La commission spéciale a auditionné Mme Meike Fink, responsable « Transition climatique juste » du Réseau Action Climat (RAC), accompagnée de M. Clément Sénéchal, chargé de campagne à Greenpeace France et de M. Benoît Granier, responsable « Alimentation » du Réseau Action Climat ; M. Benoît Leguet, directeur de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) ; M. Samuel Leré, responsable plaidoyer de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme (FNH), accompagné de Mme Célia Gauthier, responsable climat-énergie ; Mme Alma Dufour, chargée de campagne « Surproduction et surconsommation » des Amis de la Terre, accompagnée de M. Khaled Gaiji, président et responsable des questions de publicité, de Mme Manon Castagné, chargée de campagne « Agriculture » et de Mme Lorette Philippot, chargée de campagne « Banques » ; M. Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement (FNE) ; Mme Juliette Kacprzak, chargée de plaidoyer et campagnes du WWF, accompagnée de Mme Isabelle Laudon, responsable « Politiques publiques » ; Mme Brigitte Giraud, directrice de l'Union nationale des centres permanents d'initiatives pour l'environnement (UNCPIE), accompagnée de Mme Bénédicte Compois, administratrice de l'UNCPIE.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, dans le cadre de nos travaux préparatoires sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, plusieurs organisations.
Mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a été élaboré à l'issue d'un processus inédit de démocratie participative auquel certains d'entre vous ont peut-être eu l'occasion de contribuer à titre d'expert auprès de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Il a aussi donné lieu à plusieurs consultations préalables et a fait, cette semaine, l'objet d'un avis du Haut Conseil pour le climat (HCC).
Nous en venons maintenant au temps de la délibération parlementaire. Pour être parfaitement éclairés, nous souhaitions vous entendre pour recueillir vos observations sur ce projet de loi. Son objectif, fixé à la Convention citoyenne pour le climat, est, je vous le rappelle, de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d'ici à 2030 pour répondre à l'urgence du dérèglement climatique dans un esprit de justice sociale, en balayant toutes les thématiques : consommation, production et travail, transport, logement et alimentation. Il comporte également un titre relatif à la protection judiciaire de l'environnement, thème sur lequel a travaillé la CCC.
Au regard des objectifs assignés à ce texte, comment analysez-vous les dispositions qu'il contient ? Vous semblent-elles aller dans le bon sens ? Quelles recommandations souhaitez-vous formuler à notre commission spéciale ?
Je précise en préalable que l'Institut de l'économie pour le climat, que je dirige, n'est pas une organisation non gouvernementale (ONG) environnementale. Nous ne faisons notamment pas de plaidoyer. Notre objectif est de produire des analyses, des faits et des chiffres que peuvent ensuite utiliser les ONG environnementales, l'exécutif ou les parlementaires pour réfléchir à la façon de prendre en compte le climat dans leur prise de décision. Tous nos travaux sont publics, notre ambition étant d'informer le débat public.
Je suis, par ailleurs, membre du HCC. Mais je ne m'exprimerai pas aujourd'hui en son nom, puisque, ayant apporté ma contribution à la CCC, au titre du groupe d'appui, je m'étais déporté. Je n'évoquerai donc pas un rapport que je n'ai pas écrit.
Dans quelle perspective s'inscrit ce projet de loi ? Les investissements bas-carbone sont un élément essentiel du contexte car les investissements d'aujourd'hui préfigurent les émissions de demain. Ils permettront les changements de comportements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. En effet, si nous souhaitons que nos concitoyens prennent leur vélo ou les transports en commun, encore faut-il investir dans des transports en commun et des pistes cyclables. Les investissements sont une variable clé pour savoir si oui ou non nous allons vers la neutralité carbone.
En 2019, la France avait affecté 48 milliards d'euros à des investissements bas- carbone – mobilité propre, logements rénovés, énergies renouvelables, etc. Ce montant, important, doit cependant être comparé au besoin d'investissement dont il est fait état dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) pour atteindre la neutralité carbone. S'agissant ainsi de la partie « Énergie » – production d'énergies renouvelables et utilisation d'énergie à la fois dans les bâtiments et dans la mobilité – de la SNBC, il manquait, dès 2019, quelque 10 à 13 milliards d'euros d'investissement bas-carbone pour être en phase avec les objectifs qui y sont inscrits – en supposant que ceux qui ont été réalisés sont efficaces.
Sur la période 2020-2023, les résultats de nos travaux indiquent qu'il manquera 12 à 17 milliards d'euros d'investissement. Et pour la période 2024-2028, les investissements devront passer de 38 milliards d'euros – somme investie actuellement – à 70 milliards d'euros par an.
Le bilan est donc un déficit d'investissement hier, aujourd'hui et pour demain. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de changer d'échelle et d'investir plus pour le climat. Il faut des investissements publics et privés. La question est donc de savoir comment attirer de l'investissement bas-carbone, afin de tenir les objectifs de la SNBC.
La puissance publique devra répondre à un double défi. Le premier sera d'augmenter les dépenses de l'État favorables au climat. La bonne nouvelle, à cet égard, c'est que le chiffre annoncé dans le volet « climat » du plan de relance est à peu près le bon ; il devrait permettre de combler le déficit à court terme qui nous sépare de la SNBC. La solution n'est cependant que partielle, puisque le plan ne couvre que les investissements, et ponctuelle, puisque celui-ci est limité à deux ans. Les besoins d'investissement associés à la neutralité carbone vont, quant à eux, continuer à croître. Il y aura certainement une baisse des prix, mais également une augmentation du nombre de projets. Il conviendra donc de se poser la question de savoir comment nous pouvons augmenter les dépenses de l'État en faveur du climat.
Le second défi consistera à mettre en œuvre des politiques publiques qui soutiennent la réorientation des investissements en faveur du climat. Quelles incitations prendre pour attirer de l'argent privé vers les projets bas-carbone qui nous permettront de nous maintenir sur la trajectoire de la SNBC ?
Alors, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comporte-t-il les mesures nécessaires pour rattraper la trajectoire de la SNBC, d'ici à 2030 ? Pour l'instant, nous avons quelques inquiétudes.
Toutefois, ce qui me semble intéressant, dans ce texte, c'est qu'une grande partie des leviers à même d'accélérer la transition est mobilisée. Nous y trouvons, par exemple, des normes qui vont parfois jusqu'à l'interdiction, une amélioration de la formation, de la transparence, des éléments sur les niches fiscales – je pense à la suppression de l'avantage fiscal en matière de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les poids-lourds, le bonus-malus étant déjà entériné dans la loi de finances.
Néanmoins, il manque des outils fiscaux, ce que nous appelons les « signaux-prix ». Ainsi, un grand nombre des dispositions fiscales, ou d'ordre fiscal et budgétaire, de la CCC n'ont pas été reprises dans ce projet de loi.
Par ailleurs, les mesures prises risquent de ne pas être suffisantes pour se traduire par des réductions d'émissions des GES à la hauteur de l'enjeu, à savoir atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. D'abord, nombre d'entre elles ne seront pas mises en œuvre avant longtemps, alors que chaque mois compte. Ensuite, l'additionnalité de certaines d'entre elles semble limitée ; il conviendrait de clarifier les recoupements qui existent avec la loi dite « Énergie- climat ». En outre, des aménagements et des exemptions limitent la portée des mesures proposées par la CCC, dont certaines sont déjà conditionnées à l'agenda européen – je pense notamment aux aménagements de TICPE et au transport aérien. Enfin, des secteurs ont été oubliés et des opportunités ont été manquées, ce qui est d'autant plus dommageable que nous serons en 2050 dans moins de trente ans.
Parmi les secteurs oubliés, nous trouvons le fret ferroviaire, l'élevage, la rénovation énergétique et l'adaptation au changement climatique. Concernant les opportunités manquées, il s'agit de tout ce qui devrait être enclenché dès maintenant et qui prend du temps, afin d'éviter de se retrouver le bec dans l'eau en 2050 : obligation de rénovation, interdiction de vente des véhicules thermiques d'ici à 2030, etc. Ce sont ce type de dispositions structurelles que nous aimerions voir dans un projet de loi de cette nature, censé nous remettre dans la trajectoire de la neutralité carbone.
En conclusion, certes, une partie du travail a été effectuée avec l'augmentation ponctuelle des dépenses de l'État mais quelle est la stratégie climat des finances publiques au-delà de 2022, une fois que le plan de relance sera arrivé à terme ? Par ailleurs, ce texte est censé proposer des incitations afin de dévier du capital privé vers des projets bas-carbone. Or nous nous interrogeons sur la pertinence des mesures prévues au regard des objectifs à atteindre.
Voilà autant de points de vigilance et de points de discussion pour le débat parlementaire.
Je coordonne les activités de l'association Réseau Action Climat concernant le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Je veux tout d'abord souligner que plusieurs études – l'étude d'impact, l'avis du HCC, l'étude du Boston consulting group (BCG) et l'étude de Carbone 4 – pointent le manque d'ambition de ce projet de loi. Toutes s'accordent à dire que, compte tenu des mesures existantes et de celles prévues par ce texte, il ne sera pas possible de respecter l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Je rappelle, en outre, que les 27 États de l'Union européenne se sont accordés, en décembre dernier, sur un rehaussement de l'objectif à 55 % de réduction de ces émissions.
En outre, une étude publiée en février 2021 par Météo France démontre que la hausse de température en France est de 1,7 degré. Si nous ne contribuons pas à la réduction de nos émissions de GES, cette hausse pourrait atteindre 4 degrés à la fin du siècle, avec des conséquences dramatiques sur la biodiversité, la santé publique, l'agriculture et, par conséquent, l'activité économique. Tel est l'enjeu de ce projet de loi, dont l'ambition doit être à la hauteur des objectifs fixés.
Nous avons identifié quinze mesures particulièrement structurantes que nous aimerions voir intégrées dans le texte. Certes, certaines y figurent déjà, mais avec une ambition souvent limitée par rapport aux propositions de la CCC. Je n'en évoquerai que quelques-unes.
Tout d'abord, dans le titre III « Se déplacer », l'enjeu du chapitre Ier est de promouvoir les alternatives à la voiture individuelle. Nous souhaitons qu'un jalon soit fixé à la trajectoire vers l'interdiction de vente des véhicules les plus polluants en 2025, comme cela a été proposé par les 150 citoyens. Pour ce faire, et au regard de la justice sociale, il conviendrait que l'État instaure un prêt à taux zéro en faveur des ménages à faible revenu pour l'achat d'un véhicule peu émetteur. Aujourd'hui, le Gouvernement propose un dispositif de micro-crédit mobilité propre garanti par l'État qui s'appuierait sur le système existant. Or nous avons relevé un problème de volume financier : il conviendrait d'aller au-delà de ce qui est prévu. En outre, nous avons constaté que le taux d'intérêt des micro-crédits peut parfois atteindre 8 %.
