spectateurs du tête-à-tête entre le Président de la République et le Premier ministre, qui dirigent à eux deux le pays en rompant l'équilibre des pouvoirs.
Les propositions qui sont sur la table manquent de précision. Certaines sont sans doute nécessaires – nous pourrions discuter, par exemple, du droit à la retraite en cas d'activité partielle – mais beaucoup vont bien au-delà de l'urgence. Ce projet de loi contient une série de coups fourrés, comme les dispositions liées à l'extension du recours au CDD, aux victimes des essais nucléaires, le fait de piocher dans le fonds de réserve des retraites, l'extension de la réforme de la justice au-delà de ce qui était programmé, le recours à des mesures de trésorerie : tout cela ne va pas dans la bonne direction.
Pour conclure, une des caractéristiques du projet qui nous est présenté, c'est la volonté de s'affranchir de toutes les consultations prévues en temps normal, alors que nous avons précisément besoin de revivifier la démocratie et de rouvrir le débat. Pour toutes ces raisons, nous l'abordons avec d'extrêmes réserves.
La phase de transition ouverte le 31 janvier 2020 par le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne doit durer jusqu'au 31 décembre 2020 et pourra être prolongée une fois, pour une durée maximale d'un à deux ans, la décision devant être prise conjointement avant le 1er juillet. En tant que pays hors Union, le Royaume-Uni ne participera plus à son processus décisionnel et ne sera plus représenté dans ses institutions, agences et autres organismes. Il est trop tôt pour savoir si la crise du covid-19, qui touche particulièrement les États européens, aura des conséquences sur l'avancée des négociations mais on peut l'envisager. L'article 4 de ce projet de loi fourre-tout autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trente mois, des mesures pour tirer les conséquences de la fin de la période de transition. Trente mois, c'est une urgence toute relative ! On espère que, d'ici là, le covid-19 sera de l'histoire ancienne...
Je suis toujours méfiant s'agissant de lois « portant diverses dispositions », avec des habilitations à légiférer par ordonnances. En l'occurrence, nous sommes servis ! Je peux comprendre que l'urgence ait conduit à prendre certaines mesures relatives aux droits à la retraite ou à l'indemnisation du chômage, mais d'autres ne manquent pas d'interpeller, par exemple sur la justice. Par ailleurs, comment développer une expérimentation si l'on n'en connaît pas encore les conclusions ? Enfin, j'ai besoin d'éclaircissements sur la disposition relative au dépôt des comptes au Trésor. J'ose espérer que nous aurons l'occasion d'en rediscuter avant d'être confrontés à la ratification des ordonnances.
Ce projet est un patchwork mêlant beaucoup de dispositions au prétexte de l'urgence. Le Gouvernement anéantit un des fondements de l'État de droit, la justice criminelle, en nous invitant à passer par pertes et profits les procédures permettant de punir celles et ceux qui ont commis les crimes les plus graves : cela mériterait un vrai débat. L'article 3 réduit à néant une organisation qui avait permis de structurer beaucoup d'écosystèmes. Monsieur le rapporteur, vous aurez un rôle majeur à jouer dans le contrôle des ordonnances qui seront prises.
Je tiens à saluer la majorité ainsi que certains intervenants, qui ont bien compris qu'il s'agissait d'anticiper les répercussions de la crise sur le quotidien des Français. Nous aurons l'occasion, en commission puis en séance, de débattre point par point, ordonnance par ordonnance. Il est vrai que les délais sont assez courts mais la situation l'exige car les Français attendent des réponses : nous nous devons d'être à la hauteur.
En revanche, quelques critiques m'interpellent. M. Savignat souhaite que l'on donne la rassurante image d'une institution qui fonctionne normalement. Or la situation n'a rien de normal : les règles sanitaires drastiques que nous appliquons tous depuis cinquante-cinq jours le démontrent. Les Français font preuve d'une énorme capacité d'adaptation ; nous avons en retour un devoir d'exemplarité et de flexibilité.
Certains, dénonçant la variété des sujets traités, ont rivalisé de qualificatifs, parlant de fourre-tout, de gourmandise, de patchwork ou de voiture-balai. Or la vie des Français a été bouleversée par la crise dans tous ses aspects – économiques, sociaux, sanitaires... Répondre à l'urgence touche donc nécessairement des domaines extrêmement variés. Nous avons créé une commission spéciale parce que chacun d'entre vous a une expertise particulière, qui permettra de répondre à l'ampleur des conséquences de cette crise.
J'ai cru entendre une accusation de mépris du Parlement. Le recours aux ordonnances est un procédé constitutionnel, dans lequel le Parlement a tout son rôle à jouer ; il aura ainsi tout à fait la possibilité de contrôler l'action du Gouvernement. Je défendrai un amendement visant à renforcer ce contrôle sur l'ensemble des ordonnances.
Ce texte contient des dispositions extrêmement concrètes et urgentes, que les Français attendent. Ainsi, l'état d'urgence sanitaire et les mesures de confinement ont créé des difficultés pour les employeurs ayant recours à de la main-d'œuvre saisonnière. Les agriculteurs sont en attente de solutions urgentes : ce texte permet d'y répondre. De même, certains doctorants ou assistants de recherche n'ont pas pu poursuivre leurs travaux durant la période de crise sanitaire et attendent des solutions concernant l'interruption de leur contrat de recherche. Le calcul de la durée de service ouvrant droit à la transformation d'un contrat court en contrat à durée déterminée est attendu par les Français dont les contrats ont été interrompus par la crise sanitaire. Ils ne peuvent attendre pendant des mois ou des années : ils ont besoin de réponses concrètes et urgentes.
La commission spéciale entame l'examen des articles.
Article 1er : Habilitations diverses pour adapter notre droit à la lutte contre l'épidémie et assurer la continuité de la vie économique et sociale
La commission examine les amendements de suppression de l'article n° 1 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 123 de M. Pierre Dharréville.
Par nature, la Ve République maltraite déjà le Parlement, mais l'utilisation abusive d'ordonnances pose quand même problème. On peut faire n'importe quoi en se réclamant de la République – rappelez-vous le sénatus-consulte du 28 floréal an XII, qui confiait le gouvernement de la République à un empereur ! Avec la suppression de cet article, nous souhaitons envoyer un signal politique clair : le Parlement veut jouer tout son rôle ; le Gouvernement n'a pas à légiférer par ordonnance de la sorte, surtout dans un délai aussi long après la publication de la présente loi. De plus, les sujets traités ne présentent pas tous un caractère d'urgence, tandis que d'autres, pourtant urgents, ne le sont pas, comme la gratuité des masques.
Nous ne comprenons pas bien pourquoi l'on se précipite sur certains sujets alors que l'on demande le report pour d'autres. Un véritable débat est nécessaire sur les dispositions qui doivent être prises : cela ne peut se faire à la carte, ni en votant simplement la confiance au Gouvernement. Ce projet donne des indications pour la suite : en réalité, la matrice fondamentale n'a pas changé !
Je suis au regret d'être défavorable à vos amendements. Vous déplorez que le Parlement habilite le Gouvernement à légiférer sur à peu près tout et n'importe quoi, mais cela est nécessaire dans le contexte actuel. Nombre de Français – agriculteurs, employés, chercheurs, militaires – attendent des réponses urgentes à la crise.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 57 de Mme Emmanuelle Ménard et n° 150 de Mme Agnès Thill.
Je défends l'amendement de Mme Ménard pour que vive notre démocratie. L'article 1er habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie. Dans un contexte où le Parlement est déjà largement évincé du processus législatif, il est tout à fait regrettable et dangereux pour la démocratie que le Gouvernement souhaite légiférer seul. Si la nécessité d'agir rapidement est tout à fait légitime en période d'urgence sanitaire, elle ne l'est plus dès lors que l'état d'urgence cesse. Il convient donc de faire coïncider strictement le recours aux ordonnances avec ladite période, pour que nos institutions puissent à nouveau fonctionner normalement.
Il me semble préférable de définir un délai fixe plutôt que glissant. La fin de l'état d'urgence sanitaire est fixée au 10 juillet mais rien ne nous dit qu'il ne sera pas prorogé. Avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Puis elle examine l'amendement n° 119 de M. Pierre Dharréville.
Monsieur le rapporteur, vous ne nous rassurez pas en parlant d'une nouvelle prorogation de l'état d'urgence !
