La commission spéciale a entendu Mme Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ainsi que M. Michel Badré et Mme Claire Bordenave, rapporteurs de l'avis du CESE sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Je vous remercie, madame la présidente, madame et monsieur les rapporteurs, d'avoir accepté notre invitation.
Comme vous le savez, le projet de loi sur lequel vous avez travaillé a été déposé le 10 février à l'Assemblée nationale. Ce texte a connu un long parcours puisqu'il est issu des propositions émises par la Convention citoyenne pour le climat et qu'il a fait l'objet, lors de son élaboration, de certaines consultations préalables, dont celle du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Dans le cadre de nos travaux préparatoires, nous avons naturellement souhaité vous entendre afin que vous nous présentiez votre analyse du projet de loi, qui peut être, dans sa dernière version, différent du texte qui vous a été soumis – vous avez eu à vous prononcer avant son examen par le Conseil d'État et son adoption par le Conseil des ministres.
Nous sommes très heureux de cette audition et nous vous remercions de l'attention que vous portez à nos travaux, chacun restant, bien sûr, dans son rôle.
Nous nous sommes prononcés sur l'apport du projet de loi compte tenu des objectifs de la France en matière climatique, dans la continuité de l'analyse que nous avions déjà développée à propos de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) mais aussi de la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat et, si on remonte davantage dans le temps, de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Je ne citerai pas tous nos travaux sur le climat : il y en a bien d'autres, notamment des analyses annuelles sur l'empreinte carbone. Nous sommes partis de cette perspective au lieu de nous polariser sur la reprise, sous un angle quantitatif ou qualitatif, des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
Nous ne nous sommes pas prononcés sur le titre VI, car nous en avons reçu le texte trop tardivement : nous n'avons pas eu physiquement les moyens de faire le travail de documentation nécessaire. Nous avons préféré faire l'impasse sur cette partie pour des raisons qui nous dépassaient très largement.
Je précise également que nous avons été saisis par le Gouvernement : il ne s'agit pas d'une autosaisine.
Nous avons adopté notre avis sur le projet de loi en séance plénière le 27 janvier, avant la présentation du texte au Conseil des ministres. Cet avis a été adopté par seize des dix‑huit groupes. Ceux qui se sont abstenus l'ont fait, en réalité, sur le projet de loi et non sur l'avis lui-même.
Nous avons constaté, hélas, que notre analyse et nos recommandations ont été peu prises en compte avant la présentation du texte au Conseil des ministres et son dépôt à l'Assemblée nationale.
J'insisterai enfin sur un point qui est assez essentiel sur le plan démocratique – ce n'est pas qu'une question logistique : nous avons été amenés à travailler dans des conditions assez déraisonnables. Nous avons dû commencer entre Noël et le jour de l'an, à un moment où personne n'était disponible, et d'abord sans texte, puis avec un texte incomplet, ce qui nous a obligés à reprendre le travail déjà effectué. Nous avons ensuite reçu une étude d'impact de 564 pages, puis le texte complet, et nous avons obtenu une ultime version de l'étude d'impact une fois que notre travail avait été adopté.
Ces conditions de travail, qui sont tout simplement difficiles, doivent conduire à s'interroger. Vous savez que la réforme du CESE a prévu une procédure d'urgence nous laissant un délai de trois semaines pour nous prononcer – en réalité trois séances de travail puisque nous ne sommes pas des permanents. Cela permet-il vraiment de mener des analyses de fond sur la globalité des thèmes abordés dans un texte tel que celui-ci, qui comportait initialement 65 articles, d'étudier une étude d'impact dans des conditions correctes et, surtout, d'avoir les échanges voulus, conformément à notre vocation, avec les organisations de la société civile ?
Si nous n'avions pas fait tout un travail, très profond, depuis cinq et même dix ans, sur les textes de référence en matière climatique, nous aurions probablement été incapables de nous prononcer, dans ces conditions, sur un texte qui nous paraît pourtant extrêmement important. Nous nous sommes demandé s'il donnerait une nouvelle impulsion en ce qui concerne les politiques climatiques et surtout la trajectoire prévue – qui n'est pas respectée à l'heure actuelle, nous l'avons dit à plusieurs reprises.
J'ajoute que j'ai fait partie, à compter de juillet 2019, du comité de gouvernance de la Convention citoyenne : j'ai vécu cette dernière de l'intérieur et au sein de la section de l'environnement du CESE. Je pourrai revenir sur ce point si vous le souhaitez.
. Nous avons d'abord fait le point, dans notre avis, sur l'effort qui est attendu, c'est‑à‑dire sur les objectifs fixés au plan national mais aussi international. Le cadre dans lequel s'insérait la commande passée par le Président de la République à la Convention citoyenne pour le climat était le suivant : une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, puis la neutralité carbone en 2050, conformément à ce que prévoit la stratégie nationale bas-carbone. La Convention citoyenne avait pour mandat de proposer des mesures structurantes, permettant de changer de braquet, afin d'atteindre ces objectifs dans un esprit de justice sociale, deux ans après les événements liés aux gilets jaunes et au refus d'une augmentation de la taxe carbone sur les carburants.
Où en sommes-nous ? Nos émissions ont été réduites de 20 % en trente ans, c'est‑à‑dire qu'il nous reste à réaliser le même effort en dix ans. Il faut donc tripler le rythme d'ici à 2030. En ce qui concerne l'objectif de neutralité carbone à atteindre en 2050, il faudrait diviser par six nos émissions. L'Union européenne a par ailleurs annoncé, à peu près au moment où nous étudiions le projet de loi, un nouvel objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. La référence n'est pas exactement la même que précédemment : l'objectif fixé par l'Union européenne inclut le stockage de carbone par les forêts. À périmètre comparable, cela représente une réduction de 46 ou 47 % des émissions. L'effort à réaliser d'ici à 2030 ne se limite donc plus à une baisse de 40 % : un renforcement est nécessaire pour répondre aux nouvelles ambitions européennes et il faut aussi tenir compte de l'objectif à atteindre d'ici à 2050.
Quand on regarde par secteur d'activité la façon dont la baisse de 20 % des émissions en trente ans a été réalisée, on voit que la part relative des transports a beaucoup augmenté, que celle du logement a plutôt évolué en sens contraire – il y a eu une baisse importante dans le secteur résidentiel mais le tertiaire a connu une légère augmentation – et que la part de l'industrie s'est beaucoup réduite.
Ce qui retranscrit le mieux la situation, c'est l'empreinte carbone, puisqu'elle tient compte non seulement du CO2 produit en France mais aussi de celui qui est importé pour notre consommation. Une partie de la baisse de 20 % des émissions a été obtenue parce qu'on a délocalisé des activités économiques. Selon les derniers chiffres, notre empreinte carbone est nettement plus élevée que les émissions territoriales.
Par conséquent, les résultats sont en trompe-l'œil : un décrochage entre le PIB et les émissions de CO2 est observable mais il n'est pas à la hauteur des attentes et, surtout, c'est l'empreinte carbone qui reflète réellement les efforts à accomplir : si on délocalise les émissions de carbone, on ne résout pas le problème à l'échelle de la planète.
Nous avons travaillé sur le texte en suivant ses grandes thématiques. Je vois que vous vous êtes réparti de même le travail au sein de votre commission spéciale, comme l'avait également fait la Convention citoyenne.
Merci beaucoup de nous accueillir. Je compléterai simplement, sur quelques points, ce que vient d'être dit.
Notre avis n'est pas celui de commentateurs externes qui diraient que le projet de loi est bien ou pas bien, qu'il faudrait être plus ou moins ambitieux, mais l'avis du CESE, qui est notamment composé de représentants d'entreprises, d'organisations syndicales et d'associations.