Ensuite, en ce qui concerne le chapitre II du titre III, relatif à l'amélioration du transport routier de marchandises et à la réduction de ses émissions, nous soutenons la proposition de la CCC d'acter dès à présent la trajectoire de suppression du remboursement de la TICPE.
S'agissant de la limitation des émissions du transport aérien – chapitre IV –, l'article 37 nous paraît particulièrement problématique, car il reste très symbolique. Cet article, relatif à l'interdiction d'étendre les aéroports, se limite dans les faits aux projets qui nécessitent d'exproprier des acteurs privés pour l'acquisition de biens fonciers par le biais d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Or nous avons publié, la semaine dernière, une analyse montrant que les dix plus grands projets d'extension d'aéroports actuellement à l'étude n'auraient pas besoin d'une déclaration d'utilité publique car les propriétaires possèdent suffisamment d'espace pour effectuer les aménagements prévus. Cet article doit donc être renforcé.
Par ailleurs, nous soutenons la proposition de la CCC visant à supprimer les vols intérieurs quand il existe une alternative en train, en 4 heures.
Enfin, s'agissant du développement d'un plan d'investissement massif pour le transport ferroviaire, si le plan de relance comporte une enveloppe importante, elle nous paraît néanmoins très insuffisante.
S'agissant du titre V, « Se nourrir », nous avons également identifié plusieurs priorités.
Premièrement, proposer un choix végétarien quotidien dans la restauration collective publique. La rédaction actuelle du projet de loi sur cette question nous paraît très insuffisante, alors même qu'une expérimentation est en cours et que des études démontrent que plus de deux cents villes et des dizaines de structures – CROUS, hôpitaux, lycées – expérimentent déjà l'option végétarienne au quotidien.
Après la polémique qui a eu lieu à Lyon autour d'un repas unique sans viande dans les cantines scolaires municipales, nous souhaitons revenir sur certaines idées reçues. L'affirmation selon laquelle le déjeuner à la cantine est le seul repas où les enfants de familles modestes peuvent manger de la viande est ainsi démentie par une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) de 2017. Ce sont précisément les personnes les plus modestes qui mangent le plus de viande.
Un repas sans viande ne serait pas équilibré : nous pouvons vous transmettre des analyses scientifiques sur cette question, notamment celle de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), de janvier 2020.
Les menus végétariens seraient une insulte aux éleveurs français : il est démontré que dans la majorité des cantines, la viande qui est servie en restauration collective est importée.
Deuxième priorité, l'instauration d'une solidarité nationale alimentaire, pour permettre aux ménages modestes d'avoir accès à une alimentation durable. À cet égard, nous avons élaboré des propositions relatives au chèque alimentaire et, au-delà, à un dispositif plus structurel.
Troisièmement, pour accompagner la restructuration de l'élevage pour produire moins et mieux, il convient d'interdire la construction de nouveaux bâtiments d'élevage industriel visés par le régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou situés dans des zones vulnérables qui ont notamment des enjeux de pollution de l'eau.
Concernant le titre IV « Se loger », nous avons identifié deux mesures phares particulièrement structurantes. D'une part, la mise en œuvre d'une obligation de rénovation énergétique, dès 2024. D'autre part, le renforcement des mesures coercitives pour stopper les aménagements des zones commerciales péri-urbaines, avec notamment l'intégration des entreprises du e-commerce.
S'agissant du titre Ier « Consommer », nous avons relevé deux propositions portées par les 150 citoyens de la CCC. D'une part, l'interdiction de la publicité, non pas uniquement sur les énergies fossiles, mais également sur les véhicules polluants. D'autre part, la mise en place d'un système de consigne pour les emballages en verre, avec une généralisation dès 2025.
Enfin, pour ce qui concerne le titre II « Produire et travailler », nous portons deux mesures phares. D'abord, la mise en place d'une écoresponsabilité pour les entreprises, en renforçant la transparence des entreprises en ce qui concerne leur empreinte carbone et en sanctionnant le non-respect d'une trajectoire de baisse des émissions par secteur d'activité. Ensuite, l'anticipation et l'accompagnement de la reconversion des entreprises, des salariés, des sous-traitants et des auto-entrepreneurs dans la transformation des métiers et dans le cadre des aides à la transition écologique.
Je commencerai par insister sur l'importance de cette loi, qui sera certainement la dernière de la présente mandature, pour que la France se positionne sur la bonne trajectoire s'agissant de ses objectifs climatiques et puisse respecter ainsi l'accord de Paris. Car pour l'instant, nous n'y sommes pas.
Des études ont été évoquées par Mme Meike Fink ; je vous citerai pour ma part celle de Carbone 4, publiée hier, et qui montre qu'en additionnant les mesures prises dans les lois votées – telles que la loi d'orientation sur les mobilités (LOM) et la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) – et dans le plan de relance, nous n'atteindrons pas nos objectifs. Ce texte doit donc nous permettre de modifier notre trajectoire. Or les dispositions qu'il comporte actuellement n'y suffiront pas.
Nous comptons sur vous, parlementaires, pour placer la France sur la bonne trajectoire. Et vous pouvez compter sur nous pour travailler avec vous.
N'ayant pas le temps de revenir sur l'ensemble du texte, j'insisterai sur trois mesures.
D'abord, la rénovation. L'étude de Carbone 4 indique que, en ajoutant les mesures du projet de loi à toutes celles qui ont déjà été adoptées, nous ne réaliserons, d'ici à 2030, que 2,7 millions de rénovations énergétiques performantes des bâtiments, ce qui est largement insuffisant, puisque l'objectif est de 4,5 millions.
Nous avons deux propositions à vous présenter pour atteindre notre objectif. D'une part, définir ce qu'est une rénovation énergétique performante – une définition que nous ne trouvons pas dans le projet de loi. Nous le savons tous, souvent les rénovations se limitent à un changement de fenêtres, ce qui est largement insuffisant. D'autre part, instaurer une obligation conditionnelle de rénovation énergétique performante dès 2024, qui serait progressive et bénéfique pour tous. Il s'agit d'une question de justice sociale, chère à la fondation Nicolas-Hulot et à toutes les ONG qui sont aujourd'hui autour de la table : nous ne pourrons pas faire la transition écologique sans justice sociale.
Une différence doit cependant être faite entre les maisons individuelles et les copropriétés. S'agissant des maisons individuelles, nous proposons d'instaurer cette obligation dès 2024 – au moment du changement de propriétaire –, si et seulement si deux conditions cumulatives sont remplies : d'une part, qu'il existe une offre technique performante sur tous les territoires ; d'autre part, que l'État propose une offre financière adaptée, permettant aux ménages de ne pas subir de perte de leur pouvoir d'achat. Pour ce faire, le reste à charge devra être couvert par les économies de chauffage réalisées par la rénovation des bâtiments.
Il conviendra, en outre, pour les ménages les plus modestes, de prévoir des dispositifs plus spécifiques afin qu'ils n'aient aucun reste à charge à payer – ils n'ont pas, en effet, la capacité d'emprunter.
Concernant les copropriétés, l'obligation de rénovation énergétique devra être réalisée au moment du ravalement de façade.
Ensuite, les grandes entreprises – une préoccupation que nous portons avec Greenpeace, WWF, Réseau Action Climat et Oxfam France. Aucune mesure du projet de loi ne pèse en effet sur les plus grandes entreprises qui, pourtant, ne font pas ce qu'il faudrait. Nous devons donc les mettre à contribution.
Nous proposons, non pas de les pointer du doigt ou de les pénaliser, mais de les orienter vers une économie bas-carbone. Pour ce faire, nous proposons qu'une obligation soit instaurée pour toutes les grandes entreprises, celles qui sont déjà soumises à une obligation de reporting extra-financier. Il s'agirait d'imposer à ces entreprises de publier un plan climat dans lequel seraient comptabilisées leurs émissions directes et indirectes – scope 1, scope 2 et scope 3. Par ce plan, elles s'engageraient à réduire leur empreinte carbone – un engagement qui devra être respecté et qui sera différent selon les secteurs. Il appartiendra à la puissance publique de fixer un niveau minimum par secteur d'activité, qui soit compatible avec nos objectifs climatiques.
En outre, l'entreprise devra, dans ce plan climat, expliquer ses investissements, notamment en matière de formation, car pour qu'une entreprise puisse s'orienter vers une économie bas-carbone, elle aura à supprimer certains métiers et à en développer d'autres. Pour remplir ses obligations, l'entreprise devra transformer son modèle économique et les compétences des salariés.
Par ailleurs, une autorité publique devra vérifier si les émissions de GES de ces grandes entreprises sont bien en diminution, et prononcer des sanctions si les objectifs ne sont pas remplis – ou si une entreprise refuse de publier son plan climat ou de prendre un engagement. En effet, nul ne l'ignore, sans sanction, le secteur privé ne jouera pas le jeu.
Enfin, le transport, le secteur qui accuse le plus grand retard en termes de réduction de GES et qui en émet le plus. L'étude de Carbone 4 fait état du retard de la France s'agissant du nombre de voitures bas-carbone en circulation. En effet, en additionnant toutes les mesures prises dans les différentes lois, notamment la LOM, ce projet de loi, les différentes lois de finances (PLF) et dans le plan de relance, 3 % seulement de véhicules bas-carbone seront en circulation en 2030 – l'objectif étant de 15 %.
Pour atteindre cet objectif, nous devons mettre fin à la commercialisation des véhicules diesel et essence et transformer les flottes – publiques et privées – qui alimentent le marché des particuliers. Nous avons besoin que des véhicules bas-carbone soient mis en vente sur le marché de l'occasion. Nous proposons également de renforcer les obligations de l'État et des collectivités territoriales, qui devront respectivement atteindre 100 % de véhicules bas-carbone neufs dans leur flotte en 2025 et 2027.
S'agissant des flottes privées, les objectifs existants sont trop faibles. Nous proposons de les doubler à partir de 2022 pour atteindre 100 % de véhicules bas-carbone en 2030 – la fin de la commercialisation des véhicules diesel et essence devant être prévue à cette date, pour une neutralité carbone en 2050.