L'article 1er habilite le Gouvernement à reporter l'entrée en vigueur de réformes législatives ou le terme d'expérimentations conduites sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution. Cette habilitation concerne plus spécifiquement les diverses dispositions issues de la réforme de la justice. Nous refusons la création de la juridiction unique pour le traitement des injonctions de payer ; nous nous opposons donc au report de la création de cette institution à la lumière du nouveau contexte politique, social et économique. La dématérialisation intégrale des petits litiges heurtera des contentieux qui nécessitent une comparution physique, pour des personnes qui disposent souvent de moyens financiers limités.
Cette juridiction a vu le jour à la suite des demandes répétées des établissements de crédit, des banques ou des compagnies d'assurances, qui représentent déjà près de 80 % des demandes d'injonction de payer. Un tel fonctionnement favorisera les créanciers institutionnels, qui domineront le système parce qu'ils en auront les moyens. En raison des difficultés financières que rencontreront nombre de nos concitoyens, le maintien de cette juridiction serait irresponsable.
Vous évoquez des réformes relatives à la justice, auxquelles vous vous opposez. Sachez que le champ de l'habilitation est bien plus vaste : voulez-vous mettre fin à l'expérimentation relative aux maisons de naissance, qui arrive à échéance fin novembre 2020, alors que l'on s'accorde sur l'intérêt de les généraliser ? Comment traitez‑vous le transfert de la zone des cinquante pas géométriques en Martinique et à La Réunion, faute de pouvoir prolonger l'existence légale des agences des cinquante pas géométriques ? Avis défavorable.
Les habilitations sont plus larges que ce que j'ai indiqué : voilà qui va encore alimenter mon refus de voter ce texte ! Certaines dispositions vous semblent nécessaires ; alors discutons-en et prenons nos responsabilités ! Ne laissons pas le Gouvernement opérer tout seul : cela ne donne pas toujours de très bons résultats.
L'alinéa 3 est l'illustration de la confusion qui règne dans ce texte ! Vous souhaitez proroger un certain nombre de dispositions qui ne sont pas énumérées, pour un délai fixé arbitrairement à un an, sans que l'on sache pourquoi. Certaines dispositions doivent être prorogées, mais d'autres ne doivent absolument pas l'être : les amendements suivants en feront la démonstration.
Monsieur Dharréville, vous invoquez votre hostilité de principe à la création de la juridiction nationale : il y a quelque chose d'assez paradoxal à vous opposer à la fois à la création de cette juridiction et au report de son entrée en vigueur ; mais ce n'est pas la moindre de vos contradictions. Sur le fond, la création de cette nouvelle juridiction impose des mesures qui ont pris du retard en raison de la crise sanitaire – organisation des locaux, recrutements de magistrats. Il est donc nécessaire de reporter la date d'entrée en vigueur de cette réforme. Par ailleurs, un amendement sera présenté afin d'opérer ce report « en dur ».
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement n° 143 de M. Matthieu Orphelin.
L'amendement a pour objet de restreindre l'habilitation à reporter par ordonnance la date d'entrée en vigueur de dispositions législatives contribuant à la transition énergétique. La réponse à la crise sanitaire ne doit pas se faire au détriment de la protection de l'environnement, car cela conduirait à préparer de nouvelles crises autant, voire plus graves que la crise actuelle. Ainsi, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire est nécessaire pour préparer une transition vers une économie plus résiliente : il est indispensable de ne pas repousser son entrée en vigueur.
Vous avez raison de mettre l'accent sur la transition écologique, la protection de l'environnement, l'économie circulaire et même le respect de la biodiversité. Nous sommes parfaitement conscients de l'importance et de l'urgence de ces sujets mais les informations transmises par le Gouvernement nous indiquent qu'il n'est pas envisagé de reporter la date d'entrée en vigueur de telles dispositions. Avis défavorable.
L'épidémie ne remet pas en cause les grands principes que nous avons définis en matière de transition écologique. Le Gouvernement ne reviendra pas sur l'ambition fixée il y a seulement quelques mois dans la loi sur l'économie circulaire ; il s'y est engagé publiquement à plusieurs reprises. Votre amendement est donc satisfait. L'habilitation étant rédigée de manière large, je comprends qu'elle suscite des inquiétudes. Nous allons nous efforcer, en lien avec le rapporteur, de transformer en dur l'ensemble des mesures concernées par cette habilitation large, à commencer par le report de l'entrée en vigueur de la réforme de l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. À défaut d'un retrait de cet amendement, j'y serai défavorable.
Puisque nous avons un engagement ferme du ministre et du rapporteur, je prends la liberté de retirer cet amendement.
Je laisse à M. El Guerrab la responsabilité de son choix, mais je veux souligner que, dans le contexte du confinement, le MEDEF a écrit au Gouvernement pour lui demander de suspendre nombre de décisions écologiques. Pourquoi faudrait-il reporter cette loi, qui n'apporte aucune réponse aux difficultés que rencontrent nos concitoyens du fait du covid-19 ? Le lobbying du patronat a été manifestement entendu, ce que je regrette !
L'amendement n° 143 est retiré.
La commission examine, en discussion commune, des amendements n° 5 de M. Jean‑Luc Mélenchon, n° 146 de Mme Yaël Braun-Pivet et n° 55 de M. Guillaume Larrivé.
Nous souhaitons compléter l'alinéa 3 par les mots: « à l'exception de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme dont le terme est fixé à décembre 2020 ». Nous nous opposons vivement à cette loi, qui a fait entrer dans le droit commun des dispositions de l'état d'urgence sécuritaire, pérennisant ainsi des mesures liberticides. Nous ne comprenons pas pour quelle raison il faudrait étendre son application. Cela n'a strictement aucun rapport avec l'épidémie de covid-19, sauf à considérer qu'il s'agit d'un acte terroriste contre notre pays !
L'amendement a pour objet d'exclure expressément du champ de l'habilitation la possibilité de reporter la date d'application de l'article 25 de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et de l'article 5 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (« SILT »), ces dispositifs nécessitant impérativement un contrôle parlementaire.
Les grands esprits se rencontrent, puisque notre amendement vise également à exclure la loi relative au renseignement du champ de l'habilitation. L'expérimentation, qui devait prendre fin en 2018, a déjà été prolongée jusqu'au 31 décembre 2020. Alors que la mission d'information est sur le point de déposer son rapport, un débat parlementaire est souhaitable.
Avis favorable à l'amendement n° 146, qui est plus complet que les deux autres, puisqu'il permet d'exclure du champ d'habilitation et la loi SILT et, par cohérence, la loi sur le renseignement.
L'habilitation, certes large, n'a pas pour objet de permettre au Gouvernement de modifier des dispositions des lois SILT et renseignement qui seront caduques en fin d'année et doivent faire l'objet d'un débat parlementaire spécifique. Il n'est pas question de faire obstacle au travail parlementaire en cours. Avec le rapporteur, nous allons veiller à faire préciser, d'ici à la séance, les modalités de l'habilitation, qui ne concernera ni la loi SILT ni la loi renseignement. Aussi, je vous suggère de me faire confiance et de retirer vos amendements.
Si l'amendement n° 146, que nous voterons, est plus complet, la finalité des trois amendements est identique : la tenue d'un débat parlementaire.
Monsieur le ministre, je ne comprends pas bien que vous nous proposiez de modifier le texte à notre place et d'accorder notre confiance au Gouvernement pour faire la loi. Nous voterons ces amendements.
Je partage l'étonnement de Jérôme Lambert. Dans la mesure où le seul choix qu'il nous reste est de limiter le champ des habilitations, nous n'allons pas y renoncer.
Tout le projet de loi nous demande de faire confiance sans mot dire au Gouvernement pour prendre des décisions dans un nombre très important de domaines. La réponse du ministre à nos amendements est exactement dans la même veine : faites‑nous confiance, fermez les yeux et circulez, il n'y a rien à voir ! Le Parlement doit faire son travail et modifier la loi.
Alors que le Gouvernement semble tenir compte du dépôt de ces amendements, dont il a accepté le principe, n'étant pas plus royalistes que le roi, nous allons naturellement retirer l'amendement n° 146.
Nous reconnaissons au Gouvernement sa volonté d'apporter des précisions, et c'est d'ailleurs souvent de cette façon que nous travaillons sur les ordonnances. Néanmoins, par précaution, la majorité souhaite adopter l'amendement n° 146.
Je me range à la position de Marie Lebec et maintiens l'amendement. Mais sachez que cela ne tient en rien à un défaut de confiance à l'égard du Gouvernement !
