Intervention de Corinne le Quéré

Réunion du mercredi 24 février 2021 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Corinne le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat :

Merci pour ces questions très riches. Je vais apporter certaines réponses et je demanderai à M. Olivier Fontan de compléter mes propos sur la résilience et sur les régions.

Comme cela a été dit plusieurs fois, notre mandat principal est bien axé sur le respect des objectifs climatiques, mais notre évaluation ne se fait pas dans le vide et nous devons également tenir compte, lorsque nous faisons des propositions, et dans la mesure de nos capacités, de leurs impacts socio-économiques et environnementaux. Ainsi, dans notre avis sur le plan de relance, nous avons relevé que les mesures favorables au climat péchaient en termes de justice sociale, et nous avons insisté sur la nécessité de bien les accompagner afin qu'elles n'aboutissent pas à accroître les inégalités.

Vous avez aussi mentionné la question de l'acceptabilité. Nous sommes bien conscients de son importance. Un membre du Haut Conseil et un membre de l'équipe sont des experts en sciences sociales et travaillent à ce que les mesures soient les plus acceptables possible, pour pouvoir aller au plus vite.

Notre avis porte sur le projet de loi, pas sur l'ensemble des mesures qui ont été prises par le Gouvernement pour répondre au réchauffement climatique. En revanche, nous sommes en train de préparer notre rapport annuel pour le mois de juin, qui évaluera cette stratégie d'ensemble. Il faut toutefois noter que, d'après le Gouvernement lui-même dans son étude d'impact, les mesures du projet de loi devraient permettre de réduire les émissions de la moitié ou des deux tiers de ce qui est nécessaire. Des mesures supplémentaires devront donc être prises. C'est à cela que sert l'évaluation : à se rendre compte que réduire concrètement les émissions, c'est vraiment difficile, et que cet objectif doit être mis au centre de l'ensemble des politiques publiques, pas seulement des politiques climatiques comme aujourd'hui.

Certes la loi ne fait pas tout, mais ce que peuvent faire les individus ou les entreprises a une portée limitée. Un individu ne peut pas réduire son empreinte carbone de plus d'un quart, parce qu´il opère dans un cadre et des infrastructures qu´il ne contrôle pas. C'est donc bien au Gouvernement de fixer un cap et d'assurer un soutien, par le biais d'investissements, d'engagements, d'obligations, de la définition du prix du carbone, afin que l´ensemble de la société avance assez vite face au réchauffement climatique. Je rappelle que l'objectif n'est pas seulement de respecter nos budgets carbone, mais de stabiliser le climat et de stopper la croissance des impacts monstrueux du réchauffement climatique.

Nous manquons d'outils pour évaluer nos textes. Le HCC doit sans doute voir son rôle renforcé en la matière, et son statut aussi, mais il a vocation à compléter le travail du Gouvernement, non à s'y substituer. C´est la responsabilité du Gouvernement de placer sa stratégie et ses politiques dans le cadre de l'action pour le climat.

Vous aurez vous-même très vite à évaluer les amendements qui seront proposés sur ce texte. Je vous invite à regarder trois choses. D'abord, l'objet de l'amendement : concerne-t-il des pratiques ayant un effet important sur les émissions, comme le transport routier ou la rénovation des bâtiments ? Pour vous aider dans cette évaluation, nous vous proposons un tableau, qui manquait dans l´étude d´impact, en page 22 de notre rapport. Ensuite, la portée de l'amendement : peut-elle être augmentée ? Par exemple, s'agissant de l'affichage, une mesure concernant les émissions fossiles peut-elle être élargie à l'ensemble des pratiques fortement émettrices – je pense aux grosses voitures telles que les SUV ? Enfin, il faut prévoir un calendrier de mise en œuvre : si la mesure est acceptable et les expérimentations concluantes, il faut veiller à passer immédiatement à l'étape suivante.

