Intervention de Corinne le Quéré

Réunion du mercredi 24 février 2021 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Corinne le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat :

La justice sociale est essentielle : si la transition n'est pas juste, elle n'aura pas lieu. Mais c'est aussi une notion relative qui dépend des valeurs de chacun. L'an dernier, dans notre rapport annuel, nous recommandions un fort engagement auprès des régions, des acteurs, des citoyens, des entreprises, afin de favoriser l'appropriation des enjeux indispensable pour faire avancer les choses. On peut aussi agir au niveau de la mécanique de la mise en œuvre, en ciblant les actions sur les personnes qui ont le moins de capacité à payer ou n'ont pas d'option spécifique. Des indicateurs sont indispensables pour s'assurer que les mesures prises n'augmentent pas les inégalités.

Concernant le bâtiment, l'objectif est d'atteindre un parc de niveau « bâtiment basse consommation » en 2050. Comme vous, nous constatons le manque d'outils d'évaluation et de suivi. L'Observatoire national de la rénovation énergétique des bâtiments est en train de s'installer, mais ses moyens sont limités. On attend impatiemment ses premiers travaux. Notre rapport de novembre sur la rénovation des bâtiments s'appuie sur des données qui dataient de 2012 à 2016. Il est donc difficile d'évaluer les nombreuses mesures prises depuis cette date et d'en tirer des enseignements.

S'agissant des propriétaires occupants de passoires énergétiques, ce qui est clair, c'est que jusqu'à présent ils n'étaient pas soumis à des obligations et qu'il ne s'est pas passé grand-chose. L'accompagnement est bien sûr indispensable, mais il n'empêche pas la contrainte, qui est elle aussi nécessaire pour avancer. Chaque année, 60 000 à 70 000 rénovations profondes de bâtiments sont réalisées L'objectif de la stratégie nationale bas carbone est d'atteindre 350 000 rénovations par an d'ici peu, puis 700 000 en 2030. Pour passer de 70 000 à 700 000 rénovations profondes par an en dix ans, on a besoin de visibilité sur les financements, d'accompagnement, d'aides pour les propriétaires, d'une réglementation claire dans le temps, qui concerne toutes les classes énergétiques. Cela permet aux gens de voir qu'il faut y aller, et le plus rapidement possible. Cet horizon temporel ne figure pas dans le projet de loi et cela constitue un manque.

Le problème de l'étude d'impact, c'est surtout qu'elle manque de systématisation. Les articles sont traités différemment : pour certains, les méthodologies, les hypothèses et les données sont très claires alors que pour d'autres, on ignore sur quels éléments les responsables se sont appuyés. Surtout, il n'y a pas de tableau de synthèse qui permettrait de voir rapidement si la loi est au bon niveau. Concernant les doubles comptes, je vous renvoie à notre rapport, car c'est une difficulté mineure qui ne concerne que quelques articles.

Nous n'avons pas examiné l'étude du BCG, qui nous est parvenue très tard, car son rôle est différent. Elle évalue l'ensemble des mesures de politique climatique prises depuis 2017, y compris celles prévues dans le projet de loi. Nous, nous avons évalué la pertinence et l'utilité de chacun de ses articles. Oui, il y a beaucoup de mesures utiles, mais non, le texte ne saisit pas pleinement l'occasion offerte : il pourrait faire mieux en termes de calendrier ou de périmètre. En revanche, le rapport annuel du HCC sur l'évaluation des politiques d'ensemble, qui sera publié en juin, étudiera la méthodologie et les conclusions du BCG.

On nous demande si les délais devraient être accélérés : la réponse est clairement oui. Nous recommandons un pilotage trimestriel pour la SNBC, avec un bilan annuel du Gouvernement.

Concernant la compensation carbone, c'est vrai, les plantations d'arbres n'ont pas un effet immédiat, et les forêts sont vulnérables face au réchauffement climatique. Il faut donc supprimer toutes les émissions qui peuvent l'être : c'est celles qui ne le peuvent pas qu'on tente de compenser avec des puits de carbone. Il faut bien sûr avancer dans la gouvernance et la soutenabilité des puits de carbone, du stockage de carbone dans les sols et dans les forêts, mais l'essentiel de la politique de décarbonation, c'est la réduction des émissions.

Il a été question des indicateurs structurels. Par exemple, tout ce qui favorise les transports partagés ou l'électrification complète dans les transports est un bon levier de changement structurel. Ainsi, même si cela sort de l'objet du texte, les bornes de chargement concourent au passage à l'électrification, de même que les actions d'éducation et de formation, ou le lissage des compétences au niveau régional.

Enfin, quand on crée une taxe – ou qu'on supprime une subvention, comme ce sera le cas pour le transport routier – les entreprises et les individus doivent bénéficier d'une option, connaître la trajectoire de long terme, bénéficier d'un accompagnement suivi. C'est nécessaire pour aller vers le changement, de même que la contrainte l'est. Comme cela a été dit, si les entreprises se contentent de déménager, nous n'en retirerons pas de bénéfices, plutôt des dommages. Il faut donc travailler avec l'Union européenne, dont l'objectif environnemental est désormais plus fort que celui de la France. En bref, personne n'aime les obligations, mais elles donnent un signal clair ; en revanche, sans accompagnement, elles peuvent être irréalisables, voire dommageables, et il faut un soutien spécifique à chaque filière. C'est ce qui rendra possibles les changements nécessaires.

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