Étant ministre des relations avec le Parlement, ayant été parlementaire et étant appelé à le redevenir, loin de moi l'idée de vous demander de ne pas déposer d'amendements. Je voulais simplement vous rassurer, en vous disant que l'habilitation ne concernerait ni la loi SILT, ni la loi renseignement.
La commission rejette l'amendement n° 5.
Puis elle adopte l'amendement n° 146.
En conséquence, l'amendement n° 55 tombe.
La commission examine, en discussion commune, les amendements n° 108 de Mme Perrine Goulet et n° 163 de Mme Yaël Braun‑Pivet.
L'amendement vise à exclure du champ de l'habilitation l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, une réforme très attendue de l'ordonnance de 1945. Des avancées significatives y sont contenues, notamment sur le non‑discernement des enfants. C'est pourquoi il est nécessaire qu'elle entre en vigueur le 1er janvier 2021.
L'amendement vise à insérer après l'alinéa 3 l'alinéa suivant : « Par dérogation au premier alinéa du a, la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ne peut être reportée au‑delà du 1er mars 2021 ; ».
L'entrée en vigueur de cette réforme très importante nécessite une résorption des délais de traitement des juridictions des mineurs. Si le travail en ce sens avait été bien engagé en 2019, la grève des avocats, puis la crise sanitaire ont causé de nouveaux retards. L'important travail d'accompagnement des magistrats, des éducateurs et des auxiliaires de justice semble également difficile à mener dans le contexte de reprise progressive d'activité des juridictions. La crise sanitaire a également modifié le calendrier parlementaire.
Or, si le Gouvernement a été habilité à créer un code de la justice pénale des mineurs par ordonnance, dans le cadre de la loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice, cette habilitation était subordonnée à la possibilité que le Parlement puisse se saisir de l'ordonnance, avant son entrée en vigueur, dans le cadre de l'examen du projet de loi de ratification. Un report de l'entrée en vigueur au 31 mars 2021, comme je vous le proposerai dans un amendement après l'article 1er, permettra le travail de préparation au sein des juridictions et l'examen de l'ordonnance par le Parlement. Je vous suggère donc de retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.
Je partage totalement l'avis du rapporteur. Rappelons également l'engagement pris par la garde des sceaux, dans le cadre du débat sur la réforme de la justice, qui avait dit que, bien qu'habilitée par ordonnance, elle respecterait le débat préalable devant le Parlement pour l'entrée en vigueur. Par ailleurs, les nombreuses difficultés techniques qui se posent rendent vaine toute précipitation. Les juridictions vont avoir de grandes difficultés à résorber leurs affaires, alors que le texte implique que tous les dossiers ouverts soient soldés avant l'entrée en application du nouveau code. Le délai de mars 2021 nous semble, en réalité, un peu court également, pour appliquer des dispositions, bonnes dans leur ensemble.
Actuellement, 98 % des dossiers de mineurs ne peuvent être traités, la crise sanitaire ne faisant qu'ajouter aux difficultés de mise en œuvre de la réforme. Je vous remercie, monsieur Savignat, d'avoir rappelé l'engagement pris par la garde des sceaux devant le Parlement.
Monsieur le ministre, quel délai nous proposez‑vous ? Le 1er octobre 2020 ne semble pas raisonnable, mais le 1er janvier 2022 non plus.
Les amendements n° 108 et n° 163 sont retirés.
La commission examine l'amendement n° 2 de M. Jean‑Luc Mélenchon.
L'amendement vise à exclure du champ de l'habilitation l'importante loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie solidaire. Si insuffisante qu'elle soit, elle marque un pas dans la bonne direction. Elle prévoyait en 2021 l'interdiction des pailles en plastique, des couverts jetables, des touillettes, des boîtes en polystyrène expansé dans la restauration rapide ou de la destruction des invendus. Elle facilitait également les dons alimentaires. Nous ne comprenons pas pourquoi cette loi, qui est une première prise de conscience de l'urgence écologique et l'une des rares positives à mettre au bilan de la majorité, soit reportée, alors que beaucoup d'entreprises se sont préparées et que l'opinion publique est prête. Nous avons l'impression qu'il s'agit encore d'un effet d'aubaine et que le MEDEF a été entendu.
Monsieur Corbière, je suis très surpris de votre magnifique plaidoyer en faveur de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie solidaire, alors que votre groupe est le seul à avoir voté contre ! Je suis ravi de vous en voir aujourd'hui l'avocat... Le Gouvernement n'a jamais envisagé de reporter sa date d'entrée en vigueur. Avis défavorable.
Je suis heureux de l'évolution de la France insoumise ! Mais, monsieur Corbière, il ne suffit pas de répéter plusieurs fois des choses inexactes pour en faire une vérité. Le Gouvernement s'est exprimé très clairement : il souhaite bien aller dans la direction définie par le Parlement. Le MEDEF n'a rien à voir ici ! Avis défavorable.
L'entrée en vigueur de certaines lois a été reportée. Libre à moi d'en chercher des explications ! Par ailleurs, monsieur le rapporteur, bien loin d'avoir fait un magnifique plaidoyer, j'ai dit que votre loi était insuffisante, ce qui justifiait que nous ayons voté contre. Cette loi insuffisante, qui aurait pu être bien meilleure et qui est pleine de contradictions, c'est encore trop, apparemment ! Nous avons donc eu raison de voter contre, puisque vous‑mêmes ne l'assumez pas complètement et revenez sur vos pas, sitôt qu'une organisation syndicale – certaines sont écoutées – adresse un courrier au Gouvernement.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel n° 176 du rapporteur.
Puis elle examine les amendements identiques n° 20 de Mme Emmanuelle Anthoine, n° 22 de M. Paul Christophe, n° 43 de M. Antoine Savignat, n° 77 de M. Daniel Fasquelle, n° 95 de Mme Cécile Untermaier, n° 104 de M. Pierre Dharréville, n° 116 de M. M'jid El Guerrab, n° 154 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et n° 161 de Mme Agnès Thill.
Mon intervention vaudra défense des amendements n° 20, n° 43 et n° 77. L'alinéa 7 a trait à l'un des grands scandales de l'épidémie : depuis deux mois, la justice, garante de nos libertés fondamentales et de notre sécurité, est presque totalement à l'arrêt ! Tous les ans, quelque 2 000 dossiers passent devant une cour d'assises ; 500 viennent de faire l'objet d'un renvoi. Je ne compte ni les décisions non rendues, ni les audiences non tenues.
Les cours criminelles ont fait l'objet de plusieurs heures de débat, en commission des lois et en séance. Sans que le Gouvernement ait jamais affirmé qu'elles fussent une bonne solution, le choix de l'expérimentation a été fait, dans sept départements – chiffre longuement débattu. Nous n'avons eu aucun retour de cette expérimentation, dont nous ne connaissons ni le fonctionnement, ni les résultats. Sous couvert de la crise, le Gouvernement voudrait en accroître le champ pour un nombre illimité de départements. On ne peut pas se cacher derrière une crise pour mener une justice expérimentale ! Rappelons au ministre, qui souhaite respecter la parole de la garde des sceaux devant le Parlement, qu'elle avait affirmé que l'augmentation du nombre de cours criminelles ne serait envisagée qu'après un retour d'expérience.
En l'absence de tout retour de l'expérimentation, pourquoi revenir sur le chiffre de sept départements, qui avait été retenu après de longs échanges ? Qu'est‑ce qui se cache derrière cette volonté d'élargissement ? Quelles limites le Gouvernement se fixe‑t‑il ? Quelle organisation soutiendra une telle extension ?
L'objectif de l'expérimentation était de réduire les délais de jugement pour certaines affaires criminelles, en ne faisant siéger que des magistrats professionnels, sans jurés populaires. Conformément à l'article 63 de la loi de programmation, cette expérimentation était menée dans sept départements seulement. Or le Gouvernement profite de l'état d'urgence sanitaire, sans que l'on puisse vraiment voir de rapport, pour étendre l'expérimentation à de nouveaux départements, ce à quoi nous nous opposons, d'autant que nous ne disposons d'aucun retour des sept départements.
L'expérimentation vise uniquement, à notre sens, à accélérer le jugement des affaires au détriment de la qualité des débats. Cette réforme, qui substitue aux jurés populaires des juges à la retraite ou à mi‑temps, annonce la fin de l'oralité des débats, la fin du temps indispensable consacré aux explications orales, à l'écoute des témoins et des experts, et n'est justifiée que par la volonté de juger plus rapidement les dossiers pour pallier les manques de moyens de la justice. L'expérimentation avait été circonscrite à sept départements. Mais, de plus en plus, ces expérimentations sont autant de faux nez qui servent à avancer masqués vers une réforme inéluctable. Respectons la règle de la loi. La réforme ne va pas de soi. Il n'est absolument pas nécessaire de profiter d'une situation dramatique pour aller encore plus loin.