Le changement climatique aura des impacts dramatiques dans le monde entier, et donc en France et sur le secteur agricole. Il est important de le rappeler, d'autant que nous en subissons déjà les conséquences. En effet, les impacts du réchauffement climatique se manifestent beaucoup plus rapidement que ce qu'avaient prévu les scientifiques. La trajectoire est aujourd'hui totalement incontrôlée. Même si c'est difficile, il convient donc à tout prix que le Gouvernement renforce l'ambition de ce projet de loi ; c'est maintenant ou jamais. Nous avons dix ans pour agir et chaque année compte.
J'ai déjà eu l'occasion d'échanger avec vous sur le volet « Artificialisation ». J'interviendrai donc aujourd'hui plus particulièrement sur la question du moratoire partiel s'agissant des zones commerciales. Cette mesure va dans le bon sens, la France s'étant dotée d'importantes capacités commerciales en périphérie ces dernières années, avec des conséquences dramatiques sur l'artificialisation des terres, mais aussi sur les emplois dans les centres villes. Il était donc temps de changer de braquet.
Néanmoins, tel qu'il est rédigé, l'article laisse la possibilité de détourner cette mesure. Le seuil de surface – moins de 10 000 m2 – qui déclenche des possibilités de dérogation est bien trop élevé par rapport à la moyenne des surfaces commerciales, qui est de 2 000 m2. En outre les critères d'exemption énoncés permettent de contourner la mesure en fractionnant les projets. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais pour que l'exception ne devienne pas la règle, le texte doit être renforcé.
Il conviendrait, par ailleurs, d'inclure dans la loi les entrepôts d'e-commerce, situés en général en plein champ et en très grande périphérie. Nous l'avons déjà souligné, pour bâtir un entrepôt, il faut artificialiser trois fois plus de sols que pour une zone commerciale. Il s'agit en outre de sauver plusieurs centaines de milliers d'emplois dans le commerce physique, qui sont menacés à très court terme.
Alors que la concurrence déloyale du e-commerce a provoqué de véritables ravages, avec 81 000 destructions d'emplois en dix ans selon les chiffres de 2018, alors que la crise de la covid-19 a mis le secteur du commerce physique à genou, ce texte enverrait un terrible signal aux groupes Zara, Gap et autres, qui sont déjà en train de fermer massivement des magasins dans toute l'Europe, en n'empêchant pas les entrepôts d'e-commerce de pouvoir continuer de s'implanter un peu n'importe où.
En outre, les prêts garantis par l'État (PGE) s'élèvent à près de 100 milliards d'euros pour le secteur du commerce physique. L'aggravation de la crise aurait donc un effet délétère sur les finances publiques à court terme. Vous l'aurez compris, le sujet est grave, non seulement pour l'environnement, mais aussi socialement, et vous devez, en tant que parlementaires, y prêter une attention particulière.
Enfin, la question de l'inégalité de traitement devant la loi entre le commerce physique et l'e-commerce, l'Autorité de la concurrence ayant déclaré l'identité de ces deux formes de commerce, peut fragiliser juridiquement le moratoire sur les zones commerciales en cas de saisine du Conseil constitutionnel.
Notre autre priorité majeure porte sur la redevance sur les engrais azotés. D'après le HCC, il s'agit, pour l'agriculture, de l'une des deux mesures les plus structurantes pour atteindre une baisse significative des émissions de GES.
Or, en l'état actuel, la rédaction n'est pas satisfaisante. Envisager de mettre en place une redevance sur les engrais azotés vide l'article de toute portée normative. Nous demandons donc qu'une taxe soit imposée dès aujourd'hui avec une redevance à 27 centimes le kilogramme. C'est un montant peu pénalisant et qui permet d'atteindre la moitié de l'objectif de réduction des émissions de GES. Par ailleurs, le produit de cette taxe devra être reversé directement aux agriculteurs, pour éviter le phénomène « bonnets rouges ». En fléchant cette redevance, vous montrerez qu'il ne s'agit pas d'une sanction, mais d'un accompagnement à la transition agro-écologique. Cette mesure est donc fondamentale et extrêmement structurante.
Enfin, si la France veut avancer, de façon rapide et brutale, dans la réduction des émissions de GES, elle doit se pencher sur l'activité de ses banques, notamment en ce qui concerne le financement des énergies fossiles à travers le monde.
Je rappelle que le bilan carbone des financements des banques françaises est égal à huit fois les émissions de la France. Si l'État agissait pour aligner les financements des grandes banques françaises – comme la BNP-Paribas – sur l'accord de Paris, il accélérerait énormément la lutte contre le changement climatique.
Nous pouvons vous proposer des amendements au titre III, « Produire et travailler », visant à aligner progressivement les banques françaises sur l'accord de Paris. Il s'agit d'une question qui occupe déjà le Gouvernement, mais pour l'instant il est resté dans de l'incitatif en demandant aux banques d'agir volontairement. Or force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous et que les banques trichent sur les mots et les périmètres, de sorte que l'Autorité des marchés financiers (AMF) a estimé que l'ambition, sur cette question, n'était pas à la hauteur. Ce projet de loi est l'occasion d'ajuster le curseur.
Juliette Kacprzak, chargée de plaidoyer et campagnes du WWF. Je ne reviendrai pas sur l'appréciation générale de ce projet de loi qui a été largement relayée publiquement. Je partage bien évidemment les propos de mes collègues s'agissant de l'urgence à agir et de la nécessité de rehausser l'ambition du texte de cette loi, conformément à l'avis rendu cette semaine par le Haut Conseil pour le climat. Je partage également les propositions qu'ils ont présentées. Il me revient de vous parler de trois sujets : la publicité, la comptabilité environnementale des entreprises et l'interdiction du cyanure dans le secteur minier.
Concernant la publicité, je passerai rapidement sur les données clés relatives à l'abondance des messages publicitaires et à leur rôle sur nos comportements de consommation, bien souvent en contradiction avec la prise de conscience et les messages de sensibilisation sur les enjeux de protection de l'environnement. Ce sujet n'est pas nouveau. Des initiatives ont déjà été prises, notamment en matière d'engagement volontaire, avec, par exemple, la charte d'engagement et d'objectifs pour une publicité éco-responsable de 2008, signée par le Gouvernement et les professionnels de la publicité, ou encore le dispositif d'autorégulation autour de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dont les recommandations relatives au développement durable ont été mises en œuvre dès 2009.
Cependant, toutes ces initiatives ne nous semblent pas suffisantes. Des publicités de compagnies aériennes nous invitent encore trop souvent à prendre l'avion pour aller manger une glace à Rome ; des distributeurs nous suggèrent d'endommager volontairement notre ordinateur pour en racheter un neuf ; et des constructeurs automobiles nous proposent de racheter notre malus.
Les mesures mises en place sont donc clairement insuffisantes. Celles qui sont inscrites dans ce projet de loi sont, quant à elles, axées principalement sur des engagements volontaires à venir du secteur de la publicité. Par ailleurs, l'interdiction très limitée aux seules énergies fossiles ne nous satisfait pas. C'est très éloigné de l'ambition définie par les 150 citoyens.
Nous avons donc travaillé collectivement avec le Réseau Action Climat, les ONG Résistance à l'agression publicitaire, Greenpeace et les Amis de la Terre pour formuler des propositions visant, tout d'abord, à interdire la publicité sur les produits et services à impact environnemental excessif, avec une approche séquencée dans le temps en fonction des secteurs et des produits : ceux sur lesquels l'impact potentiel est fort et ceux pour lesquels nous avons déjà des méthodologies et des barèmes permettant de mettre en place cet affichage environnemental et cette interdiction concernant les segments les plus polluants. Nous proposons que cette approche séquencée soit définie par voie réglementaire.
Par ailleurs, comme l'a suggéré la CCC, nous souhaitons mettre rapidement en œuvre une interdiction ciblant la publicité sur les véhicules les plus polluants, en fonction d'un critère d'émission et d'un critère de poids. Nous disposons en effet d'ores et déjà de tous les éléments permettant d'avoir une approche ciblée, avec un barème réfléchi.
Outre l'interdiction des produits les plus polluants, nous estimons que la publicité a vocation à informer le public sur les caractéristiques environnementales d'un produit. Nous proposons donc de rendre obligatoire, dans les publicités, l'affichage des évaluations environnementales dont peuvent faire l'objet de nombreux produits et services.
Contrairement à ce que nous avons pu entendre dans le débat public, nous ne cherchons pas à interdire la publicité, mais à la réorienter vers des produits plus vertueux. Ainsi, nous pourrons anticiper l'impact sur le financement des médias, puisqu'il ne s'agit pas de réduire la publicité en volume.
S'agissant de la comptabilité environnementale des entreprises, je rejoins ce qui a été développé par mon collègue de la FNH sur la nécessité d'instaurer une éco-responsabilité dans les grandes entreprises. Nous proposons également de faire évoluer leur obligation de reporting extra-financier pour y intégrer des éléments de comptabilité environnementale.
Je m'explique : les grandes entreprises établissent un rapport sur leurs objectifs environnementaux mais sans aucune obligation de fournir des informations financières sur les moyens qu'elles engagent pour satisfaire ces objectifs, de sorte qu'il est presque impossible d'évaluer clairement le niveau d'engagement d'une entreprise sur les objectifs qu'elle s'est fixés.
Nous proposons donc, en complément de cette approche éco-responsable, de rendre obligatoire, dans le cadre du reporting extra-financier, l'inscription des moyens financiers engagés pour atteindre les objectifs environnementaux sur les exercices passés et futurs. Cela rejoint la logique de l'engagement des entreprises et de la transparence de la trajectoire qu'elle souhaite suivre.
Je terminerai mon propos en évoquant la question du cyanure dans le secteur minier. Nous avons travaillé avec le Gouvernement sur la réforme du code minier, qui, même si elle aurait pu aller plus loin sur certains points, comporte néanmoins des avancées importantes sur des sujets portés depuis longtemps par les ONG.
Nous voulons aujourd'hui appeler votre attention sur l'interdiction de l'utilisation du cyanure, en ciblant les technologies les plus dangereuses. Je passe rapidement sur la grande toxicité et les très grands risques que représente cette technologie, qui est la source de très nombreux accidents. Heureusement, les procédés de cyanuration sont encore très peu utilisés en France, mais nous observons une tendance très forte du secteur minier à s'industrialiser et à aller vers ce type de technologie pour des raisons économiques, comme l'a montré le projet Montagne d'or. Nous souhaitons donc empêcher son développement, notamment en Guyane où les facteurs de risque sont accrus du fait de la biodiversité et de la pluviométrie.
Nous soutenons ainsi la proposition défendue par le Parlement européen au travers de deux résolutions et par l'Assemblée nationale, par une proposition de résolution qui a été reprise par les huit groupes politiques et cosignée par le ministre de la santé, alors député.