Notre premier constat est que le compte n'y est pas, Mme Claire Bordenave vient de le souligner, par rapport aux objectifs de réduction de 40 %, et même désormais de 46 ou 47 %, des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et de neutralité carbone en 2050. C'est assez facile à dire. Ce qui est un peu plus complexe, c'est de déterminer ce qu'il faudrait pour faire mieux. Toutes nos recommandations vont en ce sens.
Nous avons volontairement évoqué, dans notre avis, des questions de financement et de gouvernance qui ne relèvent pas nécessairement de mesures législatives ou réglementaires particulières. Tout le monde sait, et nous en reparlerons certainement, que le niveau du financement consacré au logement ou aux infrastructures de transport est aussi important que le niveau d'exigence que l'on fixera au plan réglementaire.
Je voudrais également insister, avant que nous n'entrions dans une approche plus thématique, sur notre 33e recommandation, qui me paraît vraiment importante. Afin d'élever le niveau d'ambition et d'être davantage en cohérence – on ne l'est pas en ce moment, il faut le dire clairement – avec la trajectoire de réduction des émissions, les stratégies de lutte contre le changement climatique doivent, tout d'abord, être intégrées dans la politique de lutte contre les inégalités. Si on sépare ces politiques, on recommencera avec les gilets jaunes – or on a déjà donné… Ensuite, s'agissant des méthodes d'évaluation socio-économique des projets – mais cela vaut aussi pour les programmes et pour différentes activités –, on ne doit pas se contenter de faire des calculs de rentabilité économique : il faut aussi une analyse des effets de redistribution, afin que les mesures prévues soient acceptées par la société, et il faut intégrer un taux d'actualisation – une mesure de long terme peut, en effet, coûter de l'argent maintenant et n'en rapporter que plus tard. Troisièmement, il faut prendre en compte la question, absolument essentielle, des incidences sur l'emploi.
Merci beaucoup pour votre excellent rapport et pour les présentations que vous venez de faire.
L'avis du CESE est critique, c'est le moins qu'on puisse dire, à l'égard du projet de loi. Vous avez écrit que les mesures du texte, prises une à une, sont pertinentes, mais que vous les trouvez limitées par rapport aux enjeux et que vous craignez qu'elles ne soient pas appliquées à une échéance suffisamment proche. Votre avis rappelle aussi l'importance des moyens humains et budgétaires dont l'État doit disposer, notamment en ce qui concerne la rénovation des logements, le transport ferroviaire, l'urbanisme et la biodiversité.
Le Boston Consulting Group (BCG), qui a étudié l'impact du projet de loi en y associant les mesures précédemment adoptées, a conclu, pour sa part, que nous sommes sur la trajectoire de réduction de 40 % des émissions d'ici à 2030. Qu'est-ce qui justifie que vous arriviez à des conclusions différentes ?
Vous avez relevé à juste titre qu'il est difficile de faire accepter les politiques climatiques par l'ensemble des acteurs de la société. Vous demandez que la société civile soit plus étroitement associée à la définition de ces politiques. Doit-on comprendre que le projet de loi manque de dispositions concernant la participation des citoyens et qu'il faudrait inventer quelque chose qui s'inscrirait dans la continuité de la Convention citoyenne ?
S'agissant des entreprises, avez-vous réfléchi aux capacités des plus petites d'entre elles à s'engager dans les politiques climatiques ? La majorité des entreprises françaises sont petites, et elles ont des capacités financières limitées. En outre, elles se trouvent parfois dans des territoires ruraux, ce qui peut impliquer des contraintes spécifiques. Pensez-vous que de telles entreprises peuvent accompagner la transformation qui est absolument nécessaire ?
Je salue le travail réalisé par le CESE.
Faudrait-il introduire dans le texte des mesures visant à pérenniser certaines évolutions constatées durant la pandémie, notamment celles qui permettent plus de sobriété en matière de déplacements ?
Quelles normes maximales préconisez-vous, en ce qui concerne les émissions, pour les véhicules utilitaires légers neufs ?
S'agissant du transport aérien, vous avez écrit que la transformation des compagnies nationales ne doit pas favoriser le low cost. Quelles sont vos propositions pour atteindre cet objectif que nous partageons tous ?
Je remercie également le CESE pour le travail qu'il a réalisé.
Ma première question porte sur le processus de la Convention citoyenne pour le climat – vous avez dit, Madame Ducroux, que vous aviez participé à son comité de gouvernance. C'était un processus inédit et innovant pour construire en amont des politiques publiques et, en particulier, un projet de loi. J'aimerais avoir votre retour d'expérience : que reproduiriez-vous si une nouvelle convention citoyenne voyait le jour et que changeriez‑vous ?
S'agissant du titre V du projet de loi, intitulé « Se nourrir », vous avez formulé deux préconisations, ce qui fait peu au regard des autres titres du texte. Était-ce parce que vous vous retrouviez dans les mesures figurant dans le projet de loi ou bien pas du tout ? Quel est, par ailleurs, votre avis en ce qui concerne les labels ? Ce sujet, qui a été très important dans les travaux de la Convention citoyenne, est certes repris dans le texte mais d'une manière un peu différente – et néanmoins utile.
Le CESE a fait un excellent travail, malgré des conditions particulièrement difficiles.
Le premier constat est que le projet de loi ne permettra pas d'atteindre l'objectif national de baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 et qu'en outre, comme vous l'avez rappelé, l'objectif adopté en décembre dernier au niveau européen a porté la réduction des émissions à 55 %. Il y a donc un vrai problème.
Le résumé de votre avis souligne que « certaines mesures, comme celles qui concernent l'équilibre entre l'urbanisation et les espaces naturels et ruraux, auront une portée positive importante à long terme, mais dépendent pour leur mise en œuvre de l'ambition et de la volonté coordonnées des collectivités et de l'État ». Je tiens à dire que c'est déjà la catastrophe en milieu rural : la désertification s'accentue dans certaines communes en raison d'une application aveugle des mesures qui ont été adoptées. On ne prend pas en compte les spécificités des milieux ruraux. Nos territoires n'étant pas homogènes, il faut une différenciation.
L'application de la loi « Grenelle 2 », qui comportait pourtant de très bons objectifs, ou de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) aboutit à une situation dans laquelle il est quasiment impossible de construire en milieu rural. Je pense en particulier aux « dents creuses » dans les hameaux : on se heurte à des blocages car les objectifs d'urbanisation sont très limités dans ces communes rurales. Des exemples très concrets qui remontent de ma circonscription – mais on fait aussi le même constat ailleurs en France – montrent que des personnes qui voudraient s'installer en milieu rural sans artificialisation des terres, d'une façon intelligente, ne peuvent pas construire. On les repousse vers les zones périurbaines. Il faudrait, en réalité, faire de la dentelle.
Je ne sais pas si vous avez abordé ces questions, ni si le CESE compte des représentants des territoires ruraux, mais je souhaitais en parler. J'ai déposé, le 16 juillet 2019, une proposition de loi que je déclinerai sous forme d'amendements. Je tiens à lancer une alerte sur cette question qui est gravissime pour le devenir des territoires ruraux.
Votre avis, qui comporte beaucoup de préconisations pertinentes, se conclut de la manière suivante : « Comparées [aux] objectifs [de réduction des émissions de gaz à effet de serre], les nombreuses mesures du projet de loi, considérées une par une, sont en général pertinentes mais souvent limitées, souvent différées, souvent soumises à des conditions telles qu'on doute de les voir mises en œuvre à terme rapproché ».