Le principe des cours criminelles fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part des avocats. Pour l'heure, l'expérimentation n'a donné lieu à aucune évaluation. Il apparaît donc risqué d'en généraliser le développement, au seul motif que la crise sanitaire entraînera un retard de deux mois dans la tenue des assises.
L'amendement n° 161 vise à supprimer la généralisation d'une expérimentation largement critiquée, en plein état d'urgence sanitaire. L'organisation de ces cours porte atteinte au principe d'oralité des débats en matière criminelle. Par ailleurs, elle semble imprudente, en l'absence de retours, et n'a rien d'une mesure d'urgence.
Il ne s'agit nullement de généraliser l'expérimentation ! La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice a prévu, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, d'expérimenter, pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion jugés en premier ressort, hors cas de récidive, la cour criminelle, pendant trois ans et dans dix départements au plus. Cette cour n'est composée que de magistrats et ses délais d'audiencement sont abrégés.
L'expérimentation, qui a commencé le 5 septembre 2019, concerne actuellement neuf départements : le Calvados, le Cher, La Réunion, la Moselle, l'Hérault, les Pyrénées‑Atlantiques, la Seine-Maritime et les Yvelines, Les Ardennes devant les rejoindre à compter de la reprise des activités judiciaires normales, au cours de 2020.
Il ressort des premiers enseignements de l'expérimentation transmis par le ministère de la justice, que vous trouverez plus en détail dans mon rapport, que la cour criminelle permet de juger les crimes dans des délais plus rapides, avec un temps d'audience plus court, dans des conditions respectant le contradictoire, les droits de la défense et la qualité des audiences, et pour un coût de fonctionnement moindre. Au vu de ce premier bilan plutôt positif, il apparaît justifié d'étendre – et non de généraliser – l'expérimentation à d'autres départements. Le ministère de la justice prévoit de l'étendre à trente départements, et neuf se sont d'ores et déjà portés volontaires : l'Aube, l'Essonne, la Guyane, le Maine‑et‑Loire, Paris, la Sarthe, la Seine‑Saint‑Denis, le Val‑de‑Marne et le Val‑d'Oise.
Avis défavorable.
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur Savignat, les cours d'assises ne pouvaient pas siéger pendant la crise car, du fait du confinement, les jurés n'étaient pas en mesure d'y prendre part.
Monsieur Dharréville, nous n'essayons pas de profiter de la situation ; celle-ci entraîne, pour les raisons que je viens d'évoquer, un retard tel que les dossiers s'accumulent. Il s'agit d'étendre l'expérimentation, non de la généraliser. Un certain nombre de départements se sont portés volontaires. Nous respectons la clause de revoyure : à l'échéance prévue par la loi – dont vous avez eu l'occasion de débattre –, nous analyserons les résultats. Les premiers retours nous semblent pour le moins positifs.
Compte tenu du retard accumulé et des autres difficultés prévisibles, nous risquons de ne pas être en mesure, dans certains départements, de juger tous les prévenus dans les délais impartis, ce qui entraînerait leur libération. C'est la principale justification de la disposition qui vous est proposée.
Nous avions longuement débattu de l'expérimentation lors de l'examen du projet de loi relatif à la justice. C'est une bonne mesure, qui va effectivement nous permettre de désengorger les cours d'assises et d'aller plus vite, notamment pour le traitement des crimes sexuels – mais pas seulement : les cours criminelles ont été conçues par comparaison avec les juridictions ayant à connaître d'attentats ou d'actes à caractère terroriste, ce qui donne une idée de la gravité des faits qu'elles sont amenées à traiter. Ces cours peuvent également présenter un réel intérêt dans le cadre d'une épidémie, puisqu'il n'y a pas lieu de recourir au jury, même si les jugements prononcés peuvent évidemment faire l'objet d'un appel devant la cour d'assises. Enfin, le rapporteur l'a souligné, neuf départements demandent que l'expérimentation soit élargie à leur territoire, ce qui s'explique certainement par le fait que les premiers enseignements sont positifs.
J'ai insisté, dans la discussion générale, sur la spécificité et la noblesse des cours d'assises, auxquelles il revient de juger les crimes les plus terribles. L'enjeu n'est pas mineur : dans tous les États de droit, on demande à des citoyens de se soucier du sort de celles et de ceux qui ont commis les actes les plus graves qui soient. On ne doit donc pas raisonner, s'agissant des cours d'assises, comme on le ferait pour d'autres juridictions.
Le projet de loi comporte quatre dispositions visant un ajustement de la répression des crimes. Trois d'entre elles vont dans la bonne direction, j'en conviens : il s'agit de disposer des jurés nécessaires pour augmenter le nombre de procès d'assises et traiter davantage de dossiers en cours. Mais il faudrait précisément aller au bout de cette logique en faisant en sorte d'augmenter le nombre de jurés et, pour cela, de faciliter l'établissement des listes. On serait ainsi en mesure de traiter un certain nombre de dossiers en stock.
S'agissant de l'expérimentation, dès lors qu'on l'étend à une vingtaine de départements, on est en route vers la généralisation. Vous nous avez donné les chiffres de la chancellerie – à la bonne heure. Mais que se passera-t-il si, en définitive, l'expérimentation n'est pas jugée concluante ? Faudra-t-il revenir en arrière dans tous ces départements ? Ce n'est pas possible, et prétendre le contraire, c'est se moquer du monde.
L'étude d'impact montre bien que la motivation première est non pas la justice, avec la noblesse que cela implique, mais la rationalité : c'est une question de moyens budgétaires, comme l'a souligné Pierre Dharréville. Je ne saurais admettre, pour des raisons éthiques, qu'on élargisse l'expérimentation à d'autres territoires. Que neuf procureurs essaient d'être agréables à la garde des sceaux, je le conçois – chacun connaît les relations entre les procureurs et la chancellerie –, mais ce n'est pas un argument.
Les premiers enseignements sont positifs, dites-vous. Mais ils émanent du ministère : ils doivent être évalués et faire l'objet d'un débat contradictoire, y compris avec les premières personnes concernées. On ne saurait donc s'en contenter pour justifier une telle mesure.
Ensuite, vous nous dites que vous allez étendre l'expérimentation jusqu'à trente départements. Jusqu'où précisément souhaitez-vous aller ? M. le rapporteur a donné une liste, mais vous devez vous aussi nous dire qui a demandé à participer à l'expérimentation. Il faut donc pousser l'expertise un peu plus loin.
Par ailleurs, selon vous, il faut étendre l'expérimentation à certains départements en raison de l'engorgement de leurs cours d'assises. Est-ce le seul critère sur lequel vous vous fondez ? Si tel est le cas, cela pose problème : quid de l'unicité de la République ? Il y va tout de même des jurys populaires, c'est-à-dire d'une certaine philosophie de la justice et de la manière dont elle est rendue. Aller dans cette direction, ce n'est pas sérieux.
Que les cours d'assises aient été confrontées à une difficulté insurmontable pendant l'épidémie en raison de l'impossibilité pour les jurés de siéger, je le conçois parfaitement, mais, comme viennent de le souligner mes collègues, il ne s'agit pas d'une question banale : le fait que, pour les crimes les plus graves, la justice soit rendue par le peuple est le fondement de notre système judiciaire.
Par ailleurs, j'ai eu le plaisir, ou plutôt le déplaisir d'entendre la véritable raison de l'expérimentation : c'est plus rapide et cela coûte moins cher. Telle est votre seule préoccupation – j'avais eu l'occasion de le dire à Mme la garde des sceaux lors du débat sur la réforme de la justice. Qu'on ne vienne pas nous dire que neuf départements sont volontaires : ce sont neuf chefs de juridiction zélés qui le sont. Si vous interrogiez les neuf barreaux en question, vous ne pourriez plus déclarer que les départements sont volontaires : les avocats sont opposés à l'élargissement de l'expérimentation.
D'ailleurs, si les cours criminelles traitent davantage de dossiers, les cours d'assises d'appel seront ensuite saisies d'un plus grand nombre de demandes, auxquelles elles ne pourront faire face. Le problème que vous souhaitez contourner restera donc entier : on ne sera toujours pas en mesure d'examiner les dossiers dans les délais impartis. La solution est évidente, monsieur le ministre : il faut donner à la justice les moyens de fonctionner, en commençant par augmenter le nombre de magistrats. Prenez vos responsabilités. Nous n'avons cessé de le dire : cette crise démontre l'état d'extrême déliquescence de notre justice, que nous ne saurions accepter.