Comme en témoigne un sondage réalisé par l'ONU et l'université d'Oxford, les Françaises et les Français attendent des mesures fortes : 77 % d'entre eux considèrent la question climatique comme une priorité et 73 % d'entre eux souhaitent que des actions soient menées immédiatement.
France nature environnement, qui rassemble 900 000 personnes et 3 500 associations, ressent cette attente dans tous les territoires de l'Hexagone et outre-mer. Je suis persuadé que dans les prochains jours, vous allez recevoir des demandes d'amélioration de ce projet de loi – et vous y travaillez certainement. Les collègues qui viennent de s'exprimer vous ont fait part de leurs propositions et des marges de manœuvre possibles. Chaque réduction d'émissions de GES obtenue grâce à ce texte sera un réel progrès. Celui-ci permet d'ores et déjà des avancées, mais vous pouvez faire plus.
France nature environnement sensibilise chaque année 2 millions de personnes, au cours de sorties nature ou lors de débats et de conférences… L'appétence est grande. Nous touchons aussi bien le milieu scolaire que l'extra-scolaire, le milieu professionnel que l'extra‑professionnel. Nous avons envie d'apprendre et de comprendre, tout au long de notre vie, le monde dans lequel nous vivons.
Vous pouvez donc aider la société à progresser. Nous comprenons que vous êtes soumis à des pressions énormes qui s'expliquent notamment par un certain déficit culturel en matière de connaissances scientifiques. Au-delà de l'école primaire et secondaire, l'éducation dispensée dans les grandes écoles et à l'université est intéressante, mais nous ne devons pas oublier la formation tout au long de la vie et les activités extra-professionnelles auxquelles les adultes ont accès et par lesquelles ils peuvent être amenés à observer l'exemplarité, s'en inspirer et découvrir de nouvelles pratiques et connaissances.
De sorte qu'il importe de lancer une politique d'éducation nationale à la transition écologique qui ne soit pas tournée seulement vers le milieu scolaire. En effet, notre empreinte carbone est créée non seulement par les émissions françaises, sur lesquelles nous travaillons aujourd'hui avec ce projet de loi, mais aussi par les émissions importées qui représentent à peu près la moitié des émissions produites en France. Depuis une trentaine d'années, la France n'a pas beaucoup avancé sur cette question parce qu'elle a délocalisé son impact climatique.
Les comportements individuels, les achats et les choix de vie qui orientent aussi notre société peuvent donc, s'ils sont faits en conscience, changer l'économie française. Des citoyennes et des citoyens mieux éduqués et plus conscients favoriseront le développement d'activités en France et en Europe, permettant la transition de l'ensemble de l'économie. Je pense aux emplois et aux activités qui peuvent être développés grâce à une population mieux éduquée.
Au-delà des choix individuels, les choix collectifs que vous portez, vous législateurs, seront plus facilement acceptés, s'ils sont compris. Sachez que nous sommes là pour en discuter avec vous, aujourd'hui comme demain.
Les CPIE représentent un réseau national d'associations qui ont largement contribué à la création de l'éducation à l'environnement, à la concrétisation de l'ingénierie environnementale et à la concertation sur les territoires, en particulier depuis les lois de décentralisation. Aujourd'hui, le réseau oriente son projet associatif vers la facilitation de l'action commune sur les territoires pour accélérer la transition écologique.
Récemment, Mme la ministre Barbara Pompili a qualifié ce projet de loi de « dernier kilomètre de la transition écologique ». C'est un point de vue. Nous, nous pensons qu'il est indispensable de prêter une attention très forte au premier kilomètre de la transition écologique : apprendre aux acteurs à co-construire dans la durée, tant pour identifier les problèmes prioritaires de la transition écologique que pour y apporter des solutions et des réponses. Apprendre à co-construire est une mission quasi éducative qui ne se résume pas au contrat de coopération entre acteurs de la transition écologique. Il s'agit, selon nous, d'un défi majeur.
J'interviendrai plus spécifiquement sur l'article 2 du chapitre Ier du titre Ier, « Informer, former et sensibiliser ». Je rappellerai tout d'abord que des mesures législatives massives sont indispensables pour des sujets où le volontarisme, malgré son ampleur, n'ira jamais assez loin compte tenu des urgences qui ont été soulignées par l'ensemble des intervenants ce matin et dont nous partageons les propos. Nous laisserons les spécialistes vous présenter leurs remarques et propositions sur les sujets très techniques.
L'éducation au changement climatique est une question majeure. Qu'elle entre officiellement, par la loi et le code de l'éducation, dans le système scolaire, à chaque niveau et pour chaque spécialisation, est une avancée et cela prolongera les effets des mesures qui sont engagées depuis longtemps. Nous avons cependant une remarque et deux propositions à formuler.
Certes, envisager l'éducation à l'environnement et au développement durable dans une approche globale et systémique est intéressant, mais, in fine, le sujet ne risque-t-il pas de n'être traité nulle part ? De surcroît, il est déjà très largement inscrit dans les directives de l'éducation nationale. Il importe donc d'aller encore plus loin que ce que prévoit le projet de loi.
Dans la première proposition que nous vous soumettons, les réseaux associatifs d'éducation à l'environnement – qui ont inventé l'éducation à l'environnement, il y a bien longtemps –, et les associations qui innovent et inventent sans relâche des solutions en faveur de la transition écologique, ont une forte expérience. S'ils coopèrent d'ores et déjà avec de nombreux enseignants et académies dans une approche fondée sur la co-construction, les mobiliser aux côtés des enseignants pour construire des programmes et des modalités d'intervention par niveau et par spécialisation permettrait de gagner en temps et en efficacité et de rester agiles au regard de l'évolution rapide des connaissances. L'objectif est bien d'inventer de nouvelles façons de travailler pour renforcer nos actions éducatives sur le terrain.
Deuxièmement, nous proposons d'inscrire dans la loi « l'apprendre à co-construire », au-delà la préparation des enfants et des jeunes à l'exercice de leurs responsabilités de citoyens. En effet, connaître, comprendre et analyser ne suffisent pas à déclencher l'action individuelle et encore moins l'action commune. Or agir est tout l'enjeu, in fine. C'est bien par l'action que les engagements dans la transition écologique seront d'autant plus forts.
Sur tous les sujets recouvrant la transition écologique, soit bien au-delà de l'article 2 du titre Ier, nous pensons que la loi et la norme ne suffisent pas et peuvent même parfois renforcer les oppositions.
Convaincus que les changements s'opèrent quand des acteurs de nature diverse s'emparent ensemble des défis, apprendre à co-construire, c'est intégrer aux niveaux scolaire, universitaire et des instituts techniques, à la formation professionnelle et à la formation des techniciens et élus des collectivités, les outils pour parvenir à l'action commune. Ils existent déjà et la recherche les enrichit en permanence. Il est temps de les introduire dans les parcours de formation et les programmes. Il est temps également de les promouvoir pour que les territoires s'en saisissent. Là encore, les associations, s'agissant de la co-construction, peuvent avoir un rôle déterminant au regard de leurs pratiques et savoir-faire. À ce titre, notre réseau, très présent sur le terrain et dans les territoires, se tient à votre disposition pour pouvoir échanger sur les modalités pratiques de leur intégration.
Je vous remercie tous pour ces interventions passionnantes, sous-tendues par une expertise qui fait de vous des sources d'informations et d'analyse appréciées. Le projet de loi va dans le bon sens, vous ai-je entendu dire, mais il ne vous satisfait pas complètement. Soyez persuadé que nous sommes à votre écoute – tel est l'objectif de ces auditions – pour améliorer ce texte, et que c'est ce que nous ferons.
Ce texte s'insère dans un dispositif d'ensemble. Notre majorité considérant la transition écologique comme une priorité, cinq lois, au cours de la présente législature, ont déjà porté une ambition écologique. Il s'agit de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi « EGALIM » ; de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN » ; de la loi d'orientation des mobilités (LOM) qui, en créant le forfait mobilités durables, a amplifié la politique en faveur du vélo ; de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ; enfin, de la loi dite « Énergie et climat ».
Á cela s'ajoute que 30 des 100 milliards d'euros affectés au plan France relance sont consacrés à la transition écologique. Certes, il ne s'agit pas toujours de crédits budgétaires, mais jamais l'environnement n'a disposé d'autant de moyens budgétaires en France, ni les opérateurs, tels que l'Agence française pour la transition écologique, d'autant de capacités pour agir. Jamais une majorité n'a autant fait pour lutter contre le réchauffement climatique en aussi peu de temps. Aussi, même s'il a un puissant caractère symbolique parce qu'il découle des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, le projet de loi dont nous débattons doit s'apprécier dans ce continuum. Nous avons pour objectif la décarbonation à l'horizon 2050 avec un point de passage en 2030 et ce texte marque une étape importante. Nous voulons tous respecter notre trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre et nous cherchons ensemble le meilleur moyen d'y parvenir.
On ne peut reprocher au projet de loi de ne pas intégrer toutes les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ne serait-ce que parce que les mesures fiscales ressortissent exclusivement des lois budgétaires. Le projet de loi de finances pour 2021 comprenait de nombreuses mesures en ce sens, et d'autres lois budgétaires intégreront les mesures dont nous allons discuter. L'engagement de la Convention citoyenne pour le climat a été d'une honnêteté intellectuelle absolue, que je salue. Nous, parlementaires, avons l'obligation d'y prêter attention mais nous n'avons pas l'obligation de la suivre : de multiples acteurs territoriaux, économiques et sociaux ont aussi leur mot à dire, notamment sur la faisabilité des dispositions qui nous sont soumises. De nombreuses propositions de la Convention citoyenne ont été prises en compte dans le plan de relance et dans les lois que j'ai mentionnées ; d'autres dépendent des fruits de notre action au sein de l'Union européenne – et vous pouvez compter sur nous à ce sujet –, d'autres encore, d'ordre réglementaire, sont déjà mises en œuvre.
Le projet de loi ne manque pas d'ambition. Au contraire, il concerne une multitude de sujets importants et prévoit un dispositif de décentralisation par lequel l'État reconnaît le rôle crucial des collectivités territoriales dans la transition écologique. Ce texte tient aussi compte d'un facteur fondamental : la capacité de notre société à intégrer le changement qui lui est demandé. Vous reprochez au projet de loi de laisser trop de place à l'expérimentation, de différer certaines mesures et de se limiter souvent à des dispositifs incitatifs. Mais cette approche souple n'est-elle pas nécessaire pour que tous les acteurs politiques, économiques et sociaux s'approprient la transition écologique, d'autant que certaines solutions sont locales ? J'ajoute que la loi ne fait pas tout : si les Français veulent prendre le train plutôt que l'avion pour des trajets d'une durée inférieure à quatre heures, ils peuvent le faire et je souhaite qu'ils le fassent. Contraindre et interdire, c'est une chose, mais il faut aussi s'attacher à convaincre.