J'en viens à la compensation carbone des transports aériens. C'est un sujet difficile. Le Haut Conseil pour le climat n'a pas encore fait de rapport d'ensemble, mais le besoin d'une stratégie beaucoup plus ambitieuse apparaît clairement. Le cadre international est faible et incompatible avec l'atteinte de la neutralité carbone. Les mesures proposées par le projet de loi ne concernent que 10 % du trafic aérien métropolitain, pas plus. Mais quant à l'utilité de la compensation carbone pour le secteur aérien et à la place à lui donner dans le présent projet de loi, je ne peux pas vous apporter d'élément aujourd'hui. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut une stratégie d'ensemble et cohérente avec la SNBC.

Si nous avons choisi d'analyser de façon plus approfondie le logement et l'affichage environnemental, c'est parce que nous avons déjà travaillé sur ces deux secteurs. Au mois de novembre, nous avons publié sur la rénovation énergétique des logements un rapport très fourni, que je vous invite à consulter. Quant à l'affichage environnemental, il est étudié dans notre rapport sur l'empreinte carbone.

Le rythme à suivre est celui de la SNBC. Puisque vous souhaitez des recommandations plus précises, l'article 41, en plus d'interdire l'augmentation des loyers des logements loués considérés comme des passoires énergétiques, pourrait aussi prévoir des mesures en direction des propriétaires occupants, qui sont nombreux, et fixer une trajectoire pour s'étendre à d'autres classes énergétiques. L'article 42 pourrait faire de même.

Je comprends bien les problèmes d'acceptabilité que posent les mesures sur les engrais azotés, mais l'article 63 pose vraiment beaucoup de conditions. Le texte ne prévoit l'instauration de la redevance qu'après deux ans de non-respect des objectifs de réduction : il serait bon qu'elle intervienne plus tôt. Des conditions supplémentaires ne sont peut-être pas nécessaires au regard des dispositions européennes attendues.

Parmi les secteurs les plus stratégiques, outre le bâtiment, on trouve les transports. L'article 25 vise à interdire la commercialisation des véhicules neufs très émetteurs, mais avec une échéance fixée à 2030 ! C'est incroyable ! Il faut abaisser le seuil d'émissions corrélativement à la baisse attendue dans le secteur des transports. À l'article 30, l'entrée en vigueur de la diminution du remboursement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au transport de marchandises pourrait être avancée à 2023 et se poursuivre jusqu'en 2030, en conditionnant la mesure suivant l'évolution de la fiscalité européenne.

Enfin, si les expérimentations sur la restauration végétarienne, largement traitées dans les médias, donnent de bons résultats, il faudra les mettre en application.

J'en viens à la compatibilité entre la SNBC et la PPE. Nous sommes chargés d'évaluer la première, mais il nous est difficile de bien le faire sans analyser la seconde, autrement dit l'approvisionnement en énergie. On nous pose souvent des questions sur le gaz vert, l'hydrogène et le déploiement des énergies renouvelables, auxquelles nous ne répondons qu'à moitié parce que ce n'est pas dans notre mandat. Il serait plus cohérent que nous puissions assurer une approche générale et devenir une force de proposition aussi pour la PPE.

Je note au passage que plusieurs énergies doivent commencer à être développées, comme le gaz vert et l'hydrogène. Nous avons besoin de connaître le potentiel réel, le coût et le calendrier de développement de ces énergies nouvelles, pour avoir des attentes réalistes et déterminer l'importance de leur impact sur nos objectifs.

Le Haut Conseil pour le climat n'a pas été auditionné en tant que tel par la Convention citoyenne pour le climat, mais un grand nombre de ses membres l'ont été. À ses tout débuts, nous lui avons fourni du matériel informatif, dont un rapport grand public. Certains de nos membres font partie du comité de pilotage de la CCC, et ils se sont retirés des discussions qui ont eu trait à l'avis que nous avons rendu cette semaine.

Nous ne pouvons confirmer l'estimation du Gouvernement selon laquelle le projet de loi permettrait de réaliser entre la moitié et les deux tiers de l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, faute d'explications dans l'étude d'impact. Nous ferons ce travail dans le calendrier réalisable pour nous : il sera rendu en juin. L'étude du Boston Consulting Group (BCG) commandée par le Gouvernement comporte certainement des éléments d'explication, mais tout n'est pas encore bien clair pour nous. Ce qui est sûr, c'est que cette étude montre que les mesures prévues comportent des risques importants. Beaucoup de travail reste à faire, et le présent projet de loi doit s'intégrer dans un plan d'ensemble.