Une justice à moindre coût et rendue le plus rapidement possible : est-ce vraiment notre conception ? La justice est rendue au nom du peuple français. Juger et condamner une personne pour des crimes comme ceux dont il est question, cela doit se faire en la regardant dans les yeux.
Si j'ai bien compris, vous vous appuyez sur le fait que certains procureurs sont favorables à l'extension de l'expérimentation. Quant à moi, je puis vous dire, après avoir passé près de trois quarts d'heure ce matin en visioconférence avec des représentants du Conseil national des barreaux, que les avocats demandent le rejet de cette disposition.
Bien que n'étant pas un spécialiste de ces questions – vous en conviendrez volontiers –, je m'efforcerai de répondre à vos interpellations.
Nous ne remettons pas en cause le principe des cours d'assises : les jurés seront bien présents en appel. Certes, cette réponse n'est pas entièrement satisfaisante, mais il faut avoir conscience du fait que, malgré le déconfinement, les difficultés à trouver des jurés vont perdurer : il sera déconseillé à certaines personnes particulièrement vulnérables de participer aux jurys, et d'autres souhaiteront travailler. De plus, c'est pour le Gouvernement une question de responsabilité : nous ne pouvons pas prendre le risque de voir des criminels libérés au motif que les délais impartis pour les juger ont été dépassés. J'entends votre proposition, monsieur Viry. C'est bien en jouant sur plusieurs facteurs que nous éviterons de dépasser les délais.
Même s'il faut prendre cet élément avec prudence compte tenu du fait que l'expérimentation est toujours en cours, le taux d'appel pour les jugements rendus par les cours criminelles est de 25 %, contre 32 % pour les cours d'assises. Je n'en fais pas l'alpha et l'oméga du jugement qui sera porté sur l'expérimentation, mais c'est un fait qu'il faut prendre en compte.
Dans les départements cités, ce ne sont pas les procureurs qui demandent l'élargissement de l'expérimentation : ce sont les premiers présidents des cours d'appel, autrement dit – vous le savez mieux que moi –, des magistrats indépendants, qui n'ont pas été nommés par la chancellerie. Nous en sommes toujours à l'expérimentation, pas à la généralisation. Les cours criminelles ne sont qu'un des outils destinés à éviter qu'un certain nombre de personnes qui devaient être renvoyées aux assises ne soient libérées.
La commission rejette les amendements identiques.
Elle examine ensuite l'amendement n° 136 de Mme Marie Lebec.
L'amendement vise à préciser les principales considérations qui devront guider les modifications de désignation des cours d'assises devant statuer en appel, à savoir les capacités de jugement des cours, l'intérêt des victimes et celui des accusés.
Suivant l'avis favorable du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 155 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Cet amendement de repli vise à limiter l'extension de l'expérimentation à trente départements.
Favorable. L'objectif, encore une fois, est non pas de généraliser mais d'étendre l'expérimentation.
Le Gouvernement est lui aussi favorable à cet amendement qui permet de traduire immédiatement dans le texte ce que nous avons dit.
Pourriez-vous préciser, monsieur le ministre, ce que vous attendez de cette extension de l'expérimentation ?
Je ne vous ai peut-être pas convaincu, mais j'ai déjà répondu à cette question ; je ne vois pas l'intérêt de me répéter.
Pour reformuler l'interrogation de Pierre Dharréville, s'agit-il toujours d'une expérimentation quand le dispositif est étendu à trente cours criminelles ? N'est‑ce pas une manière de modifier le fonctionnement normal de la justice ?
La commission adopte l'amendement.
Elle en arrive à l'amendement n° 112 de M. Antoine Savignat.
Nous avons parlé des cours d'assises, lesquelles, fort logiquement, n'ont pas pu siéger pendant le confinement. Mais il ne faut pas que l'arbre cache la forêt, en l'occurrence ce qui constitue le véritable scandale de cette crise : l'arrêt des juridictions. Mon amendement vise à supprimer l'alinéa 8 afin de permettre un retour à la normale du fonctionnement des juridictions.
Tous les Français doivent être jugés de la même manière sur l'ensemble du territoire national. Or l'alinéa 8, s'il était maintenu, constituerait un scandale en matière judiciaire. Les chefs de juridiction exerceraient des pressions sur les procureurs de la République, arguant du fait que le manque de place et de magistrats ne permet pas d'audiencer les affaires. À la place d'une convocation devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, on adresse une ordonnance pénale, ce qui nie les droits de la défense – à moins que le destinataire ne fasse opposition, mais cela engorgerait de nouveau les tribunaux –, supprime tout débat contradictoire et témoigne d'un mépris total envers les victimes, même si, pour vous donner bonne conscience, vous prévoyez qu'il faut « prendre en considération l'intérêt des victimes ». Encore une fois, l'objectif est clair : aller plus vite et faire en sorte que cela coûte moins cher. Ce n'est pas normal ; ce n'est pas acceptable ; c'est même, à mon sens, anticonstitutionnel, car c'est une manière de créer une justice à plusieurs vitesses, selon la capacité de réaction des juridictions. La solution est simple : il faut donner plus de moyens à la justice.
Avis défavorable. Il convient de permettre aux procureurs de la République de réorienter les procédures dont ont été saisies les juridictions de police ou correctionnelles et les juridictions pour mineurs avant la crise sanitaire ou à son début, afin que le ministère public puisse, si nécessaire, leur apporter une réponse pénale autre que celle exigeant la tenue d'une audience devant la juridiction. Il s'agit ainsi de permettre aux juridictions de faire face au stock d'affaires pénales qui se sont accumulées depuis la déclaration de l'état d'urgence sanitaire et la mise en place dans les juridictions de plans de continuité d'activité, qui s'ajoutent aux audiences précédemment reportées ou annulées en raison de la grève des avocats.
Vous tirez argument du report de certaines audiences en raison de la grève des avocats. C'est un refuge facile pour un gouvernement incapable de donner à la justice les moyens nécessaires. Tout au long de leur grève, les avocats ont assuré la défense des prévenus devant les tribunaux correctionnels, et il en va de même pour le contentieux des libertés.
Le dispositif proposé est une insulte aux procureurs : alors qu'ils avaient choisi, sur la base d'un dossier et au regard des dispositions législatives applicables, de renvoyer une personne devant telle ou telle juridiction, ils vont subir des pressions pour revoir leur position au rabais, en l'occurrence opter pour une solution moins chère et plus rapide, au motif que la chancellerie n'a pas les moyens d'assurer un fonctionnement normal. C'est une démission totale de l'État dans l'exercice d'une mission régalienne.
Monsieur le rapporteur, vous expliquez, mais vous n'argumentez pas. Vous expliquez pourquoi, selon vous, on pourrait faire ce qui est proposé, mais vous n'avez pas la force de conviction nécessaire pour montrer en quoi, ce faisant, la justice respecte ses principes essentiels, notamment en matière de droits de la défense. Devant un tribunal de police ou un tribunal correctionnel, il y a forcément un moment où le prévenu est défendu : il a l'occasion de s'exprimer, d'expliquer pourquoi il a commis l'acte qui lui est reproché, en quoi sa personnalité a pu l'y conduire ; lorsqu'on recourt aux alternatives aux poursuites, on demande à l'accusé de se taire. C'est la négation absolue de ce que l'on peut attendre de la justice. Avec cette disposition, j'ai le sentiment profondément désagréable que l'état d'urgence sanitaire est une aubaine pour le Gouvernement, qu'il en profite pour réaliser ses desseins les plus terribles, esquissés lors du débat sur la réforme de la justice. Toutes les grandes voix des prétoires s'élèvent contre ces dispositions : écoutez-les.
Je suis désolé de ne pas vous avoir convaincu ; j'essaie, pour chaque amendement, de prendre le temps d'expliquer et d'avancer des arguments – que vous ne soyez pas d'accord avec eux, je l'entends très bien. Nous nous trouvons dans une situation exceptionnelle, qui provoque un engorgement sévère. Vous dites que le fait d'augmenter les moyens permettrait de résoudre immédiatement le problème ; pour ma part, je considère que la crise appelle des mesures comme celles qui nous sont proposées. Je suis désolé que vous n'en soyez pas convaincu, mais je maintiens mes propos.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 107 de Mme Perrine Goulet.
