Le projet de loi est-il à la hauteur ? Je répondrai en passant en revue plusieurs de nos propositions. Le choix végétarien, par exemple, se retrouve dans le texte, mais il se ferait sur la base du volontariat et ne serait donc pas obligatoire, comme nous le préconisions. Plus grave, la redevance pour pollution diffuse que nous proposions d'appliquer aux engrais azotés est renvoyée à 2024-2026, alors que cette mesure est urgente en raison du danger auquel ces produits exposent nos écosystèmes. Il manque également une mesure concernant les pesticides. Ces deux dernières mesures ayant fait l'objet d'une transcription légistique, nous croyions qu'elles vous seraient transmises sans filtre, pour que vous vous en saisissiez, quitte à les rejeter. Il nous semblait en effet que c'était à vous de faire ce choix, et non aux ministres.
Par ailleurs, notre proposition relative à la déforestation importée se retrouve dans le projet de loi sous la forme d'un mécanisme d'alerte non contraignant pour les entreprises, de sorte que ces dernières ne feront sans doute pas les efforts attendus.
Nous ne retrouvons pas non plus dans le texte l'interdiction de la publicité pour les produits proscrits par le Plan national nutrition santé (PNNS) ; une telle mesure, nous a-t-on dit, mettrait en péril l'économie du secteur publicitaire. Mais pourquoi interdire la publicité pour le tabac et l'alcool et pas la publicité pour les produits contenant trop de sucre, de sel ou d'acides gras, qui aggravent les problèmes de santé ?
Voilà pour les mesures qui sont absentes du projet de loi ou qui ont été édulcorées.
Monsieur Lambert, nous sommes tous convaincus de la nécessité de réaliser une évaluation de l'impact du projet de loi, ne serait-ce que pour savoir s'il correspond au mandat qui nous a été confié ou s'il est très en deçà, auquel cas il faudra peut-être réunir une nouvelle convention citoyenne en lui fixant, cette fois, pour objectif une réduction de 55 %, et non plus de 40 %, des émissions de gaz à effet de serre…
Monsieur Balanant, nous sommes conscients que notre proposition de lier le crime d'écocide au dépassement des limites planétaires est très ambitieuse. C'est pourtant une évidence pour un certain nombre de chercheurs et de juristes environnementaux – je pense notamment à Mireille Delmas-Marty. Au demeurant, fin juin, le Président de la République a donné son joker, non pas pour le crime d'écocide lui-même, mais pour sa définition, qui serait inconstitutionnelle dans la mesure où les seuils applicables ne sont pas déterminés.
De fait, il aurait fallu prendre les choses dans l'autre sens. Nous aurions dû commencer par créer une Haute Autorité des limites planétaires, laquelle aurait déterminé les seuils applicables au niveau national puis au niveau des territoires – il faudrait deux ou trois ans de travail pour y parvenir mais, selon le Sockholm Resilience Center, cela est faisable – et, ensuite, nous aurions créé le crime d'écocide. Nous aurions pu ainsi défendre une ambition beaucoup plus élevée au plan international, notamment auprès de la Cour pénale internationale, comme l'a souhaité le Président de la République.
Quoi qu'il en soit, nous avons travaillé avec des juristes et des scientifiques pour revoir la définition proposée, comme l'a demandé le Président de la République, tout en conservant l'ambition et la philosophie de notre projet. Nous avons ainsi soumis, à deux reprises, un document de travail au ministère. Celui-ci ne nous a pas répondu et a fini par nous présenter le projet de création d'un délit d'écocide qui n'a rien à voir avec nos travaux.
La définition de l'écocide que nous proposions, et qui nous semblait pourtant correspondre à cette ambition, s'inscrivait dans le cadre des atteintes aux intérêts écologiques fondamentaux de la nation. En effet, dès lors qu'on dépasse un seuil, on met en péril l'habitabilité du territoire, et donc on porte atteinte à un intérêt fondamental de la nation. Nous aurions souhaité, en attendant la désignation d'une Haute Autorité des limites planétaires et la détermination des seuils applicables, qu'au moins la notion d'écocide soit introduite dans le droit français.
L'écocide, je le précise, est un crime et non un délit de pollution, puisqu'il qualifie, non pas le non-respect d'une réglementation, mais une atteinte fondamentale portée à l'habitabilité du territoire, à notre maintien sur la planète. Par ailleurs, nous avons évoqué la création d'un délit d'imprudence, car il nous semble normal que des agissements non intentionnels soient également pénalisés, afin que les gros industriels et, le cas échéant, les particuliers soient amenés à modifier leur business plan. Telle est la philosophie de notre proposition, que nous ne retrouvons pas dans le projet de loi.