Nous l'avons vu avec la taxe carbone, si les mesures décidées ne s'inscrivent dans une perspective de justice sociale, le rythme souhaité ne sera pas tenu. C'est pourquoi ce projet de loi doit s'intégrer dans une vision stratégique globale incluant au moins pour partie des éléments de justice sociale, vérifiés en cours de route grâce à des indicateurs. J'invite donc le Gouvernement à compléter le travail engagé en fixant des feuilles de route de décarbonation par ministère et par filière, ainsi qu'une stratégie d'ensemble et une planification, idéalement assortie d'un suivi trimestriel.

S'agissant de la Convention citoyenne pour le climat, nous n'avons pas franchement de position. Nous indiquons dans nos rapports qu'il s'agit d'une entreprise remarquable, montrant que des citoyens venus d'horizons très différents pouvaient s'emparer des enjeux climatiques et formuler des propositions capables de faire progresser la réflexion et l'action. Ses propositions doivent être valorisées – mais c'est le Gouvernement qui reste garant de l'atteinte des objectifs. Il est clair que pour les réaliser, il faudra nombre de concertations et d'échanges avec les citoyens et les parties prenantes, pas seulement la CCC. Des compromis régionaux et dans le temps devront être réalisés. Si les citoyens, les parties prenantes, les entreprises sont impliqués, les mesures seront efficaces. Mais, même avec une loi parfaite, si les responsables politiques nationaux et locaux ainsi que les citoyens ne s'en emparent pas, nous en serons toujours au même point l'année prochaine.

S'agissant de l'affichage carbone, si on le fait, il faut le faire bien. Nous avons étudié la question, et surtout le score carbone, dans le rapport sur l'empreinte carbone que nous avons publié.

J'en viens aux émissions exportées. Oui, des mesures prises sur le territoire français peuvent avoir un effet de déplacement de certaines industries. Il faut s'en préoccuper, et aussi contrôler les émissions associées à nos importations, qui sont importantes. Un grand nombre de productions françaises utilisent des matériaux non produits en France. Ce sont les entreprises qui les importent qui disposent du principal levier pour faire baisser les émissions. C'est pourquoi il faut travailler avec les filières pour influencer leur approvisionnement. Une dynamique européenne doit être impulsée, qui donne lieu à beaucoup de discussions, par exemple sur la taxe carbone aux frontières. Il faut valoriser les efforts réalisés par les filières. C'est ce que font l'affichage environnemental et le score carbone, qui permettent ainsi de pousser la dynamique vers le haut, pour se conformer à la demande des consommateurs qui privilégient toujours l'option environnementale s'ils ont le choix. Il faut donc travailler avec les filières pour leur permettre d'opérer dans un environnement qui soutienne leur compétitivité au niveau national, européen et international.

L'absence de volet forestier est un point important. Les puits de carbone sont nécessaires car certains secteurs, comme l'agriculture et le transport aérien, n'atteindront jamais le zéro émission. C'est pourquoi il faut des forêts saines, et augmenter les capacités de stockage de carbone dans les sols. Si ce n'est pas fait par ce projet de loi, il faudra le prévoir à côté.

Enfin, s'agissant du plan de relance, nous avons fait des recommandations visant à le rendre dans son ensemble cohérent avec la neutralité carbone. Son arrivée à échéance étant prévue vers la fin de 2021, il faudrait qu'il soit prolongé de dix ans – pas obligatoirement au même niveau : c'est la visibilité qui est importante. Le secteur du bâtiment, par exemple, doit multiplier par dix le nombre de rénovations de fond d'ici quelques années et maintenir le rythme dans le temps, afin que les 26 millions de bâtiments français soient entièrement décarbonés d'ici à 2050. De tels acteurs ont besoin d'un horizon à dix ans au minimum, et d'une trajectoire à long terme afin d'investir avec confiance et d'organiser la formation nécessaire.

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