L'amendement vise à exclure du champ de l'habilitation les juridictions pour mineurs. La justice pour mineurs n'est efficace que lorsque la sanction est prise au plus près du délit et à la hauteur de celui-ci. En outre, j'ai eu l'occasion de constater, notamment lors d'une immersion au tribunal de Versailles, l'impact qu'avait sur certains jeunes le fait d'être à la barre, de comparaître devant le juge, dans un cadre institutionnel. Selon moi, il n'est pas du tout souhaitable de réorienter les dossiers et de modifier la réponse pénale pour les mineurs. Cela vaut également, bien entendu, pour toutes les interventions des juges des enfants dans le cadre de la protection de l'enfance.
Madame Goulet, je connais votre engagement en la matière, je sais qu'il est fort et sincère, et je vous en félicite. Malheureusement, l'engorgement est le même pour tout le monde. Avis défavorable.
Je ne me suis pas exprimé précédemment car beaucoup de collègues sont de fins spécialistes de ces questions, mais je veux réagir en ce qui concerne la justice des enfants. Monsieur le rapporteur, vous avez votre cohérence et votre sincérité, mais il s'agit de quelque chose d'essentiel, qui est l'une des caractéristiques d'une société démocratique. Se contenter d'invoquer un engorgement, c'est un peu court. C'est même préoccupant : cela revient à dire qu'il est possible de transiger avec les libertés fondamentales des mineurs. Or on sait très bien que la qualité de la justice rendue, la possibilité offerte de s'exprimer devant le tribunal sont essentielles : des vies entières peuvent s'en trouver bouleversées. Je soutiens donc l'amendement de Mme Goulet.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement n° 25 de M. Paul Christophe.
Cet amendement vise à se conformer à l'avis du Conseil d'État en limitant dans le temps le pouvoir de réorientation dévolu aux procureurs de la République. En effet, le projet de loi habilite le Gouvernement à permettre aux procureurs de la République de réorienter les procédures dont ont été saisies les juridictions de police ou correctionnelles avant le début de la crise sanitaire ou à son début. Le ministère public pourra donc, si nécessaire, leur apporter une réponse pénale autre que celle exigeant la tenue d'une audience devant la juridiction. Compte tenu de la dérogation au principe de l'indisponibilité de l'action publique que cette disposition sous-tend, il est nécessaire de l'encadrer strictement dans le temps et de la lier étroitement à la réorganisation des juridictions qu'appelle la sortie de crise.
La réorientation des procédures fait déjà l'objet d'une limitation temporelle, la date retenue étant le 1er novembre 2020. Il nous paraît inutile de préciser que cette limite doit être respectée « strictement ». Je demande le retrait de l'amendement ; à défaut, avis défavorable.
Je suis étonné que le Conseil d'État soit passé à côté de cet argument. Par acquit de conscience, je préfère maintenir l'amendement.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement n° 113 de Mme Cécile Untermaier.
L'alinéa 8, qui donne un pouvoir exceptionnel aux procureurs de la République, précise que dans l'exercice de ce pouvoir, ceux-ci doivent prendre en considération « l'intérêt des victimes ». Nous avons eu à ce sujet un long échange avec le Conseil national des barreaux ; sensibles à son argumentaire, nous avons déposé cet amendement pour que « l'intérêt des victimes » soit remplacé par « l'intérêt des parties ». Une procédure judiciaire met face à face une victime et un supposé contrevenant ; même s'il représente la puissance publique, le procureur doit considérer de manière équilibrée l'intérêt de toutes les parties, et pas uniquement celui des victimes.
La rédaction de l'habilitation, telle qu'elle résulte de l'avis du Conseil d'État, apparaît équilibrée, en ce qu'elle limite la réorientation des procédures dans le temps, exclut le classement sans suite, et précise que le procureur doit prendre en considération l'intérêt des victimes. Avis défavorable.
Cet amendement mérite avant même la séance une discussion de fond. Dans ce pays, notre conception de la justice veut que l'on n'instruise pas à charge. Le fait d'exprimer clairement que le procureur, dans le cadre du pouvoir qui est le sien – qui se trouverait étendu à la faveur de cette ordonnance –, vise à respecter l'ensemble des parties, semble la moindre des choses. Je ne vois pas pourquoi vous vous accrochez à la rédaction initiale.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement n° 102 de Mme Cécile Untermaier.
L'état d'esprit est le même pour cet amendement que pour le précédent. C'est dans le respect des droits de la défense que doivent se faire les modifications proposées. Autant le dire et l'écrire, car nous avons besoin d'être rassurés à ce sujet ; c'est d'ailleurs conforme à l'esprit de nos lois et au fonctionnement normal de la justice.
Cet amendement ne me semble pas indispensable mais, dans la mesure où il permet de rappeler le fonctionnement du code de procédure pénale, le Gouvernement émet lui aussi un avis de sagesse.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement n° 26 de M. Paul Christophe.
L'amendement vise à sécuriser juridiquement le pouvoir de réorientation dévolu par l'article 1er du projet de loi aux procureurs de la République, en adéquation avec l'avis prononcé par le Conseil d'État. En effet, compte tenu de la dérogation au principe de l'indisponibilité de l'action publique sous-tendue par cette disposition, il est important d'encadrer juridiquement ce pouvoir exceptionnel en ajoutant, à la suite de la considération de l'intérêt des victimes, le respect des principes généraux de conduite de l'action publique tels que définis à l'article préliminaire du code de procédure pénale.
Cette précision ne nous paraît pas utile ; nous demandons donc son retrait ou son rejet. La réorientation des procédures fera évidemment l'objet d'une appréciation rigoureuse de la part des parquets, qui exercent quotidiennement leur prérogative dans le respect des principes généraux du code de procédure pénale, et n'ont guère besoin de ce rappel. Avis défavorable.
Certes, les parquets exercent quotidiennement leur prérogative. Mais – c'est la nuance qu'apporte cet alinéa – la décision d'engager ou non des poursuites envers quelqu'un pourrait désormais être modifiée après avoir été prise, ce qui est problématique. Faute de moyens suffisants, le processus qui découle normalement de leur travail pourrait ne pas être mis en œuvre. Dans ce contexte, le fait de rappeler les principes généraux qui conduisent l'action publique ne me paraît pas être une hérésie, d'autant que vous prenez soin de mentionner les droits de la défense.
Mon amendement vient de bénéficier d'un bon avocat... Votre appréciation du texte sous-tend un déséquilibre auquel je ne souscris pas ; nous souhaitons au contraire rétablir un équilibre de principe.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Elle passe ensuite à l'amendement n° 129 M. Pierre Dharréville.
L'alinéa 10 permet au Gouvernement de déroger, pendant l'état d'urgence sanitaire, aux dispositions du code de la défense en matière de limite d'âge et de durée de services, d'engagement et de rengagement, ainsi que de reconversion. Une telle disposition emporte des conséquences importantes en matière de déroulement de carrière des fonctionnaires militaires ; elle devrait a minima faire l'objet d'une consultation du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM).
Le CSFM est l'instance de concertation nationale des militaires ; celle-ci peut porter sur les questions statutaires et les parcours professionnels, sur les conditions de départ des armées et d'emploi après l'exercice du métier militaire. Ces sujets sont directement concernés par l'habilitation législative dont il est question ; j'émets donc un avis favorable à votre amendement.
Il convient néanmoins de rappeler que les mesures de prolongation de service prévues par cette habilitation s'appliqueront aux militaires volontaires, et que le maintien en service ne se fera pas contre leur volonté ; de même, le retour d'anciens militaires de carrière se fera sur la base du volontariat.
Demande de retrait ou avis défavorable. Le ministère des armées attache une importance toute particulière à recourir à l'expertise des membres du CSFM, dans le cadre des relations mutuelles de confiance entre ces deux institutions au titre de l'échange d'informations. Il a ainsi été consulté de façon dématérialisée à propos de plusieurs textes statutaires portant sur les ressources humaines ; ce fut encore le cas le 25 mars. Cependant, les délais particulièrement contraints ne permettent pas de le saisir pour avis sur ces mesures législatives ; or celles-ci sont importantes pour éviter les pertes de compétence dans les armées et pour pallier les effets des retards occasionnés par la crise dans les recrutements. Lors de la prochaine séance du CSFM, un point complet sera fait s'agissant des mesures d'accompagnement qui n'ont pu lui être soumises en raison de la situation d'urgence – en particulier en matière de ressources humaines et de protection sanitaire.