Vous avez également écrit que des mesures devraient être adoptées rapidement car « il y a urgence à agir ». Je partage largement cette analyse et je me réjouis que le CESE, la société civile organisée, soit aussi lucide que quelques-uns d'entre nous sur ce texte qui est pour le moins peu ambitieux, qui remet tout à plus tard et se fie à la bonne volonté soit du secteur privé soit de l'Union européenne, alors qu'il faudrait agir immédiatement et fortement.
Le Gouvernement, après avoir totalement ignoré les recommandations de la Convention citoyenne, n'a pas pris en considération vos préconisations et il ne semble pas beaucoup plus disposé à soumettre réellement le projet de loi au débat parlementaire. L'expérience toute récente du projet de loi constitutionnelle que nous avons examiné ces derniers jours semble donner le ton : aucun amendement n'a été adopté.
Comment percevez-vous ce traitement général ? Vous avez rappelé les conditions trop contraintes – le délai était trop court – dans lesquelles vous avez été saisis. L'environnement et le climat ne sont-ils pas si mal traités parce qu'il existe une antinomie entre eux et la ligne politique suivie depuis trois ans et demi par le Gouvernement ? Cette maltraitance n'est-elle pas une tentative de mettre la poussière sous le tapis ?
J'aimerais vous demander, très simplement, s'il y a des points du projet de loi sur lesquels vous identifiez des risques de conflit entre les objectifs climatiques et ceux concernant la biodiversité ou entre la lutte contre l'artificialisation des terres et la préservation de la nature et de la biodiversité. En voulant lutter contre l'artificialisation, on va, par exemple, vers davantage de densification, notamment par une optimisation des constructions dans les friches industrielles. Je crains qu'on oublie ainsi la restauration de la nature et même son intégration dans les projets. Il me semble que la lutte contre l'artificialisation n'est qu'un moyen, et non une fin : ce que nous voulons, c'est aussi préserver ou restaurer la nature.
Face au défi du dérèglement climatique, il faut des mesures ambitieuses et très rapides. Comme vous l'avez indiqué dans votre rapport, les dispositions prévues dans le cadre du projet de loi restent souvent limitées et elles sont différées ou soumises à des conditions telles que leur application à un terme rapproché est incertaine, ce qui ne permet pas de répondre à l'urgence de la situation. Par ailleurs, les propositions de la Convention citoyenne sont certes ambitieuses mais elles n'ont pas été mises à jour pour tenir compte des nouveaux objectifs qui ont été fixés au niveau européen en décembre dernier.
Votre rapport souligne que le projet de loi ne paraît pas en mesure de redresser la situation sur le plan climatique et de prendre en compte les inégalités sociales. Le deuxième point nous inquiète particulièrement. Vous avez écrit qu'il est nécessaire d'évaluer les politiques climatiques au regard de leurs bénéfices pour les personnes appartenant aux 20 % les plus vulnérables et les plus pauvres. Pouvez-vous nous éclairer sur les manques du texte en la matière ?
Une de vos préconisations concerne la transformation des emplois en vue de permettre aux secteurs économiques d'avoir suffisamment de personnes formées pour agir mais aussi d'assurer des formations et un retour à l'emploi pour ceux qui perdraient leur travail du fait des mutations de l'économie. Pouvez-vous revenir sur ce sujet ? Quelles étapes envisagez-vous ?
Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, je souhaite enfin revenir sur deux points. Comme votre rapport l'affirme, la réalisation des objectifs dépendra en grande partie des moyens humains et financiers qui seront déployés. Par ailleurs, toutes les mesures adoptées doivent s'inscrire dans un esprit de justice.
Au nom du groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés, je tiens à vous remercier, Madame la présidente, Madame et Monsieur les rapporteurs, pour votre présence cet après-midi et pour votre rapport.
Je ne vous poserai aucune question, mais je reviendrai sur certaines de vos propositions qui ont particulièrement retenu mon attention.
Je ne peux aller que dans le sens des préconisations 7 et 8, relatives au financement de la rénovation thermique des bâtiments, notamment pour ce qui est du reste à charge pour les ménages les plus modestes et de la mobilisation de tiers financeurs afin d'atteindre les objectifs fixés. Ce sont les rénovations globales, on le sait, qui permettent de réaliser les gains les plus importants sur le plan environnemental. Ces opérations, plus onéreuses, doivent donc être accessibles à tous, y compris aux ménages modestes qui ne peuvent pas se permettre d'avoir à régler un reste à charge, même de quelques centaines d'euros. Si des avancées notables ont été réalisées au cours des dernières années, les marges de progression sont encore importantes. Je tiens d'ailleurs à souligner le travail mené par nos collègues de la mission d'information sur la rénovation thermique des bâtiments : leur rapport, très intéressant, devrait nourrir nos débats dans les prochaines semaines.
Un mot, également, sur vos préconisations 30 et 31, qui sont très importantes : nous appelons également de nos vœux une cohérence nationale en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, afin d'avoir, au-delà de la PPE qui fixe des objectifs globaux, une stratégie nationale claire et déclinée localement, en lien avec le potentiel de chaque territoire, ce qui permettrait d'obtenir davantage d'efficacité et d'acceptabilité.
S'agissant de l'inquiétude dont vous avez fait part, dans la conclusion de votre rapport, au sujet de l'ambition réelle de la France dans les négociations européennes, je tiens à vous rassurer. L'Europe a récemment relevé ses objectifs et elle a adopté non seulement un plan de relance que l'on peut qualifier d'historique mais aussi un cadre financier pluriannuel dont 30 % sont consacrés au climat. La France a joué un rôle majeur dans les décisions qui ont été prises. La transition écologique, soyez-en assurés, sera une priorité de la future présidence française de l'Union européenne. Notre groupe, ici comme à Strasbourg, y veillera particulièrement.
Je voudrais évoquer quatre sujets au nom du groupe Les Républicains.
En ce qui concerne l'artificialisation, je souscris, même si cela peut paraître étonnant, à ce qu'a dit notre collègue communiste : une vraie question se pose dans les milieux ruraux. Je me suis aperçu, à l'occasion des auditions que j'ai pu mener jusqu'à présent, qu'on parlait beaucoup de l'artificialisation mais que sa définition était assez complexe. Elle est d'ailleurs renvoyée à un décret en Conseil d'État. Pensez-vous que la loi devrait fixer cette définition ? Le cas échéant, que faudrait-il retenir ?
Mme Ducroux nous a dit avoir participé à la Convention citoyenne. Pouvez-vous nous en dire davantage sur son fonctionnement ? D'autres membres du CESE que j'ai rencontrés sont assez critiques quant à la manière dont la Convention citoyenne a fonctionné : ils estiment qu'elle a pu être, parfois, instrumentalisée ou orientée. Jugez-vous que la manière dont les citoyens ont été pris en main a permis de respecter les règles de neutralité qui s'appliquent, par exemple, au CESE ?
S'agissant de la neutralité carbone, vous avez rappelé qu'il faudrait diviser par six les émissions de CO2 et vous avez pointé le retard actuel. Si on doit diviser par six nos émissions, il ne restera plus beaucoup de quotas carbone pour le reste de l'année et pour les autres activités une fois qu'on aura chauffé au gaz un appartement de quatre-vingts mètres carrés ! Pensez-vous vraiment qu'une division par six des émissions, hors intervention d'un deus ex machina technologique qui permettrait de capturer du CO2, est possible et, si oui, comment ? Ou bien estimez-vous que c'est un horizon dont on se rapproche tout le temps et qui s'éloigne sans cesse ?
Enfin, votre rapport indique que vous n'avez pas eu le temps de vous prononcer sur le titre VI – vous n'aviez pas eu connaissance des détails concernant la question de l'écocide. Quelques semaines se sont écoulées. Depuis que vous avez rendu votre rapport, avez-vous eu la possibilité de vous pencher sur ce que le Gouvernement propose ? Quelle est, en la matière, votre opinion ?