Enfin, l'économie française traverse une crise profonde due à la pandémie. Évidemment, on ne peut arguer de la conjoncture comme d'un prétexte pour ne pas lutter contre le réchauffement climatique. Cette lutte est en soi l'une des solutions permettant de sortir de la crise, mais elle exige que les entreprises investissent quand, dans de nombreux secteurs, les trésoreries sont exsangues. Dans ce contexte, faut-il accélérer le démarrage de certaines mesures comme vous le souhaitez ? Les mesures d'accompagnement que vous suggérez se traduisent en centaines de milliards d'euros d'accompagnement, pour la rénovation thermique des logements en particulier. Á mon sens, il faut réparer notre économie pour générer les marges de manœuvre dont nous avons absolument besoin.
Je remercie les orateurs pour la qualité des interventions. Vigies, vous nous appelez à rehausser l'ambition de ce texte. Deux principes nous guident : l'efficacité des mesures que nous voterons et leur acceptabilité sociale qui conditionne la transformation attendue. J'ajoute que nous ne devons pas stigmatiser certains acteurs mais les accompagner. Dans ce cadre, il m'intéresse de savoir quelle est pour vous, la plus efficace des mesures qui viennent d'être évoquées pour le volet « Se nourrir » du projet de loi. D'autre part, en quoi l'interdiction de nouvelles constructions et extensions servant à l'élevage intensif visées par le régime des ICPE est-elle efficace ? Vous nous invitez aussi à instaurer immédiatement une redevance sur les engrais azotés, mais ne faut-il pas prendre en compte le temps nécessaire à la transformation des exploitations agricoles ? Alors que nous disposons désormais avec le plan Protéines végétales des outils permettant d'utiliser moins d'engrais azotés, de les utiliser mieux et de passer à plus de légumineuses, la création d'une redevance avec application immédiate sera vécue comme un couperet. Quelles propositions pouvez-vous formuler pour accompagner nos agriculteurs dans la transition sans uniquement leur imposer une nouvelle taxe qui pourrait inciter certains à cesser leur activité, ce qui nous conduirait à acheter des produits importés ?
J'insiste à mon tour sur la nécessaire acceptabilité et sur la soutenabilité des mesures que nous allons prendre. Le développement durable n'est pas une question de temps mais de ce que la société peut accepter ; il faut en tenir compte au moment de faire des propositions. Si les Français se disent dans leur majorité très fortement favorables à la cessation de certains vols intérieurs qu'ils jugent inutiles, ils indiquent aussi, à plus de 70 %, vouloir conserver leur voiture, élément essentiel de leur vie quotidienne. Nous devons accompagner la transformation de notre société, dans une trajectoire dynamique. Je souligne aussi que le projet de loi comporte à la fois des dispositions dont le coût est quantifiable, en milliards d'euros pour certaines, et d'autres qui ne se mesurent pas mais qui sont tout aussi importantes, telle la protection des écosystèmes aquatiques ou des zones humides, la formation tout au long de la vie pour sensibiliser chacun aux problématiques de l'environnement, et encore les mesures proposées pour faciliter les changements de métiers. Il a été beaucoup question de la place éminente de la rénovation thermique des logements dans l'effort de transition énergétique ; les métiers de la construction sont en pleine évolution et nous devons les accompagner. Quelles propositions pouvez-vous faire pour renforcer les mesures du texte relatives à la formation des salariés ?
Le WWF a-t-il mesuré l'impact environnemental et écologique qu'auraient des interdictions de publicités plus ciblées ou élargies ? En matière d'affichage environnemental, quels sont, selon vous, les critères pertinents à retenir pour que l'éco-score éclaire le choix du consommateur au moment de l'achat et qu'il soit juste ? On nous alerte sur le fait que le seul critère carbone ne serait probablement pas le critère juste, l'exemple-type étant celui d'un poulet industriel qui, parce qu'il a un cycle de vie plus court que le poulet bio, serait mieux noté ; ce n'est évidemment pas l'objectif que nous visons. Dans un autre domaine, comment pourrions-nous renforcer le volet « éducation » du projet de loi ? Enfin, étant donné l'impact écologique de la consommation numérique, pouvez-vous faire des propositions visant à responsabiliser le consommateur qui achète sur les plateformes de e-commerce ? Il y a là un enjeu d'attractivité pour les commerces de proximité et aussi d'alerte des consommateurs et des citoyens au regard de l'impact écologique global du numérique.
Vous avez peu parlé de justice environnementale, et si vous avez des questions à ce sujet j'en discuterai volontiers. J'ai noté avec une certaine satisfaction que pour M. Benoît Leguet, le plan de relance a « fait le job ». Toute la question est effectivement de savoir comment nous poursuivrons sur cette lancée ; nous allons y travailler avec ce texte. On voit bien que les pouvoirs publics essayent, même si vous semblez penser que ce n'est pas suffisant, de rattraper les retards pris. Il reste à déterminer comment emmener les citoyens. Vous avez cité les conclusions d'un sondage selon lequel 77 % des Français sont prêts à aller vers la transition écologique. Mais outre que 23 % de la population reste à convaincre, ce qui n'est pas mince, quand on précise les dispositions, on constate parfois des blocages ; comment les surmonter ?
Nous sommes particulièrement sensibles au rôle des territoires dans la mise en œuvre de la politique écologique définie par le Gouvernement par ce texte. Représentants d'ONG et d'associations, vous savez l'importance des initiatives des acteurs locaux, des collectivités territoriales et du tissu associatif et entrepreneurial, rouages essentiels de la lutte pour la préservation de la biodiversité, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et, plus globalement, en faveur de la transition écologique. Les apports territoriaux doivent être encouragés pour mettre en œuvre au niveau local la lutte contre le dérèglement climatique et pour impliquer l'ensemble des citoyens qui doivent en être les acteurs. De nombreux territoires se sont déjà engagés pour le climat avec une ambition et une mobilisation qui dépassent parfois celles de l'État. Estimez-vous que ce projet de loi accorde une place suffisante aux territoires ? Á quelles modifications procéder pour mettre les élus locaux, les associations et les acteurs de terrain au cœur de la lutte pour le climat ?
Il a été dit que le texte ne comporte pas suffisamment de mesures fiscales incitant à la transition écologique. Sans doute les retrouvera-t-on dans le prochain projet de loi de finances ; aussi, j'aimerais connaître vos propositions en matière d'incitations fiscales, de réorientation des politiques publiques, peut-être même d'interventions relatives à la transparence et à la régulation des marchés pour nous permettre d'atteindre l'objectif d'investissement fixé par la SNBC. Quel pourrait être l'arsenal permettant d'augmenter notre capacité d'investissement public et privé et de le réorienter ? J'ai apprécié d'entendre le représentant de la Fondation Nicolas Hulot mettre l'accent sur la question de la justice sociale, qui était inscrite dans la mission confiée à la Convention citoyenne pour le climat. La transition écologique ne peut se faire en fragilisant la situation de certaines personnes : on ne peut provoquer la précarité en luttant contre la précarité énergétique. C'est une angoisse très forte pour beaucoup de Français modestes et c'est pourquoi je me bats en faveur du revenu universel afin qu'existe un filet de sécurité contre la pauvreté au moment où l'on demande à nos concitoyens de se plier à des transformations profondes. Selon vous, quelles catégories de nos concitoyens se trouveraient les plus fragilisées par certaines mesures envisagées ? Nous, parlementaires, devons être particulièrement attentifs à cette question.
Vous avez confirmé que, comme le montrent toutes les analyses scientifiques des institutions officielles et des think tanks, ce projet de loi n'est pas du tout au rendez-vous de l'Histoire et que l'Assemblée nationale a pratiquement une mission de salut public : celle de renforcer le texte. Sous l'angle de la transition sociale et écologique, je me permets de dire que ni vous ni nous n'en sommes là où nous devrions s'agissant de la transformation des métiers et du devenir des personnes et des territoires qui vont connaître un changement de modèle économique dû à l'exigence écologique. Quelles sont vos propositions d'accompagnement des filières concernées ? Pourrait-on imaginer d'affecter le produit de la taxe sur les engrais azotés aux filières agricoles pour assurer la transition écologique, et procéder selon le même modèle pour le secteur du BTP ? En bref, peut-on imaginer des cercles vertueux engageant des filières sensibles potentiellement concurrencées à l'échelle internationale dans cette mutation nécessaire sans mettre en danger notre présence économique mondiale et la place des hommes et des femmes de nos territoires ? Enfin, la mutation des métiers sera telle qu'il y faudra des moyens budgétaires et d'organisation de très grande ampleur. Avez-vous des propositions à formuler pour organiser le « Plan Marshall » des métiers et des compétences indispensables à la transition écologique en France ?
Le monde des associations environnementales est divers dans ses moyens d'action comme dans ses objectifs mais je salue votre engagement sans faille dans le cadre des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, dont est issu le texte que nous étudions aujourd'hui. Cet engagement a d'ailleurs conduit les conventionnels à reprendre bon nombre de vos propositions, pour certaines telles quelles – « sans filtre », pour utiliser une expression à la mode. Mais je suis surpris de constater, au fil des auditions, que beaucoup d'acteurs directement touchés par ces propositions n'ont pas été consultés par la Convention citoyenne, ou a minima, ce qui laisse craindre un certain manque de représentativité et, oserais-je le dire, un certain déséquilibre dans les solutions proposées. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que la transition écologique à laquelle nous travaillons sans relâche ne pourra se faire que si elle est économiquement et socialement acceptée tant par les entreprises que par l'ensemble des citoyens. Il est impossible de définir un nouveau modèle à marche forcée, sans l'adhésion massive du secteur économique et de la population. Je rappelle que le mouvement des gilets jaunes et précédemment celui des bonnets rouges sont nés de mesures environnementales qui avaient été démocratiquement décidées mais peut-être sans toute la concertation nécessaire avec les premiers concernés.
Ma question porte donc sur l'acceptabilité sociale des mesures que vous proposez. On y trouve beaucoup d'interdictions, d'obligations, et de nouvelles contraintes financières particulièrement difficiles à assumer en cette période de crise. Nous sommes tous conscients du bien-fondé d'un grand nombre de vos propositions, mais prenez-vous en compte leur acceptabilité sociale et économique ? Évaluez-vous leurs chances de réussite à cette aune ?