Quand on voit comment vous traitez la représentation parlementaire, avancer l'argument des délais me semble un peu cocasse. Le CSFM aurait très bien pu être saisi ; il peut travailler au moins aussi vite que des parlementaires. C'est peut-être parce qu'elle a émis dernièrement – de manière inattendue – un avis assez critique sur la réforme des retraites, et ainsi fait montre d'une certaine indépendance d'esprit, que vous ne souhaitez pas consulter cette instance. Je trouve cela dommage, et je salue la sagesse de M. le rapporteur sur ce sujet.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle se saisit de l'amendement n° 3 de M. Jean-Luc Mélenchon.
Il s'agit de supprimer les alinéas 13 à 16 de l'article 1er. J'ai déjà pointé la dimension peu sociale de ce texte ; il témoigne de la volonté d'appliquer une forme de « flexisécurité », en permettant aux employeurs de déroger aux dispositions relatives au renouvellement des CDD et des contrats de travail temporaire. De la même façon, l'alinéa 14 prévoit d'adapter les règles de l'activité partielle en fonction du type d'entreprise et de la catégorie de salarié, ce qui est préoccupant ; en l'absence de règle générale, une forte contrainte risque de peser sur les salariés de certains secteurs professionnels. Mis à part leur caractère antisocial, je ne comprends pas bien la pertinence de ces mesures. Nous jugeons donc utile de supprimer ces alinéas dans la mesure où ils remettent largement en cause le code du travail, lui apportant des dérogations qui n'ont pas d'utilité pour lutter contre l'épidémie de covid-19.
Je suis en désaccord avec vous. L'ensemble des modifications apportées au code du travail depuis le début de l'épidémie l'ont été pour protéger les salariés et accompagner les entreprises face à l'effondrement de l'activité. Les partenaires sociaux dans leur ensemble – que ce soit les organisations syndicales ou patronales – ont salué à la fois la réactivité des services du ministère du travail et l'économie générale de la réforme, s'agissant notamment de l'activité partielle. Je vous renvoie à ce titre aux conclusions de nos collègues Stéphane Viry et Fadila Khattabi quant aux conséquences du covid-19 sur le travail et l'emploi, présentées en commission des affaires sociales la semaine dernière.
Ensuite, l'habilitation que vous contestez ici est relative aux règles de recours aux CDD et aux contrats d'intérim. Concrètement, si votre amendement est adopté, aucun CDD arrivant à son terme lors du déconfinement ne pourra être prolongé au-delà des durées prévues par les dispositions supplétives. Nous n'allons pas reprendre ici le débat du début de législature en matière de droit du travail : nous faisons clairement le choix de la confiance dans le dialogue social de terrain, au plus près des réalités de l'entreprise – nous avons sur le sujet des appréciations différentes mais, pour ma part, j'y crois. La nouvelle compétence donnée à l'accord d'entreprise sera encadrée et limitée dans le temps.
Enfin, votre amendement conduira également à interdire toute prolongation des contrats d'insertion, des contrats aidés et des « CDD tremplin » des travailleurs handicapés. Je ne suis pas certain que ce soit votre intention ; quoi qu'il en soit, ce n'est pas la nôtre.
Avis défavorable.
À l'impossible nul n'est tenu, mais peut-être auriez-vous pu reconnaître qu'un certain nombre de dispositifs très puissants ont été mis en œuvre pour les entreprises et leurs salariés, afin de faire en sorte que soit préservé l'essentiel, c'est-à-dire le fait de maintenir les gens dans l'emploi ; cette exigence a présidé à l'élaboration du dispositif mis en œuvre au début de la crise. Vous proposez de supprimer plusieurs dispositions habilitant le Gouvernement à prévoir, pendant la période de crise et celle de reprise de l'activité, des mesures propres à adapter le dispositif d'activité partielle et à sécuriser les relations de travail en CDD et en contrats de mission. Par ailleurs, comme le disait M. le rapporteur à l'instant, cela conduirait dans un certain nombre de situations à rompre le contrat de travail ou le contrat d'insertion, ce qui est certainement contraire à vos objectifs.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques n° 54 de M. Frédéric Descrozaille, n° 68 de M. Fabrice Brun, n° 71 de M. Stéphane Travert et n° 78 de M. Jean-Noël Barrot.
Ce 11 mai a marqué la réouverture d'un certain nombre de secteurs commerciaux ; nous pouvons nous en féliciter, même s'il faut bien entendu que nous restions vigilants pendant cette période de déconfinement. Cependant, des secteurs demeurent fermés administrativement, en particulier l'hôtellerie et la restauration, ce qui va avoir un impact prolongé sur les secteurs qui les approvisionnent, notamment le commerce de gros qui connaît des pertes de chiffre d'affaires oscillant entre 80 % et 100 %. Par ailleurs, l'absence de visibilité quant à la date de réouverture laisse présager le pire. Cet amendement vise donc à inciter le Gouvernement à porter dans son ordonnance une attention particulière aux secteurs qui demeurent fermés, mais également à ceux qui les approvisionnent.
Cet amendement a pour but de demander au Gouvernement une attention particulière pour ces secteurs qui, alors que l'activité économique de notre pays renaît tout doucement, demeurent fermés, au premier rang desquels l'hôtellerie et la restauration. Nous insistons particulièrement sur le fait qu'il faut travailler dans une logique de filière, car c'est l'ensemble de chaque filière – fournisseurs compris – qui est touchée. J'ajouterais tout ce qui relève de l'événementiel, qui demeure fermé puisqu'il est interdit de se réunir à plus de dix personnes ; cette industrie, qui n'a pu reprendre ses activités, est également touchée dans son ensemble.
Mes collègues ont exprimé l'inquiétude qui est celle de tous nos territoires. Cette question concerne tous les députés, car nous avons tous dans nos territoires des activités de restauration, d'hôtellerie, de tourisme, de parcs et de loisirs ; celles‑ci sont considérablement touchées. La France est un pays touristique, et c'est toute une économie qui est en train de disparaître sous nos yeux. Il est essentiel que le Gouvernement soit à l'écoute et prenne des mesures très généreuses pour soutenir ce secteur, crucial pour la diversité et l'expression de nos territoires.
L'alinéa 14 va dans le bon sens, puisqu'il permet au Gouvernement d'ajuster le mécanisme de l'activité partielle pour accompagner la reprise et éviter des ruptures trop fortes pour les entreprises. Avec cet amendement, il s'agit de dire que nous portons une attention toute particulière aux secteurs qui ont fait l'objet de fermetures administratives – l'hôtellerie, la restauration, le tourisme et l'événementiel –, mais aussi à ceux qui se trouvent en amont de la filière, en particulier le commerce de gros, qui a vu une partie de ses débouchés se tarir brutalement et se trouve en attente de paiements de la part des restaurateurs ou des opérateurs de tourisme. Une attention équivalente doit être portée à l'ensemble de la filière, sans quoi nous aurons du mal à faire repartir l'économie.
Je ne peux que partager votre intention. Les activités ayant fait l'objet d'une fermeture administrative sont effectivement confrontées, depuis le début de l'épidémie, à un effondrement de leurs revenus et à une menace sur leur existence et sur leurs emplois. Elles constituent évidemment un public privilégié du dispositif d'activité partielle, sur lequel elles devront pouvoir s'appuyer pour reprendre progressivement leur activité.
Je considère néanmoins que votre amendement est satisfait par la rédaction de l'alinéa 14, qui prévoit expressément de pouvoir adapter le dispositif en fonction des caractéristiques de l'entreprise et des secteurs d'activité. Les métiers du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration, ainsi que ceux qui en dépendent, sont précisément le cœur de cette habilitation.
Je m'interroge également sur la rédaction de votre amendement, qui propose d'inclure tous les fournisseurs approvisionnant des structures administrativement fermées – en particulier des restaurants –, quelle que soit la réalité des difficultés effectivement rencontrées.
Je suggère donc que nous retravaillions ensemble la rédaction de cet amendement d'ici la séance ; je demande donc son retrait.
L'activité partielle est un dispositif visant à prévenir les licenciements économiques. Depuis mars 2020, cet outil a été profondément modifié pour être adapté aux enjeux liés au soutien de l'emploi dans le cadre de la crise sanitaire. Plusieurs textes, dont un décret en Conseil d'État, sont venus l'améliorer. L'objectif est à présent de l'adapter à la reprise de l'activité, tout en préservant les entreprises des secteurs qui subissent une crise profonde, notamment celles qui sont encore fermées administrativement. Celles-ci se trouvent dans une situation toute particulière, et elles doivent continuer à bénéficier de ce dispositif dans sa forme actuelle, comme le prévoit l'habilitation qui est pensée pour les hôtels, les cafés et les restaurants.