Merci aux représentants du CESE pour leurs réflexions. Au nom du groupe La République en Marche, je voudrais revenir sur l'un des premiers points mis en avant par M. Badré : le lien à faire entre lutte contre le réchauffement climatique et lutte contre les inégalités. Quelles sont vos préconisations concrètes ? C'est un sujet majeur, dont les crises particulièrement intenses que nous avons connues ces dernières années, celle des gilets jaunes que vous avez citée mais également celle des bonnets rouges, révèlent clairement l'importance.
Ce qui me mène à la question étroitement liée de la place du citoyen. Comment multiplier les exercices tels que la Convention citoyenne et renforcer la présence du citoyen dans ce qui est en train de se construire ? Certaines régions par exemple s'y attellent. Comment aller plus loin dans les territoires, étant entendu que les conseils de quartier qui existent ici ou là ne suffiront pas ?
Dernière question : comment renforcer la capacité d'action des collectivités territoriales pour réussir la trajectoire qui doit nous mener à la neutralité carbone ? Et comment le faire tout particulièrement pour le bloc communal, y compris, puisqu'on a beaucoup parlé du milieu rural, dans les espaces métropolitains ?
Dans sa toute première question, M. Cazeneuve se demande ce qui a amené le CESE à considérer que le projet de loi n'est pas à la hauteur des enjeux, alors que le rapport du Boston Consulting Group, publié par le Gouvernement, estimerait que la trajectoire est bonne.
Le CESE n'a rien inventé : c'était écrit dans le rapport de présentation du projet de loi. Vous savez que l'étude d'impact, peu précise, ne permet pas de savoir si l'objectif fixé peut être atteint. En revanche, selon le rapport joint au projet de loi, l'ensemble des mesures qu'il contient devraient permettre de réaliser entre la moitié et les deux tiers de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif fixé pour 2030, lequel a d'ailleurs été augmenté depuis. Le reste peut être atteint par d'autres mesures, certaines par exemple qui pourraient venir plus tard, d'autres, financières, qui ne relèvent pas de la loi.
Quant au rapport du Boston Consulting Group, que j'ai lu en détail, on y trouve un tableau comparatif de toutes les mesures prévues, intitulé « Résultat de l'analyse par mesure », qui les classe en trois paquets de taille assez comparable : « probablement atteint », « possiblement atteint » et « difficilement atteignable ». La conclusion du BCG, c'est qu'atteindre l'objectif est déjà en soi un défi et suppose que l'ensemble des mesures, sans exception, soient parfaitement exécutées, en dépit du contexte de crise économique. Il est dit plus loin qu'atteindre un objectif plus élevé, ce qui devra être fait pour se conformer aux nouvelles exigences européennes, est impossible. Je ne suis donc pas sûr pour ma part que le rapport du Boston Consulting Group dise tellement autre chose que celui du CESE.
Une autre question de M. Cazeneuve porte sur la participation citoyenne. Nous y avons beaucoup réfléchi en rédigeant cet avis : nous nous y exprimons en tant que représentants de la société civile organisée, comme on le dit au CESE, autrement dit des organisations professionnelles, des organisations syndicales, des organisations non gouvernementales (ONG). Nous pensons que nous avons en tant que tels des choses à dire, à côté d'un groupe de citoyens tirés au sort et bien sûr en amont de la représentation parlementaire. Tout cela n'est pas contradictoire mais se complète.
S'agissant des mobilités qu'a évoquées M. Zulesi, lorsque le CESE recommande de pérenniser certaines évolutions constatées pendant la pandémie, il pense au télétravail, d'une part, et à ce qu'on appelle couramment les mobilités douces d'autre part – le vélo pour faire simple. Dans les deux cas, des investissements sont nécessaires en amont. On a vu ce qu'une ville comme Paris pouvait faire pour développer les pistes cyclables, mais pérenniser et sécuriser le tout, ensuite, nécessite du travail. Pour ce qui est du télétravail, il faudra des investissements par exemple dans les zones blanches, et aussi des négociations sociales, on le sait, car son développement spectaculaire n'ira pas sans inconvénients si l'on ne prend pas quelques précautions.
S'agissant des transports aériens, nous ne nous sommes jamais placés dans la position de rédiger nous-mêmes des amendements au projet de loi, ce n'est pas notre rôle, mais il nous apparaît que ce qui pose problème est la distorsion de concurrence, on ne peut l'appeler autrement, qui existe, pour les distances moyennes, entre le transport aérien et le transport ferroviaire du fait de la détaxation du kérosène. Les négociations internationales pour arriver à un régime uniforme seront importantes sur ce point. Pour ce qui est plus précisément de la concurrence entre compagnies aériennes classiques et low cost, nous n'avons pas de solution toute faite. Il nous semble, sans avoir eu le temps d'entrer dans le détail, que les avantages locaux accordés dans certaines plateformes aéroportuaires aux compagnies low cost sont une donnée importante. Pour avoir travaillé sur la question de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, je pense que cela mériterait vraiment d'être regardé de plus près.
Il est exact, comme l'a relevé Mme de Lavergne, que nous n'avons pas fait beaucoup de propositions sur le bloc « Se nourrir » : une grande partie des mesures prévues, en particulier s'agissant des cantines, nous semblent aller dans le bon sens et nous n'avons émis que des remarques ponctuelles. En revanche, trois sujets nous ont paru majeurs, mais qui concernent plutôt le volet agricole.
Le premier est celui des engrais azotés. Nous avons eu un assez vif débat avec nos collègues du groupe de l'agriculture, mais la rédaction finale est consensuelle. Les engrais azotés sont de gros émetteurs de gaz à effet de serre : la production émet beaucoup de CO2, et l'utilisation beaucoup de protoxyde d'azote, ce qui est encore pire en matière d'effets sur le climat. Selon le CESE, il faut donc tenir ferme pour que le dispositif de taxation prévu soit appliqué à l'échéance 2024, en prenant d'ici là toutes les mesures qu'il faut. C'est vraiment un enjeu essentiel en matière d'émissions.
Le suivant, tout le monde s'accorde dessus : il n'y a plus qu'à le réaliser. Il s'agit de vérifier la cohérence entre le plan stratégique national, autrement dit le dispositif français d'application de la politique agricole commune, et la stratégie nationale bas-carbone. Cette cohérence n'apparaît pas à la simple lecture des deux documents et il faut donc effectuer le travail technique nécessaire.
Enfin, le dernier sujet touche aux capacités de stockage du carbone par l'agriculture et la forêt, autrement dit au fameux « 4 ‰ » qui est le taux de croissance des stocks de carbone dans les sols français. Cette capacité de stockage, qui est fortement utilisée dans le scénario de neutralité 2050, soulève des controverses scientifiques qui ne sont pas encore tranchées, notamment sur l'effet de l'adaptation au changement climatique, qui risque de perturber l'atténuation. Le sujet mérite d'être un peu plus creusé.
Plusieurs députés, dont MM. Chassaigne et Aubert, ont parlé de l'artificialisation et de la désertification des zones rurales. Le CESE apprécie que le projet de loi prévoie une diminution par deux, dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), du rythme d'artificialisation. Il adhère aussi à l'idée que cette réduction de moitié s'envisage à l'échelon régional mais pas au niveau de chaque commune, puisqu'elles peuvent connaître des situations très différentes, comme l'a dit M. Chassaigne. En revanche, il rappelle que dans une organisation comme la nôtre où il n'y a pas de tutelle entre régions, départements, établissements publics de coopération intercommunale ou commune, un dispositif de négociation entre tous ces niveaux de collectivités est indispensable pour s'assurer que les mesures prises sont cohérentes entre elles. Or ce dispositif, que le Gouvernement s'était engagé à mettre sur pied, n'existe pas. Il nous paraît important d'y remédier.