Ce texte marque une nouvelle étape dans notre volonté de définir une politique de transition écologique. Je ne partage pas toutes vos remarques mais je note que nous avons la volonté commune d'essayer d'aller plus loin et d'inviter tant les citoyens que les opérateurs économiques à embrasser cette transition. Plusieurs mesures législatives ont été prises depuis 2017, M. Jean-René Cazeneuve l'a rappelé. Je citerai aussi la fermeture des centrales à charbon, l'arrêt de grands projets comme l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou EuropaCity, des aides telles que les primes pour la conversion des véhicules, ainsi que des plans d'investissement permettant de répondre à ces enjeux et d'accompagner les entreprises dans leur conversion.
Vous travaillez avec des associations internationales ; quel signal donnera la France à l'étranger par ce projet de loi ? Quelles sont les réactions de vos homologues étrangers, qu'il s'agisse de la fin de l'extension des aéroports et de l'artificialisation des sols ou des mesures envisagées pour les lignes aériennes nationales ? Comme M. Leguet, je pense indispensable d'investir. L'État a un rôle majeur à jouer en soutenant des projets et en créant les conditions favorables à leur réalisation, mais nos entreprises sont le principal levier de l'investissement. On doit donc les amener à accomplir la transition ; quel est alors le bon équilibre entre obligations et incitations pour ce qui les concerne ?
L'étude d'impact qui accompagne le texte indique que les bâtiments sont la cause d'environ 40 % de la consommation d'énergie et de 36 % des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle de l'Union européenne. Aussi cette dernière a-t-elle créé dès 2010 un cadre incitant à la rénovation énergétique des bâtiments et, en octobre dernier, étant donné la révision envisagée de l'objectif européen de réduction des émissions, la Commission européenne a proposé de doubler la proportion de bâtiments rénovés au cours des dix prochaines années en s'assurant d'une meilleure efficacité énergétique des rénovations conduites. La France contribue à atteindre cet objectif en prévoyant d'interdire la location des passoires thermiques et d'instaurer un niveau de performance minimale dans les critères de décence d'un logement. Rapporteure pour la commission des affaires européennes, j'aimerais savoir si les articles 41 et 42 du texte vous paraissent suffisants pour atteindre les objectifs européens et pour accompagner la lutte contre la précarité énergétique dans les logements, en tenant compte de l'acceptabilité sociale et de la nécessité d'éviter de peser sur le pouvoir d'achat des ménages.
Quel modèle imaginez-vous pour les habitants des campagnes ou des territoires péri-urbains éloignés, qui ont besoin d'une voiture pour se déplacer en famille, et à ceux qui n'ont pas forcément les ressources nécessaires pour entreprendre la rénovation thermique de leurs logements ? Quel avenir leur proposez-vous et par quels financements ?
Je remercie les ONG ici présentes. Comme elles, certains parlementaires œuvreront au cours du débat pour que le texte soit à la hauteur de l'urgence climatique, menace qui dépasse tout ce que l'on a entendu sur l'acceptabilité sociale.
J'entends bien que le projet de loi s'inscrit dans une action plus vaste et c'est pourquoi mon intervention liminaire portait sur un champ plus large que ce seul texte. Je constate, et ce n'est pas un jugement, que les investissements bas-carbone sont insuffisants pour atteindre les objectifs de la SNBC. L'action publique est certainement en cause, mais aussi l'action privée. Comment, alors, allouer efficacement l'argent public et faire en sorte que l'action privée suive ?
Il n'y a pas assez d'investissements bas-carbone en France, et aussi trop d'investissements fossiles. Je ne dispose pas encore des chiffres pour 2019 mais, en 2018, 70 milliards d'euros ont été consacrés aux investissements de formation brute de capital fixe pour des installations de production d'énergie fossile et d'utilisation de ces énergies – je pense notamment aux voitures de classe B et au-delà en termes d'émissions de gaz à effet de serre. L'argent ne manque donc pas, mais avant la crise il allait au mauvais endroit ; on verra ce qu'il en sera après la crise. L'exécutif a notamment veillé à protéger le pouvoir d'achat et la capacité d'investissement des ménages ; espérons que cela permettra de préserver la partie verte des objectifs de la France.
Oui, Monsieur Balanant, j'ai dit que les montants retenus dans le plan de relance, en tout cas l'ordre de grandeur, sont les bons, mais je nuancerai mon propos : le « job » sera fait à condition que le plan se déroule comme prévu et notamment qu'il soit territorialisé afin que les investissements aient lieu.
Comment attirer plus d'argent vers des projets verts ? Je vous transmettrai le plan de financement de la transition que nous avons publié en juillet 2020 ; nous y proposions plusieurs mesures qui permettraient de combler le manque d'investissement. Certaines sont d'ordre budgétaire au sens large, mais nous parlions aussi d'investissements publics – de co‑financements, c'est-à-dire de subventions – et, outre les mesures fiscales incitatives, des normes et des mesures plus « molles », notamment l'information. Ces travaux portent sur la partie énergétique de l'économie – bâtiment, transports et énergie. Nous travaillons actuellement sur l'agriculture ; nos conclusions à ce sujet seront malheureusement prêtes avec un peu de retard par rapport à vos préoccupations immédiates mais nous pourrons poursuivre la discussion au cours des prochains mois et des prochaines années.
Qui investit, en France, dans la production bas-carbone ? Les entreprises pour un tiers environ, les ménages et les pouvoirs publics ; les investissements publics sont essentiellement le fait des collectivités locales. Comment faire pour que l'ensemble de ces acteurs investissent désormais dans du « vert » et non du « marron » ? Il a souvent été question des normes et des obligations ce matin. Il faut comprendre qu'une norme peut être une contrainte pour certains acteurs, une incitation et une clarification pour d'autres. On peut discuter pour savoir s'il n'y a pas assez ou trop d'argent en France pour la rénovation des bâtiments ; je peux vous dire qu'il y en a déjà beaucoup mais que, malheureusement, il ne va pas toujours vers la rénovation énergétique faite aujourd'hui par les ménages. Il ne faut pas oublier que les choses se jouent dans les deux sens et que si l'on fixe une norme de rénovation, cela ouvrira des marchés aux entreprises, ce qui peut aussi, sous condition évidemment, contribuer à la relance économique.
Je sais que les mesures fiscales doivent, en bonne logique, se retrouver dans le prochain projet de loi de finances et les suivants et c'est pourquoi je vous invitais à penser une stratégie climat des finances publiques. Puisque nous sommes partis pour agir jusqu'en 2050, essayons au moins de nous projeter dans les cinq ou dix prochaines années. Il y aura certainement besoin de plus d'argent public ; comment fera-t-on, après la pandémie, avec des finances publiques contraintes ? Vaste question…
Une nouvelle méthode vise essentiellement à rendre le budget de l'État transparent, en établissant ce qui est vert et ce qui ne l'est pas. L'enjeu véritable est désormais de verdir le budget, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Il faut donc utiliser cet exercice pour verdir le budget progressivement, avec plus de dépenses favorables à l'environnement et moins de dépenses défavorables, jusqu'à ramener peu à peu ces dernières à zéro. On peut aussi décliner cette approche budgétaire au niveau local. Pour ce qui est de l'investissement des collectivités locales, je vous communiquerai le lien vers les conclusions de l'exercice que nous avons conduit avec cinq villes et métropoles. Nous avons réalisé un cadre d'évaluation climat du budget des collectivités locales pour aider, sans juger, les élus à apprécier ce qui, dans leur budget, contribue à la transition énergétique ou qui va dans le sens contraire. Ce type d'instrument d'information des élus qui votent le budget nous semble extrêmement utile et puissant pour éclairer le débat ; ensuite, chacun vote en son âme et conscience.
La question des emplois est décisive pour l'acceptabilité sociale de la transition écologique. Des études montrent que la transition écologique est facteur de plus de créations que de pertes d'emplois à l'échelle macro-économique, mais des emplois sont perdus, des métiers disparaissent ou sont transformés. Des propositions sont donc nécessaires si l'on veut qu'une transition écologique ambitieuse soit socialement acceptable. Encore faut-il faire la part des choses : plusieurs transitions ont lieu en même temps et la transition numérique a aussi un impact sur les emplois. Á cela s'ajoutent les problèmes économiques généraux dus à la pandémie. Pour autant, il est indispensable de donner une porte de sortie « verte » aux salariés des secteurs appelés à se transformer dans le cadre de la transition écologique et qui perdront probablement des emplois.
Quelle devrait donc être l'approche retenue dans le texte ? Des dispositifs de reconversion individuelle existent : le conseil en évolution professionnelle, le compte personnel de formation, l'outil de préparation opérationnelle à l'emploi individuel, le contrat de sécurisation professionnelle, etc. Le volet écologique de ces outils devrait être renforcé. En particulier, les conseillers en évolution professionnelle doivent acquérir des compétences en matière de transition écologique pour pouvoir orienter les salariés vers des métiers du futur cohérents avec cet objectif. D'autre part, on a créé récemment un dispositif de transition collective financé dans le cadre du plan de relance et un dispositif d'accompagnement des salariés et sous-traitants des centrales à charbon qui vont fermer. Sur ce modèle, on peut réfléchir à des dispositifs spécifiques pour certains secteurs ou certaines filières. Ce serait un angle intéressant pour ce projet de loi qui, s'il ne comporte pas des propositions fortes à ce sujet, se heurtera à une opposition sociale. Il n'est jamais facile d'accepter la perte d'emplois et la transformation des métiers ; un fort accompagnement public est nécessaire.
L'accent mis sur l'acceptabilité sociale est légèrement embarrassant pour ne pas dire parfaitement consternant. La Convention citoyenne pour le climat rassemblait des gens tirés au sort pour fixer précisément le niveau d'acceptabilité de la transition à engager, qu'il s'agisse de son rythme, de son contenu ou des moyens utilisés. Aujourd'hui, on discute d'un projet de loi censé donner suite à la feuille de route établie par cette Convention, et vous nous dites que ses propositions souffrent d'un défaut d'acceptabilité sociale ! On tourne en rond ! D'autre part, les mesures structurantes retenues ont fait l'objet d'un sondage et ont recueilli une majorité de suffrages favorables de l'ensemble de la population : c'est le cas pour l'obligation de rénovation thermique, l'interdiction des publicités pour les produits les plus polluants et l'éco‑responsabilité des grandes entreprises. Enfin, comme l'a relevé le Haut Conseil pour le climat dans son avis salé sur le projet de loi, aucune des mesures relatives à la transition juste ne figure dans le texte, qu'il s'agisse de la généralisation du forfait « mobilités durables », de la réduction à 5,5 % de la TVA sur les billets de train, des prêts à taux zéro sur les véhicules propres ou du reste à charge « zéro » pour les rénovations thermiques.
