Intervention de Michel Badré

Réunion du jeudi 18 février 2021 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Michel Badré, rapporteur de l'avis du CESE sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets :

Dans sa toute première question, M. Cazeneuve se demande ce qui a amené le CESE à considérer que le projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux, alors que le rapport du Boston Consulting Group, publié par le Gouvernement, estimerait que la trajectoire est bonne.

Le CESE n'a rien inventé : c'était écrit dans le rapport de présentation du projet de loi. Vous savez que l'étude d'impact, peu précise, ne permet pas de savoir si l'objectif fixé peut être atteint. En revanche, selon le rapport joint au projet de loi, l'ensemble des mesures qu'il contient devraient permettre de réaliser entre la moitié et les deux tiers de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif fixé pour 2030, lequel a d'ailleurs été augmenté depuis. Le reste peut être atteint par d'autres mesures, certaines par exemple qui pourraient venir plus tard, d'autres, financières, qui ne relèvent pas de la loi.

Quant au rapport du Boston Consulting Group, que j'ai lu en détail, on y trouve un tableau comparatif de toutes les mesures prévues, intitulé « Résultat de l'analyse par mesure », qui les classe en trois paquets de taille assez comparable : « probablement atteint », « possiblement atteint » et « difficilement atteignable ». La conclusion du BCG, c'est qu'atteindre l'objectif est déjà en soi un défi et suppose que l'ensemble des mesures, sans exception, soient parfaitement exécutées, en dépit du contexte de crise économique. Il est dit plus loin qu'atteindre un objectif plus élevé, ce qui devra être fait pour se conformer aux nouvelles exigences européennes, est impossible. Je ne suis donc pas sûr pour ma part que le rapport du Boston Consulting Group dise tellement autre chose que celui du CESE.

Une autre question de M. Cazeneuve porte sur la participation citoyenne. Nous y avons beaucoup réfléchi en rédigeant cet avis : nous nous y exprimons en tant que représentants de la société civile organisée, comme on le dit au CESE, autrement dit des organisations professionnelles, des organisations syndicales, des organisations non gouvernementales (ONG). Nous pensons que nous avons en tant que tels des choses à dire, à côté d'un groupe de citoyens tirés au sort et bien sûr en amont de la représentation parlementaire. Tout cela n'est pas contradictoire mais se complète.

S'agissant des mobilités qu'a évoquées M. Zulesi, lorsque le CESE recommande de pérenniser certaines évolutions constatées pendant la pandémie, il pense au télétravail, d'une part, et à ce qu'on appelle couramment les mobilités douces d'autre part – le vélo pour faire simple. Dans les deux cas, des investissements sont nécessaires en amont. On a vu ce qu'une ville comme Paris pouvait faire pour développer les pistes cyclables, mais pérenniser et sécuriser le tout, ensuite, nécessite du travail. Pour ce qui est du télétravail, il faudra des investissements par exemple dans les zones blanches, et aussi des négociations sociales, on le sait, car son développement spectaculaire n'ira pas sans inconvénients si l'on ne prend pas quelques précautions.

S'agissant des transports aériens, nous ne nous sommes jamais placés dans la position de rédiger nous-mêmes des amendements au projet de loi, ce n'est pas notre rôle, mais il nous apparaît que ce qui pose problème est la distorsion de concurrence, on ne peut l'appeler autrement, qui existe, pour les distances moyennes, entre le transport aérien et le transport ferroviaire du fait de la détaxation du kérosène. Les négociations internationales pour arriver à un régime uniforme seront importantes sur ce point. Pour ce qui est plus précisément de la concurrence entre compagnies aériennes classiques et low cost, nous n'avons pas de solution toute faite. Il nous semble, sans avoir eu le temps d'entrer dans le détail, que les avantages locaux accordés dans certaines plateformes aéroportuaires aux compagnies low cost sont une donnée importante. Pour avoir travaillé sur la question de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, je pense que cela mériterait vraiment d'être regardé de plus près.

Il est exact, comme l'a relevé Mme de Lavergne, que nous n'avons pas fait beaucoup de propositions sur le bloc « Se nourrir » : une grande partie des mesures prévues, en particulier s'agissant des cantines, nous semblent aller dans le bon sens et nous n'avons émis que des remarques ponctuelles. En revanche, trois sujets nous ont paru majeurs, mais qui concernent plutôt le volet agricole.

Le premier est celui des engrais azotés. Nous avons eu un assez vif débat avec nos collègues du groupe de l'agriculture, mais la rédaction finale est consensuelle. Les engrais azotés sont de gros émetteurs de gaz à effet de serre : la production émet beaucoup de CO2, et l'utilisation beaucoup de protoxyde d'azote, ce qui est encore pire en matière d'effets sur le climat. Selon le CESE, il faut donc tenir ferme pour que le dispositif de taxation prévu soit appliqué à l'échéance 2024, en prenant d'ici là toutes les mesures qu'il faut. C'est vraiment un enjeu essentiel en matière d'émissions.