M. Aubert a évoqué la nécessité de donner une définition à l'artificialisation. Nous sommes d'accord, sans pour autant être en mesure d'énoncer la bonne définition. Ce qui est sûr en revanche, c'est que notre système de mesure de l'artificialisation ne peut pas rester tel quel. Entre les données de Corine Land Cover, qui est un système de suivi fixé au niveau européen, et le système statistique Teruti du ministère français de l'agriculture, les chiffres vont de 30 000 à 60 000 hectares artificialisés par an, ce qui fait tout de même une fourchette un peu large. Il faut absolument unifier le dispositif : rien ne sert de fixer des objectifs si l'on ne sait pas si l'on en est près ou loin.
Mme Petit a évoqué les risques de conflit entre les objectifs de climat et les objectifs de biodiversité. Nous ne sommes pas sûrs qu'il y ait conflit. Nous avons écrit dans la partie sur les transports que la priorité n'était pas d'interdire aux gens de se déplacer, mais de faire ce qu'il fallait pour que les déplacements contraints – domicile-travail, domicile-commerces, domicile-services publics… – soient aussi limités que possible. C'est donc un problème d'urbanisation et d'artificialisation, et de ce point de vue aussi l'objectif de division par deux du rythme d'artificialisation paraît intelligent. Cela suppose de sortir du modèle des années 1960, celui des lotissements en rase campagne où tout le monde a deux voitures. Pour nous, c'est là que se rejoignent les enjeux de biodiversité et ceux de limitation de l'artificialisation.
Il a été plusieurs fois question de l'effet de ce texte sur les 20 % de la population les plus défavorisés, et sur le travail à effectuer pour faire le lien, sur chaque mesure, avec les gilets jaunes et bonnets rouges. Ainsi que nous l'avons rappelé, la trajectoire de réduction des émissions a été construite à l'origine avec des hypothèses de montants de taxe carbone. Ceux qui avaient proposé l'établissement de celle-ci – je renvoie à la commission Rocard-Juppé de 2009 – avaient bien souligné dès le début que ces mesures n'avaient de sens qu'accompagnées de compensations sociales pour les plus vulnérables. Cela n'a pas été fait. Coordonner ces deux types de mesures suppose tout un travail technique pour connaître l'effet d'une taxe sur une catégorie de population et trouver comment le compenser. Cela nous paraît vraiment essentiel pour que l'objectif de neutralité carbone ne reste pas un pur rêve.
Enfin, M. Aubert nous demande si nous avons suffisamment de recul maintenant pour dire ce que nous pensons du titre VI. Dès le départ, nous avions chacun nos idées sur le sujet : nous aurions pu les donner, ainsi que l'avis d'un ou deux juristes consultés exprès. Mais un avis du CESE ne consiste pas en la juxtaposition d'avis d'experts. Donner mon avis ou celui de Mme Claire Bordenave sur l'écocide n'a pas plus d'intérêt aujourd'hui qu'il y a trois semaines. Dire ce que pense le CESE d'un dispositif après avoir fait discuter ensemble les organisations agricoles, les entreprises, les artisans et les ONG environnementales, c'est cela qui a un sens, et c'est ce que nous n'avons pas eu le temps de le faire.
Je tiens moi aussi à rappeler que nous ne sommes pas des experts et que nous nous exprimons de façon collégiale, après avoir confronté nos positions. Nous avons pu nous appuyer sur dix années de travaux sur les politiques climatiques et leurs impacts sociaux, sans quoi nous n'aurions pas été capables de rendre un avis relativement complet en trois semaines. Mais comme c'est l'avis du CESE que nous exprimons et non celui des rapporteurs, nous ne pouvons pas répondre à vos questions si elles n'ont pas été débattues entre nous. L'avis du CESE, en tant que représentation de la société civile organisée, permet de refléter les positions aussi bien des architectes du groupe des professions libérales, qui se sont exprimés sur l'urbanisme, que des agriculteurs, des organisations écologiques ou des associations de consommateurs par exemple.
Oui, comme l'a dit M. Prud'homme, beaucoup est remis à plus tard dans ce texte, ou aux bonnes volontés. Globalement, on se heurte aux limites de notre modèle économique, écologique et social : il faut un saut qualitatif pour atteindre des objectifs plus ambitieux et dépasser le point d'arrêt que l'on sent entre le PIB et les émissions de CO2. Il y a bien un antagonisme, qui ne se manifeste pas seulement dans la politique actuelle, mais qui dure depuis un certain temps. D'où l'importance de veiller à l'empreinte environnementale.
Il y a également des conflits entre objectifs climatiques et de biodiversité, par exemple dans la politique du logement. La construction de logements neufs peut aller à l'encontre de la politique de réduction de l'artificialisation des terres. Il y a donc un équilibre à trouver dans la densification urbaine, la question de la nature en ville devant être abordée systématiquement pour tout programme de constructions neuves. Un article du projet de loi met l'accent sur les perspectives d'évolution des bâtiments. Il faut que reconstruire sur l'existant ne soit pas plus cher que construire en artificialisant. C'est très important.
Mme Jourdan a évoqué les inégalités sociales et la taxe carbone. Un des problèmes vient de ce qu'on taxe l'usage et non l'investissement : on taxe le carburant une fois que la voiture a été achetée. Nous regrettons que l'interdiction de la publicité pour les véhicules les plus polluants, proposée par la Convention citoyenne, n'ait pas été retenue et qu'on en reste à l'interdiction de la publicité sur les seules énergies fossiles, même si cela demeure pertinent – certains vont d'ailleurs trouver le moyen de faire valoir leur marque en mettant en avant leurs actions en matière d'énergies renouvelables. Ne pas s'attaquer à la publicité sur les voitures, c'est s'exposer à un problème d'acceptabilité pour toute une partie de la population qui se trouvera pénalisée sur l'usage d'un investissement consenti pour dix ou quinze ans.
S'agissant de la rénovation thermique des bâtiments, je pense que M. Bruno Millienne faisait allusion aux travaux confiés à M. Olivier Sichel qui devrait rendre ses conclusions en mars. Il n'y a pas d'obligation de rénovation des logements dans le projet de loi, seulement une limitation de la mise en location des logements les plus déperditifs. On ne s'attaque donc aux quelque 5 millions de logements les plus énergivores, ceux qu'on appelle les passoires thermiques, que sous l'angle de la location – ce qui ne concerne qu'un tiers du parc, selon l'étude d'impact, les deux autres tiers étant occupés par des propriétaires souvent modestes. La question, récurrente, de la façon de rendre acceptable le reste à charge pour les occupants modestes n'est pas abordée dans le texte. C'est pourtant un enjeu majeur et qui permet de concilier la réduction des émissions de CO2 et la justice sociale, puisque la résorption des passoires thermiques serait une avancée énorme dans les deux domaines – ce sont vraiment des investissements sans regrets.
M. Bruno Millienne a également évoqué les énergies renouvelables. L'étude d'impact précise bien que si leur développement fait partie des objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, l'impact n'est pas très important en matière de réduction des émissions de CO2. Il faut veiller à la cohérence de l'ensemble au niveau national, puisque nous fonctionnons avec un système de péréquation nationale qui s'effectue par les réseaux publics de distribution de gaz ou d'électricité. Il ne faudrait pas mettre en concurrence les régions en fonction de leurs atouts plus ou moins forts en termes de vent, de soleil, de densité de population, d'actifs de production, de densité de réseau… Il est donc absolument indispensable d'assurer une cohérence nationale, avec effectivement ensuite un traitement à l'échelle locale qui permette notamment d'améliorer l'acceptabilité.