L'acceptabilité sociale, c'est le partage de l'effort de sobriété et de solidarité dans la contribution à la transition écologique. Il faut donc apprécier qui sont les premiers pollueurs et qui a le plus de moyens – en général, ce sont les mêmes – et les inviter à contribuer en premier à la transition. Cela se fait de trois manières. Dans l'appareil productif, par l'équité entre les différentes entités productives. Aujourd'hui, ce sont les grandes entreprises qui polluent le plus, avec une empreinte carbone démentielle. Le remède que nous vous proposons à ce sujet, c'est l'amendement sur l'éco-responsabilité, assignant des objectifs climatiques contraignants aux grandes entreprises et les soumettant ainsi à l'accord de Paris qui, à défaut, restera lettre morte pendant des années encore.
La contribution juste à la transition, c'est aussi l'équité entre les ménages. Aujourd'hui, le dernier centile des ménages les plus riches, soit le 1 % des ménages dont les avoirs financiers sont les plus élevés, polluent 66 fois plus que le décile des ménages les plus pauvres ; or, la fiscalité climatique pèse trois fois plus sur les 20 % de ménages les plus pauvres. Pour corriger cela, la Convention citoyenne pour le climat a proposé de lever un impôt écologique sur la fortune, un ISF climatique.
La contribution juste à la transition, c'est enfin le partage de l'effort entre les producteurs et les consommateurs. J'en viens donc à l'interdiction des publicités polluantes : vous ne pouvez pas dire constamment aux citoyens de prendre garde à leur empreinte carbone tout en laissant prospérer un système qui dépense des milliards d'euros chaque année pour les persuader du contraire !
Enfin, pour répondre à la question relative à l'appréciation qui sera portée sur le texte à l'étranger, je pense que le signal international sera désastreux : alors que le Conseil européen s'est engagé à rehausser l'ambition climatique, ce projet de loi vise encore une diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Non seulement le texte est donc caduc au regard de l'évolution du régime de l'accord de Paris, mais les études d'impact, dont celle qu'a réalisée le Gouvernement, montrent que les mesures contenues dans le texte ne permettront pas de sécuriser l'objectif à 2030 – et on approche de la fin du quinquennat. Je pense donc que le signal ne sera malheureusement pas très bon.
Il s'agissait davantage d'un plaidoyer que de réponses aux députés, mais il était intéressant.
Les questions posées donnent parfois l'impression que seules les mesures à portée écologique détruiraient des emplois en France, alors que les propositions que nous avons faites concernant le secteur du e-commerce – par exemple, essayer de freiner l'expansion des géants comme Amazon en France – visent aussi à protéger des emplois en très grand nombre, puisque 300 000 emplois sont menacés à très court terme dans le secteur du commerce, un de ceux qui emploient le plus. Nous avons toujours la justice sociale à cœur et nos propositions sont toujours faites en connaissance de cause ; il ne s'agit pas d'aggraver une distorsion et une inégalité de traitement qui enverraient un signal désastreux au commerce et précipiteraient des faillites malheureusement déjà à craindre. En matière de finances publiques, le rééquilibrage par le frein mis à l'expansion d'entreprises telles qu'Amazon permettrait d'économiser beaucoup d'argent à l'État, sachant que la seule fraude à la TVA a coûté 5 milliards d'euros à la France en 2019, et qu'est aussi à venir le remboursement des prêts garantis par l'État aux commerces s'ils font faillite les uns après les autres à partir de cette année. Nous ne proposons donc pas uniquement des mesures qui demandent de l'argent : nous voulons que l'effort soit partagé, et il est quelque peu choquant d'entendre un discours selon lequel la transition écologique détruirait les emplois, alors que lorsque des secteurs tels que le numérique détruisent des emplois, c'est moins grave, ou bien c'est la marche de l'Histoire, contre laquelle on ne peut aller. Nous demandons donc un moratoire sur les entrepôts de e-commerce et les zones commerciales péri-urbaines.
Il est effectivement très important de sensibiliser les consommateurs, mais l'un ne va pas sans l'autre : nous sommes favorables sans réserve à la création d'un label pour les sites de e-commerce qui doit inclure la question de l'emploi et celle de la fiscalité de manière que les gens se rendent compte de l'impact global du modèle sur la société. Nous sommes favorables aux instruments de ce type, qui accompagnent et rendent acceptables les mesures réglementaires. Mais l'on sait aussi, étant donné la persistance d'une fraude massive à TVA et de la vente à perte, qu'un label ne suffit pas à orienter les comportements des consommateurs dans ce secteur : les gens ont honte d'acheter chez Amazon mais ils continuent de le faire. Nous ne sommes pas opposés à l'éducation des consommateurs, tout au contraire, et nous vous encourageons à soutenir cette proposition, mais elle ne peut être dissociée d'un rééquilibrage réglementaire et fiscal.
L'échec de tous les plans de réduction volontaire de l'utilisation d'engrais de synthèse depuis plusieurs années impose que l'on en vienne à une redevance comportementale. La taxe proposée ne vise pas à générer des recettes mais à infléchir les comportements. L'acceptabilité étant notre préoccupation première, que faire des 618 millions d'euros de recettes annuelles que générerait cette redevance ? Comment rendre l'aide rapidement accessible aux agriculteurs et comment aider ceux qui souhaitent réintroduire des légumineuses sans vouloir forcément aller jusqu'à la conversion à l'agriculture bio ? La première piste consiste à reverser les recettes aux agences de l'eau pour leur permettre de verser des paiements pour services environnementaux aux agriculteurs. La seconde serait de diriger les recettes vers les mesures agro-environnementales et climatiques. Ces deux leviers répondent à tous nos critères d'aide rapide et efficace aux agriculteurs pour la transition. Il faudrait aussi réserver une part de l'enveloppe à la conversion à l'agriculture bio – c'est pourquoi nous ne parlons pas de taxe mais de recettes. C'est ce qui a fonctionné en Autriche. Un dispositif qui se résumerait à une taxe ne marcherait pas : le système fonctionne quand toutes les recettes générées vont au financement d'alternatives facilement accessibles aux agriculteurs.
Le plan Protéines végétales est un pas en avant ; nous l'attendions depuis des années. Mais pour l'instant, 100 millions d'euros seulement lui sont alloués, alors que, comme l'a montré l'Institut du développement durable et des relations internationales, il faudra de 4 à 6 milliards d'euros par an pour structurer la filière légumineuse et répondre aux objectifs que la France s'est fixés. On ne peut donc attendre de ce plan dans sa version actuelle qu'il joue son rôle dans la réduction de l'utilisation des engrais de synthèse.
On lit dans le rapport du Haut Conseil pour le climat et dans l'étude d'impact que la mesure relative aux engrais est structurante : son impact est chiffré à quelque 2 millions de tonnes équivalent carbone. Mais il ne s'agit pas de mettre les mesures en concurrence entre elles. Sur le volet « Se nourrir » du texte, l'efficacité de cette redevance ne serait pas la même sans tous les autres leviers du développement de l'agro-écologie dont la Convention citoyenne pour le climat a dressé la liste. Je laisse M. Benoît Granier compléter mon propos à ce sujet.
À ce jour, la plupart des mesures relatives à l'élevage sont contenues dans le plan stratégique national (PSN). Nos propositions dans ce domaine sont rédigées dans un souci de cohérence avec les orientations du PSN, et l'interdiction de construction de nouveaux élevages les plus polluants et industriels entre dans ce cadre. Il n'est pas question d'interdire des élevages existants mais de favoriser la montée en gamme de l'agriculture française, conformément à l'objectif de la loi EGALIM. La question du « moins et mieux » se pose aussi pour les produits d'origine animale et rassemble de plus en plus d'acteurs dans le monde agricole, notamment parmi les syndicats professionnels, comme on le voit avec les campagnes Interbev. L'enjeu n'est pas seulement climatique : il s'agit aussi de limiter les pollutions locales telles celle par les algues vertes – le coût de dépollution de l'eau étant élevé, vous ferez plaisir aux élus locaux par ce type de mesures, singulièrement en Bretagne – et de réduire le risque de zoonoses. Les élevages les plus intensifs, qui sont autant de nids à virus, sont de très gros facteurs de risques, d'autant que l'alimentation animale dans ce type d'élevage est un facteur de déforestation qui présente en soi un autre risque de zoonose. Écoutez, demain, l'émission Secrets d'info, sur France Inter : le lien y est expliqué. Or, la question des zoonoses me paraît être d'une assez grande actualité. Et puisqu'il est beaucoup question d'acceptabilité, le sondage Harris Interactive publié hier montre que 83 % des Français seraient favorables à l'interdiction des élevages les plus polluants et industriels. Il n'y aurait donc pas de risque à prendre cette mesure qui, au contraire, satisferait les citoyens français.
Á propos des menus végétariens, autre mesure structurante, une étude du bureau d'études BASIC montre que si un quart à un tiers des enfants choisissaient l'option végétarienne tous les jours – c'est ce que l'on observe dans les 200 cantines scolaires où c'est déjà possible –, on réduirait les émissions de gaz à effet de serre de 15 à 30 %. Peu de mesures permettent, pour un coût aussi minime, de telles réductions. La restauration collective publique servant en tout trois milliards de repas par an, on pourrait de cette manière faire baisser jusqu'à 30 % les émissions pour un coût très faible. Certes, un peu de formation est nécessaire au bénéfice des cuisiniers peu familiers des légumineuses, mais celles-ci coûtent moins cher que la viande et l'on se rend compte que plus il y a de menus végétariens, donc moins onéreux, plus est proposée par ailleurs de viande locale et de qualité ; c'est important dans le contexte où se trouve l'élevage français. On connaît aussi les résultats du sondage Harris Interactive : 80 % des Français souhaitent qu'un menu végétarien soit rendu obligatoire dans la restauration collective tous les jours ou deux fois par semaine. Quand on parle d'acceptabilité, je pense que c'est une donnée à prendre en compte.
Le temps me manquant pour traiter de l'éco-score, je vous invite à contacter le WWF, qui est en concertation avec les ministères chargés de l'agriculture et de l'environnement à ce sujet, ainsi que l'ADEME. Je précise seulement que la dernière étude bio NutriNet a montré que d'un panier bio, bien qu'il contienne de la viande et des produits laitiers bio, résultent 37 % d'émissions de CO2 de moins que d'un panier classique. Cela signifie qu'il n'y a pas de hiatus entre les enjeux climatiques et le fait d'avoir de l'extensif et du bio, mais que l'enjeu tient aussi au rééquilibrage des apports en protéines : si les produits d'origine animale sont moindres mais de meilleure qualité, donc bio et extensifs, les émissions de CO2 sont inférieures de plus d'un tiers.
