Intervention de Benoît Leguet

Réunion du vendredi 26 février 2021 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Benoît Leguet, directeur de l'Institut de l'économie pour le climat (l4CE) :

Je précise en préalable que l'Institut de l'économie pour le climat, que je dirige, n'est pas une organisation non gouvernementale (ONG) environnementale. Nous ne faisons notamment pas de plaidoyer. Notre objectif est de produire des analyses, des faits et des chiffres que peuvent ensuite utiliser les ONG environnementales, l'exécutif ou les parlementaires pour réfléchir à la façon de prendre en compte le climat dans leur prise de décision. Tous nos travaux sont publics, notre ambition étant d'informer le débat public.

Je suis, par ailleurs, membre du HCC. Mais je ne m'exprimerai pas aujourd'hui en son nom, puisque, ayant apporté ma contribution à la CCC, au titre du groupe d'appui, je m'étais déporté. Je n'évoquerai donc pas un rapport que je n'ai pas écrit.

Dans quelle perspective s'inscrit ce projet de loi ? Les investissements bas-carbone sont un élément essentiel du contexte car les investissements d'aujourd'hui préfigurent les émissions de demain. Ils permettront les changements de comportements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. En effet, si nous souhaitons que nos concitoyens prennent leur vélo ou les transports en commun, encore faut-il investir dans des transports en commun et des pistes cyclables. Les investissements sont une variable clé pour savoir si oui ou non nous allons vers la neutralité carbone.

En 2019, la France avait affecté 48 milliards d'euros à des investissements bas- carbone – mobilité propre, logements rénovés, énergies renouvelables, etc. Ce montant, important, doit cependant être comparé au besoin d'investissement dont il est fait état dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour atteindre la neutralité carbone. S'agissant ainsi de la partie « Énergie » – production d'énergies renouvelables et utilisation d'énergie à la fois dans les bâtiments et dans la mobilité – de la SNBC, il manquait, dès 2019, quelque 10 à 13 milliards d'euros d'investissement bas-carbone pour être en phase avec les objectifs qui y sont inscrits – en supposant que ceux qui ont été réalisés sont efficaces.

Sur la période 2020-2023, les résultats de nos travaux indiquent qu'il manquera 12 à 17 milliards d'euros d'investissement. Et pour la période 2024-2028, les investissements devront passer de 38 milliards d'euros – somme investie actuellement – à 70 milliards d'euros par an.

Le bilan est donc un déficit d'investissement hier, aujourd'hui et pour demain. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de changer d'échelle et d'investir plus pour le climat. Il faut des investissements publics et privés. La question est donc de savoir comment attirer de l'investissement bas-carbone, afin de tenir les objectifs de la SNBC.

La puissance publique devra répondre à un double défi. Le premier sera d'augmenter les dépenses de l'État favorables au climat. La bonne nouvelle, à cet égard, c'est que le chiffre annoncé dans le volet « climat » du plan de relance est à peu près le bon ; il devrait permettre de combler le déficit à court terme qui nous sépare de la SNBC. La solution n'est cependant que partielle, puisque le plan ne couvre que les investissements, et ponctuelle, puisque celui-ci est limité à deux ans. Les besoins d'investissement associés à la neutralité carbone vont, quant à eux, continuer à croître. Il y aura certainement une baisse des prix, mais également une augmentation du nombre de projets. Il conviendra donc de se poser la question de savoir comment nous pouvons augmenter les dépenses de l'État en faveur du climat.

Le second défi consistera à mettre en œuvre des politiques publiques qui soutiennent la réorientation des investissements en faveur du climat. Quelles incitations prendre pour attirer de l'argent privé vers les projets bas-carbone qui nous permettront de nous maintenir sur la trajectoire de la SNBC ?

Alors, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comporte-t-il les mesures nécessaires pour rattraper la trajectoire de la SNBC, d'ici à 2030 ? Pour l'instant, nous avons quelques inquiétudes.

Toutefois, ce qui me semble intéressant, dans ce texte, c'est qu'une grande partie des leviers à même d'accélérer la transition est mobilisée. Nous y trouvons, par exemple, des normes qui vont parfois jusqu'à l'interdiction, une amélioration de la formation, de la transparence, des éléments sur les niches fiscales – je pense à la suppression de l'avantage fiscal en matière de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les poids-lourds, le bonus-malus étant déjà entériné dans la loi de finances.

Néanmoins, il manque des outils fiscaux, ce que nous appelons les « signaux-prix ». Ainsi, un grand nombre des dispositions fiscales, ou d'ordre fiscal et budgétaire, de la CCC n'ont pas été reprises dans ce projet de loi.

Par ailleurs, les mesures prises risquent de ne pas être suffisantes pour se traduire par des réductions d'émissions des GES à la hauteur de l'enjeu, à savoir atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. D'abord, nombre d'entre elles ne seront pas mises en œuvre avant longtemps, alors que chaque mois compte. Ensuite, l'additionnalité de certaines d'entre elles semble limitée ; il conviendrait de clarifier les recoupements qui existent avec la loi dite « Énergie- climat ». En outre, des aménagements et des exemptions limitent la portée des mesures proposées par la CCC, dont certaines sont déjà conditionnées à l'agenda européen – je pense notamment aux aménagements de TICPE et au transport aérien. Enfin, des secteurs ont été oubliés et des opportunités ont été manquées, ce qui est d'autant plus dommageable que nous serons en 2050 dans moins de trente ans.

Parmi les secteurs oubliés, nous trouvons le fret ferroviaire, l'élevage, la rénovation énergétique et l'adaptation au changement climatique. Concernant les opportunités manquées, il s'agit de tout ce qui devrait être enclenché dès maintenant et qui prend du temps, afin d'éviter de se retrouver le bec dans l'eau en 2050 : obligation de rénovation, interdiction de vente des véhicules thermiques d'ici à 2030, etc. Ce sont ce type de dispositions structurelles que nous aimerions voir dans un projet de loi de cette nature, censé nous remettre dans la trajectoire de la neutralité carbone.

En conclusion, certes, une partie du travail a été effectuée avec l'augmentation ponctuelle des dépenses de l'État mais quelle est la stratégie climat des finances publiques au-delà de 2022, une fois que le plan de relance sera arrivé à terme ? Par ailleurs, ce texte est censé proposer des incitations afin de dévier du capital privé vers des projets bas-carbone. Or nous nous interrogeons sur la pertinence des mesures prévues au regard des objectifs à atteindre.

Voilà autant de points de vigilance et de points de discussion pour le débat parlementaire.

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