Je tiens moi aussi à rappeler que nous ne sommes pas des experts et que nous nous exprimons de façon collégiale, après avoir confronté nos positions. Nous avons pu nous appuyer sur dix années de travaux sur les politiques climatiques et leurs impacts sociaux, sans quoi nous n'aurions pas été capables de rendre un avis relativement complet en trois semaines. Mais comme c'est l'avis du CESE que nous exprimons et non celui des rapporteurs, nous ne pouvons pas répondre à vos questions si elles n'ont pas été débattues entre nous. L'avis du CESE, en tant que représentation de la société civile organisée, permet de refléter les positions aussi bien des architectes du groupe des professions libérales, qui se sont exprimés sur l'urbanisme, que des agriculteurs, des organisations écologiques ou des associations de consommateurs par exemple.
Oui, comme l'a dit M. Prud'homme, beaucoup est remis à plus tard dans ce texte, ou aux bonnes volontés. Globalement, on se heurte aux limites de notre modèle économique, écologique et social : il faut un saut qualitatif pour atteindre des objectifs plus ambitieux et dépasser le point d'arrêt que l'on sent entre le PIB et les émissions de CO2. Il y a bien un antagonisme, qui ne se manifeste pas seulement dans la politique actuelle, mais qui dure depuis un certain temps. D'où l'importance de veiller à l'empreinte environnementale.
Il y a également des conflits entre objectifs climatiques et de biodiversité, par exemple dans la politique du logement. La construction de logements neufs peut aller à l'encontre de la politique de réduction de l'artificialisation des terres. Il y a donc un équilibre à trouver dans la densification urbaine, la question de la nature en ville devant être abordée systématiquement pour tout programme de constructions neuves. Un article du projet de loi met l'accent sur les perspectives d'évolution des bâtiments. Il faut que reconstruire sur l'existant ne soit pas plus cher que construire en artificialisant. C'est très important.
Mme Jourdan a évoqué les inégalités sociales et la taxe carbone. Un des problèmes vient de ce qu'on taxe l'usage et non l'investissement : on taxe le carburant une fois que la voiture a été achetée. Nous regrettons que l'interdiction de la publicité pour les véhicules les plus polluants, proposée par la Convention citoyenne, n'ait pas été retenue et qu'on en reste à l'interdiction de la publicité sur les seules énergies fossiles, même si cela demeure pertinent – certains vont d'ailleurs trouver le moyen de faire valoir leur marque en mettant en avant leurs actions en matière d'énergies renouvelables. Ne pas s'attaquer à la publicité sur les voitures, c'est s'exposer à un problème d'acceptabilité pour toute une partie de la population qui se trouvera pénalisée sur l'usage d'un investissement consenti pour dix ou quinze ans.
S'agissant de la rénovation thermique des bâtiments, je pense que M. Bruno Millienne faisait allusion aux travaux confiés à M. Olivier Sichel qui devrait rendre ses conclusions en mars. Il n'y a pas d'obligation de rénovation des logements dans le projet de loi, seulement une limitation de la mise en location des logements les plus déperditifs. On ne s'attaque donc aux quelque 5 millions de logements les plus énergivores, ceux qu'on appelle les passoires thermiques, que sous l'angle de la location – ce qui ne concerne qu'un tiers du parc, selon l'étude d'impact, les deux autres tiers étant occupés par des propriétaires souvent modestes. La question, récurrente, de la façon de rendre acceptable le reste à charge pour les occupants modestes n'est pas abordée dans le texte. C'est pourtant un enjeu majeur et qui permet de concilier la réduction des émissions de CO2 et la justice sociale, puisque la résorption des passoires thermiques serait une avancée énorme dans les deux domaines – ce sont vraiment des investissements sans regrets.
M. Bruno Millienne a également évoqué les énergies renouvelables. L'étude d'impact précise bien que si leur développement fait partie des objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, l'impact n'est pas très important en matière de réduction des émissions de CO2. Il faut veiller à la cohérence de l'ensemble au niveau national, puisque nous fonctionnons avec un système de péréquation nationale qui s'effectue par les réseaux publics de distribution de gaz ou d'électricité. Il ne faudrait pas mettre en concurrence les régions en fonction de leurs atouts plus ou moins forts en termes de vent, de soleil, de densité de population, d'actifs de production, de densité de réseau… Il est donc absolument indispensable d'assurer une cohérence nationale, avec effectivement ensuite un traitement à l'échelle locale qui permette notamment d'améliorer l'acceptabilité.