Vous pouvez aussi vous adresser à France Nature Environnement. Je précise que le programme Agribalyse de l'ADEME qui met à disposition des données sur l'impact environnemental des produits agricoles et alimentaires pose un problème car il n'intègre pas suffisamment les dimensions telles que la biodiversité, l'accès à l'herbe ou le bien-être animal.
Monsieur Balanant, si je n'ai pas parlé de justice environnementale c'est que nous sommes limités par le temps mais le sujet m'intéresse et France Nature Environnement a des propositions pour rendre opérationnel le délit de mise en danger de l'environnement qui est pour nous une priorité. Dans sa version actuelle, le texte serait inapplicable : le risque d'atteinte à la faune, à la flore et à la qualité de l'eau n'est que général et il est impossible de dire en amont que ce risque serait susceptible de perdurer au moins dix ans, si bien que le champ d'application du projet de loi, très réduit, couvre très peu de cas. Ce volet du texte doit être réécrit. Bien entendu, l'objectif n'est pas de créer une insécurité juridique mais d'éclaircir et d'encadrer ce qui doit l'être en spécifiant que toute atteinte délibérée à l'environnement doit être punie. Nous sommes prêts à poursuivre cette discussion avec vous pour améliorer le texte et le rendre applicable.
L'éducation tout au long de la vie a été mentionnée plusieurs fois. Des actions concrètes peuvent avoir lieu dans la vie professionnelle et en dehors d'elle. L'acceptabilité sociale des mesures, si souvent abordée, se discute, parce que se pose aussi la question de l'acceptabilité de l'inaction et de ses conséquences. Nous nous préoccupons toutes et tous de la manière dont vivront les jeunes générations, de quelles conséquences de l'inaction elles devront souffrir ici et ailleurs, et nous devons progresser. Il s'agit d'éducation bien sûr, mais pas seulement. Les mesures courageuses que vous oserez prendre demandent un accompagnement pour les plus fragiles mais aussi pour les porteurs d'intérêts économiques, et ce n'est pas forcément nous qui donnons le détail des mesures à mettre en œuvre.
Nous parlons d'interdire certaines publicités non par idéologie mais parce que c'est efficace, comme le montrent un rapport de Greenpeace qui souligne l'inefficacité de l'autorégulation en ce domaine et un rapport des Amis de la Terre. Une méta-étude conduite aux États-Unis a démontré que la publicité augmente la consommation générale de 6,7 % dans ce pays ; c'est considérable. En France, on sait l'effet qu'a eu la loi dite « Evin », dont le principe était d'interdire toute publicité, même indirecte, pour le tabac, pour dénormaliser, pour ringardiser une consommation qui coûte très cher à l'État en termes de santé publique. La même chose vaut maintenant pour les véhicules polluants et les véhicules à énergie fossile : ils émettent beaucoup de gaz à effet de serre et cela va nous coûter extrêmement cher à long terme, comme le démontrent plusieurs études de banques internationales. L'interdiction de la propagande en faveur du tabac, adoptée dans une cinquantaine de pays, quand elle était limitée, a conduit à une baisse de la consommation d'environ 13 % par habitant ; cette réduction considérable lie directement la consommation de tabac à la publicité. Quand l'interdiction est générale, l'efficacité de la mesure est encore supérieure, avec une baisse de 23 % de la consommation.
C'est pourquoi nous proposons au mieux l'interdiction générale des publicités pour les véhicules et les transports à énergie fossile ou, a minima, comme le propose le WWF, une interdiction limitée interdisant les SUV ou des produits très polluants dont la consommation a explosé ces dernières années. Je rappelle aussi qu'au Chili, la consommation de sodas a chuté d'environ 23 % en dix-huit mois après l'adoption d'une loi interdisant les publicités pour les produits trop gras et trop sucrés – c'est une autre mesure proposée la Convention citoyenne pour le climat mais qui n'est pas reprise dans le projet de loi.
Je rappelle enfin que notre objectif n'est pas d'interdire la publicité en général mais celle qui est faite en faveur de produits polluants, pour la réorienter vers les produits vertueux, tel le vélo.
Ayant entendu les questions de Mme Lebec et de M. Cazeneuve, j'ai le sentiment que nous nous sommes fait mal comprendre. Les chiffres et les études cités prennent bien en compte tout ce qui a été fait par les lois précédentes, loi d'orientation des mobilités et loi EGALIM par exemple, ainsi que le plan de relance. Mais ces actions et le texte qui nous occupe, cumulés, ne permettent pas d'atteindre l'objectif de réduction de 40 % des émissions ; c'est pourquoi nous vous disons que le projet de loi doit être revu. Cela ne signifie pas que rien n'a été fait mais que l'ensemble ne suffit pas pour atteindre cet objectif ni, a fortiori, l'objectif de réduction de 55 % que le Président de la République lui-même a validé en décembre dernier. En son état actuel, le projet de loi n'est à la hauteur ni de l'enjeu climatique, ni des objectifs que la France s'est fixés.
La convergence entre social et écologie est très importante pour nous, ce pourquoi nous sommes rassemblés au sein du Pacte du pouvoir de vivre avec les associations les plus compétentes en ce domaine, celles qui travaillent auprès des publics les plus fragiles, telles la Fondation Abbé Pierre ou le Secours catholique, et avec des syndicats comme la CFDT. Nous avons, collectivement, porté des mesures qui ne figurent pas dans ce projet de loi, telles que les aides pour les jeunes de moins de 25 ans. Autant dire que nous avons ces sujets en tête : toutes les mesures que nous proposons, notamment celles qui portent sur la rénovation thermique, sont faites avec les acteurs travaillant auprès des plus précaires d'entre nous.
La mention des habitants des campagnes me donne aussi à penser que nous nous sommes fait mal comprendre. Personne ici ne parle d'interdire la voiture. Nous disons qu'il faut basculer vers un modèle de voiture bas-carbone utilisant le moins possible d'énergies fossiles. Il s'agit d'interdire la vente des véhicules diesel et essence, non les autres, à partir de 2030, et encore parlons-nous des véhicules neufs : tous les véhicules diesel et essence déjà acquis à cette date resteront sur le marché de l'occasion pendant toute leur durée de la vie, soit entre quinze et vingt ans. Je le redis, nous ne voulons pas interdire la voiture mais transformer ce modèle. Cela explique aussi la proposition relative aux parcs automobiles. Ceux qui achètent le plus de voitures neuves sont l'État, les collectivités territoriales et les entreprises ; ces acteurs, qui ont les moyens de le faire, doivent donc acheter des voitures bas-carbone pour qu'elles arrivent ensuite sur le marché de l'occasion.
La rénovation énergétique des bâtiments est une mesure liant justice sociale et préoccupation climatique. Plusieurs questions ont porté sur l'acceptabilité de l'obligation de mener des travaux de rénovation, initialement proposée par la Convention citoyenne pour le climat, si elle était réintroduite dans le projet de loi. Pour nous, c'est indispensable : cela a été souligné par le Haut Conseil pour le climat, par l'étude de Carbone 4 et par le rapport de la mission d'information parlementaire sur la rénovation thermique des logements. Il faut réintroduire dans ce texte une forme d'obligation progressive et juste de rénovation performante des bâtiments. Par performante, j'entends globale, pour en finir avec les travaux isolés qui ne permettent pas de gains sur la facture énergétique. Le dispositif doit être conçu dans une logique de justice sociale, ce pourquoi la Fondation Nicolas Hulot, avec un collectif comprenant des ONG et des acteurs économiques privés, préconise une période transitoire courant entre 2024 et 2030.
Le seul moyen pour que l'obligation s'applique est que les ménages en sortent gagnants. Le fondement de l'acceptabilité sociale, c'est de savoir que lorsque vous rénovez votre logement de manière performante, vous irez jusqu'à diviser par quatre votre facture énergétique et pourrez rembourser votre emprunt éventuel, qui pourrait être combiné à des subventions à renforcer, grâce aux économies d'énergie ainsi réalisées. Évidemment, pour les ménages les plus précaires, le reste à charge doit être nul et l'intégralité du coût des travaux doit être financée par des subventions, mais les classes moyennes inférieures peuvent se rembourser à partir des économies d'énergie, tout en revalorisant leur bien.
Nous sommes conscients que ce ne sera pas toujours possible, faute d'offre financière ou parce que les artisans ne seront pas prêts à répondre à une demande aussi forte si on oblige tous les propriétaires à rénover leur logement à partir de 2024. Aussi proposons-nous une obligation conditionnelle, qui ne s'appliquerait pas s'il n'y a pas d'offre financière ou d'offre technique pertinente ou si le ménage concerné perd en pouvoir d'achat à l'issue des travaux, c'est-à-dire s'il ne peut pas rembourser ses emprunts éventuels à partir des économies réalisées sur la facture énergétique. Les ménages qui souffrent le plus de la précarité énergétique actuellement gagneraient à cette obligation ; les autres seraient perdants dans un premier temps seulement. Nous sommes à votre disposition pour vous communiquer le détail de la proposition d'obligation conditionnelle de rénovation globale.
Nous sommes très attachés à la relation avec les habitants mais nous avons conscience que, comme l'a souligné Mme Batho, nous n'avons plus tellement le temps d'attendre l'acceptabilité. On doit en venir à des étapes supplémentaires pour accompagner les territoires et les citoyens dans de nouveaux modes de vie favorables à la transition. C'est par l'action collective que l'on pourra accomplir les efforts plus importants. La concertation est nécessaire mais il faut maintenant aller plus loin pour agir ensemble dans les territoires. C'est avec cette orientation que nos structures interviennent en partenariat avec les collectivités, qui doivent être outillées pour co-construire et mettre en œuvre des propositions adaptées à leur territoire. La prise de conscience étant advenue, il faut désormais impliquer les citoyens volontaires dans les actions à mener pour agir à l'échelle de chacun. Les échanges montrent que toute solution est acceptable et adaptée quand elle fait écho aux réalités des territoires.
S'agissant de l'évolution des métiers, beaucoup d'outils existent. Là encore, il faut pouvoir s'approprier tout ce qui touche à l'initiative territoriale. Beaucoup d'initiatives nouvelles se créent dans le champ de l'économie sociale et solidaire ; elles alimenteront les propositions à condition qu'une place leur soit faite et qu'elles soient soutenues par la loi.