Je voudrais vous interroger, Madame Ducroux, sur la gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle vous avez été étroitement associés. Comme vous le savez, nous, les députés, sommes extrêmement observés et soumis à une exigence de transparence quant à nos contacts par exemple, qui va parfois bien au-delà de ce qui pourrait sembler satisfaisant. Je vous fais part de mon trouble après l'audition, hier, de membres de la Convention : à la question de savoir comment ils avaient élaboré leurs propositions, l'un d'entre eux nous a répondu très simplement et honnêtement que c'étaient des experts, des associations et des think tanks qui les leur avaient proposées. J'avais déjà un petit doute à la lecture de certaines propositions extrêmement techniques : certes, les participants étaient accompagnés par des experts, certes, ils ont travaillé de façon continue, confronté leurs idées et fabriqué du consensus, mais certaines choses ne s'inventent pas, pour des citoyens plongés dans des sujets redoutablement techniques et souvent très politiques. Pouvez-vous nous expliquer clairement comment se sont fabriquées les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et quelles étaient les parties prenantes, pour que la représentation nationale sache exactement ce qu'il en est ?
Je comprends qu'il y ait beaucoup de questions autour du processus lui-même. Je vais vous donner quelques éléments d'information, en insistant sur le fait qu'il ne s'agit plus de l'avis du CESE.
Tout d'abord, Mme de Lavergne a fait état d'un processus inédit et innovant pour la construction d'un projet de loi, mais ce n'était pas le seul objectif : il s'agit d'un processus global qui devait avoir bien d'autres implications qu'un texte de loi, comme des mesures réglementaires ou un référendum.
Une précision importante : cette convention citoyenne portait sur le climat, ce qui n'est pas tout à fait neutre. Je pense qu'il ne faut pas l'oublier, si l'on veut analyser ce processus. En l'occurrence, il existait déjà beaucoup de documentation sur le climat avant la Convention citoyenne : beaucoup d'acteurs avaient déjà dit beaucoup de choses, des scientifiques avaient donné des informations attestées de rapport en rapport, des politiques climatiques existaient déjà. Les membres de la Convention se sont donc aussi référés à des propositions qui étaient dans l'espace public, parfois sans le savoir. Ils n'avaient pas tout à inventer sur le sujet. C'est d'ailleurs quelque chose à clarifier, s'agissant des conventions citoyennes : il faut être bien clair sur ce qu'on veut en obtenir. Leurs membres ne sont pas là pour inventer par miracle ce à quoi personne n'aurait pensé auparavant, ils se font l'écho de certaines propositions. C'est un choix qu'ils font de façon assez éclairée, au terme d'un long processus qui leur donne la capacité d'apprécier les choses.
Le CESE a procédé à un retour d'expérience complet, portant sur des aspects à la fois méthodologiques mais aussi institutionnels et démocratiques. C'est un travail très long, qui n'est pas tout à fait achevé. C'est pourquoi j'ai peur de ne pas bien organiser mes réponses à Mme de Lavergne qui me demandait ce que nous changerions et ce que nous reproduirions pour une autre convention citoyenne. Je pense sincèrement que c'est un sujet qui mérite une audition à lui seul.
Nombreux sont les membres du CESE qui se déclarent, soit à titre individuel, soit au nom de leur groupe, favorables à une consultation des citoyens ; très peu s'y opposent ouvertement. Néanmoins, cela soulève beaucoup d'interrogations. Avec cette convention, on n'a exploré qu'une solution ; de nombreuses questions restent en suspens.
Il importe de souligner que l'environnement a déjà apporté beaucoup de modernité à la vie démocratique, s'agissant notamment des procédures de consultation. Le débat public et les enquêtes publiques ont été inventés à propos de questions environnementales ; de nombreux questionnaires en ligne sont envoyés sur des sujets de ce type ; il existe des conférences de consensus. On n'a pas découvert la consultation des citoyens à l'occasion de cette convention ! De nombreuses expériences ont déjà été menées, à différentes échelles – point qui focalise d'ailleurs les interrogations, la taille du panel étant nécessairement restreinte.
Va-t-on vraiment améliorer l'acceptabilité des décisions politiques en posant systématiquement des questions à un panel de 150 personnes, étant entendu que cela implique à chaque fois un budget de plusieurs millions d'euros ? L'exercice comporte de toute évidence des limites. Peut-être devrions-nous recourir à des conventions citoyennes sur des sujets moins explorés et moins complexes que le climat. Il faut en tout cas le faire à bon escient, et en ayant conscience de l'énergie et de l'argent public que cela requiert.
Il me semble qu'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur cette procédure. On ne pourra la juger qu'à l'aune de ses effets sur la politique climatique. Il faudra aussi examiner si les Français se reconnaissent dans ce que proposent les membres de la Convention citoyenne, à l'issue d'un long processus d'apprentissage et d'approfondissement d'une question particulièrement technique et complexe. S'ils se sont impliqués avec passion, ils ont aussi découvert que ce n'est pas parce qu'une idée vous passe par la tête qu'elle est pertinente ou que personne ne l'a eue avant vous ; il existe déjà un socle sur lequel on peut s'appuyer ou duquel on doit se détacher. Je pense que, globalement, les membres de la Convention ont appris l'humilité au cours de cet exercice.
Je voudrais pour finir appeler votre attention sur le risque lié à ce que j'appelle « l'épuisement démocratique ». Si l'on multiplie les appels à la participation citoyenne sur divers sujets et que les procédures ou les réponses ne sont pas au rendez-vous, on risque de saper la confiance dans la démocratie. Si l'on sollicite directement les citoyens, c'est que l'on présuppose qu'il y a une crise de confiance à l'égard de la démocratie représentative ou que l'on souhaite passer par-dessus les corps intermédiaires – comme on les appelle inélégamment – et la société civile organisée ; que va-t-il rester, en définitive ? Je pense que tout le monde est d'accord pour lancer des consultations citoyennes, mais à condition d'être très attentif à la fois aux procédures utilisées – l'enjeu n'étant pas uniquement méthodologique – et aux réponses apportées, qui doivent être les plus élaborées possibles.
Au sein de la section de l'environnement, nous sommes en train de dresser le bilan de la mandature et nous faisons unanimement le constat que, pour ce qui nous concerne, nous, société civile organisée, en regard du temps, de l'énergie et des expertises qui sont mobilisés, beaucoup de progrès restent à faire en matière de redevabilité. Ce n'est pas compréhensible dès lors que le CESE est la troisième assemblée de la République, que son existence est garantie par la Constitution et qu'il est appelé à répondre aux demandes du Gouvernement ou à s'autosaisir. Il faut améliorer les procédures et les réponses qui sont apportées, je l'ai dit, mais nous ne souhaitons pas – je pense m'exprimer au nom de nombreux acteurs – que des consultations citoyennes se substituent à la société civile organisée ou aux organes de la démocratie représentative. Si nous avons le désir d'explorer certaines pistes, il nous semble indispensable de creuser le plus en amont possible les enjeux institutionnels et démocratiques de telles initiatives, afin d'en tirer le meilleur profit.
Il est certain qu'un effort continu devra être fourni. La réussite de la démocratie participative, à laquelle je tiens, dépendra de la transparence des procédures utilisées et des réponses apportées. De ce point de vue, la Commission nationale du débat public – que l'on peut par ailleurs critiquer – recourt à des mécanismes relativement élaborés, concernant en particulier les conflits d'intérêts potentiels ou les risques d'influence sur les décisions qui sont prises ; cela pourrait être une source d'inspiration.