Le suivant, tout le monde s'accorde dessus : il n'y a plus qu'à le réaliser. Il s'agit de vérifier la cohérence entre le plan stratégique national, autrement dit le dispositif français d'application de la politique agricole commune, et la stratégie nationale bas-carbone. Cette cohérence n'apparaît pas à la simple lecture des deux documents et il faut donc effectuer le travail technique nécessaire.

Enfin, le dernier sujet touche aux capacités de stockage du carbone par l'agriculture et la forêt, autrement dit au fameux « 4 ‰ » qui est le taux de croissance des stocks de carbone dans les sols français. Cette capacité de stockage, qui est fortement utilisée dans le scénario de neutralité 2050, soulève des controverses scientifiques qui ne sont pas encore tranchées, notamment sur l'effet de l'adaptation au changement climatique, qui risque de perturber l'atténuation. Le sujet mérite d'être un peu plus creusé.

Plusieurs députés, dont MM. Chassaigne et Aubert, ont parlé de l'artificialisation et de la désertification des zones rurales. Le CESE apprécie que le projet de loi prévoie une diminution par deux, dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), du rythme d'artificialisation. Il adhère aussi à l'idée que cette réduction de moitié s'envisage à l'échelon régional mais pas au niveau de chaque commune, puisqu'elles peuvent connaître des situations très différentes, comme l'a dit M. Chassaigne. En revanche, il rappelle que dans une organisation comme la nôtre où il n'y a pas de tutelle entre régions, départements, établissements publics de coopération intercommunale ou commune, un dispositif de négociation entre tous ces niveaux de collectivités est indispensable pour s'assurer que les mesures prises sont cohérentes entre elles. Or ce dispositif, que le Gouvernement s'était engagé à mettre sur pied, n'existe pas. Il nous paraît important d'y remédier.

M. Aubert a évoqué la nécessité de donner une définition à l'artificialisation. Nous sommes d'accord, sans pour autant être en mesure d'énoncer la bonne définition. Ce qui est sûr en revanche, c'est que notre système de mesure de l'artificialisation ne peut pas rester tel quel. Entre les données de Corine Land Cover, qui est un système de suivi fixé au niveau européen, et le système statistique Teruti du ministère français de l'agriculture, les chiffres vont de 30 000 à 60 000 hectares artificialisés par an, ce qui fait tout de même une fourchette un peu large. Il faut absolument unifier le dispositif : rien ne sert de fixer des objectifs si l'on ne sait pas si l'on en est près ou loin.

Mme Petit a évoqué les risques de conflit entre les objectifs de climat et les objectifs de biodiversité. Nous ne sommes pas sûrs qu'il y ait conflit. Nous avons écrit dans la partie sur les transports que la priorité n'était pas d'interdire aux gens de se déplacer, mais de faire ce qu'il fallait pour que les déplacements contraints – domicile-travail, domicile-commerces, domicile-services publics… – soient aussi limités que possible. C'est donc un problème d'urbanisation et d'artificialisation, et de ce point de vue aussi l'objectif de division par deux du rythme d'artificialisation paraît intelligent. Cela suppose de sortir du modèle des années 1960, celui des lotissements en rase campagne où tout le monde a deux voitures. Pour nous, c'est là que se rejoignent les enjeux de biodiversité et ceux de limitation de l'artificialisation.

Il a été plusieurs fois question de l'effet de ce texte sur les 20 % de la population les plus défavorisés, et sur le travail à effectuer pour faire le lien, sur chaque mesure, avec les gilets jaunes et bonnets rouges. Ainsi que nous l'avons rappelé, la trajectoire de réduction des émissions a été construite à l'origine avec des hypothèses de montants de taxe carbone. Ceux qui avaient proposé l'établissement de celle-ci – je renvoie à la commission Rocard-Juppé de 2009 – avaient bien souligné dès le début que ces mesures n'avaient de sens qu'accompagnées de compensations sociales pour les plus vulnérables. Cela n'a pas été fait. Coordonner ces deux types de mesures suppose tout un travail technique pour connaître l'effet d'une taxe sur une catégorie de population et trouver comment le compenser. Cela nous paraît vraiment essentiel pour que l'objectif de neutralité carbone ne reste pas un pur rêve.

Enfin, M. Aubert nous demande si nous avons suffisamment de recul maintenant pour dire ce que nous pensons du titre VI. Dès le départ, nous avions chacun nos idées sur le sujet : nous aurions pu les donner, ainsi que l'avis d'un ou deux juristes consultés exprès. Mais un avis du CESE ne consiste pas en la juxtaposition d'avis d'experts. Donner mon avis ou celui de Mme Claire Bordenave sur l'écocide n'a pas plus d'intérêt aujourd'hui qu'il y a trois semaines. Dire ce que pense le CESE d'un dispositif après avoir fait discuter ensemble les organisations agricoles, les entreprises, les artisans et les ONG environnementales, c'est cela qui a un sens, et c'est ce que nous n'avons pas eu le temps de le faire.

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