Je comprends qu'il y ait beaucoup de questions autour du processus lui-même. Je vais vous donner quelques éléments d'information, en insistant sur le fait qu'il ne s'agit plus de l'avis du CESE.
Tout d'abord, Mme de Lavergne a fait état d'un processus inédit et innovant pour la construction d'un projet de loi, mais ce n'était pas le seul objectif : il s'agit d'un processus global qui devait avoir bien d'autres implications qu'un texte de loi, comme des mesures réglementaires ou un référendum.
Une précision importante : cette convention citoyenne portait sur le climat, ce qui n'est pas tout à fait neutre. Je pense qu'il ne faut pas l'oublier, si l'on veut analyser ce processus. En l'occurrence, il existait déjà beaucoup de documentation sur le climat avant la Convention citoyenne : beaucoup d'acteurs avaient déjà dit beaucoup de choses, des scientifiques avaient donné des informations attestées de rapport en rapport, des politiques climatiques existaient déjà. Les membres de la Convention se sont donc aussi référés à des propositions qui étaient dans l'espace public, parfois sans le savoir. Ils n'avaient pas tout à inventer sur le sujet. C'est d'ailleurs quelque chose à clarifier, s'agissant des conventions citoyennes : il faut être bien clair sur ce qu'on veut en obtenir. Leurs membres ne sont pas là pour inventer par miracle ce à quoi personne n'aurait pensé auparavant, ils se font l'écho de certaines propositions. C'est un choix qu'ils font de façon assez éclairée, au terme d'un long processus qui leur donne la capacité d'apprécier les choses.
Le CESE a procédé à un retour d'expérience complet, portant sur des aspects à la fois méthodologiques mais aussi institutionnels et démocratiques. C'est un travail très long, qui n'est pas tout à fait achevé. C'est pourquoi j'ai peur de ne pas bien organiser mes réponses à Mme de Lavergne qui me demandait ce que nous changerions et ce que nous reproduirions pour une autre convention citoyenne. Je pense sincèrement que c'est un sujet qui mérite une audition à lui seul.
Nombreux sont les membres du CESE qui se déclarent, soit à titre individuel, soit au nom de leur groupe, favorables à une consultation des citoyens ; très peu s'y opposent ouvertement. Néanmoins, cela soulève beaucoup d'interrogations. Avec cette convention, on n'a exploré qu'une solution ; de nombreuses questions restent en suspens.
Il importe de souligner que l'environnement a déjà apporté beaucoup de modernité à la vie démocratique, s'agissant notamment des procédures de consultation. Le débat public et les enquêtes publiques ont été inventés à propos de questions environnementales ; de nombreux questionnaires en ligne sont envoyés sur des sujets de ce type ; il existe des conférences de consensus. On n'a pas découvert la consultation des citoyens à l'occasion de cette convention ! De nombreuses expériences ont déjà été menées, à différentes échelles – point qui focalise d'ailleurs les interrogations, la taille du panel étant nécessairement restreinte.
Va-t-on vraiment améliorer l'acceptabilité des décisions politiques en posant systématiquement des questions à un panel de 150 personnes, étant entendu que cela implique à chaque fois un budget de plusieurs millions d'euros ? L'exercice comporte de toute évidence des limites. Peut-être devrions-nous recourir à des conventions citoyennes sur des sujets moins explorés et moins complexes que le climat. Il faut en tout cas le faire à bon escient, et en ayant conscience de l'énergie et de l'argent public que cela requiert.
Il me semble qu'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur cette procédure. On ne pourra la juger qu'à l'aune de ses effets sur la politique climatique. Il faudra aussi examiner si les Français se reconnaissent dans ce que proposent les membres de la Convention citoyenne, à l'issue d'un long processus d'apprentissage et d'approfondissement d'une question particulièrement technique et complexe. S'ils se sont impliqués avec passion, ils ont aussi découvert que ce n'est pas parce qu'une idée vous passe par la tête qu'elle est pertinente ou que personne ne l'a eue avant vous ; il existe déjà un socle sur lequel on peut s'appuyer ou duquel on doit se détacher. Je pense que, globalement, les membres de la Convention ont appris l'humilité au cours de cet exercice.
Je voudrais pour finir appeler votre attention sur le risque lié à ce que j'appelle « l'épuisement démocratique ». Si l'on multiplie les appels à la participation citoyenne sur divers sujets et que les procédures ou les réponses ne sont pas au rendez-vous, on risque de saper la confiance dans la démocratie. Si l'on sollicite directement les citoyens, c'est que l'on présuppose qu'il y a une crise de confiance à l'égard de la démocratie représentative ou que l'on souhaite passer par-dessus les corps intermédiaires – comme on les appelle inélégamment – et la société civile organisée ; que va-t-il rester, en définitive ? Je pense que tout le monde est d'accord pour lancer des consultations citoyennes, mais à condition d'être très attentif à la fois aux procédures utilisées – l'enjeu n'étant pas uniquement méthodologique – et aux réponses apportées, qui doivent être les plus élaborées possibles.
Au sein de la section de l'environnement, nous sommes en train de dresser le bilan de la mandature et nous faisons unanimement le constat que, pour ce qui nous concerne, nous, société civile organisée, en regard du temps, de l'énergie et des expertises qui sont mobilisés, beaucoup de progrès restent à faire en matière de redevabilité. Ce n'est pas compréhensible dès lors que le CESE est la troisième assemblée de la République, que son existence est garantie par la Constitution et qu'il est appelé à répondre aux demandes du Gouvernement ou à s'autosaisir. Il faut améliorer les procédures et les réponses qui sont apportées, je l'ai dit, mais nous ne souhaitons pas – je pense m'exprimer au nom de nombreux acteurs – que des consultations citoyennes se substituent à la société civile organisée ou aux organes de la démocratie représentative. Si nous avons le désir d'explorer certaines pistes, il nous semble indispensable de creuser le plus en amont possible les enjeux institutionnels et démocratiques de telles initiatives, afin d'en tirer le meilleur profit.