Avez-vous travaillé sur l'acceptabilité des mesures pour les néoruraux ? En Bretagne, on compte 23 000 nouveaux habitants par an ; cela représentera 400 000 personnes en 2040. Il s'agit d'un public à la recherche de « quiétude », d'« air respirable » – je reprends les termes que j'ai entendus. L'aménagement du territoire et la lutte contre l'artificialisation des sols seront certainement des leviers à utiliser.
Le conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de Bretagne a estimé que l'agriculture n'était pas toujours compatible avec le désir de venir se ressourcer au pays. Je me suis exprimée à ce sujet en tant que conseillère régionale. Je pense qu'il est nécessaire que tout le monde travaille ensemble, dans un objectif de cohérence et de responsabilisation de chacun.
Il convient que nous soyons très à l'écoute de ce qui a été exprimé pour ne pas donner l'impression d'une forme de rupture avec la consultation citoyenne, et que cette expérience soit ainsi brisée. Ce ne sera pas facile. Je l'ai dit hier aux représentants de la Convention citoyenne : les députés ne peuvent se comporter en commis voyageurs ; si nous devons prendre en considération leurs observations, nous avons aussi notre propre appréciation du sujet.
La difficulté à laquelle nous allons être confrontés avec ce texte, d'une manière qui est, je le crois, inédite, c'est qu'il va nous falloir trouver un équilibre, pour ne pas dire une harmonie entre nos propres positions et l'expression citoyenne. Celle-ci ne sort pas de nulle part : ce n'est pas une expression spontanée, tout cela – Mme Marie-Claire Cailletaud me l'a rapporté – a été construit à l'issue d'un long et patient travail d'écoute et de consultation d'experts, en tenant compte aussi de ce qui pouvait émerger des territoires. Les propositions avancées par la Convention citoyenne rejoignent d'ailleurs en partie celles défendues depuis des années par certains groupes parlementaires, dont le groupe GDR – ce qui n'aurait jamais été mis en lumière sans cette forme d'expression.
Il faut impérativement éviter qu'une consultation de ce type soit ressentie au bout du compte comme un simple effet d'annonce ou un habillage. Notre tâche s'annonce extrêmement complexe ; il importe que chacun d'entre nous en ait conscience.
La lutte contre le changement climatique est-elle selon vous compatible avec une politique de développement durable, entendue comme la recherche d'un équilibre entre développement économique, protection sociale et protection environnementale ? Plus précisément, pensez-vous que l'on puisse concilier l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) avec, premièrement, la demande croissante de logements consécutive à l'augmentation de la population française et au desserrement des ménages, deuxièmement, la réindustrialisation de la France, indispensable pour garantir notre souveraineté économique, créer des emplois et assurer la redistribution des richesses, troisièmement, la nécessité de retenir un modèle économique d'aménagement du territoire qui ne mette pas sous tension le foncier, ne provoque pas d'augmentation du prix des logements et assure le recyclage foncier ? Comment répartir correctement les surfaces entre zones tendues et zones détendues ? Enfin, pourriez-vous répondre à la question posée tout à l'heure par M. Chassaigne concernant les problèmes rencontrés dans les zones rurales ?
Le CESE a-t-il eu l'occasion de travailler sur la transformation des métiers en relation avec l'émergence de nouveaux secteurs d'activité ? De nouveaux besoins ont-ils été identifiés ? Comment faire apparaître des formations adaptées ?
Dans votre avis, vous insistez sur la nécessité de prendre en considération les expérimentations en cours en matière d'affichage environnemental. On sait que la principale difficulté réside dans l'élaboration des outils de calcul des notes. Pensez‑vous que celle-ci doive continuer à relever de la sphère publique ou des innovations provenant du marché vous paraissent-elles intéressantes ?
S'agissant de la publicité sur les véhicules polluants, vous établissez un parallèle avec celle sur le tabac et les alcools, qui a été réglementée malgré les recettes importantes qu'elle engendrait. Avez-vous eu l'occasion d'évaluer comment le secteur de la publicité s'était adapté à cette réglementation et mesurer les effets concrets de celle-ci sur la consommation ?
Nous n'avons pas travaillé spécifiquement sur l'acceptabilité des mesures pour les néoruraux. Cela étant, on peut imaginer que les personnes qui s'éloignent des centres urbains pour s'installer dans des zones rurales sont des gilets jaunes en puissance… J'ai été pendant plusieurs années conseillère au CESER d'Île-de-France et le vice-président de la région, M. Dugoin-Clément, me disait que de nombreuses personnes venues s'installer dans l'endroit où il habite – qui se trouve loin du centre de Paris – étaient piégées parce que les services et les activités étaient éloignés : elles devaient avoir au moins une voiture par membre du foyer et se trouvaient confrontées à des difficultés professionnelles. C'est une tendance assez préoccupante, renforcée encore par les récents confinements qui ont donné aux gens l'envie de quitter les centres-villes.
S'agissant de la transformation des métiers, nous avons insisté dans notre rapport sur ce que nous, syndicalistes, appelons la transition juste, c'est-à-dire le fait que les transitions et formations professionnelles doivent être envisagées dans le cadre de plans d'emploi sur le long terme, et non pas improvisées. Le secteur du bâtiment est très représentatif du problème puisqu'il compte un grand nombre de travailleurs détachés, qui ne sont pas destinés à rester durablement sur le territoire français. Autant la rénovation des bâtiments ou la construction neuve sont des activités non délocalisables, autant les travailleurs sont, eux, délocalisables. Comment imaginer que la filière du bâtiment bénéficiera de la formation nécessaire si les personnes qui la composent ne restent pas en France, voire ne reçoivent pas les formations permettant d'obtenir la qualification RGE – reconnu garant de l'environnement ? C'est pourquoi, dans nos préconisations, nous insistons sur la nécessité de mettre en œuvre le plan de programmation de l'emploi et des compétences (PPEC) prévu par loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
L'objectif ZAN n'est pas inscrit dans le projet de loi. Ce dernier ne prévoit qu'une réduction du rythme de l'artificialisation. Cela étant, nous avons copieusement cité dans notre avis notre récent rapport dressant le bilan de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Nous avions examiné tout particulièrement tout ce qui concerne l'objectif ZAN et la séquence « éviter réduire compenser », qui est la clé de voûte de l'édifice. Le problème, c'est que l'on observe parallèlement une réduction des moyens des services publics chargés de l'application et du contrôle des mesures de réduction ou de compensation de l'artificialisation. Il y a là un paradoxe, les moyens sur le terrain n'étant pas du tout à la hauteur des ambitions et des objectifs de résultat, lesquels sont de plus en plus élevés ; le risque, c'est qu'on ne les atteigne pas ou que tout cela soit très mal encadré.
Je parle sous le contrôle de Mme Anne-Marie Ducroux, qui a plus d'ancienneté que moi, mais je crois, Madame Jourdan, qu'à la fin de la précédente mandature, c'est-à-dire il y a à peine plus de cinq ans, le CESE avait rendu un avis sur l'emploi dans la transition écologique.
Plus précisément, il y a eu deux avis : l'un sur l'emploi dans la transition écologique, l'autre sur la contribution des emplois de la biodiversité à la transition écologique.
En effet, mais ce dernier a été réalisé dans le cadre de la mandature actuelle et son objet était beaucoup plus restreint. Quoi qu'il en soit, on peut estimer que depuis cinq ans, les choses ont changé et qu'il faudrait actualiser les documents, mais c'est une question que le CESE a toujours eue en point de mire.