Cependant, tel qu'il est rédigé, votre amendement propose de traiter de manière équivalente les secteurs approvisionnant ceux qui sont administrativement fermés. Or la diversité des situations n'est pas sans poser des difficultés, dans la mesure où un fournisseur peut avoir différents clients qui ne sont pas tous dans la même situation administrative, et peut avoir un taux de dépendance faible aux secteurs fermés. On peut imaginer un boucher dont 5 % de la marchandise seulement approvisionne la restauration, et se trouve par ailleurs administrativement autorisé à ouvrir ; faut-il lui appliquer les mêmes règles, en matière d'activité partielle, qu'un restaurant obligé de fermer ? Si le Gouvernement comprend et partage l'objectif final exprimé par plusieurs députés de différents groupes, il souhaite néanmoins affiner la rédaction du texte pour éviter des effets de bord qui ne seraient pas maîtrisés. Nous proposons donc de retirer ces amendements, au profit d'un débat en séance publique.
Pour bien comprendre l'intérêt de cet amendement, il faut relire les alinéas 13 et 14, qui évoquent les mesures d'accompagnement prises pour atténuer les effets de la baisse d'activité et favoriser la reprise, en adaptant les dispositions relatives à l'activité partielle. Notre amendement vise des secteurs qui ne sont pas concernés par l'activité partielle, puisqu'ils se trouvent en réalité en situation d'inactivité totale ; ayant fait l'objet de fermetures administratives, ils ont totalement cessé leur activité. Or ils sont oubliés de ce texte, dans lequel ils ne figurent pas. Il s'agit donc de graver dans le marbre le principe selon lequel ils feront eux aussi l'objet de mesures d'accompagnement, lorsque leur activité sera autorisée à reprendre – ce sont quasiment les seuls, avec les arts et la culture, à ne pas pouvoir redémarrer immédiatement. Peut-être sera-t-il possible d'améliorer la rédaction en séance, mais nous pouvons d'ores et déjà le noter dans le texte, afin de ne pas l'oublier.
Vous avez pris l'exemple d'un boucher dont 5 % seulement de la marchandise serait destinée aux restaurateurs, mais je pourrais prendre ceux d'entreprises françaises et internationales dont 90 % du chiffre d'affaires est lié à la restauration, à l'hôtellerie ou à l'événementiel, et qui connaissent de grandes difficultés, alors que même la commande publique – les cantines de nos écoles, de nos prisons et de nos hôpitaux – n'est pas relancée. Ces filières doivent être soutenues, tout comme la filière agricole et agroalimentaire de transformation, qui se sent un peu seule, mais aussi l'événementiel, dont on ne parle pas beaucoup alors qu'il représente des milliers d'emplois menacés. Nous aurons besoin d'éclaircissements à ce sujet lors de la séance publique.
Les entreprises fermées administrativement sont bien le cœur de cible de l'habilitation ; nous sommes d'accord sur ce principe de base, et les objectifs du Gouvernement en la matière sont très clairs. Mais votre proposition, qui vise à traiter de manière équivalente celles qui les approvisionnent en liant inextricablement ces deux types d'entreprise, nous paraît trop floue au regard de la diversité des situations – même si nous gardons à l'esprit celles décrites par M. Mendes ; c'est pourquoi je propose que nous en rediscutions en séance, pour aboutir à une rédaction qui ne devra pas être uniforme.
Je voudrais d'abord rassurer M. Savignat : ma mémoire est bonne, et si je dis que nous devrons retravailler cet amendement d'ici la séance, c'est vraiment pour que nous le fassions. Ensuite, j'ai le sentiment qu'il y a une incompréhension sur le mécanisme d'activité partielle ou de chômage partiel ; celui-ci ne doit pas être opposé à l'inactivité totale, car il s'agit du même dispositif. Il y a par exemple dans vos circonscriptions des restaurants qui ont eu accès à l'activité partielle tout en étant fermés administrativement – donc totalement inactifs. Je tiens à répéter que je partage complètement votre objectif, qui me semble déjà en grande partie satisfait par cette habilitation ; la formulation de votre amendement devra être retravaillée pour éviter les effets de bord, car inclure l'ensemble des fournisseurs de ces activités administrativement fermées me paraît trop large au regard de la diversité de leurs situations – les exemples tels que celui du boucher, que l'on pourrait multiplier, le montrent bien. C'est pourquoi je me suis permis de demander son retrait.
Les amendements n° 54, n° 71 et n° 78 sont retirés. Puis la commission rejette l'amendement n° 68.
Elle en vient à l'amendement n° 115 de M. M'jid El Guerrab.
Suite à la suspension du trafic international, des milliers de nos compatriotes se sont retrouvés bloqués à l'étranger et ne seront pas en mesure de reprendre leur activité dans les jours à venir. Je reçois chaque jour à ce sujet des dizaines de témoignages, émanant de Français dont la précarité s'aggrave de jour en jour ; ceux-ci occupent des emplois indispensables à notre pays – ouvriers, techniciens, agents d'entretien, aides-soignants –, souvent des emplois manuels qui ne peuvent faire l'objet d'un aménagement en télétravail. La crise sanitaire n'a pas manqué d'illustrer la fracture sociale qui sépare les salariés en première ligne, pour qui le confinement n'a finalement rien changé, et les emplois dits de bureau, qui ont pu faire l'objet d'adaptations. Or les Français dont il est ici question sont salariés d'entreprises souvent inéligibles au chômage partiel, de sorte qu'ils ont dû négocier avec leur employeur des congés sans solde après avoir épuisé tous leurs congés payés. Bloqués dans un pays qui n'est pas le leur, ils voient leurs économies s'envoler et comptent sur le Gouvernement pour que leur situation soit prise en compte. C'est l'objet de mon amendement, qui vient préciser les futures mesures relatives à l'activité partielle.
Cette situation particulière fait l'objet d'une attention renforcée de nos ambassades et de nos consulats. Cependant, le droit ne me semble pas devoir être modifié pour couvrir de nouveaux publics ; si leur contrat de travail est suspendu, ils seront bien éligibles aux dispositifs d'accompagnement adoptés pendant la crise. C'est pourquoi je demande le retrait de votre amendement.
Au-delà de son objet, cet amendement pose la question majeure de nos compatriotes qui, près de dix semaines après le début de l'épidémie, demeurent bloqués à l'étranger. Nonobstant les déclarations du ministre des affaires étrangères, certaines situations ne progressent pas et suscitent l'inquiétude, en particulier les cas où des familles entières sont concernées. Je compte sur M. le ministre chargé des relations avec le Parlement pour attirer l'attention de son collègue chargé des affaires étrangères sur ces questions pressantes de rapatriement.
Je suis favorable à l'amendement de notre collègue, qui a pour vertu d'appeler l'attention sur le sort de nos compatriotes bloqués à l'étranger, auquel nous sommes tous sensibilisés à travers les nombreuses demandes que nous recevons.
C'est un mal français de voir toujours le verre à moitié vide. Saluons le travail remarquable effectué par notre réseau diplomatique et par les transporteurs pour rapatrier des dizaines de milliers de Français, dont certains se trouvaient dans de situations quasiment inextricables. Le cadre juridique actuel permet déjà de prendre en charge les salariés expatriés qui n'ont pu être rapatriés et dont l'entreprise est en activité partielle.
Demande de retrait.
Rappelons que notre pays a rapatrié 180 000 ressortissants, ce qui est plus que n'importe quel État membre de l'Union européenne et plus que les États‑Unis. Il faut se féliciter de la mobilisation exceptionnelle du centre de crise du Quai d'Orsay, des services du ministère des affaires étrangères et du réseau diplomatique.
En outre, Gérald Darmanin et Jean-Yves Le Drian ont annoncé il y a quelques semaines un plan d'urgence pour les Français de l'étranger qui comprend des aides sanitaires et sociales, mesures sans équivalent dans les autres pays. Bien sûr, il y a encore des cas à traiter, dont certains relèvent de l'urgence.
Il est en effet extraordinaire que la France ait pu rapatrier 185 000 ressortissants. Nous sommes sans doute le seul pays au monde à l'avoir fait dans de telles proportions. Reste que nous recevons des dizaines de sollicitations de nos compatriotes encore bloqués. Nous ne pouvons rester insensibles à leur sort. Je maintiens donc mon amendement.
La commission rejette l'amendement.
La séance est levée à minuit dix.