L'avis que nous allons exprimer ne dérogera aucunement à ce que nous avons déjà indiqué lors des consultations du CNTE, du CESE, du Conseil national de l'habitat ou encore du Conseil national de l'industrie. La CGT, comme d'autres, porte un avis très critique sur ce projet de loi qui était censé être la déclinaison sans filtre des 149 propositions émises par les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat. Le « sans filtre » n'aura été qu'un effet d'annonce, puisque le Président de la République a utilisé trois jokers et puisque seules une soixantaine de propositions ont été retenues dans le texte, leur portée étant en outre souvent moins ambitieuse que celle formulée par la Convention. Les membres de la Convention eux-mêmes le déplorent.
Plus fondamentalement, ce projet de loi n'est pas du tout à la hauteur de l'urgence sociale et économique du pays. Il ne répond en aucun cas aux difficultés des travailleurs et des travailleuses. Rappelons que la Convention citoyenne a été instaurée après la mobilisation des gilets jaunes. Vous deviez entendre de ce mouvement et d'autres qui lui ont succédé que la transition écologique est certes nécessaire, mais qu'elle doit être impérativement juste ; que les premiers concernés doivent être directement impliqués ; que l'évolution de l'outil de production, des emplois et de la formation doit être systématiquement débattue dans toutes les entreprises avec les instances représentatives du personnel, les IRP, là où elles existent ; que la transition écologique touche à tous les segments de la vie quotidienne et que nombre d'entre eux exigeaient, avant même la crise sanitaire, d'être profondément améliorés – notamment l'accès au logement, aux transports, à l'eau et à l'alimentation, la revalorisation du travail, tant dans son contenu qu'en termes salariaux, et d'autres sujets encore.
La Convention citoyenne ne s'y était pas trompée, en ayant à l'esprit que répondre à l'étroite question de la baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, c'était aussi repenser le mode de fonctionnement global de notre société, avec la préoccupation constante d'aller vers plus de justice sociale. C'est ce que la CGT défend de longue date, au regard de l'enjeu du développement humain durable. C'est la manière dont nous appréhendons l'urgence climatique, avec le slogan « fin du monde, fin du mois, même combat ». Que reste-t-il de ce socle d'exigences, qui sont pour nous non négociables, dans votre projet de loi ? Rien concernant la justice sociale : le projet de loi aligne des dispositions techniques certes utiles pour certaines, mais qui gomment tout débat de fond quant à la transition écologique et la mutation du modèle de société qu'elle impose. Le projet de loi ne vise, en fait, qu'à adapter le système capitaliste en place à la pénurie des ressources D'ailleurs, l'utilisation du terme « résilience » n'est pas anodine. Le projet consacre aussi le désengagement de l'État en misant tout sur la capacité des individus à modifier leurs habitudes de consommation, de production et de vie, enfermant ainsi les travailleurs et les travailleuses dans une doctrine d'adaptation. Il n'y a aucune rupture avec le modèle de croissance des dernières décennies, modèle qui a pourtant démontré ses limites sociales et écologiques, notamment dans la gestion de la crise sanitaire mondiale actuelle.
L'avis du CESE, auquel nous avons fortement contribué, pointe d'ailleurs que l'efficacité de certaines mesures dépend plus des moyens humains et budgétaires qui y seront consacrés que de dispositions législatives ou réglementaires particulières. Or, en parallèle, le Gouvernement poursuit sa politique d'austérité et d'étranglement financier des services de l'État, en particulier du ministère de l'écologie, et des services des collectivités territoriales indispensables à l'application de cette future loi, ainsi que l'étranglement des services publics. La politique de déconcentration qui concentre en fait les pouvoirs dans les mains des préfets au détriment du ministère de l'écologie, ajoutée à la politique de différenciation territoriale en matière de réglementation, participe de la non-efficacité du projet de loi pour préserver et améliorer notre environnement, et ainsi protéger les générations futures.
Nous ne pouvons pas non plus rester silencieux quant aux conséquences des privatisations en cours – de l'Office national des forêts, d'EDF avec le projet Hercule ou encore de la SNCF avec son passage en société anonyme et l'ouverture à la concurrence des lignes de voyageurs et de marchandises. Nous voyons là toutes les contradictions entre les paroles et les actes. Il y a, selon nous, urgence à prendre des mesures d'une autre ampleur, notamment en matière de relocalisation de la production industrielle à proximité des consommateurs, d'investissement dans le développement des services publics dans l'ensemble du territoire, de politique de transports multimodale permettant d'irriguer l'ensemble du territoire dans le cadre d'un pôle public de transports publics – politique dont l'État serait le garant dans le cadre de son rôle d'aménageur du territoire, de même qu'il serait garant de l'égalité d'accès aux différents services.
Il y a urgence à planifier à long terme l'évolution de l'outil de production et à accompagner avec les moyens nécessaires les salariés, à baisser le temps de travail, à soutenir la recherche et le développement. Il s'agit de décisions politiques pour lesquelles les moyens financiers existent. Nous en avons déjà fait la démonstration et nous pourrons y revenir au cours des débats.
En l'état, ce projet de loi est très loin des enjeux sociaux et environnementaux. Il ne constitue, à nos yeux, qu'une opération de communication et de verdissement de la politique gouvernementale.