La lutte contre le changement climatique et le développement durable sont-ils compatibles ? La question est bien trop vaste pour que nous puissions y répondre aujourd'hui ! Pour ma part, je travaille depuis très longtemps sur ces sujets. Si je le fais, c'est que je suis convaincu qu'il y a des enjeux colossaux derrière : il suffit de lire les écrits des scientifiques pour s'en convaincre ; si nous n'y prenons garde, nous irons dans le mur. La difficulté à laquelle nous nous heurtons, et qui fait le sel de la question, c'est que nos concitoyens n'ont pas tous le même mode de vie – certains habitent en ville, d'autres en périphérie urbaine, d'autres encore à la campagne – et que leurs conceptions du monde, leurs opinions, leurs contraintes sont différentes. J'ai entendu récemment qu'une société démocratique, c'était la possibilité de vivre ensemble avec des idées différentes ; j'en suis convaincu. C'est pourquoi tout ce qui permet de faire travailler en bonne entente des citoyens qui n'ont pas les mêmes idées est bienvenu. De surcroît, tout le monde n'a pas la même latitude de choix : il est essentiel de prendre en considération le sort des plus défavorisés et de veiller à la justice sociale. À défaut, les objectifs de neutralité carbone en 2050 et de zéro artificialisation nette, ce sera du vent ! Il faut bien comprendre que nous n'avons pas le choix : si l'on néglige les enjeux climatiques, les personnes défavorisées se trouveront de plus en plus en difficulté, les fractures territoriales s'accentueront et on sera vraiment mal. C'est pourquoi il est indispensable d'associer la lutte contre le changement climatique et le développement durable.
La réindustrialisation de notre pays est impérative. Nous ne pouvons continuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre en « exportant » celles-ci. Depuis vingt ans, la baisse de nos émissions est en grande partie due au fait que nous avons exporté les industries polluantes ; l'empreinte carbone, quant à elle, n'a pas été réduite. Le développement durable n'implique pas l'arrêt de l'industrie, bien au contraire, même si l'on ne peut échapper à certaines contraintes. Des études sectorielles ont été réalisées ; on sait par exemple comment il faudrait s'y prendre pour réduire considérablement les émissions du secteur de l'énergie. Le principe du projet de loi, c'est, en procédant brique par brique – le logement, la mobilité, la politique agricole… –, de fixer un objectif qui est certes exigeant, mais incontournable.
Je voudrais pour terminer préciser une chose. Nous avons eu des discussions assez vives en section avec le groupe de l'agriculture, le groupe de l'artisanat et le groupe des entreprises, qui nous ont dit : « Vous êtes bien gentils, mais tout cela n'est pas simple ». L'avis a néanmoins été voté par seize des dix-huit groupes du CESE, deux s'étant abstenus pour des raisons – Mme Anne-Marie Ducroux l'a rappelé – davantage liées au projet de loi lui-même qu'à notre texte. Ce n'était pas acquis d'avance. Cela montre qu'il est possible de construire quelque chose en commun, secteur agricole et très petites entreprises inclus. Ce n'est pas facile, loin de là, mais c'est absolument vital – je n'aurais pas choisi le métier que j'ai exercé pendant quarante ans si je n'en étais pas convaincu.
Cette façon de construire nos avis est essentielle et nous aimerions avoir l'assurance que la Convention citoyenne a procédé de la même manière, ce que pour ma part j'ignore – quoique M. André Chassaigne ait mentionné le témoignage de Mme Marie‑Claire Cailletaud, présidente du groupe CGT au CESE, qui a été auditionnée dans le cadre de la thématique « Produire et travailler » de la Convention. Si nous aboutissons à un vote à la quasi-unanimité en plénière, c'est que nous avons travaillé à un compromis et proposé une rédaction qui rallie tout le monde, malgré des débats parfois vifs en section. Personne ne doit avoir le sentiment de ne pas avoir été écouté ; même si l'on n'est pas un expert, on a voix au chapitre. Les rapporteurs peuvent décider d'être plus ambitieux, mais ils courent le risque de ne pas être suivis par les autres formations de travail. À la Convention citoyenne, les votes des propositions ont tous été acquis à la quasi-unanimité, sauf, curieusement, celui sur une proposition relative à la réduction du temps de travail à laquelle la CGT avait fortement contribué et qui a fait l'objet d'un débat contradictoire. Il serait nécessaire de s'assurer qu'un tel débat a bien lieu en amont de la rédaction et du vote des propositions.
Je précise que les avis que nous publions ne sont pas pour autant le plus petit dénominateur commun, comme d'aucuns le prétendent. Le présent avis, par exemple, est très clair dans ses analyses et structuré dans ses recommandations : ce n'est pas de la soupe ! Il est d'ailleurs, cela a été noté, assez critique parce que l'analyse a été conduite au regard de la politique climatique, et non d'autres critères.
Le plan de programmation de l'emploi et des compétences découle d'une recommandation de la section de l'environnement du CESE qui a été inscrite dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous y tenons beaucoup – nous le répétons d'avis en avis et il y a unanimité du CESE sur le sujet. Malheureusement, nous avons la désagréable sensation que cela n'avance pas beaucoup. Un rapport avait été commandé par le Gouvernement à Mme Parisot sur le sujet, mais on ne sait pas très bien ce qu'il en a fait. C'est pourquoi nous vous incitons à vous saisir de la question, d'autant qu'elle relève de la sphère législative. Il faut impérativement que cette proposition se concrétise : ce serait un facteur de modernité, l'occasion de lier les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.
Je vous ai transmis, sur le fil de discussion en ligne, les références des avis que le CESE a rendus sur les questions liées à l'emploi et à l'affichage environnemental. En cette dernière matière, nous préconisons une approche multicritère et intégrée, option retenue par la France depuis plus de quinze ans, plutôt qu'un affichage monocritère ou des critères juxtaposés ; en d'autres termes, nous souhaitons que l'on affiche les impacts environnementaux des produits et services concernés plutôt que le score carbone ou la performance énergétique.
Je ne suis pas certaine de bien saisir l'objet de la question de Mme Riotton sur la sphère publique. Depuis maintenant quinze ans, des expérimentations sont menées dans la sphère publique, avec le concours des acteurs privés. Ce que nous disons, c'est qu'il est désormais temps de prendre des décisions. Or on nous propose de poursuivre les expérimentations. On ne peut rester dans l'expérimentation permanente – ou c'est qu'elle est mal faite, auquel cas il faut la recommencer, mais je n'ai pas eu l'impression, à l'occasion des auditions que nous avons conduites pour rendre cet avis, que l'expérimentation elle-même était en cause. Nous proposons pour notre part d'élargir le dispositif à d'autres secteurs et de passer du volontariat à une forme d'obligation, sur des bases qui seraient pour le coup publiques, c'est-à-dire concertées et médiatisées, l'acteur neutre qu'est l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ayant pour rôle de réunir des méthodologies à la fois souhaitables et pouvant être mises en œuvre par les différents acteurs. Il serait d'autant plus dommage de renoncer à l'approche multicritère et intégrée que c'est précisément celle que promeut aujourd'hui l'Union européenne, qui en est elle-même au stade des expérimentations dans différents secteurs.
Nous n'avons pas eu la possibilité de creuser la question, mais il nous a semblé, pour avoir suivi les travaux préparatoires du projet de loi, que le rapprochement avec la publicité sur le tabac et l'alcool était tentant, car il s'agit de problématiques voisines. Nous nous sommes contentés de recommander que la question soit réexaminée à l'occasion du débat parlementaire. Dans les délais qui nous étaient impartis, nous n'avions pas la possibilité d'analyser les effets de la réglementation de la publicité sur la consommation de tabac et d'alcool et les conséquences sur le secteur des décisions qui ont été prises. Ce sont des travaux qui seraient à engager.
Nous ne réalisons pas d'étude d'impact : ce n'est pas notre rôle.
Madame la présidente, Madame et Monsieur les rapporteurs, nous vous remercions pour ces éclairages. Sachez que nous apprécions à leur juste valeur les contributions de la société civile organisée et lisons toujours avec attention les avis du CESE.