Intervention de Pascal Brindeau

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l'autonomie et le projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau :

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que les deux projets de loi poursuivent un double objectif. Le premier vise à répondre en urgence à la crise exceptionnelle que nous connaissons, laquelle a fortement dégradé la situation financière de l'ACOSS, et remet en question le financement à terme de notre système de sécurité. Le second objectif réside dans la préfiguration d'une cinquième branche de la sécurité sociale, chargée de financer la problématique de la dépendance, dont vous indiquiez qu'il s'agit d'un choc démographique à venir voire d'un enjeu civilisationnel, car de nombreux pays y sont confrontés.

À la différence de la dette de l'État, la dette sociale ne peut être pérenne car les assurés sociaux ont besoin de confiance dans la viabilité du système de protection sociale. Le principe d'équilibre entre recettes et dépenses doit rester la norme.

Notre groupe accueille ces textes avec un a priori favorable, même si certaines interrogations subsistent, sur lesquelles nous aurons besoin d'éclaircissements.

Le projet de loi ordinaire prévoit de transférer 136 milliards d'euros à la CADES, un montant qui rassemble plusieurs types de déficits ne répondant pas tous aux mêmes logiques. Le transfert répond en premier lieu à la nécessité de soulager le financement de l'ACOSS, très sollicitée en raison de la crise. Le même mécanisme de transfert de dettes de l'ACOSS à la CADES avait d'ailleurs été mis en place après la crise de 2010, dans un délai plus long car l'ACOSS n'avait pas connu les mêmes tensions de financement. Le déficit de la sécurité sociale s'élevait à l'époque à 27 milliards d'euros.

Le montant à transférer nous interroge. L'étude d'impact estimait le déficit de la sécurité sociale pour 2020 à 41 milliards d'euros, un montant loin d'être stabilisé, qui a été réévalué la semaine dernière à 52 milliards d'euros. On peut donc craindre que le chiffre de 92 milliards d'euros repris par la CADES au titre des exercices 2020 à 2023 soit sous-évalué, si la situation de l'économie et de l'emploi ne se rétablissait pas prochainement, comme chacun le souhaite.

Quelle sera par ailleurs la capacité de la CADES à amortir ces 136 milliards dans le nouveau délai qui lui est imparti ? D'après l'étude d'impact, cette capacité se fonde sur des perspectives de croissance des recettes de CSG et de CRDS de près de 2 % par an, en moyenne, entre 2022 et 2033, ce qui reste hautement hypothétique.

Pour ce qui concerne la reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux, qui représente 13 milliards d'euros, l'exposé des motifs précise qu'elle concerne les hôpitaux publics, alors que le texte évoque « les établissements de santé [...] relevant du service public hospitalier ». Pourriez-vous clarifier ce point, monsieur le ministre ?

L'étude d'impact précise par ailleurs explicitement que le dispositif est susceptible de constituer une aide d'État au sens du droit européen, ce qui pose des questions s'agissant de sa sécurité juridique. Mais faire porter la reprise de la dette hospitalière par la sécurité sociale revient aussi à lui faire porter une décision politique de l'État. Les entités qui forment la sécurité sociale, bonnes gestionnaires, respectent aujourd'hui le cadre financier qui leur est imparti ainsi que les lourdes mesures d'économie imposées, en particulier pour respecter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

Replacer la dette hospitalière au sein de la CADES pénalise de nouveau les organismes de sécurité sociale, puisque ce sont autant de ressources qui ne pourront être consacrées à d'autres chantiers, y compris celui de la dépendance. Le financement de l'hôpital public doit faire l'objet de mesures propres, spécifiques et pérennes.

Les projets de loi organique et ordinaire posent également le principe de la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale prenant en charge la dépendance. Si on ne peut que se féliciter de ce pas en avant vers une meilleure prise en charge, les montants fléchés vers la CNSA – 2,3 milliards d'euros en 2024 – restent très en deçà des besoins, que le rapport Libault évalue à environ 10 milliards d'euros par an.

Il est essentiel de conserver la crédibilité financière de la signature de la France. En ce sens, accompagner tout transfert de dettes par un montant de ressources de même niveau et allonger la durée de vie de la CADES ne font pas débat. La CADES a d'ailleurs démontré son expertise en matière d'amortissement de la dette sociale depuis sa création.

Pour autant, le choix de transférer les déficits futurs de la sécurité sociale, soit 92 milliards d'euros, à la CADES, donc de retarder son extinction à 2033 limite grandement nos marges de manœuvre concernant le financement de la dépendance. À ce titre, nous pourrions faire le choix de flécher une partie des dépenses exceptionnelles liées à la crise du covid-19, par exemple les exonérations et reports de cotisations sociales, qui sont un choix politique de l'État, dans un fonds spécial, qui serait géré par l'Agence France Trésor.

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